Peter von Kant (2022) de François Ozon

La cloche à fromage

Purgation et trivialisation

 

 

 

 

Quand la cinéphilie vit sous cloche, la retirer pour en faire tourner les fétiches est risqué. Ses trésors sont alors comme des fromages qui ramollissent à vue d'œil en laissant échapper de drôles d'odeurs. Un chat sauvage d'Allemagne devient ainsi un gros matou bien de chez nous, la transposition d'une biographie tourmentée un catalogue à citations sur papier paraffiné, la purge d'une pulsion masochiste le simulacre inoffensif d'une hystérie ayant perdu tous ses objets. Il y a des guérisons dont on se passerait bien.

 

 

 

L'hystérie fassbinderienne avait du sens en ayant l'exigence de se brancher sur l'hystérie essentielle de son temps : temps de l'amour englouti dans le marais du sexe, temps du communisme désorienté dans les errances du gauchisme, temps des passions noyées dans les eaux glacées de l'intérêt. C'était l'époque où la RFA nommait la liquidation du passé récent de l'Allemagne. Rejouer aujourd'hui l'hystérie consiste à l'évider de tout contenu, autre purgatif. Les larmes perdent toute amertume en ayant la texture ultra-volatile du gel hydroalcoolique. La cinéphilie fromagère conduit au laboratoire pharmaceutique. La reprise est une déprise en permettant pour l'énième fois de vérifier ce que l'on sait déjà par excès : la culture est une machine à laver plus blanc que blanc.

 

 

 

La culture est purgative, elle neutralise et dépolitise. La culture banalise et François Ozon est un petit maître dans la trivialisation.

 

 

 

 

Des larmes amères à la cinéphilie larvaire

 

 

 

 

Fassbinder change de sexe en revêtant la peau de Petra von Kant ? Ozon lui remet le sexe en place en lui refilant son corps d'homme au bord de la crise d'anévrisme. Fassbinder travaille au scalpel le nerf masochiste d'un désir de reconnaissance dont la dialectique est un asservissement sans relève ? Ozon réduit la stylisation théâtrale et naturaliste au pilote d'une sitcom cérébrale et sans suite. Fassbinder a un besoin vital du corps de ses actrices comme d'une chair suppléant aux défaillances du sien ? Ozon propose un test comparatif en posant côte à côte deux icônes au destin figuratif divergent, Hanna Schygulla et Isabelle Adjani. La trivialisation signe la cruauté des derniers ciné-fils, larves vivantes qui s'épanouissent dans la pâte molle des meilleurs fromages.

 

 

 

La cloche abrite enfin une ritournelle connue, revenant de l'ultime Querelle : La Ballade de la geôle de Reading. Oscar Wilde l'a écrite après la prison anglaise et l'exil français. Chantée hier par Jeanne Moreau, aujourd'hui par Isabelle Adjani, la ballade est innervée par un vers inoubliable : Yet each man kills the thing he loves. Il y a des amours mortelles et la cinéphilie peut tuer aussi. Fassbinder était sadique en apparence, son sadisme le masque d'un authentique masochiste. Ozon, lui, est sadique, trivialement.

 

 

 

N'être jamais aimé d'Ozon, jamais. Sinon, les larves succéderont aux larmes. Avec lui, l'amour a toujours la cruelle transparence des vers blancs.

 

 

 

7 juillet 2022


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