Newsletter 73

17 octobre, couvre-feu. Hier 1961, aujourd'hui 2020.

 

La guerre au virus et à l'islamisme a succédé à la guerre aux algériens. C'est la pire des successions, celle des passions tristes du bellicisme. L'antifascisme n'est pas une affaire intéressée de vocabulaire ; mieux qu'une stratégie sémantique, c'est un combat dont l'impératif reconnaît dans les soubresauts du capitalisme terminal les montées de sang et les asphyxies du ressentiment, Nice, Avignon, Conflans. Une même volonté de néant, d'un côté qui comble avec des cadavres le lieu vide du dieu absent ou de la nation fantasmée, de l'autre qui sature d'yeux crevés celui de l’État.

 

17 octobre 2020. Un monde perd la tête mais couve le feu, Bolivie, Chili en attendant les États-Unis et l'Algérie. Acéphale, on est mal, tant qu'on ne s'est pas fait une raison : pour nous décoloniser la tête du mal capital et nous déconfiner pour respirer, il faut une révolution.

 

La 73ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, Facebook) est dédiée aux victimes du fascisme et aux militants antifascistes.

 

 

 

Tous les films d'Ida Lupino tournent autour d'une idée qui est une obsession, le moyeu des roues de l'existence quand celle-ci dévisse. La vie se retrouve alors soumise à des bifurcations hasardeuses dont les violences sont comme de brutaux coups de volant qui obligent à en reconsidérer le sens entièrement.

 

L'épreuve qui s'impose alors est celle du réel dont la blessure peut autant remettre en cause la consistance symbolique d'une réalité quotidienne qu'elle engage chez ses sujets la preuve d'un sens moral plus fort que toute morale. Le destin qualifie la relève des vies blessées dans une perspective éthique en répondant à la question d'une vie : que s'est-il passé ?

 

 

 

Les violences policières, si elles sont filmées, notamment par ses victimes, manquent encore d'être vues. C'est l'invu des violences policières qui invite à parler en les donnant à voir et à revoir et, ainsi, à les regarder pour les penser.

 

Pour cela Un pays qui se tient sage de David Dufresne vaut la peine d'être vu quand il essaie d'être face à la Méduse des violences policières l'équivalent du bouclier d'Athéna.

 

Mais la peine aurait pu l'être davantage encore en ne cédant ni sur le recours à des limitations problématiques de la focale adoptée, ni sur le réflexe roué de l'efficacité qui obscurcit l'effort de pensée plutôt qu'il ne l'éclaircirait.

 

 

 

Quel bonheur quand, sans ostentation ni crier gare, un film a la puissance de battre les cartes d'un jeu apparemment serré en les redistribuant à plusieurs reprises, une fois, deux fois, trois fois. Le spectateur est alors invité à déplacer son regard en fonction des angles de la fiction comme à revoir sa position sur le sens de la narration.

 

Fin de siècle de Lucio Castro a le perspectivisme surprenant et son auteur est un baroque subtil qui suit de près deux hommes faire et vivre l'amour en bifurquant, comme un retour à travers les boucles du temps et les parallèles du possible.

 

 

 

Dans Rocco et ses frères de Luchino Visconti, le néoréalisme se voit décomposé par les coups de boutoir du naturalisme littéraire et de l'opéra vériste et c'est alors qu'il peut délivrer l’un de ses noyaux de vérité – nécessité du communisme.

 

Le communisme est la relève des contradictions infernales et fratricides de la modernité et, à la fin du film, il n'y a plus rien d'autre à faire pour lui qu'à s'exposer dans la nudité de sa nécessité – opéra operai contadini.

 

 

 

Don't Look Now – Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg conte avec tout le maniérisme nécessaire l'histoire d'un lien mystérieux de mort et de filiation hémorragique, celui d'un père à la fois si aveugle et si voyant qu'il hallucine la possibilité de ne pas devoir survivre à la mort impensable de sa fille.

 

 

 

Serial killer et profiler figurent les catégories modernes d’un vieux dualisme fonctionnel saturé d’idéologie. Le mythe qu’ils ont en partage et dont il faut faire la mythologie est celui d’une culture qui ne s’institue qu’en se ré-instituant incessamment dans la guerre permanente contre une nature fondamentalement sauvage.

 

Le pessimisme anthropologique propre au couple structural du profiler et du serial killer engage avec la fascination pour le mal radical l'autre fascination pour la rationalité policière.

 

Deux adaptations de Thomas Harris, champ et contrechamp : Manhunter de Michael Mann et Le Silence des agneaux de Jonathan Demme.

 

 

 

Notre quinte musicale mensuelle a d'emblée une manière japonaise de regarder ses pompes puis décide une fois son chromatisme avéré de tourner dans les boucles ralenties d'années 30 imaginaires avant de s'abandonner à la transe du prophète au nom d'oiseau et au sommeil dans un lit de plumes folk.

 

 

 

Aux quatre coins du Rayon Vert :

 

 

 

Les comédies ont du caractère quand elles s'en amusent comme d'un masque. Elles se trahissent tragiquement quand le jeu qui fait rire du caractère s'apparente à une faute douloureuse qu'il faudrait naturellement assumer :

 

- faute monstrueuse de renier l’appel de la maternité dans Énorme de Sophie Letourneur ;

 

- faute idéaliste de croire en l’amour alors qu’il faudrait savoir y renoncer dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait d'Emmanuel Mouret ;

 

- faute morale de persévérer dans l’ânerie d’une liaison adultère avec Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal.

 

 

 

Ondine prévient Johannes qui veut la quitter : s'il part, il doit mourir, il ne peut en être autrement. Ainsi s'exprime Ondine qui, quand elle n'est pas conférencière au Sénat de Berlin, croit secrètement aux obligations mythiques de son prénom.

 

Dans Ondine de Christian Petzold, la croyance d'un destin mythique est un appel ensorcelant à quitter les surfaces de la raison mais il n'y a qu'une brasse entre l'attrait des profondeurs et la liquidation des miroirs de l'histoire.

 

 

 

Le cinéma de Hong Sang-soo ressemble toujours plus à un jardin citadin et son jardinier y entretient un parterre fleuri de fugues féminines tout en tenant au respect du secret de leur racine.

 

En son centre rayonne la fleur Kim Min-hee dont l’exil intérieur est une dette dont tenteraient de s’acquitter les derniers films de son compagnon.

 

La Femme qui s’est enfuie cristallise les piétinements du jardinier endetté auprès de la plus belle de ses fleurs tout en persévérant à entretenir la préservation d’un privilège masculin indispensable à la fiction.

 

 

 

India Song, air éternel, ritournelle océanique. La bourgeoisie n'a pas d'autre avenir que celui de son ravissement – cri de la bête dans la jungle à un bord et à l'autre chant de rire et de folie de la mendiante indifférente.

 

Soleil cou coupé à l'horizon de la dislocation des bandes image et son en pointant vers l'aurore et l'orient.

 

Occidental dans le film de Marguerite Duras qualifie ainsi un bal en boucle pour les fantômes inconscients d'un cinéma permanent.