Newsletter 71

Beyrouth, Mardi 4 août, 18h10. Beyrouth est pour l'ixième fois notre capitale de la douleur, notre croix. Ruines avant les ruines, ruines après. Faire des brûlures un destin incendiaire est l'incandescence que désire le phénix mais l'oiseau de légende n'en sait pas moins s'envoler loin des pompiers pyromanes qui le maintiennent captif au-dessous du volcan.

 

 

Épineuil-sur-Fleuriel, 5 août 2020. Un philosophe se donne la mort. Se donner la mort est à soi-même le plus terrible des dons, sans possibilité de retour ni contre-don. L'arrêt de mort n'est cependant pas un coup d'arrêt à la pensée mais le don fait à l'autre de son accidentalité originaire, la relance pour nous de son défaut d'origine. L'accident est originaire et son avenir ne cesse de tourbillonner dans le grand fleuve du devenir.

 

 

Paris, 19 août 2020. Akira ressort en salles en s'imposant comme le film contemporain de ces deux événements obscurs. L'enfance est la deuil interminable de l'enfant que nous ne sommes plus et l'enfance comme survivance est ce dont il faut prendre soin si nous désirons que nos enfants se transforment en autre chose qu'en bombes à retardement. Le sourire énigmatique de l'infans Akira, ange terrible et nécessaire à la fois, en offrant à la capitale détruite de renaître en archipel des archipels, rappelle à la pensée qu'elle doit aussi panser les conséquences du défaut d'origine dont crépitent les volcans de l'adolescence.

 

 

La 71ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, Facebook) est dédiée aux accidentés dont la relève est un levant d'or ailé et aux occidentaux choisissant l'orient qui leur coupera l'envie d'être des occidentés.

 

 

 

« Forbidden Hollywood » : retrouver le cinéma hollywoodien de l'époque du Pré-Code (1930-1934), c'est faire revenir sur les écrans des films (Baby Face, Blonde Crazy, Red-Headed Woman, Night Nurse) et des stars (Barbara Stanwyck, Jean Harlow, Joan Blondell) qui ont résisté avec audace aux pressions des ligues de vertu dont Joseph Breen et William Hays ont été les relais à l'intérieur de l'industrie du film.

 

Retrouver aujourd'hui le Hollywood interdit par le Code Hays, c'est aussi le suivre au plus près de ses contradictions que lissent les lectures rétrospectives qui ne voient l'enchantement qu'en s'aveuglant sur ce qui le contrarie.

 

Première partie : Baby Face d'Alfred E. Green ; Red-Headed Woman de Jack Conway ; Red Dust de Victor Fleming ; Blonde Crazy de Roy Del Ruth ; Jewel Robbery de William Dieterle.

 

Seconde partie : Female de Michael Curtiz ; Night Nurse de William Wellman ; A Free Soul de Clarence Brown ; The Mind Reader et Employees' Entrance de Roy Del Ruth

 

 

 

L'été 2020 après le confinement du printemps est-il au cinéma celui du retour gagnant des auteurs ? S'ils reviennent avec des films réalisés avant la crise sanitaire, l'été promis laisse cependant place au refroidissement de l'hiver. L'hiver est là en effet mais c'est celui de l'auteurisme.

 

L'été de la politique des auteurs devient l'hiver de l'auteurisme quand le cinéma se prépose à la conjonction réductrice d'un style et d'une thématique au nom de la consécration du nom.

 

Les auteurs qui cultivent l'auteurisme au nom du glorieux prestige de leur nom, s'ils font le bonheur des grands festivals et de la critique spécialisée, sont embarqués dans le tournant académique de leur œuvre, aussi importante soit-elle.

 

L'été promis du cinéma reverdi par le retour des auteurs s'apparente ainsi à l'hiver de l'auteurisme quand la politique des auteurs n'est plus l'arme d'une rupture moderne mais seulement le terminus académique d'un modernisme épuisé.

 

Première partie : Le Sel des larmes de Philippe Garrel. On doit le reconnaître : la jeunesse luciférienne de Philippe Garrel a pris un sacré coup de vieux. Faust a cru que le contrat durerait toujours mais le réveil est difficile et Marguerite a l'haleine chargée. La gueule de bois est sévère car Méphistophélès est un créancier jamais en retard, toujours à l'heure de ses comptes.

 

Seconde partie : Hotel by the River de Hong Sang-soo. Si l'hiver est la saison de la convalescence, il est aussi celle de l'hibernation. Quand le cinéaste hiberne, les films sont seulement rêvés mais leur auteur rêve aussi qu'avec le printemps il pourra à nouveau tourner un film en cessant alors de tourner complaisamment autour de l'arbre désolé de leur possibilité.

 

 

 

À propos de Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi et John Wax

 

JP le clame sur tous les toits et sur tous les tons : il veut organiser une grande marche de protestation en faveur de la minorité noire, sous-représentée dans les secteurs-clés de la société, en politique comme dans les médias. Et s'il pouvait en profiter pour faire le buzz et ainsi doper une carrière d'acteur qui tarde à démarrer ce serait l'idéal.

 

On croit JP hésiter entre projet politique et plan média mais Jean-Pascal Zadi qui interprète le candide et a co-réalisé le film a définitivement tranché en choisissant sur quel pied danser : la politique comme dissensus compte moins que le club sélect des noirs médiatiques qu'il rejoint parce qu'il leur ressemble comme un frère.

 

 

 

Festival Partie-s- de Campagne : la 13ème édition.

 

La partie n'a pas été remise, on respire, viva pour son équipe !

 

La seule compétition documentaire montre que, en dépit du contexte et des difficultés qui le caractérisent, le festival du film court d'Ouroux-en-Morvan organisé par l'association Sceni Qua Non n'a cédé ni sur l'exigence documentaire du cinéma ni sur le fait que le court-métrage n'est pas un espace subalterne pour en accueillir les intensités.

 

La partie de campagne n'aura donc pas été remise, c'est tant mieux, on respire. Mieux, la campagne, loin d'être neutralisée par les empêchements sanitaires et la virtualité des connexions numériques, se fait plus désirable encore. Comme chez Renoir.

 

 

 

Penser l'époque avec Bernard Stiegler consiste à réfléchir à notre destin techno-logique, c'est-à-dire à l'humanité resituée à chacune de ses époques au carrefour critique du langage et de l'outil. Ce destin a une lointaine origine accidentelle, l'accident d'un défaut d’essence pour une hominisation dès lors comprise comme une extériorisation continuée.

 

Il n'y a pas d'essence mais une nécessité qu'il faut penser : celle de notre « accidentalité ».

 

Le défaut originaire, qui associe accidentalité et artificialité, est donc celui qu'il faut. Le défaut qu'il nous faut penser et dont il nous faut penser non pas l’essence mais la nécessité, pour comprendre d'où venons et où nous allons.

 

Penser l’accident d’origine c'est aussi prévoir la catastrophe possible dont la pensée qui la prévoit est un moyen nécessaire pour s’en prémunir.

 

 

 

Côté musique, le papillon aoûtien a deux ailes pour faire battre le cœur, une aile shoegazing et une autre dédiée aux opéras pour ritals en haillons d'Ennio Morricone.

 

 

 

Et puis, un carré magique des joueurs de poker du Rayon Vert :

 

 

 

La Haine de Mathieu Kassovitz, 25 ans après : comme une cuite la hype est passée, reste le film « culte » dont la vision est aussi problématique hier comme aujourd'hui.

 

Le constat documentaire y passe toujours à la moulinette d'une fantasmagorie dont les manières clinquantes revêtent les vieilles hiérarchies des survêtements de la jeunesse et des cultures urbaines.

 

Mais la moulinette est une partie truquée de roulette russe et les shoots d'adrénaline n'empêchent pas d'admettre que la bombe à retardement n'est chargée que de l'amphigouri de son artificier horloger. Le monde sans pitié des gamins des cités appartient à ceux qui en font des films à succès.

 

 

 

Akira pose, pense et panse la jonction cyborg de plus d'un spectre : spectres de Marx et de Hamlet ; spectres de l'histoire japonaise d'hier, d'avant-hier et de demain ; spectres de la culture cyberpunk et de l'Armée rouge japonaise.

 

C'est leur conjonction organique et cybernétique organisée par Katsuhiro Ôtomo dans un mélange de furia et de maestria sans équivalent pour l'un des plus grands films d'animation japonais qui soit, qui est aussi l'un des plus grands films de science-fiction qui soit.

 

Tant et si bien qu'Akira demeure un grand contemporain éclairé par le sourire énigmatique d'Akira en nous rappelant à cette enfance devenue une énigme pour une humanité qui manque à elle-même d'avoir abandonné ses enfants.

 

Les films qui regardent notre enfance sont toujours ceux qui savent en prendre soin.

 

 

 

Neruda et Jackie de Pablo Larraín forment un passionnant diptyque, nom et prénom pour une Amérique expérimentée comme le nom divisé par plus d'un antagonisme au temps de la guerre froide : nord et sud, hommes et femmes, chambre froide et royaume mythique – de face et de dos.

 

 

 

Tenet est l'opéra de Christopher Nolan, son chef-d'œuvre pour autant que son architecture de béton est un piège pour ses spectateurs, une croix pour le cinéma.

 

Sacrifier un film à la monumentalisation du nom de son auteur équivaut à la bétonisation du cinéma. Les abstractions nolaniennes sont devenues l'or massif du blockbuster mais son extraction a un coût élevé, celui d'un cinéma bétonné.