Les Enfants des autres (2021) de Rebecca Zlotowski

Un cinéma facile

Rebecca Zlotowski, un cinéma facile comme on dit qu'il y a des filles faciles. La facilité qui dit l'aisance à faire signifie la jouissance à vivre pour qui tout réussit. Un ruissellement. Une seule réclamation, alors : en faire la publicité, en répéter la réclame.

 

Le cinéma de Rebecca Zlotowski, s'il a la cinétique pour raison, a la cosmétique pour sentiment. Si ses films tiennent du Bildungsroman, en n'oubliant pas de rendre à Desplechin tout ce qui revient à Truffaut, c'est à l'enseigne (de l'empire) publicitaire.

 

RUISSELLEMENT

 

 

 

Il n'y a pas un plan, rehaussé des chatoiements que dispense généreusement Paris de jour comme de nuit, il n'y a pas un raccord, un rire, un éclat, une musique, pour ne pas signifier, la signification tenant tantôt du fléchage, tantôt de la signalisation, que la vie est une fête.

 

 

La vie est une fête, le liant énergisant de tous les instants, une ivresse sous la pluie comme à la synagogue, anniversaire, soirée entre amis et vacances camarguaises, du cours du soir de guitare au bahut même à l'heure de la réunion des profs. Ça n'ar-rê-te pas. La vie est une fête, un concerto pour mandoline de Vivaldi et un air d'Antonio Carlos Jobim repris par Georges Moustaki, des eaux de mars parce que le printemps est la saison martiale des renaissances pour qui les échecs représentent la voie royale d'éclatantes réussites.

 

 

Un ruissellement dont le modèle économique est, on le sait, une pitrerie hégémonique.

 

 

Et les clignotants alternant le rouge et le vert, les textos comme le vent pétillant des sentiments secrets, et le torrent diamantin des sourires et les larmes qui fluidifie les vitesses de la vie citadine et les fragrances du sentiment. Et puis la cinéphilie qui rend à Arnaud Desplechin tout ce qui revient à François Truffaut, parenthèses épistolaires et fermetures à l'iris comme un ventricule. Et bien sûr les vedettes aussi, Roschdy Zem qu'on z'aime et Virginie Efira qui fera fi du pire, moins des sentinelles (ce que veut dire au départ le mot de vedette) que les grands gagnants de la méritocratie du visuel.

 

 

Rebecca Zlotowski, un cinéma facile comme on dit qu'il y a des filles faciles. Rebecca, Zahia, même combat, Une fille facile y a insisté déjà en posant l'émancipation féminine comme un marchandage légitime. La facilité : l'aisance à faire, la jouissance à vivre. Une seule réclamation, alors : en faire la publicité, en répéter la réclame.

 

 

 

L’ÉMAIL DES DENTS C'EST L’ÉCRAN

 

 

 

Deux moments où la facilité, dont l'aisance est un synonyme, est moins cristalline que diamantine en diable : au début, Ali (Roschdy Zem) en fait des tonnes pour ne pas choisir au bar les boissons censées lui faire « péter l'émail des dents » ; plus tard, Rachel (Virginie Efira) a une bouffée de chaleur étouffant le discours de sa collègue qui part en retraite, jouée par la pauvre Mireille Perrier. L'émail est l'écran et l'énergie qui en fait reluire le brillant revient de droit aux stars d'aujourd'hui, pas aux actrices d'hier que les premières à l'aise éclipsent.

 

 

L'émail diamant est le sourire du cinéma qui séduit en préférant aux batailles les bagatelles. Et le bagatto d'être une bagatta, une bateleuse dont les baguettes font monter en neige les œufs, nombreux, treize à la douzaine, en prenant bien soin de séparer le jaune du blanc, l'inessentiel de l'essentiel qui est un monde vécu où le douloureux est la frivolité, ce destin qu'il faut savoir assumer en en tirant à la fin les profits qui font tellement du bien.

 

 

La vie est une fête, Paris est une fête : une montée en neige pailletée de pépites colorées. D'emblée, la Tour Eiffel est un phare qui pétille, un projecteur qui tourne sur lui-même en faisant tourner la tête, qui multiplie les tours comme on multiplie les couches de fard après fard. C'étaient déjà les cheminées de la centrale nucléaire de Grand Central, le ballet du plus bel effet des motos de Bel Épine. Et que dire d'un titre comme Planétarium ? Le cinéma de Rebecca Zlotowski, s'il a la cinétique pour raison, a pour sentiment la cosmétique.

 

 

 

LA SECONDE EST TOUJOURS LA PREMIÈRE

 

 

 

Les Enfants des autres est un festival, la prodigalité y écume. Une soirée mousse, un bain moussant, moitié meringue, moitié cocaïne (l'aveu en est d'ailleurs soufflé en douce par une chanson de Dave Van Ronk). Rachel est la reine de la party, femme moderne, active, suractive même, maquillée comme une voiture volée pour le dire comme les copains du quartier, séduisante à l'aise, sans forcer. Et si la frivolité a besoin de gravité en temps de crise expédié le temps d'une discussion devant son portable, c'est pour réaffirmer ses privilèges. Ceux-ci se joueront avec les pressantes et subtiles injonctions à la maternité. Dans le corps de Rachel soumise aux prescriptions d'une horloge plus sociale que biologique. Mais aussi dans la tête de la petite Leïla, la fille du nouveau copain, le gars Ali, qui ne lui reconnaît comme seul et unique droit que d'être l'éternelle seconde, Louison Bobet après sa mère.

 

 

Mais la seconde ne l'est qu'en apparence : elle sera la première à qui tout réussit, elle l'aura toujours déjà été.

 

 

Rachel est grande en offrant ses larmes à sa sœur qui donne vie à l'enfant qu'elle n'aura peut-être jamais. Rachel est noble en rendant Ali à la mère de Leïla, d'autant plus quand elle est jouée par Chiara Mastroianni. Elle est même héroïque, d'une part en ne faisant pas de son fantasme de maternité contrarié tout un plat, d'autre part en retrouvant Dylan, le lycéen prolo et borderline qui a trouvé sa place en sachant tout ce qu'il doit à sa bonne fée. Avec Ali, ça n'a pas marché, certes, mais il concède sa lâcheté sans savoir en quoi elle consiste. Et puis, il y aura toujours une place à la synagogue pour celle dont le prénom invoque des stérilités bibliques. Les dettes contractées à l'égard de la communauté sont un legs qui fait moins péter l'émail des dents qu'il lui offre le brillant d'une tradition dont Ali finit exclu.

 

 

Inutile d'allégoriser ce qui n'aura été que survolé avec frivolité. Le problème tient surtout à poser qu'il y a des appartenances communautaires à valoriser, tandis que d'autres sont les handicaps de la jeune femme flanquée d'une mère femme de ménage et maghrébine, dont le roman d'initiation au monde des mondanités a Zahia pour fille facile et maîtresse zélée.

 

 

La femme moderne qui a fini bonne seconde dans la fiction arrive première dans le film, il n'y a pas photo, ce qui est infiniment plus qu'une compensation. Quand arrive le clignotant ultime du film, celui qui donne à voir dans le dos de Rachel, rayonnante à l'envi dans la mousse de la longue focale, le panneau affichant le nom de son auguste devancière, Léa Seydoux. Si le cinéma de Rebecca Zlotowski tient du Bildungsroman en n'oubliant pas de rendre à Desplechin tout ce qui revient à Truffaut, c'est à l'enseigne de l'empire publicitaire.

 

 

1 octobre 2022

Une fille facile (2019) de Rebecca Zlotowski

L'île des esclaves (Bonjour tristesse)

ÉCONOMIE D’ÉCHELLE

 

 

 

La facilité ne caractérise pas seulement la fille, elle est aussi l'affaire d'un film qui opportunément capitalise sur la rentabilité promise par l'effeuillage de sa monnaie vivante.

 

 

C'est en effet une question d'économie, précisément d'économie d'échelle grâce à laquelle la fiction (un roman de formation traité comme une nouvelle pour numéro d'été de magazine) se convertit à la table de jeu des équivalences spectaculaires en documentaire vertueux mais luxueux sur une féminité moins révolutionnaire que publicitaire. La société en charge du placement des produits du commerce de luxe dans le film de Rebecca Zlotowski exposera toute la valeur de vérification comptable qu'atteste rétrospectivement son générique-fin.

 

 

La facilité nomme précisément la disponibilité circulante de la monnaie vivante, ouverte à toutes les transactions autorisées par un libre-échangisme dont le sexe constitue le noyau de vérité prostitutionnel. C'est pourquoi la drague lourde des gamins du début est sanctionnée par cet implicite qui les mouche en faisant mouche : littéralement, vous ne valez pas chers.

 

 

 

PRO-SEXE ET PRO-FRIC

 

 

 

La facilité de Sophia est, doublant une connaissance sûre des prix du marché, une sagesse consistant à se protéger des dévaluations par l'indifférence aux critiques, comme l'eau coule sur les plumes d'un canard. Y compris de la part des laquais, les valets qui détestent les filles ayant la facilité de travailler en baisant et réciproquement. Il y a cependant de pires facilités pour qui estime qu'il y a des morsures voluptueuses garantissant à la richesse de toujours rayonner jusqu'à caraméliser la peau des mal nés et des dépossédés. C'est l'anarchisme des riches dans la pinède qui, soudain, se théorise, sans rire ni vergogne, en excluant les pauvres d'une liberté relative à l'argent dont les riches ont l'apanage. Bonjour tristesse.

 

 

La plus petite différence entre Sophia et Zahia (Dehar, son interprète) a le velouté duveteux d'une peau dorée par le soleil, baignée de quelques eaux lustrales de la cinéphilie (la Bardot godardienne, la collectionneuse rohmérienne, l'adolescence solaire pialatienne). Mais la couenne s'épaissit en étant un plus grand problème pour Rebecca Zlotowski, qui se projette en forçant le trait dans la cousine Naïma (il est vrai que la réalisatrice ressemble à s'y méprendre à son actrice Mina Farid) afin de poser Sophia/Zahia comme un modèle d'émancipation retors et de fascination réussie. Ce qui est retors n'appartient pourtant pas à la jouissance confondue avec son simulacre, ainsi qu'en rêvait Pierre Klossowski lisant Sade.

 

 

Le retors est lui-même un simulacre en raison d'un féminisme qui, se qualifiant de pro-sexe en étant synonyme ici de pro-fric, aurait le tort d'identifier tous les autres féminismes à de l'anti-sexe. La préférence légitime de l'empowerment à la victimologie (une martyrologie moquée avec la citation du film gore Martyrs de Pascal Laugier) ne l'est qu'à donner du fil à retordre au capitalisme actuel en arrivant à cesser d'être fasciné par ses nouveaux fétiches.

 

 

Les leçons de choses, dispensées au bénéfice d'une transfuge de classe le temps fugueur et fugace d'un bel été en Méditerranée, l'ont pourtant été par celle qui aura été le moins déplacée, la plus en conformité au fait divers et sa publicité (quand BB chez Godard jouit d'être dialectisée par Brecht et Lang pour l'un des plus beaux cunnilingus de la cinéphilie).

 

 

 

L'OR SUR LA PEAU,

L’ÉTALON-OR DES RAPPORTS,

LE SEXTANT EN OR DU SEXE

 

 

 

Quand l'élève studieuse de Sophia rentre en septembre à la maison, c'est avec un peu d'or sur la peau (Naïma découvre que son prénom est un morceau de Coltrane) et, dans le corps, une sagesse distincte de la morale de fourmi travailleuse de sa mère, femme de ménage des riches d'origine maghrébine, à l'image si peu désirée. Puisque la marchandise est l'étalon-or des rapports, la chair doit être l'enjeu, à la fois désaffecté et désiré, d'une mise aux enchères avant la remise au moment des soldes. La cigale Sophia nomme ainsi une certaine sagesse du présent qui est le consentement à la subsomption réelle du vivant sous l'argent – ce sextant en or du sexe pénétré par la marchandise qui dirigerait nos vies et que l'on fait semblant de perdre pour mieux en retrouver le gouvernail.

 

 

L'île paradisiaque chantée avec suavité par Henri Salvador révèle un récif pour esclaves naufragés du féminisme radical, dès lors que la sagesse proverbiale de la mentor propose à son élève appliquée de préférer aux dominations héritées une servitude consentie à l'équivalence généralisée, banalisée. C'est un autre moralisme, un autre puritanisme, très éloigné et de Sade quand on le pense avec Fourier. La chatte doit ainsi pouvoir s'échanger en faisant monter les prix et elle doit savoir autant se protéger de la chute des cours et des mouvements baissiers, se faisant tantôt oursin piquant le sexisme des mal nés, tantôt canard vacciné contre les mauvaises manières des fortunés. Entre deux redondances (Calypso jouée par la princesse de Savoie, de Venise et de Piémont, à savoir Clotilde Courau), Benoît Magimel tire quand même son épingle du jeu, une fois n'est pas coutume, en rasant les murs.

 

 

La poche secrète qui contient à la fin tous les souvenirs de Naïma comme autant de trucs et astuces est en fait un luxueux sac à main de marque qui présente avec une candeur quasi-désarmante l'image-fétiche d'un film n'ayant pas d'autre idée à proposer aux jeunes femmes que le luxe d'être les mieux estimées en étant les plus chèrement monnayées. La volupté en tant qu'elle est inéchangeable tarde encore à trouver contre Sade ses nouveaux Fourier.

 

 

30 août 2019


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