Peut-être William Friedkin a-t-il pris son patronyme un peu trop au sérieux : le proche (kin) y a souvent pris chez lui la forme du frit (fried).
Ses meilleurs films sont en effet ceux où il plonge la volaille du quotidien américain dans l'huile de friture des genres poussés avec l'aiguille du potard dans le rouge.
La fricassée des fictions
Peut-être William Friedkin a-t-il pris son patronyme un peu trop au sérieux : le proche (kin) y a souvent pris chez lui la forme du frit (fried). Ses meilleurs films sont en effet ceux où il plonge la volaille du quotidien américain dans l'huile de friture des genres poussés avec l'aiguille du potard dans le rouge.
Quotidien de policiers new-yorkais, tantôt grillés par la lutte contre le trafic d'héroïne (French Connection, 1971), tantôt plongés dans l'huile bouillante du milieu gay sadomasochiste (Cruising – La Chasse, 1980). Quotidien d'agents des services secrets cuits par les excès et l'illégalité suscités par la traque d'un faux-monnayeur (To Live and Die in L.A. – Police fédérale Los Angeles, 1985). Quotidien d'une fille embrochée et rôtie par le démon scabreux de l'adolescence (L'Exorciste, 1973). Quotidien des scènes domestiques saturées par la mauvaise huile des psychoses paranoïaques et des névroses familiales (Bug et Killer Joe, 2006 et 2011, d'après des pièces de Tracy Letts).
Concernant Killer Joe, on se souvient en particulier d'une scène de fellation forcée avec un pilon de poulet dont l'obscénité carbonise tout jugement de goût. William Friedkin lui-même s'y est plus d'une fois brûlé, par exemple en réalisant avec Sorcerer – Le Convoi de la peur (1977) un remake du Salaire de la peur (1953) d'Henri-Georges Clouzot où, comme le Werner Herzog de Fitzcarraldo (1982), le réel des conditions extrêmes du tournage est censé fournir l'huile nécessaire à la fricassée des fictions.
Jouer la scène moins comme un morceau de bravoure que comme un morceau de barbaque frite à l'huile de vidange du genre. Souvent, le cuistot en chef du Nouvel Hollywood s'est viandé et l'abrasif a donné des ratas dispensables mais quelquefois curieux.
Rituels sorcellaires
William Friedkin a toujours avoué qu'il n'aurait jamais dû tourner The Guardian – La Nurse (1990). Le film qui relève du genre de la folk horror est en effet souvent lamentable, enfourné avec une vitesse telle qu'elle trahirait un seul et unique désir consistant à en finir au plus vite avec la commande opportune d'un ami producteur. Pourtant, cette histoire de nurse qui s'occupe des enfants de couples bourgeois pour les sacrifier aux dieux des forêts selon des rituels sorcellaires d'un ancestral paganisme possède deux qualités tout à fait réelles.
La première repose justement sur la vitesse, notamment des séquences d'horreur qui impressionnent la rétine par la célérité dans l'exécution, inhabituelle dans ce type de production. Les raccords sont plus forts que les images qu'ils ajointent ; ce sont eux qui font advenir, avec l'horreur, la soudaineté de ses apparitions et disparitions. Autre chose : si la nurse est une sorcière qu'il est impératif d'expulser du bonheur domestique des citadins, elle incarne également un reste d'archaïsme dont une mère doit apprendre à se détacher afin d'apprécier la dimension symbolique du fait de donner la vie et d'élever des enfants.
La brutalité faite à la sorcière est une violence faite aussi à la nature ; et, dans la foulée, elle s'exerce encore à l'encontre de la doxa répétant que procréation et maternité sont des opérations strictement biologiques.
Le dernier exorcisme
Si William Friedkin n'a pas réussi à répéter avec La Nurse l'immense succès planétaire de L'Exorciste, il n'y arrive pas davantage, c'est le moins que l'on puisse dire, avec The Devil and Father Amorth, un documentaire produit pour Netflix, son dernier avant que l'on découvre qu'il venait de réaliser un ultime film de fiction, une nouvelle adaptation d'Ouragan sur le Caine, The Caine Mutiny Court-Martial (2023), pour la prochaine Mostra.
Le retour aux sources documentaires, qui caractérise les débuts de William Friedkin, rappelle qu'est loin, très loin, le temps où The People vs. Paul Crump (1962) pouvait aider à sauver la tête d'un condamné à mort de la friteuse de la chaise électrique. Le contrechamp pour de vrai aux scènes du film-culte s'abîme dans des trucs télévisuels du pire effet et la présence du réalisateur en histrion de sa propre carrière est franchement risible.
Une fois que l'on met de côté un enrobage publicitaire qui tient de la croûte panée, il y a la grande séquence tant attendue à force d'avoir été survendue, celle de l'exorcisme pratiqué par le spécialiste vaticanais de la question, le père Amorth, depuis décédé. On y voit deux choses : chacun dans l’assistance tient son rôle et le curé a une bonhomie qui ourle le sérieux du rituel d'un supplément démonique de facétie. Surtout, on y entend la même voix, dédoublée, que celle du démon Pazuzu dans L'Exorciste, qui appartenait à Mercedes McCambridge, l'inoubliable Emma Small, furie de Johnny Guitare, grillée depuis par l'abus de cigarette.
Le soupçon d'un trucage en postproduction est impossible à faire lever. Que dire alors ? D'abord que le réel est en lui-même un démon quand le documentaire en vient à parodier ainsi le cinéma de fiction. Ensuite qu'il reste toujours un exorcisme à faire, celui de William Friedkin lui-même, obsédé par le succès qu'il est impuissant à répéter. On ne nous avait pourtant pas prévenus pour rien de ne jamais réutiliser la même huile de friture.
18 mai 2021 - 8 août 2023