Lettre d'informations n°21 : 28/06/2016

Entre deux nuages de lacrymogène qui piquent et les yeux et un fond de l'air maintenu au rouge afin de réchauffer les cœurs, il y a encore de l'énergie disponible pour notre 21ème newsletter des nouvelles du front (site et facebook).

Dans la catégorie des Nouvelles du front cinématographique, la découverte de cet impressionnant volcan philippin qu'est Lav Diaz se poursuivra en nous attaquant désormais, après l'entreprise au long cours de Death in the Land of Encantos où la profondeur de champ ouvrait le documentaire sur la catastrophe naturelle à la profondeur de temps d'une fiction consacrée à faire l'archéologie des catastrophes passées, à cet autre versant de l'œuvre qu'est Norte - La fin de l'histoire. Le ton se fera ici plus dostoïevskien, la dialectique du bien et du mal fondue dans un matérialisme tout en durée autorisant la justice comme horizon messianique à progressivement se séparer d'un droit qui oblige les faux coupables à devenir des saints et les vrais coupables à s'abêtir en s'enfonçant dans une culpabilité sans fond ni retour.

Notre bon plan du mois assurera idéalement la fonction de raccord nécessaire dès lors que nous ne pouvions pas ne pas quitter ainsi les Philippines sans en passer par la figure magistrale et tutélaire de Lino Brocka, héros du cinéma philippin de 1970 à la fin des années 1980, militant forcené du cinéma comme pédagogie populaire et arme de lutte contre la dictature des Marco, et puis auteur d'un sublime Insiang qui fut le premier film philippin à avoir été sélectionné à Cannes pour la Quinzaine des réalisateurs en 1978. Il s'agit là d'une chronique naturaliste tournée dans un bidonville de Manille mais filmée comme un thriller et qui sait produire, ainsi que savaient le faire les grands néoréalistes italiens, le sentiment du scandale nécessaire à ne jamais se satisfaire de l'accentuation du désastre, la conséquence d'un bien meurtri consistant ici à ce que la blessure s'autorise à raffiner et quintessencier le mauvais infini de la reproduction du mal.

Dans notre catégorie des autres textes consacrés au cinéma, nous continuerons à nous demander comment une certaine tendance du cinéma français, désireuse de célébrer en grandes pompes les noces du cinéma d'auteur et de l'efficacité du genre hollywoodien devant l'autel cannois, se débrouille pour piocher dans quelques ailleurs de circonstance de quoi reconduire les impasses de l'exotisme et du chauvinisme. Après L'Afghanistan, raté deux fois discutant des tentations et des hésitations de deux fictions symptomatiques des ambitions contrariées du jeune cinéma français (Maryland d'Alice Winocour et Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore), on verra désormais comment aura été raté aussi le Sri-Lanka avec Dheepan de Jacques Audiard. Une fiction en effet saturée d'huile de palme et qui s'ingénie à presser la guérilla tamoule mêlée à quelques souvenirs cinéphiles issus du revenge-movie afin d'en tirer la nouvelle huile de moteur au service du véhicule sécuritaire et anti-populaire actuel - comme si la chose était franchement nécessaire.

Nous avons également décidé d'offrir notre séquence du moment à l'un des moments parmi les plus étranges que le cinéma aura su imaginer dès lors qu'il investit la question ouverte et interminable de l'animal, c'est-à-dire ici la rencontre proposée par le génial Au hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson de l'âne Balthazar avec d'autres animaux captifs d'un zoo de passage. Comme s'il s'agissait de convoquer le vieil effet Koulechov mais pour en radicaliser et excéder les effets et ce faisant court-circuiter toute notre lourde réflexologie en terme identificatoire et anthropomorphique. Le regard du spectateur dès lors ouvert sur l'énigme opaque de l'animal face à lui autant que sur le mystère de l'animal que donc il est et persévère à ne pas ne pas être.

On ajoutera également un retour à notre rubrique Champ contre champ réinvestie cette fois-ci du côté des quelques séries télévisées qui nous auront inégalement intéressés l'année passée, la crise anthropologique diversement représentée dans The Walking Dead et The Strain, Wayward Pines et Fargo en passant par le gore jouissif de Ash vs. Evil Dead et surtout la plus intrigante The Leftovers afin d'y légitimer ce plan de consistance qui serait une planche de salut mythologique.

Et puis, pour rire après Dheepan des affaissements de l'idéologie, dans notre rubrique des Nouvelles du front social et du reste, on s'amusera de l'effroi piteusement mis en scène à l'occasion de la une récente du Point qui fait mine de croire que le stalinisme est aux portes du pouvoir quand ce qui vient se tiendrait surtout dans la réémergence d'un désir de lutte dans le sens général de l'émancipation.

Enfin, notre sélection musicale distribuera ses intensités selon diverses modalités :
- c'est la colère de Mendelson qui à sa façon voit Combs-la-Ville comme d'autres ont vu Hiroshima;

- c'est le néant à la fois poisseux et grinçant de Mica raccord avec la nuit écossaise hantée par Scarlett Johansson dans Under the Skin de Jonathan Glazer ;

- c'est l'extrême nervosité de l'ouverture de La Walkyrie de Richard Wagner qui vrille le visage de Nicole Kidman dans un autre film de Jonathan Glazer (on en reparle le moins prochain) ;
- c'est, utilisée en conclusion du beau Trésor de Corneliu Porumboiu, la (sur)charge ironique des slovènes de Laibach avec leur reprise de Life is Life qui trouve ainsi une marrante solution de continuité entre le pompiérisme stalinien et la bêtise épaisse de la marchandise culturelle ;

- c'est enfin la techno minimaliste de Dan Deacon et Osvaldo Golijov en mémoire de Nosferatu et rappel de quelques vapeurs vampiriques enveloppant la fin du magnifique Twixt de Francis Ford Coppola.

Lettre d'informations n°22 : 29/07/2016

Ce n'est pas parce que nombreuses sont les forces obscures qui obstinément se liguent pour nous pourrir cet été qu'il nous faudra manquer à la nécessité d'être sensible et de penser (avec) le cinéma et c'est pourquoi nous sommes heureux de vous proposer la 22ème newsletter des nouvelles du front (site et facebook).

Dans notre catégorie des "Nouvelles du front cinématographique", après avoir sondé en profondeur (de champ et de temps) l'archipel des Philippines dans la compagnie des films de Lav Diaz, (et aussi grâce à l'opportune ressortie de Insiang de Lino Brocka), nous changeons de vent pour nous diriger cette fois-ci en direction du sud de la Russie, plus précisément au Kazakhstan vu par Sergueï Dvortsevoy avec le documentaire Highway (1999) qui extrait de l'humble quotidien d'une famille de forains sillonnant les routes désertiques du pays autant d'événements du sensible qu'ils témoignent de ces puissances génériques aidant l'humanité à rester vertical.

Notre catégorie du bon plan du mois devenue Des bons plans (puisqu'il faut plus d'un plan pour dire la beauté d'un seul) accueille le fantôme de Michael Cimino qui vient de franchir la porte du paradis. Lui qui l'avait franchi à trois incontournables reprises (Voyage au bout de l'enfer en 1978, La Porte du paradis en 1980 et L'Année du dragon en 1983) afin de poser la grandeur épique du deuil post-Vietnam et de l'intégration problématique qui s'y autorise malgré tout, de la compliquer dans le rappel à rebrousse-poil des luttes de classe oubliées par la tradition du western, et de finir sur la vérité (éminemment fordienne) du raciste harassé par la haine de l'autre qui n'est rien qu'une haine de soi-même altéré.

Dans notre catégorie des autres textes consacrés au cinéma, brille un petit joyau d'Élisabeth Perceval et de Nicolas Klotz, Mata Atlântica montré lors de la dernière édition du FID à Marseille. C'est, discrètement mais décisivement, une incantation veinée de la sève émeraude issue de ce qui reste de la "forêt brésilienne" et comme placée sous le charme (tourneurien) d'un antique faune en ses puissances de séduction et de fascination.

Nous avons également décidé, avec notre séquence du moment devenue la séquence du spectateur, de vous proposer de découvrir ou redécouvrir l'avant-dernier film d'Abbas Kiarostami, son court-métrage No réalisé à l'occasion de l'exposition "Brune Blonde" à la Cinémathèque Française en 2011. Avant que le vent ne l'emporte, le cinéaste iranien y retrouvait avec une grande modestie de moyens le sens de l'enfance et de la pédagogie caractérisant l'entame de son œuvre en proposant à quelques petites filles italiennes venues passer un casting de se réjouir par elles-mêmes des puissances de la décision, le non ayant philosophiquement (entre Spinoza et Kant) la valeur affirmative d'un refus de faire aux autres ce que l'on refuse à soi-même.

Et puis, notre rubrique des Nouvelles du front social et du reste témoignera de la perte immense que constitue l'arrêt politique d'une émission de télévision politique - en fait la seule, de fait la dernière - qui savait relever des flux télévisuels quelques (rapports d')images drôles ou terribles, parfois précieuses, en sachant renouer insolemment avec l'héritage du montage d'Eisenstein à Godard. Le Zapping de Canal + n'existe plus, vive le Zapping !

Enfin, notre sélection musicale mensuelle fera la part belle :
- à David Lynch en sa bizarrerie sucrée avec "Good Day Today" ;
- aux accents mélancoliques de Lush avec leur chanson "Light From a Dead Star" ;
- à la ritournelle entre folk et rock de Richard Davies avec "Cristal Clear" ;
- au patriotisme blessé de Maurice Ravel avec sa composition "Trois beaux oiseaux du paradis" ouvrant La Maison des bois de Maurice Pialat ;
-  à Sébastien Tellier et sa composition électro "More Crazyness" électrisant Marie et les naufragés de Sébastien Betbeder.

Dans cette même catégorie, les transes mi-punk mi-électro mi-rock du néo-primitif Alan "Viva" Vega ne pouvaient pas ne s'imposer ici à travers une sélection subjective de quelques-uns de ses plus grands titres balancés en compagnie de l'ami Martin Rev pour Suicide ou bien en solo.

Lettre d'informations n°23 : 30/08/2016

La rentrée 2016 est pour nous riche en promesses de déterritorialisation cinématographique : c'est bientôt le début des rencontres cinématographiques de Bélaïa (RCB) du 03 au 09 septembre.


Nous sommes par ailleurs toujours heureux de vous proposer la newsletter (la 23ème quand même, et pas peu fiers) des nouvelles du front cinématographique (site et facebook).

Dans notre catégorie des "Nouvelles du front cinématographique", le cinéma s'affirme toujours comme un grand opérateur de déterritorialisation. Après la steppe kazakhe vue par Sergueï Dvortsevoï comme milieu à tourner et retourner en tout sens pour y entendre résonner la ritournelle de la mère d'entre toutes les mères, il faudra désormais aller davantage vers l'est pour y découvrir comment quelques grands films contemporains appartenant au registre de l'anime auront arraché du Japon quelques images éternelles, valables universellement. A cet égard, nous devrons dire quelques mots de l'usine Ghibli d'où sont sorties quelques images parmi les plus emballantes du genre. La première partie de notre série de trois parties concerne en particulier son ambassadeur le plus connu, Hayao Miyazaki dont son dernier long-métrage, Le Vent se lève, représente l'aboutissement d'un art poétique délivré dans l'aveu brûlant d'une ambivalente irradiation par un "soleil" japonais, de son zénith impérial jusqu'à son nadir apocalyptique.

Notre catégorie Des bons plans est aussi consacrée au classique A Touch of Zen (1971) de King Hu ressorti en salles et copie numérique il y a un an, le chef-d’œuvre hong-kongais du film de sabre et d'arts martiaux chinois (le xu-wia-pian) poussé par son élan maniériste jusqu'à une apothéose radicale et psychédélique (c'est un peu le 2001 du genre dont l'influence considérable s'exerce encore, par exemple sur The Assassin de Hou Hsiao-hsien).

Dans notre catégorie des autres textes consacrés au cinéma, nous vous donnerons des nouvelles de jeunes réalisateurs appréciés, Soufiane Adel et Yassine Qnia, dont les derniers court-métrages sélectionnés tous deux dans des festivals (le premier avec Les Bonnes au dernier Festival Côté Court, le second avec F430 aussi à Côté Court ainsi qu'à Béjaïa) manifestent de semblables propensions à tirer de la machine cinéma des échappements de sens offrant d'autres visibilités aux marges sous-exposées de la banlieue parisienne.

Nous avons également décidé, avec notre séquence du moment de (re)mettre sur la planche la musique inusable d'Alan Vega (notre sélection musicale n°22b lui était d'ailleurs légitimement consacré), alpha et oméga du rock (il en était à la fois le néo-primitif et le spectre terminal) dont la peau grêlée gratte sous la couche de fond de teint du chanteur hexagonal pour mémères comme on le voit dans une séquence inoubliable de Sombre (1998) de Philippe Grandrieux.

Dans notre rubrique des Nouvelles du front social et du reste, la lecture de Daech le cinéma et la mort de Jean-Louis Comolli s'est imposée à nous afin d'interroger le cours d'une certaine cinématographique mondiale qui, déliée de l'art qui l'aura longtemps identifiée, s'expose sous la figure de l'un de ses pires symptômes actuels en précipitant la pente désastreuse, intégrale et désintégrante, d'une fusion du réel sous la condition capitalistique des confusions du spectacle.

Enfin, notre sélection musicale s'essaiera comme souvent à faire le grand écart, entre
- Brian Eno et son "An Ending (Ascent)" étiré pendant une heure afin de mieux voir depuis la Lune tourner la Terre ;
- la suavité et le tact de "Mr Met" de Lambchop
- la moiteur de Tricky dans "Evolution Revolution Love" ;
- le mélange de grondements et de feulements avec "My Beautiful Leah" de PJ Harvey ;
- les boucles froufrouteuses et mélancoliques de "Reckoner" de Radiohead.

Lettre d'informations n°24 : 30/09/2016

On dit que l'automne a pointé le bout de son triste nez et pourtant l'été n'a pas encore dit son dernier mot. La valse hésitation des saisons est une occasion de vous envoyer notre newsletter n°24 des nouvelles du front cinématographique (site et facebook) :

 

- Dans notre catégorie des "Nouvelles du front cinématographique", s'y donne la suite de notre panorama des animes. Après avoir vu les dernières œuvres magistrales des grands fondateurs du studio Ghibli comme Hayao Miyazaki et Isao Takahata, la question est de mieux connaître la tâche incombant aux héritiers directs ou indirects, putatifs ou supposés, qu'ils travaillent au sein de Ghibli ou en dehors. C'est dans cette perspective là que trois animes se seront imposés : Souvenirs de Marnie de Hiromasa Yonebayashi, Miss Hokusai de Keichii Hara et Le Garçon et la bête de Mamoru Hosoda, trois films significativement partagés par les questions d'héritage et de transmission.
- Notre catégorie Des bons plans est consacrée à l'inusable Nanouk l'esquimau de Robert Flaherty, classique qu'il faudra cependant extraire des glaces du patrimonial afin d'en examiner le cristal de contemporanéité. Ainsi, les derniers plans de ce film qui aura moins inventé le documentaire qu'il en aura réinventé les modalités sous la condition de la fiction ouvrent au spectateur le moment du sommeil mérité du héros où celui-ci rêve - mais à quoi ? On s'abandonne alors à la rêverie où le héros s'endort en songeant à nous - autrement dit tous les spectateurs qui rêveront de sa propre immortalité à lui, par le cinéma assurée.

 

- Dans notre catégorie des autres textes consacrés au cinéma, nous relaierons quelques nouvelles des héritiers malheureux des inuits du film de Robert Flaherty, saisis dans la juste mesure et le tact propre au regard cinématographique de Nazim Djemaï dans Nawna (je ne sais pas...). Avec ce premier long-métrage, la naissance d'un grand cinéaste se fonde dans la conscience d'une grande histoire du cinéma autant que d'une cosmogonie inuite dont les géants endormis forment le paysage d'une promesse : "N'oublie pas que tu vas mourir".

 

- Nous avons également décidé, avec notre séquence du moment de ne pas prendre au sérieux les autorités qui en crèvent en invitant les Monty Python à déconstruire, avec quelques temps forts de La Vie de Brian, les apories logique du pouvoir, qui impose perversement de faire et dire tout en se débrouillant pour faire faire ou faire dire mal - ou pire.
- Après avoir proposé précédemment une introduction générale à propos de quelques séries télévisées actuelles, nous voudrions apprécier dans le détail de chaque épisode (les 5 premiers de la première saison) d'une série importante pour aujourd'hui, The Leftovers, branchée avec acuité sur une époque où les béances du sens ouvrent sur le vide d'un nouvel horizon communautaire et le plein d'un furieux désir de sacrifice.

 

Enfin, notre sélection musicale s'essaiera comme souvent à accomplir des pirouettes, pour preuve :

 

- Baaziz le rebelle aperçu dans un éclat d'un film de Lamine Ammar-Khodja ;

 - Mihaly Vig, le compositeur des ritournelles intensément mélancoliques des films de Béla Tarr;

 - le fantôme de Daniel Darc revenant le temps d'une chanson de Asyl ;

 - les expérimentations psychédéliques et électro-acoustiques de Hildegard Westerkamp ouvrant quelques portes de la perception chez Gus Van Sant ;

- enfin l'amour dont la tragédie est chantée en italien chez ce cancre de Paul Vecchiali.

Lettre d'informations n°25 : 29/10/2016

La fin de l'année arrive à pas lourds et agglomérés, alors c'est lestement que nous vous soufflons notre newsletter n°25 des nouvelles du front cinématographique (site et facebook) :

- Notre catégorie des "Nouvelles du front cinématographique" dévoile l'ultime partie de notre panorama offert aux animes. Après avoir considéré les dernières œuvres magistrales des grands fondateurs du studio Ghibli comme Hayao Miyazaki et Isao Takahata, et après avoir évoqué les héritiers directs ou indirects, putatifs ou supposés, nous vous proposons en guise de post-scriptum un troisième et dernier volet offert à travers trois films animés aussi différents qu'ils auront ici compté. Les personnages des deux adolescentes rivettiennes de Hana et Alice mènent l'enquête de Shunji Iwai, la sorcière revenue de Michelet dans Belladonna de Eiichi Yamamoto et le naufragé à la Michel Tournier de La Tortue Rouge du néerlandais Michaël Dudok de Wit (mais co-produit exceptionnellement par Ghibli -, il s'agit d'ores et déjà de l'un des plus beaux films de 2016) figureront aisément l'inventivité et la créativité renouvelées d'un genre, l'animation, en ses déclinaisons japonaises et au-delà.

- Avec notre catégorie Des bons plans, nous avons décidé de consacrer un double programme à Ridley Scott, réalisateur inégal de deux films-culte de science-fiction tournés consécutivement mais dont l'ambition esthétique diffère cependant complètement. La réussite viscérale de Alien, le huitième passager habité par son fascinant polymorphe libidinal intéresse en effet toujours davantage que les lourdeurs ornementales de Blade Runner.

- Dans notre catégorie des nouvelles du front social et du reste, s'est imposée une fois de plus la cosmogonie de Marc Scialom à travers la sortie de son nouveau livre, Invention du réel (trois contes), répétant trois fois un ambitieux lancé de filet de la préhistoire à l'après-histoire afin de retrouver sous le gâtisme du présent l'éternel enfant qui nous fait signe et nous attend.

- Après avoir proposé précédemment une introduction générale à propos de quelques séries télévisées actuelles, nous voudrions apprécier dans le détail de chaque épisode (cette fois-ci les 5 derniers de la première saison) d'une série importante pour aujourd'hui, The Leftovers, témoignant lucidement d'une époque catastrophique - la nôtre - où les béances post-modernes du sens ouvrent sur le vide nécessaire d'un nouvel horizon communautaire comme sur le plein désastreux d'un furieux désir de sacrifice.

- Enfin, notre sélection musicale s'essaiera comme souvent à accomplir le bond du tigre dans l'espace et le temps :
- avec l'esprit de Nashville incarné en ravissement des cœurs par l'easy Keith Carradine ;
- avec la lutte nécessaire contre tous les fascismes à travers un chant révolutionnaire espagnol ;
- avec un bidule blues-rock de Alt J en accord avec les nouveaux bondissements d'une araignée rebootée ;
- avec une ballade folk de Jim Croce en soutien alangui aux amusements en accéléré d'un gosse vif-argent ;
- avec une musique psychédélique composée par Masahiko Satoh en célébration des sortilèges de la belladone.

Lettre d'informations n°26 : 29/11/2016

Puisque le froid cravaté nous pince les oreilles au lieu de nous faire gentiment la bise, la newsletter n°26 des nouvelles du front cinématographique y répond comme elle peut, au moins chaleureusement (site et facebook).

 

- S'agissant de notre catégorie des "Nouvelles du front cinématographique", celle-ci consiste cette fois-ci en la première partie d'un diptyque consacré à une série de films documentaires soucieux de témoigner de la variété ethnographique des cultures peules, la présence en Afrique comme diasporique de la minorité FoulBé requérant du cinéma en effet qu'il en expose la variété depuis la vérité des situations filmées et qu'il en préserve aussi les particularités en garantie de l'inscription de la différence comme condition générique de l'universel. Toutes choses qu'il faudra commencer à expérimenter, de Koumen (1976) de Ludovic Ségarra à Wodaabe - les bergers du soleil (1989) de Werner Herzog.

 

- S'agissant de notre catégorie portant sur les autres films, l'actualité commande de mettre l'accent sur le travail accompli par le Maghreb des Films qui aura notamment proposé de découvrir deux films parmi les propositions de cinéma les plus stimulantes récemment venues d'Algérie. C'est Kindil de Damien Ounouri qui s'empare au pluriel du genre pour mettre en crise le champ des violences de genre dans la mise à nu de leur profondeur de champ mythique et c'est Le Fils étranger d'Abdallah Badis qui exhume en revenant dans les paysages du pays de sa naissance et d'avant elle la présence des morts nécessaire à l'apaisement des blessures d'un roman familial déchiré par l'histoire.

 

- Du côté de notre catégorie des nouvelles du front social et du reste, un désir s'est impérieusement fait sentir de tenter de pousser dans quelques-uns de ses retranchements étymologiques le concept de l'autre. Les grandes pensées en ont longtemps fait leur affaire (de Hegel à Sartre en passant par Lacan et Levinas), et l'autre ne cesse pas d'être agité par tous les discours humanistes légitimement effrayés par la montée du registre identitaire, alors même que l'identité et l'altérité forment un couple fatal dont la valse spéculaire rappellerait en effet que les uns n'auraient besoin des autres que pour les sacrifier sur l'autel de leur différence substantiellement réifiée.

 

- Avec le champ-contrechamp, c'est le troisième épisode portant sur la série The Leftovers qui a l'intelligence de redémarrer en bifurquant à l'occasion de sa saison deux, redéployant en effet tous les acquis précédemment accumulés pour en élargir le registre aussi mythique (la "soudaine disparition" aurait commencé dans une grotte du Néolithique) qu'actuel (le Texas est le lieu fallacieux d'une exception à l'insensée catastrophe et, de fait, l'exception qui n'a pas eu lieu précipitera un autre désastre, parfaitement explicable celui-là).

 

Enfin, notre sélection musicale se divisera en trois, selon qu'elle propose déjà un florilège des chansons du moment écoutées (Victor Démé y croise Moondog et Ennio Morricone y toise Nico, tout cela sous l'œil goguenard de XTC). Et selon qu'elle veut ensuite et surtout rendre hommage à l'un des plus grands poètes contemporains, Leonard Cohen, du côté de ses grandes prises (The Partisan, Avalanche, Lover Lover Lover, The Future, Show Me the Place) comme sur le versant de ses meilleures reprises (Roberta Flack et Nina Simone, John Cale et Nick Cave, Johnny Cash et Bill Callahan, Marianne Faithfull et Jeff Buckley).

 

I love to speak with Leonard

He’s a sportsman and a shepherd

He’s a lazy bastard

Living in a suit

Lettre d'informations n°27 : 28/12/2016

Puisqu'il est temps d'enterrer l'année 2016 (dignement même si les mauvais crus se suivent et se ressemblent), notre 27ème newsletter des Nouvelles du front cinématographique se propose alors de jouer gaillardement les fossoyeurs (site et facebook).
- Dans notre catégorie des "Nouvelles du front cinématographique", nous vous proposons de continuer à faire la découverte d'autres présences peules dont les diverses manifestations ou expressions fondent des enjeux de cinéma. Ainsi, le travail ethnographique placé sous les auspices du CNRS passe avec Bakary Diallo, mémoires peules du statut classique de l'enquête (que sont devenus les manuscrits de Bakary Diallo, premier écrivain sénégalais ?) à la quête inattendue d'une voix spectrale dont la résonance magnétise le peuple et les paysages du Fouta Toro. Ainsi, le diptyque d'Alassane Diago tourné dans la même région du nord du Sénégal fait admirablement émerger un chant de la terre porté par une mère qui attend son mari comme Pénélope attendait Ulysse, entre John Ford et Sergueï Dvortsevoï. L'attente maternelle des Larmes de l'émigration préparerait en fait à l'intempestive mobilisation des femmes dans La Vie n'est pas immobile, au travail de la reconfiguration critique des rapports de sexe dans le village d'Agnam Lidoubé. Dans les deux cas, le cinéma n'est pas (ou pas seulement) l'outil au service de la consignation documentaire de particularismes culturellement circonscrits mais soutient sensiblement aussi des regards saisis par le surgissement de singularités à l'exemplarité universelle.
- Avec notre catégorie portant sur les autres films, nous voudrions revenir sur un film qui nous importe au plus haut degré, découvert cette année à l'occasion des Rencontres Cinématographiques de Béjaïa et revu durant le Maghreb des Films : Samir dans la poussière de Mohamed Ouzine. C'est qu'il y a du cinéma dans ce film-là, le plus beau et le plus grand. Celui qui permet d'extraire de la terre algérienne où un fils retourne pour y enterrer son père des stases confondant grondements extérieurs et abysses intérieurs. Celui qui permet de voir comment le tellurisme environnant creuse à l'heure du loup des galeries d'obsession pour celui qui en habite les marges vertigineuses comme un gardien kafkaïen. Celui qui autorise un oncle à faire de l'anus mundi où vit son neveu l'axis mundi au principe d'une économie symbolique en forme de don-contre-don. C'est qu'il y a en effet du cinéma dans un film aussi bien disposé à penser que le soin apporté aux images est un soin donné à celui qui en est le sujet. Un film soucieux enfin d'inscrire la géographie d'une terre ingrate située pas loin de la frontière entre le Maroc et l'Algérie dans une géographie de cinéma où se côtoieraient rien moins que les Flandres de Bruno Dumont et l'île de Farö d'Ingmar Bergman, le Vietnam de Coppola déliré aux Philippines et l'Amérique de Leone revue et corrigée à Almeria.
- Revenons à notre catégorie du champ-contrechamp pour notre quatrième et dernier volet consacré à The Leftovers. Avec la conclusion de la deuxième saison de la série de Tom Perrotta et Damon Lindelof, l'exception cesse de s'opposer à la règle (Miracle au Texas n'échappe pas à la crise mimétique qu'y déclenchent les Guilty Remnant) et le motif de l'adoption dans ses reprises les plus intempestives rappelle aux parents que leurs enfants peuvent leur renvoyer l'image de leur propre mort. Sur le pont ombilical reliant Jarden et sa banlieue bariolée, tout arrive : une foule aussi furieuse que celle du Cuirassé Potemkine, une marée humaine avertissant que toutes les forteresses ne sauraient résister aux flux de parias qu'elles cherchent à endiguer, un carnaval qui parodie toutes les assises et les certitudes en moquant l'incompréhension des parents face à la radicalisation de leurs enfants. Il faut pourtant un geste minimal (protéger le plus faible, l'enfant métis et adopté qui risque d'être piétiner) pour que reste encore un peu d'avenir au milieu des ruines d'une civilisation qui ressemblent tellement aux nôtres. Malgré tout catastrophisme, l'avenir est aux ruines et à ceux qui restent et les cultivent. Et c'est la puissance moins apocalyptique que messianique de l'une des plus importantes séries de ces dernières années et nous ne pouvons plus faire qu'attendre alors la troisième et ultime saison, prévue pour le printemps prochain.
- Ajoutons à cela, dans notre série des bons plans, la persistante sidération propre à la fin de Une femme dans la tourmente (1964) de Mikio Naruse où Hideko Takamine expose un visage agité par une fièvre inoubliable. Ce visage enfiévré appartient à une femme qui n'aurait si longtemps incarné la retenue typique de la femme japonaise idéale que pour découvrir l'abîme de l'impensable ouvert devant ses yeux, le destin lui ayant en effet enlevé comme un train déraillé la possibilité tardive mais sérieuse du grand amour réduit en un cadavre trouvé dans un fossé (à force de retenue, la pudeur se voit obligée d'affronter un terrible ravissement, une soustraction fatale, un contrechamp qui à jamais fera défaut, le retrait habituel ne fondant plus qu'une retraite loin du monde).
- Tandis que notre séquence du moment propose avec l'ouverture du Fond de l'air est rouge (1977) électrisée par le souvenir vivace du Cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï Eisenstein une réflexion, entre autres inspirée par les travaux récents d'Enzo Traverso et Georges Didi-Huberman, sur ce qui reste de nos espoirs révolutionnaires d'émancipation. Contre Marx qui moquait dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte le recours aux images du passé afin de vêtir d'antiques justifications les errements du présent, il faudra encore et toujours préférer comme l'écrivit au seuil du danger Walter Benjamin "organiser le pessimisme". Soit "découvrir un espace d'images" où le Maintenant peut faire le bond du tigre en se reconnaissant dans l'Autrefois et ainsi s'extraire du train apocalyptique que beaucoup s'ingénient à propulser contre le mur du futur. C'est pourquoi nous avons besoin d'une esthétique de "l'actualité intégrale" et c'est précisément cela à quoi se sera attelé Chris. Marker avec son opus magnum qui, tout comme La Jetée d'ailleurs, n'est seulement préoccupé que de redonner, dissocié du futur, de l'avenir au passé.
- Pour conclure cette newsletter, notre 27ème sélection musicale aura le goût de l'enfance tintinnabulante avec les ritournelles cristallines de Joe Hisaishi, de la pop chaloupée et élastique de Stephen Malkmus, des boucles spectrales de l'increvable John Carpenter, de l'insondable mélancolie pianistique de Philip Glass quand celui d'Aufgang sera plus martelant, frondeur et enivrant. 

En vous souhaitant, à toutes et tous, de grands feux de joie (oui, de joie, de joie) pour l'année qui vient.

Lettre d'informations n°28 : 30/01/2017

Un dégel se fait timidement ressentir, promesses fragiles d'un renouveau promis - il le faut - par l'utopie d'une nouvelle année pleine de richesses parmi lesquelles cinématographiques et que notre 28ème newsletter des Nouvelles du front cinématographique se propose de glaner et collecter comme à l'aube un fameux chiffonnier (site, facebook et blog).

 

- Dans notre rubrique des "Nouvelles du front cinématographique", nous vous proposons un changement de cap : après avoir découvert ensemble les cultures peules au tamis des films consacrés à quelques-unes de leurs présences exemplaires, nous nous sommes lancés dans une réflexion en trois temps, adossée sur l'analyse d'une série de quatre films récents, portant sur le sens de ce que l'on entend aujourd'hui par terrorisme. Avant de discuter au cas par cas de films respectivement réalisés par Robert Guédiguian, Jean-Gabriel Périot, Elie Wajeman et Bertrand Bonello qui partagent a minima le désir de poser au cinéma la question intempestive du terrorisme, il nous semblera primordial de débuter notre triptyque à partir d'une relecture critique du terme même de terrorisme afin de statuer sur l'inconsistance conceptuelle d'une dénomination banalisée car intéressée à recouvrir d'un voile consensuel des réalités autrement plus complexes et hétérogènes que ne souhaite l'entendre le régime de l'opinion bruyamment médiatique.

 

- Avec notre rubrique portant sur les "autres films" nous voulions revenir - encore une fois jusqu'à la prochaine fois - sur d'autres rives plus d'une fois fréquentées, de l'autre côté de la Méditerranée, à travers le sort de trois premiers longs-métrages qui considèrent avec des moyens qui leur sont propres les nouages compliqués de l'actuel. Avec nos deux hirondelles tunisiennes, en l'espèce A peine j'ouvre les yeux de Leyla Bouzid et Hedi, un vent de liberté de Mohamed Ben Attia, la situation de la Tunisie de l'avant et l'après-révolution se vit dans les corps si jeunes et déjà désorientés d'une post-démocratie consensuelle, le désenchantement s'apparentant à un mutisme partagé par une jeunesse qui aurait alors déchanté, pour l'une dans la voix par la brutalité policière coupée et pour l'autre dans les silences de l'indécision sentimentale. Sur le versant documentaire, la réalisatrice libanaise Myriam El Hajj avec Trêve œuvre pour sa part à constituer avec son film le portrait d'une rupture d'héritage face à des hommes (un père et un oncle aimés) qui ruminent avec leurs fusils de chasse et leur virilité en bandoulière la gloire passée des milices phalangistes à l'époque de guerres moins civiles qu'inciviles, et qui ne passera pas dans celle qui, passée de l'autre côté du miroir, n'est plus que fidélité à être dans l'infidélité.

 

- S'impose ici un diptyque offert à l'art des visages chez Ingmar Bergman. Dans notre rubrique des bons plans qui s'était la dernière fois concentrée sur le visage désemparé de l'héroïne face au gouffre de la fin de Une femme dans la tourmente de Mikio Naruse, il n'était pas possible désormais d'éviter de plonger dans le regard-caméra noir et abyssal de Monika de Ingmar Bergman, certes après tant d'autres dont le cœur aura été à jamais ravi par un visage de femme au-delà de tout jugement possible. Avec notre séquence du moment, succède en doublet une tentative d'analyse de la séquence d'ouverture, effrayante et impossible, d'un autre chef-d'œuvre de Ingmar Bergman, Persona, tout en éclats déchargés comme une pulsion mêlant le séminal au sublime, avec ses visions subliminales et ses fantasmes cramés, à l'intensité inégalée, et dont beaucoup d'entre nous ne sauraient se remettre jamais.

 

- Début de la nouvelle année, il faudra avec joie sacrifier au rite de l'élection de nos dix éblouissements de l'année passée : nos cœurs retiendront particulièrement beaucoup d'animaux : ainsi un papillon et des oiseaux, un chien et des vaches, des loups et des termites, un âne et des poissons - mieux qu'une ménagerie, un bestiaire réinventé par le cinéma dans l'amour égalitaire du divers des formes de vie parmi lesquelles nous sommes.

 

- Pour conclure cette newsletter, notre 28ème sélection musicale donnera enfin à entendre un chœur de voix hétérogènes, issues d'horizons lointains que notre montage se plaît à les rapprocher. C'est la voix de peine et de sirène de Kate Bush et celle d'Andy Partridge de XTC qui célèbre d'autres humeurs siréniques et océaniques. C'est la voix inaudible de Mr Oizo dans le petit bijou ciselé de Crows and Guts et c'est le soleil contrasté dans la voix et le cœur de Sylvain Vanot en souvenir de Jean-Roger Caussimon. C'est enfin le grain soyeux d'un prince nigérian dans la caresse d'inattendues conséquences.

Lettre d'informations n°29 : 27/02/2017

Une tempête soulève nos cœurs et nous emporte aussi bien vers l'adieu à février qu'elle transporte sur les rives prometteuses de mars : entre un froid qui dure et des rayons de soleil intempestifs, se faufile avec toute la discrétion nécessaire la 29ème newsletter des Nouvelles du front cinématographique (site, facebook et blog).

- Dans notre rubrique des "Nouvelles du front cinématographique", nous proposons de continuer à tirer le fil de notre problématisation critique du terme consensuel du terrorisme à partir d'une discussion serrée autour de trois films français récemment sortis qui partagent l'ambition de solliciter des fractures d'hier afin d'éclairer diagonalement les blessures d'aujourd'hui, tout en n'y mettant pas complètement les formes qui permettraient aux grands sujets traités de faire advenir des objets de cinéma singuliers.
Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot avec le montage d'archives confrontant la jeune génération étudiante des années 60 avec les conservatismes de l'État-RFA, Une histoire de fou de Robert Guédiguian dans le récit de l'héritage de la violence s'imposant à la génération alors la plus éloignée historiquement du génocide arménien, Les Anarchistes d'Elie Wajeman en en forme de retour romanesque à la "propagande par le fait" ébranlant la République il y a plus d'un siècle : trois films qui posent mal les bonnes questions au risque de n'y répondre alors que trop bien, c'est-à-dire à côté de la plaque (puisque le bébé des luttes d'émancipation est à chaque fois jeté avec l'eau du bain des impasses nihilistes de la violence armée).

- Il y aurait de quoi vouloir alors prendre l'air et retrouver un peu de légèreté en trouvant moyen, en compagnie de deux nouveaux arrivants dans notre rubrique des "autres films", de faire quelques pas de côtés salutaires. Grâce à Nicolas Leclère et Djamil Beloucif, nous avons en effet arpenté
Les Rues de Pantin puis descendu une rue d'Alger dans Bîr d'eau, a walkmovie. D'un côté, l'esquisse d'une carte du tendre en pointillé touche sans s'en donner l'air à cette impossibilité plus fondamentale à laquelle savent obscurément se coltiner les domaines de l'art et de la pensée tandis que, de l'autre, les indécisions fertiles du documentaire et de la fiction poussent à traverser le réel mais en le brossant à rebrousse-poil, l'impuissance populaire algérienne brouillée par une indécidabilité décisive.

- Ce mois-ci, le vent s'est aussi immiscé dans la rubrique "
Des nouvelles du front social et du reste" en nous soufflant dans l'oreille l'air si peu seriné par les média du revenu universel, mesure phare figurant dans le programme de l'un des candidats aux élections présidentielles. Discuter le sens et les fondements de cette proposition qui aura eu au moins le mérite de ramener au centre du débat les questions d'emploi et de revenu, c'est aussi saisir les limites d'un effort sincère de redressement d'une social-démocratie cependant toujours captive (amoureuse) de l'Europe de la finance. Les colères d'Éole ne font pas oublier non plus des anniversaires qui comptent : les 25 ans de la revue Trafic, un numéro 100 qui remet au centre du jeu la question de l'écriture au fondement d'un désir continué de cinéma, des textes et ouvrages de cinéma (ou non à trois exceptions) revus et relus afin de combiner encore et encore voir et lire, écrire et revoir.

- La bourrasque se manifeste encore dans la profération d'un "non", celui inoubliable d'une ouvrière de Saint-Ouen alors qu'un consensus s'amplifiait pour siffler aux révoltés des journées de mai-juin 1968 la fin de ce qui n'était pourtant pas une récréation mais le rêve approché, tutoyé d'un monde
qui cesserait enfin d'être séparé. C'est pourquoi la Wonder Woman de notre séquence du spectateur, l'héroïne de "La Reprise du travail aux usines Wonder", peut-être le plus grand film à propos de Mai 68 et l'un des plus beaux de notre histoire du cinéma, n'aura de cesse de se rappeler à nous : son cri sans fin est contre toute capitulation une piqûre de rappel essentiel.

- Pour conclure ce moment, notre 29ème
sélection musicale nous emmène dans les confins enneigés du Dakota du Nord où s'emmitoufle le Fargo des frères Coen, sur une île du Pacifique bercée par les chœurs mélanésiens de La Ligne rouge de Terrence Malick. Et puis, si Bill Withers demeure dans le vrai avec sa chanson "Ain't no sunshine", la voix de Maria Callas nous saisit (comme Lou Castel chez Marco Bellocchio) avec son interprétation dans La Traviata. Quant à celle de Jarvis Cocker et son groupe Pulp, elle nous ravit de son ironie tragique avec "Little Girl (with blue eyes)".

Lettre d'informations n°30

Le printemps est arrivé, les bourgeons cinématographiques commencent à se montrer, promesses de fleurs bientôt cueillies dont les parfums se retrouveront bien entendu dans notre 30ème newsletter des Nouvelles du front cinématographique (site, facebook et blog).

- Avec tout d'abord notre rubrique des "Nouvelles du front cinématographique", nous proposons de parachever notre problématisation critique du terme consensuel du terrorisme avec une synthèse ramassant les deux premières parties et ouvrant vers des questions de révolution et d'émancipation auxquelles aura tourné le dos un dernier exemple par la négative, Nocturama de Bertrand Bonello. Il est par ailleurs vrai que des révolutions se disent en se dotant de noms de fleurs.

- Trois fleurs des champs auront poussé dans la rubrique "la séquence du spectateur" entremêlant leurs folles corolles en ponctuant un jardin sauvage. Si la belle fleur Emmanuelle Riva, coquelicot dont le regard rivant nous aura transporté dans mille lieux et autant d'époques, le cosmos floral et multicolore représenterait bien l'esthétique comique et pop du film de Tim et Eric Tim & Eric's Billion Dollar Movie. Enfin, le bouton d'or serait un bon équivalent au film solaire de Takeshi Kitano L’Été de Kikujiro, long-métrage dont le pistil accueille les abeilles butineuses de l'autobiographie.

 

- Dans notre rubrique des "autres films", le bouquet composé par Bienvenue à Madagascar de Franssou Prenant n'attendait plus qu'un rayon de soleil pour étirer ses réseaux de voix en corollaire de ses strates visuelles. Et voilà-t-y pas l'occasion de vous envoyer le lien d'une vidéo consacrée au fragment d'une discussion entre Franssou Prenant et Saad Chakali. Si vous avez envie de voir ce film, il est toujours sur les écrans du Reflet Médicis ainsi que de l'Archipel cinéma.

 

Une séance est par ailleurs organisée à L’Écran de Saint Denis à mercredi 19 avril à 20 heures suivie d'une discussion avec la réalisatrice et Saad Chakali. Nous vous y attendons nombreux et nombreuses !

 

- Si la semaine "Premier geste", organisée par l'association Archipels Images dans la cité tunisoise vient de se terminer avec succès, des fragrances restent encore dans les airs, promesse de futures sessions, par le biais notamment d'un texte soucieux d'insister sur le nomadisme du spectateur à l'occasion de la table ronde qui s'est tenue mardi 21 mars à 10 heures à l'Institut français avec pour orientation : "La question du territoire au cinéma. Désordre des limites".

 

- Pour conclure ce moment bourgeonnant et fleuri, notre 30ème sélection musicale fera la part belle au cinéma, l'hommage à King Kong de Daniel Jonhston, l'ambiance grinçante et ouatée de Trent Reznor et Atticus Ross pour The Girl With The Dragon Tattoo de David Fincher, le titre folk Let's find each other tonight de José Feliciano revenu de Fargo des frères Coen, le reggae de Tiken Jah Fakoly intitulé Mon pays va mal, ainsi qu'un autre plus électro labellisé Warp de Boards of Canada.