"Abou Leïla" (2019) d’Amin Sidi-Boumédiène

Les baliseurs du désert

Gilles Deleuze y a insisté : avec Kant, c’est une nouvelle conception du temps qui apparaît, en cessant dorénavant d’être annexé à la mesure du mouvement. Kant est, dit-il, une « figure philosophique de Hamlet » parce qu’avec lui, le temps sort en effet de ses gonds, son concept désormais émancipé des mouvements circulaires de l’astronomie comme de la psychologie. Le temps cesse effectivement d’être arraisonné aux habituels mouvements circulaires pour se déployer comme une ligne pure et infinie, comme une pure forme du temps vide libérée de tous les gonds et de toutes les tutelles circulaires – Dieu, le Cosmos, le Moi. Bien des années plus tard, Jorge Luis Borges délivrera la formule poétique de cette nouvelle et si terrible conception du temps, dans une nouvelle intitulée La Mort et la boussole (1942) : « Je connais un labyrinthe grec qui est une ligne unique, droite. Sur cette ligne, tant de philosophes se sont égarés qu'un pur détective peut bien s'y perdre. (…) je vous promets ce labyrinthe, qui se compose d’une seule ligne droite et qui est invisible, incessant. ».

 

 

Terrible conception en effet parce que la ligne droite du temps n’a rien de strictement linéaire. Le temps est cette forme vide et pure qui a ses inflexions et ses coudes, ses fourches et ses bifurcations, des boucles aussi mais pour faire disjoncter la vieille machine d’arraisonnement à la circularité. Le temps est une ligne droite et son labyrinthe est un ventre, un fouillis de viscères qui peut contenir tout un désert et son bestiaire.

 

 

 

De quelques bêtes

 

 

 

En ouverture de Abou Leïla, cette citation du poète et peintre William Blake, ce contemporain diabolique de Kant qui l'était à sa manière aussi, issue de l'un de ses grands « livres prophétiques » intitulé Le Mariage du ciel et de l’enfer (1793) : « À présent le serpent rusé chemine / En douce humilité, / Et l’homme juste s’impatiente dans les déserts / Où les lions rôdent. ». L’exergue prévient d'emblée de plusieurs choses nébuleuses, mais peut-être déjà de ceci : le temps est un ligne droite en forme de serpent et manquer de patience face à l’humilité de ses reptations et la ruse de ses mues ouvre au désert où règnent les bêtes sauvages. Le désert algérien où y expérimenter pendant 135 minutes les genres amicaux et complices du road-movie et du buddy-movie est l’espace à la fois très concret et très abstrait où revenir en arrière le temps de sonder l’époque des années noires de la guerre civile est le pas permettant d’aventurer un autre pas au-delà, le long de la ligne droite où l’approche ludique des stéréotypes débouche sur un festin physique d’archétypes. Le goût mêlé des formes (précises) et des forces (primitives) caractérisait déjà les intrigants premiers courts-métrages d’Amin Sidi-Boumédiène, qui donnent à ressentir un certain bourdon algérien avec ses rythmes obsédants, ses bourdonnements et ses lancinances symptomatiques du rapport contrarié entretenu avec le pays natal, entre conjonction (au risque de la fusion régressive) et disjonction (au risque de la déliaison sanglante). Avec son premier long-métrage de fiction à nouveau coproduit par Thala Films, la ligne droite que résume la quête d’un terroriste surnommé Abou Leïla ouvre sur le désert révélant le vide chimérique lové dans ce nom comme un serpent dans le ventre d’une cavité rocheuse. Et le serpent est le premier animal, la bête souverainement inaugurale déroulant d’entre ses écailles tout un bestiaire virtuel et entortillé, où les boucs et les chèvres suivis par les chameaux préparent la voie royale empruntée par un étrange guépard, ce fauve redoublant les lions de la citation de William Blake.

 

 

D’ailleurs, on ne peut s’y tromper, l’ouverture est littéralement serpentine, appareillée en deux plans avec le premier servant surtout à armer le second qui, moulé dans les mouvements sinueux du steadicam, embraye en prenant le temps d’enregistrer les quasi-reptations reptiliennes d’un homme muni d’une arme. Celui-ci sort de voiture et s’avance dans la rue, en une ligne droite mais courbée comme une sinusoïde, afin d’abattre la victime que lui a désigné son idéologie sacrificielle. Bien plus tard, ce même homme se sera transformé en guépard du désert et, du reptile au fauve, il aura fallu entre-temps plus d’un bouc sacrifié pour délivrer le noyau tragique d'un road-buddy-movie tourné en CinemaScope 2,39:1 (le bon format pour filmer les serpents et les enterrements dixit Fritz Lang). La quête chimérique du terroriste ayant fait perdre la raison à l’un puis finalement à son ami qui l’accompagne sur la pente de sa folie est une puissante ligne de vengeance qui se nourrit du même lait ensanglanté que le meurtre sacrificiel du bouc émissaire – le tragos (si S. est l'initiale qu'indique le générique-fin, son nom révélé dans un flash-back est Boumaza, autrement dit l'homme à la chèvre ainsi qu'était nommé un grand résistant à la colonisation française de l'Algérie entre 1845 et 1847). Abou Leïla est sur ce plan-là d’une audace impensable pour le cinéma algérien il y a encore quelques année seulement. C’est qu’il s’ouvre d’abord sur l’indiscutable qui est l'intolérable violence islamiste perpétrée durant les années de la guerre intérieure algérienne, mais pour en remonter ensuite la source à la fois archaïque et pulsionnelle qui se trouve dans le désert exposant sous un soleil zénithal le cadavre d’une bête fauve en guise de bouc émissaire. Si le criminel doit être puni, le bouc émissaire est sacrifié et la vengeance relève non pas du droit élémentaire, mais d'une loi vétérotestamentaire d'avant sa relève néotestamentaire. La remontée esthétique aux sources mythiques de la barbarie a la séduction des œuvres coppoliennes, mais ce mouvement généalogique ou archéologique engage toujours le défi de sauter par-dessus l’histoire de la violence et de ses conditions sociales, au risque de la déshistoricisation et de la dépolitisation. Il n’en reste pas moins certain que le sacrifice ressaisi dans sa langue fourchue comme celle d'un serpent – djihad islamiste et vengeance personnelle – est la machine de violence mythique et mimétique qu’il faut désactiver, le dispositif à désarmer comme l’arme ensablée dont le spectre placentaire du fou indique à l’ami survivant l’endroit métaphorique le temps d’un plan rappelant Gerry (2001) de Gus Van Sant.

 

 

La violence a une viralité contaminatrice et le désert qui en est la source mythique pour les trois religions du Livre peut être aussi l’espace privilégié afin de se décharger de son fardeau et d’en disperser pour l’épuiser aux quatre vents la fureur.

 

 

 

À ciel et ventre ouvert

 

 

 

Deux amis partent d’Alger à bord d’un 4x4 de marque Lada Niva d’époque et, dans leur quête chimérique d’Abou Leïla, ils s’avancent toujours plus loin dans le sud en direction du Sahara, avec pour stations principales Timimoun du côté du massif de dunes du Grand Erg occidental et, plus loin encore en direction du sud-est algérien, Djanet, capitale du Tassili n’Ajjer et des étendues de sables de l’erg Admer (c'est de ce côté-là que Michelangelo Antonioni a trouvé les dunes où perdre le héros de The Passenger - Profession : reporter en 1975). La ligne supposée rectiligne de la quête vengeresse ne cesse cependant pas de déraper de son axe routier principal, avec Lotfi qui conduit en essayant de maintenir un cap dont l’explication quant à ses linéaments est longtemps différée et S. qui s’abandonne toujours plus aux visions dont les monstres prolifèrent dans le sommeil de sa raison. Le plus beau les concernant relève de la densité mutique et pudique de leur amitié, qui s’épanouit cependant malgré les boitements dans un mélange de douceur et de rugosité semblable à une rose des sables (cette paire d’amis claudicante rappellera d'ailleurs un peu les vagabonds Max et Lion de Sacrecrow – L’Épouvantail de Jerry Schatzberg). Lotfi prend soin de S. comme du plus précieux ami en effet, y compris jusqu’à le bousculer comme un frère le serait par son aîné (et ces deux-là se connaissent depuis l’enfance). Lotfi incarne ainsi le pôle de la maîtrise et de l’autorité pourtant progressivement sapé et démagnétisée par l’autre pôle de la passivité et de la folie qui est un désert dans lequel le premier n’essaiera même plus d’échapper. À cet égard, les acteurs font des merveilles, déjà avec Lyes Salem qui trouve son meilleur rôle dans le personnage de Lotfi, si puissant dans les plis d’un understatement qui offre d’autant plus d’épaisseur à son jeu et de grâce à certains éclats diamantins (y compris de pure étrangeté aux franges du comique dans le regard déboussolé de l’ami), jusqu’au désœuvrement d’une virilité en bandoulière ouvrant la masculinité sur les nouveaux sentiers promis d’une enfance recommencée. De son côté, Slimane Benouari impressionne durablement comme l’automate fiévreux de visions qui le secouent et sur lesquelles il n’a aucune prise, happé par le dehors de sa folie dans un mouvement d’excentration et de déterritorialisation qui est le serpent rusé identifié par l’initiale de son prénom mutilé (étonnamment comme celui du personnage de Tlamess d’Ala Eddine Slim, autre film serpentin). Et ce serpent lui bouffe le ventre, avant qu'il n'en ouvre un autre relié aux cavernes cachées du Sahara. Le guépard mort pour S., l’arme ensablée pour son ami Lotfi qui lui survit pour disparaître dans le désert et ne plus en revenir exposerait à la fin les battements contradictoires du mythe dont le rappel n’est nécessaire qu’à devoir s’en démettre et s’en relever consiste en effet à faire la peau de serpent de ses archaïsmes bestiaux cachés dans le cerveau reptilien des vieilles traditions religieuses et sacrificielles.

 

 

Lotfi et S. sont des baliseurs du désert qui balisent de s'y perdre. Ils l’investissent pour exposer en plein soleil les ambivalences résultant d’une essentielle duplicité : le désert comme monde originaire où règne souverainement l'os de la pulsion (le grand film originaire pour Abou Leïla serait Greed – Les Rapaces d’Erich von Stroheim en 1924) et le désert comme confins et zone native où les fins sont des commencements comme autant de recommencements (l’esprit nietzschéen de Zarathoustra y souffle expressément et son Z vient renforcer le S, dont un maître en cinéma algérien aura eu le secret d’enfance – Mohamed Zinet). Mais les baliseurs se divisent comme la photographie de l’islamiste recherchée finit par être déchirée par l’idiot du coin revêtu de l’habit de policier censé calmer son esprit lézardé parce que la loi manque et que le tiers fait défaut alors qu'il est l'instance suspendant la rivalité meurtrière des doubles mimétiques. Et il est vrai que Lotfi échoue toujours plus à soustraire S. des visions qui l’assaillent et le déportent au-delà de ce seuil où elles contaminent tout le récit en opacifiant sa dynamique cristalline. Les visions cauchemardesques de S. racontent par ailleurs beaucoup, de la proximité critique entre le sacrifice abrahamique et le massacre des innocents (un traumatisme d’enfance fait lien avec le court-métrage d’Amin Sidi-Boumédiène intitulé Serial K.), d’une xénophobie réflexe de la part des gens du nord à l’endroit des populations subsahariennes (le temps d'une vision les touaregs s’apparentent soudainement aux zombies de George A. Romero), d’une traque vengeresse d’un monstre chimérique dont la bestialité révèle la viralité d’une bêtise mimétique (l’homme-guépard fait signe vers Leopard Man de Jacques Tourneur en 1943). En passant, Abou Leïla est très beau et très juste concernant l’hospitalité et la sociabilité touareg, une communauté relativement protégée des excès du nord où se concentrent les déflagrations de la guerre civile (les « nordistes » sont les agents de la propagation du mal du point de vue des « sudistes »). Le film l’est aussi en témoignant d’une culture de la mort relayée en images par la presse écrite et télévisuelle, jusque dans le réflexe reptilien de la voyageuse du nord jouée par Meryem Medjkane qui n’a pas d’autre désir photographique à l’égard de l’un de ses guides touaregs que d’en capter la mort, le ventre de son cadavre aussi ouvert que le ciel. C’est ainsi que Lotfi commence à baliser, baliseur du désert en quête de la bête islamiste mais qui bascule lui aussi dans l’indifférenciation désertique des perceptions vraies et des visions délirantes et faussées.

 

 

Le baliseur commence en effet à baliser quand l’autre baliseur a perdu les balises, au point peut-être de s’abandonner lui-même à des visions semblablement gore. Mais, derrière la caméra, un troisième baliseur guette, autre serpent rusé qui a la tentation de la déterritorialisation visionnaire et la déprise dans l'héritage de William Blake, jusqu’à se reprendre en s’armant du réflexe rassurant du capitonnage symbolique et de la territorialisation scénaristique, opératoires après coup. Comme si la folie se devait quand même d’être raisonnable, servant au fond à expliquer rétroactivement la motivation des baliseurs et la perte symbolique des balises.

 

 

 

Du chameau au lion – mais l’enfant ?

 

 

 

Les visions de S. se déploient d’abord sur le plan sonore, en privilégiant l’oreille comme l’orifice par où entre et sort la folie et elles imposent dans l’indiscernabilité qu’elles convoquent la rupture tragique du couple nietzschéen Apollon-Dionysos conceptualisé dans La Naissance de la tragédie (1872). Et, comme les bourdonnements drone ambient des premiers courts-métrages, les effets sensoriels de boucles lancinantes rappellent à la vérité étymologique des lacérations perpétrées par un fauve mythique, variante saharienne du léopard du désert désignant pour Gilgamesh, le roi mésopotamien d'Uruk, l'absence déplorée d'Enkidu, son ami disparu. Et ses feulements et les grondements, relayés autrement par les atmosphères électriques du groupe de rock expérimental Swans, font d’ailleurs entendre le son guttural des cavernes labyrinthiques extériorisant de façon minérale et géologique le lien organique de l’oreille au ventre (on songera fort ici à l'accouchement de la femme préhistorique au début de la deuxième saison de The Leftovers de Tom Perrotta et Damon Lindelof). Mais les anciens représentants de l'ordre ont une amitié aussi boiteuse que le film lui-même, Abou Leïla claudiquant effectivement le long de la ligne de faille entre raison pragmatique et déraison paraphrénique. C'est pourtant Apollon qui finit par l’emporter sur Dionysos, malgré l’hécatombe des boucs émissaires, malgré le combat mortel et hallucinatoire contre la créature métamorphique, malgré les confusions troublantes d’une violence qui pousse ses sujets à l’indifférenciation mimétique. On souffre un peu que les écarts promis comme des failles soient finalement comblés pour permettre aux explications rétroactives de valoir comme le ressemelage donné aux spectateurs dont on craindrait qu’ils soient un peu trop égarés ou déboussolés (cette crainte n’existe pas chez Ala Eddine Slim malgré de beaux points communs nietzschéens-mésopotamiens, ce dernier faisant davantage confiance aux interstices nécessaires à la respiration de ses blocs). Une conversation téléphonique entre Lotfi et un ami prénommé Kamel puis une discussion entre Lotfi et un flic joué par l’excellent Samir El Hakim (l’acteur algérien est définitivement le meilleur second rôle du cinéma algérien contemporain) donneront l’occasion de vérifier que ce qui n’a pas été entendu sera plus tard dit en off afin de rattraper les spectateurs balisant d’être perdus dans le désert du film. Et l’ultime vision de S. ramenant à la surface le traumatisme d’une altercation meurtrière avec des islamistes impose avec le contrechamp différé de la séquence d’ouverture la victoire d’Apollon scénariste sur Dionysos visionnaire. Les remboîtements suppléent aux boitements et les ellipses finissent par être elles-mêmes ellipsées. Ce que le visionnaire abandonne d’une main afin d'offrir au spectateur l’expérience hallucinatoire du désert à l’instar des premiers cénobites, le baliseur le récupère de l'autre en raison d’une économie dont l’office est un calcul peu trop intéressé à marquer les bons points référentiels au principe de ses profits symboliques.

 

 

Comme si, balisant devant ses propres audaces, entre errance existentielle antonionienne et fugue schizo lynchienne, le scénariste apollinien devait nécessairement l’emporter sur le visionnaire dionysiaque afin de réorienter une fiction tentée plus d’une fois par se barrer à l’ouest. Le personnage de la photographe venue du nord figure ainsi un pôle de rationalité succédant à Lotfi abandonné hors-champ et ce passage de relais est trop utilitaire et fonctionnel pour convaincre pleinement, en dépit de la belle présence d’une femme-enfant troublante (Meryem Medjkane ressemble un peu à la chanteuse Björk) dont on espère prochainement un rôle à sa mesure.

 

 

L’évocation maternelle d’un conte pour enfants qui propose dans les faits un résumé du premier discours de Zarathoustra intitulé « Les trois métamorphoses » dispose, certes avec littéralité, la vérité philosophique de la fiction racontée : si le chameau comme animal robuste mais porteur de tous les plus pesants fardeaux hérités des civilisations du divin et du sacré laisse place aux rugissements du lion héroïque et révolté, le lion est l’animal encore trop réactif et, s’il combat vaillamment le « Grand Dragon » des vieilles valeurs du sacrifice, il n’a pas encore le rire libérateur de l’enfant qui recommence le monde en toute innocence en y créant de nouvelles valeurs joyeusement immanentes. « Je vais vous dire trois métamorphoses de l'esprit : comment l'esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant. ». C’est aussi la limite héroïque de films comme Abou Leïla et, avant lui, Kindil El Bahr (2016) de Damien Ounouri, ces jeunes lions fougueux qui triomphent aisément des vieux chameaux du cinéma algérien en regardant dans le rétroviseur la jeunesse et l’insolence du « Nouvel Hollywood ». Mais les lions restent encore par trop adolescents, leur rébellion un rien trop américaine (on pourrait ajouter encore les noms prometteurs de Abdelghani Raoui et Yacine Benelhadj) et, par voie de conséquence, ils manquent alors d’être des enfants de la modernité cinématographique dont l’enfance a des promesses qui recommencent diversement, ailleurs et autrement, chez Nazim Djemaï et Tariq Teguia, Narimane Mari et Lamine Ammar-Khodja.

 

 

 

Une nouvelle aurore

pour le fils de la nuit

 

 

 

À la fin, Abou Leïla se révèle non seulement la bête chimérique d’une violence sacrificielle et contagieuse, mais aussi la carcasse vide des victimes qui auront été mordues et infectées par sa viralité. Abou Leïla est un nom creux comme l'est Kaplan dans North by Northwest – La Mort aux trousses (1959) d'Alfred Hitchcock, il nomme encore en plein désert un mur à deux faces dont un côté signe la nomination de prestige du djihadiste sacrifiant la vie des innocents et dont l’autre côté caractérise la folie d’un projet de vengeance qui n’en est que la doublure mimétique. La bête est morte, l’arme ensablée. 1994-2019 : la guerre est enfin finie et le premier long-métrage de fiction d’un jeune réalisateur algérien se charge d’ouvrir des pistes dans le désert comme si un quart de siècle était nécessaire afin de prendre acte d'une fin différée. Et comme ne s’y sera même pas autorisé l’État algérien lui-même en ayant confondu un peu trop vite amnistie et amnésie afin d’imposer à toute une société la chape de plomb du non-lieu. Certaines pistes butent sur la raison scénaristique d’Apollon baliseur, d’autres disposent au contraire à une joie dionysiaque, digne de la nouvelle « Aurore » ou du « Grand Midi » promis par Zarathoustra.

 

 

Soudain, en exception à la tradition islamique et djihadiste de la kunya pour laquelle le combattant se nomme moins le fils de ses parents que le père de ses enfants, le titre se met à résonner avec une belle littéralité poétique : Abou Leïla dit en arabe le père (abû) du crépuscule (layl) et être le rejeton de la nuit ne tient qu’à faire accoucher nos labyrinthes désertiques, qui sont des ventres blessés, d’une nouvelle aurore à l’horizon, l'orient rieur comme un enfant.

 

 

 

10 juin 2019


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