Lettre d'informations n°51 : 30/12/2018

2018 agonise, qu'on en finisse et que vienne alors 2019, non pas dans un boum mais dans un murmure - celui que souffle la 51ème lettre d'information du site Des Nouvelles du Front (siteblog et facebook).

 

1) C'est une nouvelle constellation dédiée à la série The Leftovers. Avec tout d'abord, dans notre section Des nouvelles du front cinématographique, la dernière partie des fragments du livre Penser l'événement avec la série The Leftovers consacrée à la saison 3.

 

Ensuite, un généreux entretien initié par nos ami-e-s du site du Rayon Vert. Occasion nous a alors été accordée de développer plusieurs pistes en revenant sur des moments forts de la série afin d'insister sur ce qui arrive, ce qui reste et ce qui vient.

 

C'est enfin une vidéo consacrée à la présentation du livre proposant une autre possibilité d'affirmer que si The Leftovers constitue l'une des plus grandes séries de notre temps, c'est parce qu'elle est l'événement s'offrant à ceux qui restent en résistant à la disparition, ceux qui font du temps qui reste l'avenir partagé d'une croyance dans le monde, son ouverture et son hospitalité retrouvées, dont l'amour est la condition privilégiée.

 

2) Dans notre section Autres textes de cinéma, nous vous proposons deux travaux. Le premier, Samouni Road de Stefano Savona, revient sur ce qu’ont vécu les Samouni ces jours de janvier 2009 et qui reste irréparable. Il y a pourtant dans le film un souci de la réparation malgré tout, qui ne guérit certes aucune blessure mais promet cependant avec la poursuite du monde que la justice demeure une requête interminable, valable pour tout le monde en concernant n’importe qui, n’importe où.

 

Le deuxième texte porte sur le travail du cinéaste Jilani Saadi, sacré profanateur du cinéma tunisien tendance diogénique, moins cynique que kunique, avec ses films fauchés mais non moins riches en foutreries sardoniques, saillies salaces et autres bizarreries baroques bricolées à la GoPro.

3) Champ contre champ examine les divisions du postmoderne avec deux contes de fée qui, certes, partagent un bel accent portugais et une écriture à quatre mains, mais qui n'en divergent pas moins : Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt est ce champ cultivant l'inconséquence de l'exubérance kitsch, dont le contrechamp davantage conséquent sur le plan critique aura pour nous été plus tôt donné dans l'année avec Les Bonnes manières de Juliana Rojas et Marco Dutra.

 

4) Des Nouvelles du front social et du reste recommande la lecture de Dépersonnalisations au cinéma de Virginie Foloppe. Avec la dialectisation du concept de dépersonnalisation proposée, l’écoulement de sang devient l’expression poétique des images ressaisies dans une dimension membraneuse et féminine. Ce qui s’épanche dans l’écriture se déploie comme un battement palpébral porté sur ces hymens paradoxaux que sont les images de cinéma, ouvertes et fermées sur les secrets qui garantissent leur intensité.

5) Avec notre 51ème programmation musicale mensuelle on entendra enfin la tristesse de Superman non moins triste que celle de Schubert, et puis des rugosités féminines et féministes, qui chauffent les tympans, tapent sur les doigts et ne manquent pas de chien.

 

On conclura la cinquante et unième avec un bonus et une annonce :
 
1) Des Nouvelles du Front se joue aussi sur d'autres fronts, dans les amicaux relais de la revue de cinéma belge Le Rayon vert qui accueille un nouveau texte consacré à Leto (2018) de Kirill Serebrennikov, où le rock de quelques francs-tireurs de Leningrad au début des années 80 se vit à la fois comme jeunesse réfractaire, discipline individuelle et pratique d'émancipation collective.

 

2) Avec notre prochaine lettre d'information, il sera bien temps de revenir sur les grandes commotions cinématographiques de l'année passée.

Lettre d'informations n°52 : 29/01/2019

2019 s'ouvre avec les vieux qui ont de moins en moins l'apparence du neuf, c'est janvier dont les froidures sont des blessures aux mains comme à l'œil, c'est le jaune qui s'engorge de rouge, soit autant de mauvais feux auxquels opposer les contrefeux rayonnant de vert de la 52ème lettre d'information de notre site Des Nouvelles du Front (siteblog et facebook).

 

1) Notre rubrique Des nouvelles du front cinématographique propose de revenir en deux temps à la 33ème édition du festival Entrevue de Belfort. Pour ce premier moment, on raconte avoir croisé sous le regard austère d'un vieux lion de pierre de vieilles connaissances ou de nouveaux venus, Jean-Luc Godard et Jacques Nolot, Marie-Claude Treilhou et Alain Guiraudie, Ivan Dixon et Lizzie Borden...

 

2) Notre section Autres textes de cinéma s'étoile en quatre branches comme une rose des vents :

 

_ A l'est avec Asako I & II, Ryûsuke Hamaguchi subtilise l'esprit d'une jeune femme en deuil d'un amour de jeunesse qui rencontre un homme qui lui ressemble traits afin d'expérimenter subtilement la différence héroïque de l'amour et du désir.

 

_ A l'ouest avec Un violent désir de bonheur, Clément Schneider montre la marche de la Révolution française en la filmant à la marge, s'essayant à ouvrir une piste pour substituer à une représentation didactique d’un grand récit national une esthétique du fait révolutionnaire, sensible aux changements quasi-imperceptibles du paysage subjectif.

 

_ Au sud avec The Last of Us d'Ala Eddine Slim, c'est un quatrième essai consacré au film dédié avec le témoignage impossible de qui ne peut témoigner à tous ceux qui brûlons et écumons, qui sans fin désirons dans le désir immortel de l'exception.

 

_ Au nord avec An Elephant Sitting Still de Hu Bo, ce premier long-métrage où toute une jeunesse chinoise se consumer dans le monument de son testament, un barrissement finit par ouvrir un espace d’avenir aux figures du bannissement trouvant une issue aux tromperies du pachyderme de l'État, moins par le cul que par la trompe.

 

3) Comme à chaque début d'année, un portrait cinématographique est tiré, fragmentaire et électif, jamais synthétique. Que dire des films de 2018 ? Une année ne tient qu'au vert rayonnement de ses onze ou douze événements.

 

4) Notre 52ème programmation musicale mensuelle met la gomme avec les montages électroniques de Kraftwerk, Bronski Beat, et Broadcast, avec le blues finlandais de 22-Pistepirkko, avec la mélancolie d'Étienne Daho.

 

5) Des Nouvelles du Front se joue également sur d'autres fronts, dans les relais amicaux de la revue de cinéma belge Le Rayon vert qui accueille quatre nouveaux textes.

 

_ Épiphanies 2018 : Tentative de ne pas faire un Top Annuel : c’est avec l'apparition de Jean-Luc Godard que nous aurons entendu malgré le bruyant cancan cannois qu’il faille persévérer à être les contemporains de Mai.

 

_ Suspiria de Luca Guadagnino : entre deux forçages d'un auteurisme ostentatoire, la Mère des soupirs n’est plus la mère qui donne, avec la vie, la mort à ses filles, elle n’est pas davantage la mère qui offre son utérus aux exigences natalistes et idéologiques de son époque comme cela a été le cas avec le nazisme. Elle est désormais la chorégraphe qui permet aux danseuses de respirer autrement en faisant de leur art un moyen sublime de défier la mort.

 

_ Glass de M. Night Shyamalan : avec ce retour en grâce, le recours à la mythologie des comics, tout à la fois fantasmatique et performatif, pharmacologique et délirant, constituant et destituant, se comprendrait ainsi comme l’arme des faibles, des dépossédés de tout pouvoir symbolique, à l’exception du pouvoir de se persuader jusqu’à l’auto-intoxication et ainsi de devenir ce qu’ils croient être en faisant ce qu’ils disent qu’ils vont faire.

 

_ Donbass de Sergueï Loznitsa : Rien de moins enthousiasmant qu’un cinéaste qui, sincèrement saisi par les urgences de l’actualité politique, cède pourtant le pas sur le cinéma au nom de raisons circonstanciées dont la volonté démonstrative les ramène du champ ouvert de la politique à celui, plus chargé, de l’idéologie.

Lettre d'informations n°53 : 27/02/2019

Février s'emmêle les pinceaux et ne sait plus où donner de la tête, le mois d'hiver alterne le chaud et le froid comme il y a des affections joyeuses pour les sujets de la révolte sociale et des passions tristes que partagent tous les racistes et ceux qui veulent tirer des profits bassement politiciens de la lutte contre l'antisémitisme, soit autant de contradictions qui remuent le voile des images et dont prend acte notre 53ème lettre d'information de notre site Des Nouvelles du Front (site, blog et facebook).

 

1) Notre section Des nouvelles du front cinématographique revient une nouvelle fois sur la 33ème édition du festival Entrevue de Belfort. Pour ce second temps moment riche d'autant de temps forts, d'autres présences, des fantômes et des vivants bien vivants, seront venues à notre rencontre sous le regard austère d'un vieux lion de pierre, Isao Takahata et Sébastien Laudenbach, Patricia Mazuy et Friedrich Murnau, Edgar Ulmer et Hong Sang-soo...

 

Il sera également question d'un chef-d’œuvre revenu enfin d'entre les limbes, l'immense Tahia ya Didou ! de Mohamed Zinet, un film-foudre du cinéma algérien signé d'un artiste libre qui dit oui comme l'enfant de Zarathoustra, une comète électrisée d'insolentes bifurcations comme des zébrures d'enfance dont le peuple algérien aurait besoin à l'heure où le gâtisme d'État y exhalerait ses ultimes râles sous la flambée populaire.

 

2) Notre rubrique Autres textes de cinéma sera l'occasion de deux leçons d'économie générale cependant bien différenciées selon leur résultat :

 

_ Avec le long-métrage L'Économie du couple (2016) du réalisateur belge Joachim Lafosse, la scène de ménage caractéristique du cinéma moderne est revue à la baisse dans le rabatttement problématique de l'économie patriarcale sur la question des rapports entre capital et travail, et l'économie générale de se voir alors restreinte par le petit bout d'une calculette seulement intéressée en l'administration procédurière des bons et mauvais points.

 

_ Avec le court-métrage Fooska (2007) du réalisateur tunisien Samy Elhaj, le petit théâtre de la salle de classe durant un examen accueille au contraire un récit mené tambour battant comme un récit policier, qui interroge non seulement la diversité des trucages glissés sous le tapis de l'enceinte scolaire en allégorie de la corruption de l'ère Ben Ali, mais plus généralement le processus sauvage de dissémination des fausses copies comme de la fausse monnaie inaugurée par l'antisèche pour finir par porter atteinte à l'univocité des paroles autorisées, du chef d'établissement à l'enseignement du coran.

 

3) Dans notre série Des nouvelles du front social et du reste, il sera temps de dire enfin la vérité - de la dire conceptuellement avec l'aide d'Alain Badiou qui propose, au terme de son entreprise philosophique intitulée L'Être et l'événement, un concept rénové de vérité qui préfère à la traditionnelle question de l'adéquation d'un fait et de son énoncé l'idée d'un processus dont la construction entre autres exige un événement fondateur et le sujet qui s'y inventera fidèlement en en articulant toutes les conséquences. Et c'est ainsi que vivre en vérité, autrement dit sous le signe de son idée, consiste en la vraie vie des sujets qui le sont sous les conditions respectives de la science et de l'amour, de l'art et de la politique.

 

4) Notre 53ème programmation musicale mensuelle sera celle où la lune de Fairouz a rendez-vous dans la gare de Kraftwerk avec un Cantique des cantiques d'aujourd'hui, et tout cela peut-être résonnant jusque dans les inflexions respectivement pop et folk de Real Estate et Alela Diane.

 

5) Des Nouvelles du Front se joue également sur d'autres fronts, dans l'amicale hospitalité offerte par la revue de cinéma belge Le Rayon vert qui ouvre ses portes à deux nouvelles propositions :

 

_ La Mule (2018) de Clint Eastwood, ce chef-d'œuvre de modestie qui délivre pour son auteur la fleur d'un secret dont la Loi s'écrit moins qu'elle se cultive dans une vieillesse assumée comme le temps où l'on prend enfin tout son temps pour ne plus jamais rentrer à la maison ;

 

_ Le Château de Cagliostro (1979) de Hayao Miyazaki, où l'horlogerie interne du cinéaste qui se met en place au moment de son passage au long-métrage articule déjà machinisme, syncrétisme et ambivalence démiurgique, son génie déjà avéré mais jusque dans les arcanes du château où souffle le vent chaud de l'Histoire en son double fond démonique.

 

6) Un autre front amical a aussi été ouvert par nos ami-e-s de L'Autre quotidien, qui relaie aujourd'hui une histoire vécue, "La Machine antisémite" (2012), pour rappeler au "désaveu fétichiste" affligeant tout discours antisémite, mais aussi aux confusions idéologiques auxquelles participent les antisémites et certains de leurs ennemis qui, au fond, se retrouvent bien pour discréditer toute politique désireuse de libérer le peuple palestinien du joug du colonialisme israélien.

Lettre d'informations n°54 : 29/03/2019

Au printemps, jaunes sont les soleils au point que l'héliotropisme invite les regards à se tourner autour des ronds-points français, dans les places soudanaises et les rues algériennes, là où la dignité populaire continue de brûler à distance des calcinations et des consomptions, dont les tournesols magnétisent d'or notre 54ème lettre d'information de notre site Des Nouvelles du Front, dédiée à Agnès Varda, fleur de soleil (siteblog et facebook).

 

 

1) Avec notre rubrique Des nouvelles du front cinématographique, le champ des tournesols accueille la présence spectrale d'une rose de révolution. Avec Warda - Une rose ouverte de Ghassan Salhab, Rosa fusillée par la social-démocratie naissant dans son sang et aujourd'hui agonisante est une fleur fauchée dont les pétales s'envolent des (non)lieux de mémoire berlinois jusque dans le creux de la vallée libanaise de la Bekaa, dans le poème étoilé de son absence et du oui à la vie qui lui survit, dans le sourire où Rosa devient la Mona de son jardinier endeuillé.

 

 

2) Avec notre rubrique Autres textes de cinéma, les contre-feux du cinéma qu'il faut nourrissent les révoltes logiques, qui se disséminent entre l'écrit et l'écran, entre le Sénégal et le Gabon, entre Le Caire et Paris, entre l'autrefois et le maintenant.

 

_ Avec Rencontrer mon père d'Alassane Diago, un Télémaque peul parti en guerre contre Ulysse démissionnaire comprend qu'il a tout à gagner à apaiser le Minotaure grondant de ressentiment dans le labyrinthe de son cœur ;

 

_ Avec Amal de Mohamed Siam, le roman d'apprentissage d'une mutante est le récit diagonal des mutations d'une société égyptienne, tiraillée entre la jeunesse révolutionnaire de ses soulèvements populaires et les arrêts imposés par la réaction islamiste et l'armée ;

 

_ Avec Les Révoltés de Michel Andrieu et Jacques Kebadian, les archives de Mai 68 constituent un polygone étoilé fichant le feu aux commémorations en faisant dérailler les funérailles, dont les fantômes rappellent au bon souvenir du désir de construire la fête de l'avenir retrouvé ;

 

_ Avec le veilleur Jean-Louis Comolli, en deux nouveaux temps écrits comme un pas de deux dans la pensée, le cinéma se réfléchit comme un art revenant, sans compter, dans la liberté révolutionnaire de monter-démonter-remonter les rouages du temps horloger et dans l'excès de toute comptabilité et calculabilité.

 

 

3) Dans notre rubrique Champ-contrechampJordan Peele est le réalisateur hollywoodien qui s'impose dans une industrie à l'imaginaire rabougri, dont les résultats inégaux mais toujours intéressants renouvellent à nouveaux frais la puissance critique et allégorique du cinéma d'épouvante des années 1970-1980, pour peu seulement que le "noircissement" de ses figures en révèle la symptomatique « blanchité ».

 

 

4) A l'occasion de notre 54ème programmation musicale mensuelle, la saison est mélangée, avec d'un côté l'hiver du requiem de Fauré et de Schubert, et de l'autre l'été pop de Carte Contact jusqu'aux chaleurs caniculaires des machines tribales de Cristobal Tapia De Veer et des hurlements à la lune d'Iggy Pop. Deux titans nous auront aussi abandonné dans un deuil au nom redoublé, Mark Hollis et Scott Walker, ayant osé s'aliéner les premières ferveurs du commerce afin de porter la musique populaire dans des hauteurs raréfiées et insoupçonnées.

 

 

5) Des Nouvelles du Front fait entendre aussi sa voix sur d'autres plans tympaniques, dans l'amicale hospitalité offerte par la revue-refuge de cinéma belge Le Rayon vert qui accueille un nouveau texte :

 

_ Avec Grâce à Dieu de François Ozon, les urgences du dossier de société écrasent beaucoup d'espace au cinéma, en laissant cependant un peu de place pour un essai de dialectisation du déni, divisé entre le consensus s'imposant aux victimes des prêtres pédophiles et le pacte cinématographique qui tente d'en témoigner.

Lettre d'informations n°55 : 30/04/2019

En avril on n'a pas cessé d'être en vrille, en mai on fera malgré tout ce qu'il nous plait et, dans l'intervalle bondissant des temps printaniers, mois algérien-soudanais qui seront on le voudrait yéménite-syrien, mois des ronds-points comme des soleils plutôt que des champs de mort élyséens, qu'éclose et s'épanouisse la fleur de notre 55ème lettre d'information de notre site Des Nouvelles du Front (site, blog et facebook).

 

 

1) Des nouvelles du front cinématographique polliniseront selon deux axes de ventilation. D'un côté, Agnès Varda destituée de son statut consensuel d'icône culturelle y sera rappelée comme l'un des noms de la modernité cinématographique dont les promesses de création esthétique et d'invention politique sont encore ce qu'il faut tenir pour aujourd'hui, tout son cinéma retraversé le long de la ligne de faille où ses paysages comme des plages enfouissent sous le sable du temps la mémoire des vaincus et des chers disparus comme un ossuaire.

 

 

De l'autre, Beyrouth insiste encore et toujours en taillant plus d'une route comme autant de veines dans le relief de nos cartes - route perdue où poussent les roses de la modernité et de la révolution sur la croix d'un présent révolu avec le revenant Christian Ghazi et route retrouvée de plusieurs cinémas pratiqués durant la guerre in-civile grâce à l'hospitalité de l'Académie Libanaise des Beaux-Arts.

 

 

Le grain du temps ensable nos espoirs, il peut être aussi ce pollen dont les molécules d'or arrachent à la nuit polaire et crépusculaire la relève de l'aurore, comme des pignons de pin luisant au fond des yeux pailletés de l'immortel Zgougou.

 

 

2) Une nouvelle séquence du spectateur appartient à l'immense Soleil Ô de Med Hondo, soulèvement de joie et hurlement de terreur à la fois, carnaval primitif qui rappelle le consensus républicain à l'ordre de ses archaïsmes et ses borborygmes mais pour ne pas s'en suffire, loin s'en faut, parce qu'au début les descendants d'esclaves regardent le spectateur droit dans les yeux, et parce qu'à la fin le doubleur tant célébré fait retentir le cri de guerre des nègres retrouvant du plus profond de leur être le marronnage de leurs ancêtres esclavagisés afin de se rendre imperceptible dans les forêts nouvelles de la post-colonie.

 

 

3) Avec notre rubrique Champ-contrechamp, la loi s'examinera dans l'écart de ses contradictions et de ses violences, précisément selon le hiatus de la justice infiniment hétérogène à la finitude formelle du droit - à Singapour où l'exécuteur de la peine de mort de Apprentice est relégitimé dans l'équilibre obscur de la jouissance et de l'éthique, à Mumbai où le tribunal de Court - En instance est une scène parmi d'autres où se recomposent les expressions de la décomposition de la loi.

 

 

4) Notre 55ème programmation musicale mensuelle diagonalise les antiques polarités en conjoignant le classique au moderne, la cavalcade des quatre pianos de Bach et les angoisses nervurées de Sofia Gubaidulina, la nuit glaciale zébrée d'éclairs de Schönberg et les insularités tourbillonnantes de Rachmaninov, pour clore provisoirement dans la grâce contrapuntique de Peggy Lee.

 

 

5) Des Nouvelles du Front offre également son timbre depuis d'autres toiles de résonance comme la revue de cinéma belge Le Rayon vert accueillant en toute amitié et hospitalité trois nouveaux textes :

 

_ Avec Synonymes de Nadav Lapid où la détestation du pays natal et sa langue coloniale n'est pas moins fantasmatique que l'adoration mimétique du pays d'adoption et sa culture impériale, le dépays est au fond le pays d'aucune carte et le seul qui compte pour qui n'a pas d'autre héritage que la tradition du paria d'ici et de là-bas.

 

_ Avec Ragtime, Milos Forman matelasse la grande forme du récit choral explorant la modernité étasunienne à l'aube du 20ème siècle d'une écume grumeleuse de détails et digressions, symptômes et inflexions, affections et pulsions dont la diversité organique appartient contre tout académisme à l'actualité intempestive et intraitable, explosive, des inégalités sociales, sexuelles et raciales.

 

_ Avec "Peu m'importe si l'Histoire nous considère comme des barbares" de Radu Jude, l'histoire roumaine de l'antisémitisme est une affaire de refoulement autant politique qu'esthétique quand le spectacle qui est en train de se monter pour en attester est ce défouloir idéologique échouant à prendre acte qu'il y a des ruptures esthétiques avec lesquelles la représentation elle-même ne peut plus négocier.

Lettre d'informations n°56 : 28/05/2019

Le crépuscule de mai n'est pas un rideau bleu si épais pour être aveugle aux amorces de juin comme des mèches aurorales, dédiées à une autre Europe accueillante à l'idée toujours neuve du bonheur des peuples et entre les peuples. Mais l'Europe est aujourd'hui une bulle d'insulation autistique soufflée dans le brasier à double foyer des religions mimétiques du marché et des identités et, parmi d'autres formes de vie menacées, il y a le cinéma qui cependant donne encore à respirer et dont l'art insuffle la vie à la 56ème lettre d'information Des Nouvelles du Front (siteblog et facebook).

 

1) Jean-Claude Brisseau aura été un géant aux pieds d'argiles. Le cuir lacéré des serres d'Éros, Atlas a eu le dos voûté mais constellé aussi des étoiles de son histoire du cinéma continuée à la maison, avec un pied dans l'enfance que le savoir peut soigner et un autre dans la connaissance des puissances natives qui nous dépassent, en équilibre sur la corde raide de l'imaginaire radical coupant comme le couteau sanglant d'Apollon. La mélancolie consiste à faire le deuil de notre génie perdu et celui-ci aura été un titan vaincu, le gardien puissant de notre impuissance, le géant blessé qui a tutoyé les anges tout en étant bousculé par ses démons, noirs et blancs comme les films parfaits et imparfaits (La Croisée des cheminsLa Fille de nulle partQue le diable nous emporte). Tels l'avers et le revers des ailes dont les battements redonnent le souffle pour mieux le couper.

 

Jean-Claude Brisseau, que le diable vous emporte et nous vous suivons de près.

 

2) En temps de guerre qui sont des guerres de visibilité, les images sont nécessaires, comme des contre-feux à la plus grande dévastation dont l'Orient est le site indiquant la désorientation symptomatique d'un ordre mondial « occidenté ». La guerre est moins civile qu'in-civile, comme l'état d'exception où l'incivilité est la règle oblige alors à faire du cinéma le lieu hors-lieu d'une dignité retrouvée, la zone d'hospitalité pour une civilité restaurée, en Irak où la "caméra-réalité" est appareillée au geste d'une archéologie du présent (Homeland : Irak année zéro d'Abbas Fahdel) comme en Syrie où les images de guerre sont le trésor d'un apprentissage pareil à un métier de vivre (Still Recording de Saeed al Batal et Ghiath Ayoub).

 

3) En champ-contrechamp, d'autres guerres nord- et sud- américaines engagent à reformuler pour mieux les distinguer la variété des deuils qui leur sont associés : il y a la guerre économique des titans de la pop-culture dont les superproductions hyper-capitalisées s'ouvrent quelquefois à la réelle mais intermittente hantise des questions ô combien primordiales de la décision, du deuil et de la disparition (c'est le diptyque Avengers : Infinity War / Endgame de Joe et Anthony Russo) et il y a les guerres colombiennes départageant la tradition coutumière locale comme noyau mythique de l'histoire sanglante des cartels (Les Oiseaux de passage de Ciro Guerra et Cristina Gallego) de la situation des morts non moins désireux du deuil comme survivances de la guerre in-civile que les vivants qui en sont les survivants (Los Silencios de Beatriz Seigner).

 

 

4) Notre 56ème programmation musicale mensuelle s'enflamme et pollinise tous azimuts, dans le ton folk-rock et primesautier des sœurs Wilson comme dans la ritournelle synthé d'un bon vieux Korg Minilogue que suivent de près les feulements électro du danois Trentemøller, mais encore dans le coton intergalactique de Low Roar et dans la voix comme un nectar des dieux de l'italienne Mina.

 

5) Le rhizome des mèches allumées par Des Nouvelles du Front prolifère également sur d'autres plans de consistance à l'exemple de la revue de cinéma belge Le Rayon vert dont la culture de la cinéphilie et de l'amitié fait hospitalité à cinq nouveaux textes :

Que le diable nous emporte de Jean-Claude Brisseau, donc, où le vieux maître du logis se replie une ultime fois dans la caverne aux images tiraillées entre bricolages amateurs, fantasmes incorrigibles et un rire final en ponctuation indécidable ;

Le Bateau phare de Jerzy Skolimowski où l'exil maritime du capitaine est un secret conradien sauvé des captures obscures du narcissisme puéril et de la parodie pour être donné en héritage au fils sur le seuil d'entrer dans l'âge d'homme ;

Monrovia, Indiana de Frederick Wiseman où l'Americana revisitée à l'heure de la présidence Trump est une pastorale de tristesse auquel n'échappe pas le documentariste lui-même, avec ses mornes tableaux-paysages peuplés de fossoyeurs dont l'évangile apocalyptique est un consumérisme écologiquement insoutenable mais non négociable jusqu'à la mort ;

_ et puis Patricia Mazuy le temps d'un « terre-à-terre » ou un galop sur place en deux temps, d'une part avec Sport de filles où, à hue et à dia de la fiction et du documentaire, le cheval est la bête privilégiée d'une reconquête souveraine de soi contre sa propre bêtise, d'autre part avec Paul Sanchez est revenu ! où le fait divers est un chaudron rempli d'une soupe écumante de ressentiment dont les divers marmitons s'accordent à la faire bouillir pour faire diversion sur le fond de leurs auto-intoxications et leurs raisons déraisonnables de péter un plomb.

Lettre d'information n°57 : 28/06/2019

 

Bonjour à toutes et à tous,

On aurait bien voulu péter les plombs, à la place la canicule les fait fondre en une chape recouvrant nos cerveaux. L'anthropocène a des coups de chaud qui seraient comme des coups de chapeaux s'il n'y avait pas le cinéma pour nous retenir de partir à vau-l'eau. Et la 57ème lettre d'information Des Nouvelles du Front (site, blog et facebook) de valoir comme un bulletin météo.

Dans notre rubrique Des Nouvelles du Front cinématographique nous vous proposons avec trois films de repenser la radicalité à sa racine en problématisant dans la foulée le thème actuellement consensuel de la radicalisation. Le Jeune Ahmed des belges Luc et Jean-Pierre Dardenne, L'Adieu à la nuit du français André Téchiné et Mon cher enfant du tunisien Mohamed Ben Attia s'y sont inégalement attelés (le troisième film est le plus réussi, les autres sont diversement ratés et le ratage demeure toujours problématique) et cette inégalité est justement ce qu'il faudra montrer pour penser comment le cinéma d'auteur, saisi par l'urgence des opinions sur la radicalisation, peine cependant quand il n'échoue pas à penser son propre défaut de radicalité.

Dans cette même catégorie, s'est imposé le second long-métrage du cinéaste tunisien Ala Eddine Slim dont les sortilèges désormais se nomment Tlamess. Dans ce nouveau film conçu comme une allégorie, autrement dit un monument en ruines, la forêt est la mère – la « Magna Mater », la « materia » – et son bois est la matière dont sont faits ses enfants qu'à la fin donc nous sommes. Et tous, à l'enseigne du mystérieux S., nous nous révélons comme des adoptés, ne revenant à nos parents que dans la forêt de nos ruines antiques et sous la condition mythologique d’une abolition des droits du sang qui sont d’illégitimes droits de propriété.

Dans notre catégorie Autres textes de cinéma, Abou Leila de Amin Sidi-Boumédiène trace la ligne droite, désertique et labyrinthique de la quête vengeresse d’un terroriste révélant le vide chimérique lové dans son nom, comme un serpent enroulé dans le ventre d’une cavité rocheuse. La violence a une viralité contaminatrice et le désert qui en est la source mythique peut être aussi l’espace privilégié pour se décharger de son fardeau et en disperser la fureur aux quatre vents. Algérie 1994-2019 : un premier long-métrage algérien a cette ambition de lion de témoigner qu'enfin, la guerre est finie, et il est beau que la clôture de toute une époque soit l'affaire d'un cinéma intempestivement raccord avec le peuple qui revient à lui après nous avoir tant manqué.

Une proposition issue « des bons plans » est consacrée à l'insolite rencontre de trois plans tirés de deux films et d’une série télé : Nostalghia d'Andreï Tarkovski, Lost – Les Disparus de Jeffrey Lieber, J. J. Abrams et Damon Lindelof et puis Iron Horse de John Ford. Paradoxalement mobiles et immobiles, à la fois inaugurales et terminales, les images sont affaires de deuil et de seuil pour qui les franchit en faisant du passage un battement de paupières, comme ce dont il faut qu'elles témoignent dans l'égard de leurs passagers. On voudrait ainsi essayer de dire que pareilles images ont du chien, précisément en ceci qu'elles sont décisivement fidèles à l'exigence de soin et d'attention qu'elles doivent autant aux personnages qu'elles gardent qu'aux spectateurs qui les regardent.

La séquence du spectateur est consacrée à une fille qui n’a pas peur du feu : Bulle Ogier dans La Salamandre de Alain Tanner. Pour le cinéaste suisse, la femme est toujours une salamandre, froide d’apparence mais seulement à dessein de traverser les brasiers sans y laisser cramer sa peau. La créature est alors étrangement clignotante, elle sourit de la folie environnante et sa folie propre fait peur. La fée gardienne du trésor d’hétérodoxie et de sorcellerie de Mai 68 émeut en même temps que bouleverse la sorcière que le consumérisme s'efforcera à bientôt immoler. La salamandre Rosemonde est non seulement une fille de feu comme on en voyait alors chez Jacques Rivette, elle est également la sœur de sang de la Wonder-Woman de Saint-Ouen.

Des Nouvelles du Front social et du reste se dédie à rendre compte au dernier ouvrage en date de Frédéric Lordon, La Condition anarchique. Pour le philosophe spinoziste et économiste hétérodoxe, anarchie ne nomme pas une politique qui devrait à proprement parler se dire plutôt comme « acratie », soit la visée politique d'un monde commun organisée sans domination. L'anarchie ressaisie depuis son fondement étymologique (arkhè nomme le principe premier, le fondement, l'origine) soutiendrait plutôt ici le concept d'une « axiologie critique », autrement dit une théorie de la valeur dans une société qui, rigoureusement parlant, ne tient fondamentalement à rien.

Dans notre 57ème sélection musicale, le chant mélancolique de Cheb Hasni tend la main à une déclamation poétique de Patti Smith inspirée par Allen Ginsberg, tandis que l’ambiance planante de YnflX permet de déployer un espace intersidéral suffisamment vaste pour y faire résonner les paroles révolutionnaires de Gil Scott-Heron et le joyeux délire verbal d'Adriano Celentano.

En guise de supplément estival, nous vous proposons trois bulles florales écloses dans le jardin cultivé par nos ami-e-s belges de la revue en ligne Le Rayon Vert :

- Sibyl de Justine Triet où l’hystérie en guise de plus petit commun dénominateur alimente une machine pénible d'immaturation et de déception liquidant tristement l'héritage héroïque de la modernité ;

- Parasite de Bong Joon Ho où la lutte des classes est une guerre des places entre ceux qui en manquent, entre levée de la viande comme une farce et tombée des masques avec grâce ;

- Le Daim de Quentin Dupieux où un chasseur chassant avec sa veste en daim plutôt qu'avec un chien peut tourner en rond comme un pneu en rôdant autour du degré zéro du cinéma logé dans la pupille dilatée du regard de l'autre.

Lettre d'informations n°58 : 30/07/2019

Juillet bientôt out avant août et son burn-out, été d'ores et déjà cramé. L'été n'est plus depuis longtemps la saison des grandes vacances et des aventures de l'enfance, c'est désormais la saison que nous passons en enfer, dans l'enfer entropique de l'anthropocène, des banquises fondues dans la banqueroute du CETA, des fêtes de la musique où la police républicaine noie et se noie. L'été trahi c'est la nuit à son zénith, la nuit à midi à laquelle on voudrait opposer le cinéma comme la caverne où notre part d'ombre s'y protège de la rage solaire. Et la 58ème lettre d'information Des Nouvelles du Front (site, blog et facebook) d'en relayer les anfractuosités où se cacher et les cavités où se lover.

 

 

La rubrique Des Nouvelles du Front cinématographique propose un diptyque dédié au printemps qui revient et dont le retour aura consoné avec la quarantième édition du Cinéma du Réel. Paysages de guerre et déserts, fantômes et refuges à l'autre bout du monde sont parmi les principales lignes de front d'un cinéma contemporain qui a la préoccupation des fictions du réel et l'état des lieux aura eu d'inégales intensités. On retiendra le garage de Bewegung Eines Naher Bergs de Sebastian Brameshuber, le "white building" en cours de destruction de Last Night I Saw You Smiling Kavich Neang, l'amour vache dans l'hôtel social de Diz a ela que me viu chorar de Maira Bühler, les flashs cosmiques et lysergiques de Altiplano de Malena Szlam, la maison familiale inaccessible de La strada per le montagne de Micol Roubini et la cité à l'architecture urbaine, glorieuse et ruinée de Learning from Buffalo de Rima Yamazaki. Sans oublier l'incorruptible communisme des petites gens de Madame Baurès de Mehdi Benallal.

 

 

A cheval entre deux rubriques, Autres textes de cinéma et La séquence du spectateur, cela va à Charlie Chaplin, l'ange nécessaire qui a su tracer depuis le burlesque le plus court chemin entre le comique et le tragique. Avec l'invention figurative du vagabond universel, la grâce des petits pas est une aile qui bat avec celle du génie des grands écarts. Charlot nomme pour nous le jumeau originaire et placentaire qui accompagne les boiteries de notre enfance en les mouillant de nos larmes les plus mélangées, douleurs incurables et éclats de rires. Il suffit de revoir à ce titre l'inusable Kid Auto Races at Venice (1914) de Henry Lehrman, deuxième film où joue Charlie Chaplin mais le premier à avoir été distribué et où il campe son personnage de "tramp", qui pousse la mise en abyme de telle sorte que le trublion projette à l'horizon d'un art qui alors se cherche le comportement le plus répandu à l'ère médiatique actuelle, celui de se faire reconnaître en s'imposant dans l'image contre ceux qui la font et s'en croient les maîtres.

 

 

L'enfance qui s'entretient du deuil de l'enfant disparu et que nous ne sommes plus a d'autres boiteries transversales à nos rubriques, qui rebondissent tantôt avec la quête des jouets animés de Toy Story 4 (2019) de Josh Cooley du côté des Autres textes de cinéma, tantôt du côté des bons plans avec celle du petit garçon de Koker dans Où est la maison de mon ami ? (1987) d'Abbas Kiarostami. Avec la nouvelle production intelligente du studio Pixar, les jouets s'imposent comme les dieux lares d'une domesticité saturée de démons à la fois archaïques et technologiques, aussi comme les gardiens d'un désir d'émancipation et d'utopie, ce trésor dont l'enfance est un ressouvenir. Avec le film qui a révélé au monde occidental le génie kiarostamien, l'enfance se déploie dans l'un des plus beaux poèmes de l'amitié qui soit, faisant de l'ami celui à l'appel intime de qui l'on répond originairement, l'ami qui demande sans le dire de traverser les montagnes pour conquérir cette liberté dont le secret partagé est une petite fleur de paradis déposée entre les feuilles du cahier d'écolier comme dans l'intervalle des photogrammes.

 

 

Si l'été demeure malgré tout encore le temps qui respire l'enfance, c'est en vertu des amples inspirations des acteurs de Marcel Pagnol à l'occasion de sa grande trilogie marseillaise, Raimu et Fernand Charpin, Pierre Fresnay et Orane Demazis, dont les poumons accueillent la cité phocéenne dedans et dehors, Marseille inspirée dans le théâtre filmé à Joinville et Marseille expirée à l'air libre et marin du Vieux-Port et de la Canebière. L'impureté y est alors maximale, qui réinvente conjointement théâtre et cinéma de part et d'autre de la bande-son. Et d'une partie de cartes qui fend le cœur dans une autre séquence du spectateur, dont la répétition prend acte du temps passé comme un cœur fendu en effet, l'impureté délivrant à la fin le joyau intensément moderne d'un peu de temps à l'état pur.

 

 

Quant à notre 58ème sélection musicale, son panache entretient autrement la pure passion de l'impureté, avec le lamento dédié aux frères jumeaux de Howard Shore et le déhanché disco de STRFKR, avec l'ode rock à Chewbacca par Supernova et la juvénilité techno et gémellaire des morceaux d'un teenage-movie d'horreur brésilien.

 

 

En guise de second supplément estival, nous vous proposons deux épiphanies soigneusement accueillies par nos ami-e-s belges de la revue en ligne Le Rayon Vert :

 

- Yves de Benoît Forgeard, où le frigo connecté est l'objet technique et démonique avec lequel se volatilise l'inspiration musicale au profit de l'extension croisée des arts ménagers et du calcul algorithmique, le vieux rêve de l'autonomie gardé au congélo tandis que dehors l'air est conditionné au règne de la muzak et du gimmick ;

 

- Les Trois lumières de Fritz Lang, où l'imagier démiurgique lassé comme la Mort de la compulsion de répétition des dramatiques servitudes humaines invente la machine de projection d'où pourrait surgir, via l'intervalle des clichés orientalistes transcendés, le désir de préférer substituer un destin contre tout abandon à la fatalité.

Lettre d'informations n°59 : 30/08/2019

Lettre d'informations n°60 : 01/10/2019

Rentrée des classes dans le lard de la lutte des classes dont la rengaine se rappelle à vous même quand vous n'y pensez pas, en dépit de tous vos dénis. Par exemple on nous dit sauvons, sauvons la retraite par répartition avec la réforme du système à points. On entend derrière l'antienne du sauvetage le pillage continué de la part socialisée du salaire qui reconnaît dans le retraité un salarié émancipé, rémunéré pour les valeurs d'usage qu'il invente et les valeurs économiques et non marchandes qu'il crée – non pas un pauvre vieux qui a droit à notre solidarité mais un travailleur libre, libéré des servitudes capitalistes de l'emploi. Le communisme a failli, vive le communisme de la sécurité sociale, le déjà-là de la cotisation avérant les puissances d'auto-émancipation du salariat. De même que le cinéma a failli et que vivent les œuvres et les films qui ne cèdent pas sur notre désir illimité d'émancipation auquel rend grâce la 60ème lettre d'information Des Nouvelles du Front (site, blog et facebook).

 

La rubrique Des Nouvelles du Front cinématographique propose de diviser Jeanne d'Arc par elle-même. Jeanne contre Jeanne, c'est une dispute qui ne cesse pas en effet et dont Bruno Dumont reconduit dans son cinéma les éclats à la fois conjonctifs et disjonctifs, après les discrépances à demi-convaincantes de Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc. La synthèse figurative des Jeanne politiquement opposées, y compris pour Charles Péguy, est une réconciliation fautive qui cède place désormais à la lutte éternelle de la foi (du cœur) contre la religion (de pierre) qui, toujours, fait la guerre à l'exception. Un penchant avéré pour une monumentalité contradictoire n'écrase cependant pas tout à fait le secret d'un art qui, dans les yeux et dans les oreilles, a la sensibilité de considérer ses spectateurs comme les intimes dépositaires d'une croyance dont l'enfance se refuse aux bouches obscènes des juges.

 

Celle des autres textes de cinéma est quant à elle dédiée à un cinéaste comme un menhir. Jean-Marie Straub ne nomme pas seulement avec Jean-Luc Godard l'un des plus grands artisans de la modernité au cinéma. Avec Danièle Huillet jusqu'en 2006, dans la blessure de son absence depuis, la persévérance dans la croyance que la forme naît du rapport contradictoire de la matière avec l'idée est un acte de résistance nécessaire pour aujourd'hui. Straub algérien ? Straub algérien ! Parce que son cinéma dédié aux peuples qui manquent à leur place a pour l'un de ses actes fondateurs le refus en 1958 de faire la guerre en Algérie. Le temps est venu désormais de vérifier sur le terrain qu'il y a des gestes de soulèvement qui sont contemporains. Le point d'exclamation straubien est comme une montagne qui a été éclairée à la lumière chaleureuse de la bougie kabyle, à l'occasion des 17èmes Rencontres Cinématographiques de Béjaïa du 21 au 26 septembre prochains. Que la cinéphilie en vaut la peine quand ses plaques tectoniques permettent au menhir de Gobianne de se rapprocher de Yemma Gouraya.

 

Notre rubrique Champ-contrechamp examine les deux saisons un et deux de Mindhunter, cette série de Joe Penhall et David Fincher produite et diffusée par Netflix qui ne raconte pas seulement comment deux agents du FBI aidés par une chercheuse universitaire spécialisée en psychologie conjuguent leurs efforts pour aider la police locale à résoudre des crimes sexuels sordides. Elle est également affaire d'archéologie du savoir en étant dédiée à la création d'une fonction scientifique dont la nouveauté conceptuelle exige qu'elle soit à la hauteur de l'impensable qu'il s'agira de penser. Une grande réussite télévisuelle, digne du meilleur cinéma hollywoodien que Hollywood produit cependant de moins en moins, notamment parce qu'elle a l'intelligence pour condition (on voit à l'image cette chose rare de voir une intelligence en train de se constituer) et l'horreur pour fond sans fond (c'est le paradoxe d'une intelligence dont l'exercice a pour matière non seulement les passages à l'acte mais aussi les fantasmes qui en constituent le fondement, et qui elle-même n'est pas prémunie des vertiges fantasmatiques).

 

Des nouvelles du front social et du reste est en deuil. Apprendre incidemment, comme ça, la mort impossible des amis que l'on ne connaît pas – ô David Berman, ô Daniel Johnston – c'est mourir un peu avec eux. C'est revivre aussi à l'écoute des increvables chansons qui ont sauvé nos vies des plus grands périls de l'oubli quand il se confond en réécritures abusives. Nous n'avons pas vécu en vain, c'est certain, des chansons gardiennes de nos mélodies les plus secrètes en attestent avec une fragilité consubstantielle. On ne (se) le répétera alors jamais assez, les fœtus que nous étions et que nous sommes encore doivent tout aux amis que nous n'avons pas connu, aux amis disparus qui, toujours déjà, auront été les fidèles revenant de nos existences - nos compagnons les plus intimes, ces jumeaux originaires, nos doubles placentaires.

 

C'est pourquoi notre 60ème sélection musicale, avec ses filles des airs (Shelley Duvall et Liz Frazer) et ses femmes de feu (Nina Hagen et Eleanor Friedberger) et puis Nora Orlandi entre les deux, se place sous la tutelle d'un couple de génies jumeaux et amicaux, David Berman et Daniel Johnston.

 

Enfin, nous vous proposons grâce à nos ami-e-s belges de la revue en ligne Le Rayon Vert :

 

- Derrière le masque numérique et plâtreux du clown éructant de Ça, relifté avec un opportunisme commercial et une promotion de la résilience souvent pathétiques, se rappelle à nous un peu quand même comme une mémoire pharmacologique de l'enfance et elle appartient aux combats épiques livrés par les enfants que des adultes auront été, contre l'obstination des monstres surgis du trou noir d'un ordre parental aux clowneries diaboliques.

 

- Grevé par un dandysme moignon, Liberté d'Albert Serra égrène pour sa part ce qu'il reste de transgression à une époque du capitalisme tardif où celle-là n’a plus cours, sinon dans les manières consensuelles et festives de sa simulation.

 

- River of Grass est un film lo-fi qui ruisselle de poésie urbaine comme un album pop et dissonant de Pavement ou Silver Jews (ou bien encore de Sammy, surgeon du premier groupe dont le « Evergladed » illumine le générique-fin). C'est un film discret, allusif et impressionniste, carré (le format 1,37) et tangentiel (la voix-off parallèle à côté de la route sinueuse du récit). Un film de jeunesse qui rappelle celle des premiers films de Jane Campion et Jim Jarmusch, où le désert qui a longtemps crû – et il croît encore – se repeuple cependant, fertilisé par une croyance persévérante dans les hasards du dehors et de la rencontre.

 

- Au couchant du vieil Hollywood pour lequel Douglas Sirk célèbre une grandiose oraison avec Mirage de la vie, se lève un nouveau soleil, l’or des subalternes qui, le temps est venu désormais, passeront enfin de l’autre côté du contrechamp. Glorieusement.