Marilyn Monroe, la sidération de notre désir

Marilyn Monroe, on lui doit bien un tombeau comme celui que Stéphane Mallarmé a bâti pour Edgar Allan Poe. On dira alors que la star hollywoodienne aura été une étoile, blonde et platine, si et seulement si on la voit comme elle est, comme elle aura toujours été, dans les nuits constellées de notre cinéphilie : « Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur / Que ce granit du moins montre à jamais sa borne / Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur. »

 

C’est au crépuscule, qui est aussi celui du cinéma des studios, que Marilyn Monroe éclaire la nuit d’un sens du désir ressaisi dans son noyau stellaire originaire. Le désir, ce mot qui vient du latin sidus peut en effet vouloir dire ce qui descend d’une étoile, ou bien encore signifier ce que l’on demande à une étoile. Marilyn, ce seul prénom incarne une figure de sidération de notre désir.

 

Désastre et sidération

 

 

 


Marilyn Monroe nomme une sidération. La sidération qualifiait à l’époque des médecins de l’antiquité les mystérieuses maladies dont les arbres étaient frappés, atteints par le rayonnement fossile des étoiles. La sidération dit alors une pétrification. Et il y a de quoi l’être avec Marilyn Monroe, une enfance à la peine marquée par des désastres natifs, un père jamais connu et une mère l’esprit rongé par les produits employés dans les salles de montage de l’industrie hollywoodienne.

 

 

On le voit, la malédiction remonte à loin, dans l’enfance et avant elle. Née en 1926, la petite fille s’appelait alors Norma Jean Mortenson baptisée Baker. À la fin de la guerre, elle commence une carrière dans le mannequinat. En 1946, elle est remarquée par un cadre de la 20th Century Fox qui, séduit par sa chevelure blonde, voit en elle la nouvelle Jean Harlow. On lui retouche le visage, on lui change son nom : Norma Jean Baker s’appellera désormais Marilyn Monroe.

 

 

En 1950, Marilyn Monroe tourne deux films importants, Quand la ville dort de John Huston et Eve de Joseph Mankiewicz. Deux ans plus tard, elle fait la une du magazine Life. Elle tourne la même année Le Démon s’éveille la nuit de Fritz Lang d’après la pièce de Clifford Odets en ayant pour partenaire la grande Barbara Stanwyck, son aînée qui s’est mieux protégée du star-system que sa cadette. Toujours en 1952, dans Chérie, je me sens rajeunir de Howard Hawks elle arbore pour la première fois sa chevelure blonde platine. Le puissant nabab Darryl F. Zanuck mise alors sur elle pour Niagara de Henry Hathaway en 1953. Ce médiocre film noir haut en couleur est cependant irradié par la pulpe sexy d’une actrice charnelle qui fait vaciller les aiguilles de la censure et du licite. Les Hommes préfèrent les blondes de Howard Hawks et Comment j’ai épousé un millionnaire de Jean Negulesco l’imposent définitivement comme une vedette de premier plan.

 

Le firmament hollywoodien rayonne. Une étoile est née. Une immense actrice aussi.

 

 

Marilyn Monroe tourne ensuite dans La Rivière sans retour (1954) d’Otto Preminger, Sept ans de réflexion (1955) de Billy Wilder, Bus Stop (1956) de Joshua Logan, Certains l’aiment chaud (1959) à nouveau de Billy Wilder, Le Milliardaire (1960) de George Cukor, Les Désaxés (1962) de John Huston. L’actrice participe alors à l’écriture des plus belles pages du cinéma classique hollywoodien. Mais l’âge d’or est aussi celui du jour tombant, du crépuscule de l’industrie comme celui de son étoile filante. Les mariages médiatisés et malheureux, avec le boxeur Joe DiMaggio puis le dramaturge Arthur Miller, les liaisons secrètes avec Yves Montand et John Fitzgerald Kennedy, la consommation toujours plus addictive d’alcool et de médicaments finissent par avoir raison d’elle. Marilyn Monroe décède dans la nuit du 4 au 5 août 1962, à l’âge de 36 ans seulement.

 

Le dernier film dans lequel elle devait jouer, Something’s Got to Give de George Cukor, reste l’un des films inachevés les plus mythiques de Hollywood. On n’a pas fini depuis de délirer sa mort, tout le monde la cite depuis qu’Andy Warhol a reconnu en elle une image de l’époque marchande, qui a produit un nouveau régime de pouvoir, dont l’économie fonctionne à la gloire et l’aura.

 

 

 

Ce que l’on demande à une étoile

 

 

 


Marilyn Monroe nomme une sidération qu’il faut entendre de deux façons différentes.

 

 

 

La sidération qualifie autant le désastre d’une existence vampirisée par l’industrie du cinéma, tant brûlée sous les sunlights qu’elle en est morte, qu’une fascination jamais démentie pour une icône dont la figure est, au-delà de la charge sexy qu’on lui aura associé (ah, la robe blanche que soulève l’air du métro dans Sept ans de réflexion, une image devenue poster érotique), celle d’une innocence résistant à sa profanation. Une fascination qui révèle une conscience de sa condition lucide à l’extrême, ce dont témoignent au début des années 2000 la publication de ses écrits et un grand roman biographique que Joyce Carol Oates lui a dédié, intitulé Blonde et adapté par Andrew Dominik pour Netflix.

 

 

 

C’est au crépuscule, qui est aussi celui du cinéma des studios, que Marilyn Monroe éclaire la nuit d’un sens du désir ressaisi dans son noyau stellaire originaire. Le désir, ce mot qui vient du latin sidus peut en effet vouloir dire ce qui descend d’une étoile, ou bien encore signifier ce que l’on demande à une étoile. Marilyn, ce seul prénom incarne une figure de sidération de notre désir.

 

 

 

À l’occasion de son sublime film de montage intitulé La rabbia (1963), une œuvre hantée par les grands désastres du vingtième siècle, le poète et cinéaste voyant Pier Paolo Pasolini lui dédie un bouleversant fragment, le poème ébloui qui reconnaît en Marilyn notre grande sœur sacrifiée, comme le sera Laura Palmer. Un mythe moderne, autrement dit une martyre de la modernité.

 

 


« C’est le monde qui t’en a donné conscience,


et ainsi ta beauté a cessé d’être beauté.


Mais tu continuais à être enfant,


idiote comme l’Antiquité, cruelle comme l’avenir,


et entre toi et ta beauté accaparée par le pouvoir


se sont mises toute la stupidité et la cruauté du présent.


Tu l’emportais, comme un sourire entre les larmes,


impudique par passivité, indécente par obéissance.


Elle a disparu comme une blanche colombe d’or. »

 

 

 

9 août 2022


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