Bowling Saturne (2022) de Patricia Mazuy

Red Bull

Le gars Armand, c'est une boule de haine et de ressentiment, une bébête humaine de notre temps les yeux exorbités. Le vigile des boîtes de nuit bordées par les violences sexuelles est le loup solitaire dont l'héritage paternel va lui permettre d'endosser la peau du tueur en série. Fallait pas lui laisser la gérance du bowling, bordel, running gag sur fond d'horreur à la française mâtinée d'américaine. Son demi-frère Guillaume en paiera le prix fort, dans le rôle du flic qui a vraiment de la merde dans les yeux à ne rien voir du rapport qu'il y a entre les cadavres, les quilles et les trophées des safaris.

« Like a deer in the headlights »

 

 

 

 

 

Le rapport, on le voit nous comme une chanson de Cheveu : « like a deer caught in the headlights », comme le cerf pris dans les phares de la voiture qui fonce dans la nuit avant de lui rouler dessus. Le rapport qui a la couleur du mauvais sang, filiations réelles et généalogies symboliques, est le coït brutal des équivalences concassées, patriarcat et chasse, prédation sexuelle et colonialisme. Et la réalisatrice d'offrir son propre fils, Achille Reggiani qui joue l'Armand, en holocauste sur l'autel sacrificiel d'un naturalisme en raison duquel la pulsion est un trou béant d'intentions, le cadavre des idées au fond du puits des concaténations mécaniques, ces énucléations du sens. Zola zéro (+ zéro = la tête à toto).

 

 

 

S'il y a l'évidence, criante et aveuglante, des métaphores saturniennes, il y a aussi des mères ogresses qui jouent avec leur fils comme le substitut phallique de leur colère. Et le fantôme de Psychose d'Alfred Hitchcock d'être plus retors et malicieux que jamais en se retournant contre une réalisatrice possédée par les fantasmes et les esprits qu'elle croit maîtriser.

 

 

 

Concevoir un film comme une partie de bowling, c'est courir un grand risque, celui de gagner à tous les coups en oubliant que sur le tableau des points les strikes sont notés de la lettre X. Patricia Mazuy aligne ainsi les carreaux sans voir que les dégommages en règle s'ajoutent à ceux qu'elles vomit. Comment, dès lors, échapper à la pénible sensation de voir la boule des plans striker ces quilles de spectateurs ? D'un côté, Guillaume mâchoire carrée ne voit pas le rapport, criant, entre l'enquête policière et les crimes de son frère bâtard et revanchard, veste en peau de python et porte-clés à tête de tigre, à qui il a bêtement demandé de vérifier que le bowling est une variante normande de l'Overlook Hotel. De l'autre, le film ne desserre pas davantage les dents, sinon pour ouvrir la bouche et hurler des banalités, en s'enfonçant tête la première dans le tunnel viscéral du symbole avec la flore intestinale de ses métaphores qui dégazent à 10 km ; ainsi de la mauvaise herbe sur la tombe du paternel.

 

 

 

 

 

L'indiscutable ne donne pas des ailes

 

 

 

 

 

Voulant en découdre entre Gaspar Noé et Julia Ducournau comme s'il y allait d'une obligation pour obtenir désormais le CNC, Patricia Mazuy perd la boule qui lui avait jusqu'à présent permis de s'orienter : hier en croyant avec force que les fratries tragiques pouvaient malgré tout se sortir de la fièvre des rivalités bibliques et mimétiques (Peaux de vaches) ; s'abêtissant aujourd'hui à donner dans les fascinations fatales et jouissives de l'hyperréalisme brutal en se demandant si tous les garçons ne s'appelleraient pas Fred Madison, et toutes les filles Laura Palmer. D'emblée érigée en héroïne intouchable qui flotte au-dessus de l'auge des bassesses masculines, la militante écologiste saura user du couteau séparant les frères ennemis, mais son œuvre de civilisation tient d'une scénarisation dont l'éclairage est saturé en néon. Même le berger belge doit servir à distinguer le bon grain de l'ivraie, avec le fils qui se jette dans le vide parce qu'il est inutile de faire le tri dans les poubelles de l'humanité.

 

 

 

Le seul animal à être une bête c'est l'animal humain, d'accord. Mais la bêtise dont les foyers comptent, parmi d'autres, la chasse et les violences sexuelles demande aussi l'intelligence de discuter l'indiscutable en discernant, dans les rapports homologués et le couperet des homologies, l'inévidence de l'évidence. Pas juste des rapports, mais des rapports justes.

 

 

 

Comme le Jerzy Skolimowski d'Eo finalement, Patricia Mazuy s'aveugle de voir ROUGE. Au lieu d'éclaircissements nécessaires, des épaississements autoritaires. Mais les liqueurs qui, hier encore, faisaient vibrer l'écran du souffle des élans vitaux et des désirs incendiaires ont aujourd'hui le goût des boissons énergisantes, addictives et nocives qui font l'inverse de ce que la publicité leur prête en garantissant que les boire donne des ailes. Cinéma Red Bull.

 

 

 

4 novembre 2022


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