Viens je t'emmène (2021) d'Alain Guiraudie

La vapoteuse aux clichés

Dans Clermont-Ferrand terrorisé par l'islamisme, le volcan éteint a la vapoteuse pour contrepoint. On s'en réjouit mais Viens je t'emmène n'emmènera franchement pas plus loin. Le film vapote, c'est tout ce qu'il peut faire de mieux. Le problème avec les clichés, c'est que leur mise en circulation a des girations débouchant sur des surplaces gênants plutôt que sur de grands tournants. Comme le réel de Lacan, le cliché revient toujours à sa place, très exactement.

 

Alain Guiraudie a bien compris que l'islam est une turbine à fantasme et ses passages à l'acte en son nom en accentuent la diffusion. Il voit aussi que l'islam s'est invité chez nous comme le loup dans la bergerie, entre fascination et répulsion. Vapoter c'est aussi se donner l'air cool avec ce qui nous arrive et que l'on ne comprend pas.

Être et avoir la gaule

 

 

 

 

 

La gaule. Si le film le plus urbain d'Alain Guiraudie a choisi Clermont-Ferrand pour nouvelle surface de jeu, c'est pour s'amuser de quelques lieux communs, tournant et retournant autour de leur pot au feu. C'est d'abord un jeu de mot pas que graveleux. Qu'est-ce qui donne la gaule dans un pays où l'on chante encore, parfois haut et fort, la fable scolaire de nos ancêtres les gaulois ? La statue de Vercingétorix en place de Jaude indique le statut symbolique de la préfecture du Puy-de-Dôme, celui de capitale parallèle à l'ancienne Lutèce. La ville moyenne d'un pays moyen qui voudrait vivre au-dessus de ses moyens. Quand l'ex-plus grande France débande, le mythe gaulois sert de dernière turgescence (impossible de ne pas songer au vieux sodomisé par Léo dans Rester vertical, un dernier enculage en guise d'euthanasie).

 

 

 

La ville du centre de l'empire est le lieu par où on le situe, moins au centre qu'à la périphérie. Le déclassement, qui était l'une des hantises du héros de Rester vertical, est devenu celle de tout un pays qui voudrait à nouveau bander en s'administrant les pilules viagra du moment, grand déclassement, guerre civile, grand remplacement.

 

 

 

Le puits et son dôme. D'un côté, il y a une montagne tout là-haut, c'est le puy de Dôme et Alain Guiraudie n'en rate évidemment pas la mire. De l'autre, il y a une rue quelconque, tout en bas la rue Ledru où habite Médéric, le héros de Viens je t'emmène. Le gars a deux habitudes, jogger et vapoter. On reconnaîtra le « en même temps » du macronisme dont Médéric est un parangon discret, bedaine et nid d'oiseau du quadra centriste sans l'afficher, ses petites mains parmi d'autres derrière les claviers de la start-up nation. Jean-Charles Clichet défend très bien son bout de gras, à son aise dans le survêt de l'indolence guiraudienne. Et puis son patronyme est comme un sésame pour un film qui remettrait du jeu dans la série aux clichés, de loin semblable à la chaîne des volcans d'Auvergne.

 

 

 

D'où que le puy de Dôme relève à la fois de l'image-fantasme (la France est un volcan, au pire éteint, au mieux endormi) et de l'image-symptôme (l'islam suscite des délires qui tiennent tantôt du puits sans fond, tantôt du dôme de béton).

 

 

 

Le volcan éteint a la vapoteuse pour contrepoint. Voilà l'idée de Viens je t'emmène qui, cependant, n'emmènera guère plus loin.

 

 

 

 

 

Le code est perdu,

 

le désir partout

 

 

 

 

 

La vapoteuse est la boîte noire de Viens je t'emmène. Elle fait un bruit particulier, une sorte de glouglou cramé, on ne s'y était jusqu'à présent jamais intéressé. C'est la petite boîte de l'inconscient et l'on y barbote tandis que grillent les clichés en faisant office de diffuseur d'ambiance. La vapoteuse trouve son extension médiatique avec les téléviseurs à écran plat. Les chaînes d'info en continu sont aussi des climatiseurs, islam et salafisme, jeunesse encapuchonnée et terrorisme. Cela donne une grande séquence, la seule du film d'Alain Guiraudie, celle du cauchemar de Médéric où s'invitent des musulmans en prière devant un site internet diffusant la propagande de Daesh. Ce cauchemar est celui de l'extrême-droite et son ridicule fait rire mais pas que. Une drôle d'odeur persiste en effet, celle d'une islamophobie qui s'est infiltrée jusque dans la tête des vapoteurs.

 

 

 

La vapoteuse est la boîte noire de la France qui a fait de l'islam un aérosol aromatisé et inhalable, grisant mais pas trop, l'addiction tabagique mais cool.

 

 

 

Médéric a recueilli chez lui un sans-abri prénommé Selim mais il se demande s'il n'est pas l'un des auteurs d'un attentat terroriste perpétré sur la place de Jaude. Comme l'informaticien maîtrise le langage MS-DOS, il repère les sites djihadistes sur lesquels le garçon a surfé. Il a le code pour ce type de traçage mais sans avoir celui qui lui permettrait de savoir si le gamin est ou non un terroriste. C'est un peu comme le mari d'Isadora après qui court Médéric excité. Il a besoin d'une application sur son téléphone pour retrouver sa femme adultère dont les orgasmes bruyants empêchent de savoir s'ils sont ou non simulés.

 

 

 

On a les codes mais l'identification fait défaut. L'inconnu du lac est une inconnue, l'X du désir et sa pompe à fantasmes qui s'apparente désormais à une vapoteuse. Les gens ne sont jamais ceux que l'on croit qu'ils sont, jamais à leur place, à côté de leurs pompes. Les prostituées sont peut-être des nymphomanes masochistes, les hétéro sont peut-être des homos qui s'ignorent, les jeunes arabes fascinés par le djihadisme ne passent pas forcément à l'acte, les vieux arabes ont l'air plus français que les Français en partageant avec eux les clichés sur la banlieue et l'islamisme, les encapuchonnés font la chasse au terrorisme au nom du salafisme, etc.

 

 

 

Le code est perdu, y compris par des terroristes qui perpètrent la mort en amateurs, terrifiant paradoxe. Le code est perdu et le désir est partout, plus inaccessible que jamais. Ce qui est certain, c'est que le désir exige des jouissances bruyantes et transgressives, du cunnilingus dans la cathédrale aux émeutes et attentats. Le désir est là qui fume, pour les uns un volcan, les autres vapotant. Face aux meutes et aux émeutes, on peut refaire communauté, c'est le sens utopique de la fin de Viens je t'emmène mais c'est une communauté de circonstance qui a pris acte du surgissement des violences en tant qu'elles sont inconsciemment désirables. La femme battue kiffe de l'être, son désir tenant du forçage.

 

 

 

Le terrorisme, obscurément, pourrait être l'occasion limite d'un réveil. Seulement voilà, les consommateurs de faits divers sont des citoyens transformés en lotophages.

 

 

 

 

 

Le taquin qui ne sert à rien

 

 

 

 

 

C'est Noël, la période est propice à la charité. On ouvre les portes aux enfants sans abri, on donne l'hospitalité à l'étranger. Une fois entré dans la bergerie, le loup est là. Rester vertical éclaire Viens je t'emmène mais d'une drôle de manière quand le jeu du taquin, avec ses pièces mobiles en fonction d'une case vide, reconstitue à la fin tous les stéréotypes qu'il fallait par jeu déconstruire. L'islam qui donne la gaule à ceux qui y voient une menace participe objectivement du bordel ambiant. La peur est un excitant mais les violences sont bien réelles, même par le filtre mousse des médias. La guerre civile est un fantasme et pas qu'un fantasme.

 

 

 

Donc le volcan éteint a pour contrepoint la vapoteuse. On s'en réjouit, c'est sûr, mais Viens je t'emmène n'emmènera franchement pas plus loin. Le film vapote, c'est tout ce qu'il peut faire de mieux. Vapoter permet quand même de reconnaître que la France périphérique n'est pas que celle de ses zones périurbaines, c'est tout un empire déclassé qui voudrait encore bander. La présence de Noémie Lvovsky dans le rôle de la prostituée volcanique raconte par la bande aussi comment Alain Guiraudie s'approche du centre (lutécien) du cinéma français, tout en préférant rester stratégiquement à sa périphérie.

 

 

 

Le problème avec les clichés avec lesquels il joue, c'est que leur mise en circulation a des girations débouchant sur des surplaces gênants plutôt que sur de grands tournants. Comme le réel pour Lacan, le cliché revient à sa place, très exactement. Moyennant quoi, le gamin arabe est un fantasme sexuel doublé d'un parasite, les jeunes à capuches sont une masse indistincte plus menaçante encore que les parias lycanthropes de Rester vertical.

 

 

 

Alain Guiraudie a bien compris que l'islam est une turbine à fantasme et ses passages à l'acte en son nom en accentuent la diffusion. L'islam est une boîte noire, vapoteuse ou case vide du taquin. L'islam est aussi un loup qui s'est invité chez nous dans un mélange de fascination et de répulsion, indécidable.

 

 

 

Vapoter c'est aussi se donner l'air cool avec ce qui nous arrive et que l'on ne comprend pas.

 

 

 

4 mars 2022


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