Le bruit de la cause animale qui fait silence des bêtes

Eo (2022) de Jerzy Skolimowski et Cow (2022) d'Andrea Arnold

Au silence des bêtes qui est la mutilation engagée par la dignité exclusive de la nature humaine, répondent deux films bruyants et hébétés, Eo de Jerzy Skolimowski et Cow d’Andrea Arnold, qui tirent du constat des souffrances animales les jouissances instrumentales ajoutant aux mutilations réelles les mutilations du regard. Âne et vache y sont martyrisés en témoignant aussi des cruautés éthiques du service des biens.

Eo (2022) de Jerzy Skolimowski

Au revoir là-haut

Au lieu de souffler des bulles de savon qui donneraient à s’alléger pour l’enfant qu’il serait resté, les focales courtes érigent des cathédrales dont la chaire est dominée par un démiurge qui donne dans l’amphigouri comme jamais. Les grandes orgues que Jerzy Skolimowski s’époumone à faire souffler entre la Pologne et l’Italie ont une férocité d’ogre pour l’équidé qui n’est chez lui que dans le pré.

 

 

 

Perdu tout là-haut, le polygone de sustentation du pauvre Eo est aboli dans les manières éoliennes d'un épigone de Robert Bresson faisant surtout dans la virtuosité tapageuse et l’ostentation. Si Jerzy Skolimowski en pince pour son âne, c’est en l’arrachant de sa terre pour le projeter, drone aidant, dans les airs où il n’a plus pied, avant de rechuter dans les allées électrifiées d’un enfer industriel.

 

 

 

Seuls quelques plans à fleur de fourrure, à l'occasion d’un lavage ou d’un beau match de foot qui rappelle celui de cricket du Cri du sorcier, témoignent pour la vibratilité de l’âne. Et pour la sensibilité épidermique d’un grand cinéaste qui, s’il voit rouge en croyant bon de devoir décoller parce qu’il ne décolère pas du monde tel qu’il n’est pas bon, perd cependant le sens de la gravité en ne mettant pas ses plans et pas dans les sabots des six baudets nécessaires à représenter son aze.

 

 

21 octobre 2021

Cow (2022) d'Andrea Arnold

Le lait tourné de la tendresse inter-espèce

La vache laitière est une travailleuse de l’agroalimentaire, l’exploitée soumise à la trayeuse qui lui pompe des mamelles grosses tout le lait, le ventre sacrifié aux vêlages successifs. Avant la balle dans la tête. Pourtant, à trois fois, la vache anglaise aura rué dans les brancards, cognant la caméra qui lui colle comme une mauvaise boue, y voyant de son œil noir le trou qui déjà lui promet la nuit.

 

 

 

La vache est une travailleuse doublement exploitée, par l’industrie laitière et par celle d’un cinéma qui la ventouse en lui pompant tout le lait de la tendresse inter-espèce. Ventouser c’est parasiter et il y aurait comme un air de famille entre la vache goûtant enfin au pré et les hyménoptères qui l’agressent. Le naturalisme est un miroir de néant pour l’aspirante au trou noir de la Prim’holstein, œuvrant dans l’abolition hystérique de toute distance, mouche du coche ou bien machine à traire.

 

 

 

Traire c’est pomper, c’est trahir le lait - le faire tourner. La trayeuse entraîne ainsi à faire jouer partout la pompe de la trahison, la vache qui rêve la nuit de son tout petit en rappelant au cauchemar anthropomorphique de l’ours d’Annaud, les exploiteurs qui sont des parasites en ruminant l’inévitable crime. On sauve une séquence (la saillie avec un bœuf soucieux des préliminaires) et le constat que la musique pop sert moins aux vaches qui s’en foutent qu’aux hommes qui se défilent. Ici, la souffrance animale est une cause consensuelle, cependant victime de maltraitance esthétique. Le lait tourné de la tendresse inter-espèce s’écoule des tuyaux d’une trayeuse indigne à coller au cul des vaches comme pour un examen rectal.

 

 

5 décembre 2022


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