Histoires du propre et de l'impropre

Le Jardin des Finzi-Contini (1970) de Vittorio De Sica

Monsieur Klein (1976) de Joseph Losey

Le Jardin des Finzi-Contini (1970) de Vittorio De Sica d'après le roman éponyme de Giorgio Bassani. Monsieur Klein (1976) de Joseph Losey d'après un scénario de Franco Solinas. Le premier film est disponible en replay sur Arte, le second ressort en salles avec Les Acacias.

 

 

 

On peut apprécier de concert les deux films en les considérant dans la perspective d'un champ-contrechamp critique, autrement dit dialectiquement : concernant le sort des juifs à l'époque du fascisme et du nazisme, Monsieur Klein oppose effectivement un démenti catégorique au Jardin des Finzi-Contini.

 

 


 

Propriété et impropriété

 

 

 

Adaptant Giorgio Bassani, Vittorio De Sica représente le cinéma des propriétaires qui s'empare de l'Histoire, parfois avec une véhémente sentimentalité, l'écrivant et la réécrivant parce que ses élans sont souvent ceux, traumatiques, de l'expropriation. L'Histoire exproprie du paradis de la propriété les propriétaires, juifs compris. Pour le représentant du cinéma des propriétaires, voilà l'enfer.

 

 

 

Giorgio rêvant d'intégrer le monde des Finzi-Contini, cette vieille famille d'aristocrates juifs, est notre double à l'écran, le passeur supposément innocent d'une certaine idée de l'intégration dans la propriété au moment où, inspirés par les nazis, les fascistes sont justement en train de la réécrire.

 

 

 

L'impropriété avait pourtant naguère d'autres histoires à raconter, par exemple celle des voleurs de bicyclette dont ne voulait rien entendre alors le PCI qui, aux prolétaires qui en volaient d'autres, s'offrait en bien à ceux-là qui n'avaient rien. Mais, en 1970, le néoréalisme est passé de mode.

 

 

 

Le propre du cinéma des propriétaires expropriés par l'Histoire est de n'avoir d'yeux que pour la propriété, et d'angoisse que pour sa perte. C'est pour cela qu'il s'aveugle sur ses propres obscénités en versant comme ici du sirop sur une prière dédiée en hébreu aux victimes des camps de la mort.

 

 

 

Giorgio Bassani a haï le film de Vittorio De Sica, son jardin trahi par l'auteur du Voleur de bicyclette.

 

 

 

Identité et impropriété

 

 

 

Joseph Losey fait voir, lui, autre chose quand il pose que l'identité est une propriété qui peut être vidée de tout contenu substantiel, ouvrant sur une impropriété radicale qu'il faut assumer. La star Alain Delon a beau en effet se démener en incarnant le bourgeois qui tient coûte que coûte à son identité de bourgeois racialement pur mais rien n'y fait. Klein n'est toutefois pas qu'un double kafkaïen du Kaplan hitchcockien. Le mal qui a été fait aux juifs concerne l'espèce humaine, il afflige l'humanité de l'inhumanité dont elle est capable à l'égard de l'autre qui est nous-mêmes.

 

 

 

Le vedettariat ne protège de rien, l'immunité de l'aura inopérante désormais. Mieux, Monsieur Klein en accepte son destin comme un acte éthique, une décision comme chez Brecht. Pourquoi ? Parce que le train à destination des camps de la mort, en embarquant certains, y a virtuellement embarqué tout le monde, sans exception. Le réactionnaire Delon est au fond un juif comme tout le monde.

 

 

 

« Nous sommes tous des juifs allemands » : Joseph Losey aura ainsi su tirer jusqu'au bout toutes les conséquences du slogan de Mai 68. S'il y a morale, c'est en étant la plus radicale.

 

 

 

 9 juillet 2022


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