Les Nouveaux chiens de garde (2011) de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat

Aletheia et Franz Biberkopf

 

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Texte tiré de : http://www.alternativelibertaire.org/?Cinema-Les-nouveaux-chiens-de


Une fable enchantée domine l'esprit des actrices et acteurs du monde médiatique : depuis la fin de la mainmise que l’État gaullien a exercée sur la radio et la télévision françaises, régnerait une indépendance inégalée assurant au journalisme la pleine liberté d'informer en toute objectivité. Le refoulé de la fable qui la rend intenable consiste à rappeler que le pouvoir d'inféodation exercé hier par l’État a depuis les années 1980 été progressivement remplacé par un autre pouvoir, moins frontal et unifié, plus diffus et disséminé : celui du capital. C'est tout l'intérêt didactique de l'exercice de démontage proposé par les journalistes Gilles Balbastre (Monde diplomatique, PLPL et Le Plan B), Yannick Kergoat et le collectif ACRIMED, visant à rendre dans toute sa lisibilité critique les multiples rapports d'interdépendance (qui sont de dépendance) subis par le champ journalistique aux ordres des grands groupes industriels et financiers. L'opération de décryptage s'appuie sur l'actualisation de l'ouvrage éponyme rédigé en 1997 par le journaliste Serge Halimi pour la collection Raisons d'agir initiée avec Sur la télévision de Pierre Bourdieu. C'est ce qui autorise aussi la solide argumentation développée par les auteurs à se présenter comme un hommage au texte de Paul Nizan de 1932, Les Chiens de garde, qui avait déjà inspiré Serge Halimi, et dont l'actualité s'impose toujours à nous. Certes, le style incisif de l'écrivain a laissé place à un habillage télévisuel un peu « clipesque » au nom de l'efficacité mais au risque de la roublardise. Heureusement, le propos demeure presque inchangé : la fabrique (hier littéraire et aujourd'hui médiatique) de l'opinion publique n'a pas d'autres intérêts à défendre que celui des propriétaires des moyens de production de l'information.

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Le recours automatique au fait divers joue par exemple sa pleine fonction idéologique de « faire diversion » (Pierre Bourdieu), pendant que la pratique du « ménage » (les journalistes animant des journées patronales) renforce les liens plus qu'étroits rassemblant les actrices et acteurs du monde journalistique, économique et politique. Est aussi passé au crible tout un vocabulaire (une « novlangue » dirait notre camarade Alain Bihr) voulant légitimer l'idéologie néolibérale, et au sein duquel domine le terme de réforme arraché de son contexte initial (la conquête ouvrière avalisée par le parlement) pour signifier aujourd'hui son contraire (soit le démantèlement méthodique des conquis sociaux). Le modèle anglais et le thème de l'insécurité accompagnent systématiquement la promotion d'une idéologie qui valorise la liberté individuelle en l'indexant sur la promotion brutale de l’État pénal. A l'instar de celui mis en place à la suite de Margaret Thatcher par Tony Blair, et dont l'une des conséquence sociale est que l'espérance de vie des individus les plus pauvres de Glasgow en Écosse est inférieure à celle de certaines régions de l'Inde. Enfin, le pluralisme tant vanté par le monde journalistique doit se comprendre sous la forme d'une multiplication des titres et des supports manifestent le régime hyper-concurrentiel et la tendance à la concentration propres à la dynamique habituelle du capital. Il faut également ne jamais oublier la pluralité des positions occupées par le groupe d'experts auto-désignés qui multiplient aussi sans jamais le dire les jetons de présence dans les conseils d'administration de banques, assurances, sociétés financières. Journalistes et présentateurs, économistes et politologues, essayistes et éditorialistes, politicien-ne-s : c'est un petit monde qui partage des propriétés sociales communes au point de pratiquer l'homogamie et qui se retrouve tous les derniers mercredi du mois dans les dîners du Cercle. L'immonde est que ce monde est soudé par une même haine contre les classes populaires qui assurent pourtant leurs revenus en consommant les produits médiatiques qui les stigmatisent.

Si les auteurs plaident pour le refus de la relégation à l'arrière plan de la question des médias, c'est qu'ils considèrent à juste titre que leur réappropriation médiatique relève de le plus grande nécessité politique. Le seuil devant lequel s'arrête le militant Les Nouveaux chiens de garde peut aussi être, du point de vue du spectateur voulant passer du constat à l'action, celui en regard duquel s'ouvre l'espace plus général d'une décision. Celle de la socialisation des moyens de production, de l'information comme de tout ce qui concerne la vie (pas que matérielle, également symbolique) des peuples.

 

Jeudi 19 janvier 2012


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