Autres textes de cinéma de 241 à 250

 

Le cinéma filme la mort au travail, le refrain est connu mais n'est vrai qu'à moitié. La vérité a deux visages et si la vie n'est qu'un cas particulier de la mort, l'inverse est vrai aussi. Le cinéma peut avoir le courage de tenir la mort en respect en retenant de la vie qui s'en va la part qui restera. Tenue et retenue ont deux visages frères, l'un aimé et l'autre ami, Didier Motchane et Jean-Louis Comolli.

 

 

Eric Rohmer a un quasi-homonyme méconnu, Michael Roemer. Il est temps aujourd'hui de redécouvrir l'auteur de films rares et heureux. Hasardés loin des standards hollywoodiens, ces films demeurent précieux à l'endroit où les États-Unis restent encore désirables, l'Amérique de côté et dans ses marges, sur les marches du perron où les parias conscients sont des affranchis de la vie.

 

  • La Dernière reine d'Adila Bendimerad & Damien Ounouri : Belle ouvrage et fils fantômes

 

Du beau travail, comment le nier ? L’ouvrage est beau mais que dit-on quand « de la belle ouvrage » est l’expression qui s’impose – comme dirait l’ami commun – « à la volée » ? De la belle ouvrage, par exemple en suivant deux versants, le pan des décors (souvent trouvés dans des lieux et sites réellement existants), l’autre des costumes (qu’il a fallu puiser aussi dans l’imagination quand fait défaut la documentation). Mieux, le beau consisterait plutôt à suivre entre les coutures et plis de la belle ouvrage le lacet d’or des fils fantômes, phantom threads entre les ourlés, leur tracé qui se lit en pointillés, les pleins qui comptent peut-être moins que les déliés. Le filigrane de quelques secrets.

 

 

Qu'un film soit capable de briser la mer gelée qui est en nous, moins comme la hache de Franz Kafka que comme la plante saxifrage chère à René Char. Qu'un film soit exactement au milieu du cinéma, à chaque fragment une exclamation, de chacun de ses plans un étonnement, un éclat, des cristaux d'intensités pour des différences de potentiel, rires et ritournelles. Des bouts de ficelle pour n'en pas voir le bout, jamais – remontages du temps subi. Des bouts d'enfance qui font tourbillonner l'origine dans les courants du devenir – pied de nez au néant, pirouettes cacahuète face au pire.

 

 

En mai, la rumeur dit que les fées ont fort à faire. Les fleurs de même et les films aussi. On ne demandera cependant pas aux films de mai de nous soigner de l’éloignement de floréal, rouge et noir. Ce que l’on désire des films du mois de mai, c’est qu’ils partagent le souci du cinéma même si le printemps est à l’étourdissement des sirènes festivalières. En mai, le cinéma quand même, malgré Cannes et Maïwenn – le cinéma en mai, même si l’anti-cinéma est un règne.

 

 

Il existe des films qui ont la grande inspiration de donner à respirer comme jamais. Le cinéma est un monde qu'il faut incessamment déconfiner et c'est bien ce à quoi Jacques Rozier aura travaillé avec un sens inné de la fantaisie, qui est celui d'une liberté hasardée comme une école buissonnière pour Robinson d'occasion et amateurs des arts flibustiers. Car il n'y a d'aventure que dans l'errance et l'improvisation dont la visée est une gaîté émancipée de toute prévision.

 

  • No Home Movie de Chantal Akerman : Le vent de la nuit - en plein jour

 

No Home Movie : on serait en droit d'approfondir l'intrigante ambivalence du titre, selon qu'il donne à entendre tantôt No Home Movie (autrement dit, et sur un mode magrittien, Ceci n'est pas un film de famille), tantôt No Home Movie (c'est-à-dire un film de ceux qui le font ou y sont en n'ayant pas de maison).

 

 

Le léger doit posséder suffisamment de densité pour éviter les alourdissements fautifs de la gravité. Guillaume Brac en expérimente les boitements avec le documentaire qui enthousiasme (L'Île au trésor) quand la fiction en joue autrement et plus balourdement les gammes (Contes de juillet). Lui qui est favorablement disposé au léger devrait en densifier les puissances plutôt qu'en plomber les élans vitaux par volonté de sérieux. C'est aussi cela respirer qui est l'apprentissage de toute existence quand elle ne cède pas sur son enfance.

 

  • Francisca de Manoel de Oliveira : Amis de perdition

 

Dans Francisca de Manoel de Oliveira, les plans ont valeur de déposition et la frontalité théâtralise la rencontre du tribunal du jugement avec la médecine de civilisation.

 

  • Malheur aux receleurs de désert (la trilogie européenne de Lars von Trier)

 

La jeunesse a des abondances liminaires mesurées à de grands crimes nébuleux. Le plus sûr d'entre eux appartient au petit démiurge lui-même qui, confiant dans la vaine sophistication de ses potacheries, a le savoir de receler en son sein un désert. Contre ses irresponsables propagateurs, lui au moins assume sa passion pour l'apocalypse.