L’équation Vecchiali

Paul Vecchiali sort diplômé de Polytechnique en 1955, il avait 25 ans. La lettre symbolisant cette école prestigieuse d'ingénieurs est X. Posons alors que le cinéma de Paul Vecchiali, fait d’écarts petits et grands, est une équation à plusieurs variables dont X est l'inconnue.

Diagonales croisées, dialectiquement

 

 

 

 

 

X est la variable inconnue qui, dans l'équation vecchialienne, pourrait se déterminer ainsi :

 

 

 

D'un côté de l'équation, il y a le contemporain de la Nouvelle Vague, un réalisateur qui tourne vite et pour pas cher (c'est un micro-système économique, une île soucieuse de son indépendance comme la Corse originaire), qui joue aussi à débloquer les codes du cinéma de genre (c'est un cinéphile), qui expérimente encore des formes (c'est un moderne) : un « petit frère » de la Nouvelle Vague, comme Jean Eustache dont il était alors proche en produisant ses premiers films…

 

 

 

... sauf qu'il s'inscrit en lien étroit avec un cinéma français qui ne constitue pas l'héritage de la Nouvelle Vague : le cinéma français des années 30. Souvent réduit à l'étiquette de réalisme poétique, ce cinéma est le legs qu'il retravaille sans cesse depuis le choc (partagé avec Jacques Demy) de Danielle Darrieux dans Mayerling (1936) d'Anatole Litvak. Un cinéma populaire dont la fossilisation après guerre a donné la qualité française en imposant une tradition honnie par François Truffaut et ses alliés (qui ont élu Jean Renoir en patron en ignorant fautivement Jean Grémillon).

 

 

 

De l'autre côté, il y a le cinéaste anti-naturaliste, comme ses pairs de la Nouvelle Vague, le styliste qui joue en virtuose du plan-séquence, l'expérimentateur qui invente à chaque film des formes comme des prototypes (Vecchiali est un Paganini du plan-séquence, il est resté ingénieur aussi)…

 

 

 

... sauf qu'il participe également à renouveler le champ de la représentation dans le cinéma français, en l'élargissant pour y introduire des figures nouvelles liées à des sexualités invisibilisées comme l'homosexualité (quand la Nouvelle Vague est restée, elle, straight de chez straight).

 

 

 

X se déduit d'un croisement de deux diagonales (Paul Vecchiali a créé une structure de production nommée telle en 1976), dialectiquement (la société qui lui a succédé s'appelle Dialektik en 201).

 

 

 

On s'amuse aussi que X ait été la lettre désignant pour le stigmatiser le cinéma pornographique des années 70 dont Paul Vecchiali a donné un exemple singulier avec Change pas de main (1975) où le genre se voit retourné comme un gant en révélant un polar inspiré de Hammett et Chandler. La pornographie recouvre aussi la corruption politique affligeant alors la France des années Giscard.

 

 

 

 

 

Le petit écart est aussi le plus grand

 

 

 

 

 

X est l'inconnue de l'équation vecchialienne, le chiffre du désir de Paul Vecchiali, lui qui est un cinéaste du désir, ses écarts petits et grands, ses semblants et ses chansons, ses scènes et ses pièges (Paul Vecchiali est un dialecticien, croisant le faux avec le faux en sachant ainsi trouver le vrai).

 

 

 

X, cette consonne fricative vélaire sourde comme nous l'explique l'alphabet, indiquerait autrement la tension résultant des bords extrêmes de son cinéma, par exemple l'arc tendu dans l'enchaînement rapide de la réalisation de deux films parmi ses plus beaux, Once More et Le Café des Jules en 1988. Le premier film raconte, sur un scénario original de Paul Vecchiali, une décennie, avec un plan-séquence (ou presque) par année, non pas la chronique des années SIDA mais la vie d'un homme qui traverse le miroir de sa sexualité en mourant autant de la maladie que d'amour. Once More est une tragédie habillée en comédie musicale, l'une des plus osées du cinéma français. Le second film raconte, sur un scénario original de Jacques Nolot, une soirée dans un bar entre copains qui tourne mal contre la seule femme du groupe. Le Café des Jules est mieux qu'une pièce de théâtre naturaliste, c'est un incubateur visionnaire des miasmes politiques de l'époque, avec le déclin du PCF et la montée du FN favorisés par le maquereautage néolibéral de la social-démocratie.

 

 

 

Once More et Le Café des Jules sont deux grands films des années 80 parce qu'ils sont des films qui pensent aussi les années 80, la décennie d'une mise à mal des désirs, réactions virale et politique.

 

 

 

Le plus petit écart, chronologique, entre les deux films est aussi le plus grand, formellement : X.

 

 

 

18 juin 2022


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