L'exception et faire sécession

Knock at the Cabin (2023) de M. Night Shyamalan

La Montagne (2022) de Thomas Salvador


D'abord il y a eu l'exception qui confirme la règle. Ensuite il y a eu l'état d'exception qui est devenue la règle. Maintenant il y a la règle (non pas celle selon laquelle, tous, nous serions des singularités, et autant des exceptions, mais la règle des exceptions exclusives, les meilleurs d'entre nous méritant la reconnaissance sans ressentiment des moins bons que nous serions) et l'exception (qui consiste à faire sécession de cette règle qui reconduit aux vieilles hiérarchies).

 

 

 

Aux États-Unis comme en France qui ne s'ennuie jamais de s'en inspirer, le cinéma contemporain voudrait divertir très sérieusement. Ses auteurs qui en théorisent les enjeux (M. Night Shyamalan) ou bien en hybrident les genres (Thomas Salvador) signent leurs films en se signalant comme les exceptions dont nous, qui n'en sommes pas, avons tant besoin. La fin du monde exige tantôt de ses meilleurs de consentir aux archaïsmes nécessaires du sacrifice (Knock at the Cabin), tantôt d'assumer en solitaire et sur les hauteurs la lueur dont ils sont exceptionnellement les porteurs et propagateurs.

 

 

 

Un cinéma dont la règle est à l'élection des meilleurs, méritocratique et aristocratique.

 

 

 

Les films qui en soutiennent sans honte le postulat ont au moins le mérite d'en avérer, à l'époque des paniques morales et environnementales, le caractère régressif, d'un côté avec l'eschatologie survivaliste, de l'autre avec les puérilités anal-ytiques du soi. Faire sécession au diktat aristocratique d'un didactisme de l'exception exclusive est une question de persévérance, à la fois critique et politique.

 

 

7 février 2022

Knock at the Cabin (2023) de M. Night Shyamalan

Ça craint et tout le tremblement

Toc ! Toc ! Qui est là ? Un toc pour le Home invasion et ses visions apocalyptiques, un autre pour la fin du monde invitant à n'en pas douter au sacrifice des meilleurs d’entre nous.

 

L'amuseur qui théorise en portant la casquette de l'entertainer est le roi nu d'un ciné-évangélisme. Ses twists ne trompent plus personne quand les incrédules virent en mécréants.

Si Knock at the Cabin est un film sur le sacrifice, il sacrifie surtout ses artifices sur l'autel du conservatisme et quelques-uns de ses tropismes. Deux papas et c'est la fin du monde ; un papa restant et le monde est sauvé, ce qu’il fallait démontrer. D'où l'hystérie des dénégations du côté des quatre cavaliers de l'apocalypse (non, nous ne sommes pas homophobes, juré). M. Night Shyamalan est un puritain de l'extrême. Dans Phénomènes (2008), on s'en souvient, c’est encore hilarant, manger du tiramisu avec un ami équivalait pour une femme à tromper son mari. Comme le dit Mark Wahlberg dans un film dont il a dit qu’il n’y avait rien compris : « What ? No ! »

 

 

 

Le film de Shyamalan, c'est comme une expérience à la Milgram mais sa refonte pèse mille tonnes. On y joue, pour citadins pressés de se ressourcer à la campagne, une pièce qui sent le renfermé, Le Choix de Sophie de William Styron qui rejoue Crainte et tremblement de Kierkegaard, mais au prix d'un double contre-sens, qui est lourd de sens. Le choix vrai c'est le choix du choix, jamais celui de l'option forcée. Le bond dans la confiance consiste à décider en risquant l'indécidable, et non pas céder aux forçats de la conviction armée. Isaac est sauvé, pas papa Andrew. Knock at the Cabin est plus réactionnaire que le credo vétérotestamentaire et citer Tarkovski n'y change rien, au contraire.

 

 

 

La maison brûle et nous regardons ailleurs, une autre pièce dans le viseur : La Décision de Brecht.

 

 

 

 

 

Jéhovah dans le Kinder Surprise

 

 

 

 

 

The Box (2009) de Richard Kelly et Funny Games US (2007) de Michael Haneke sont dans une coquille de noix et elle ressemble à quoi ? Un Kinder Surprise avec un numéro de Tour de garde à l'intérieur. La fin du monde est celle d'un cinéma qui l'a dans l’œuf en virant ainsi ciné-évangélisme. La revisite du Home invasion aura au moins eu le mérite de démontrer que le survivalisme est la resucée panique du vieux millénarisme. Une série comme The Leftovers (2014-2017) s'acharnait à désœuvrer la passion apocalyptique ; ici le twist ne veut rien que lui redonner un tour de piste. D’ailleurs, confronter le film avec le roman de Paul Tremblay dont il est l’adaptation vérifie au moins ceci : le choix forcé du sacrifice est évité et la fin du monde est affrontée, indécidable.

 

 

 

Le postmoderne à son stade critique décale ainsi la question de la croyance en la faisant reculer d'un cran. Hier, il fallait sauver la croyance du discrédit ; aujourd'hui il s'agit au temps de la mécréance de réarmer la crédulité. D'une cabane l'autre : Cabin in the Woods de Drew Goddard était un tout-en-un de l'horreur (tous les films en un seul film les résumant tous) ; Knock the Cabin est un tout-à-l’égout de l'erreur (tous mènent à confondre bêtement Abraham et saint Jean). Le caméo de l'auteur y vaut aveu et il est croustillant : la friteuse sans huile dont il fait la réclame à la TV c'est toujours cholestérol et compagnie. Le poulet pané est l'aliment adapté aux paniques eschatologiques.

 

 

 

 

 

Pensée straight et église de chiantalogie

 

 

 

 

 

M. Night Shyamalan en cabane sort en fait du placard : Knock se fait passer pour un pharmacien comme dans la pièce de Jules Romain, mais il roule en réalité pour l'église de chiantologie. Ses twists ne trompent plus personne quand, pour Trump comme pour lui, les incrédules sont des mécréants à remettre dans le droit chemin. La pensée straight est l'orthopédie des pédés.

 

 

 

(attation, une fois le film fini – et son auteur aussi – , des vendeurs de bibles guettent les impies à la sortie)

 

 

2 février 2023

La Montagne (2022) de Thomas Salvador

Le Grand Blanc

Pierre est malheureux comme les pierres (premier indice). Il est après tout représentant de commerce en robotique (deuxième indice). Un passage alpin lui fait de l'œil, il acquiesce. C’est décidé, Pierre fera crier la roche.

 

Le temps est venu, du Grand Blanc après le Grand Bleu. Mais de hors-champ il n'y aura point ; à la place de l'appel d'air du dehors, les banalités de l'extraordinaire à coups de piolet pour qui saura se destiner à la dignité exclusive des sommets.

Fort d'albédo

 

 

 

 

 

L'appel des hauteurs est un chant des profondeurs et Pierre y va en sachant qu'il y gagnera facilement. Le frère qui voudrait le ramener à la raison est moche et bête, l'autre frère qui le comprend est jeune et beau. Quant à la femme qui l'attend en bas, elle est toujours prête pour les courses et le reste. Le blanc voudrait ainsi épurer la fable verte sur la fonte des glaciers mais elle exerce un effet d'albédo dévastateur surexposant l'attirail des puérilités (super-pouvoirs et créatures merveilleuses) pour en révéler la dimension régressive et l'analité (les étrons ont beau fluorescer, ils invitent à investir fentes et cavités pour en ressortir avec le bras luisant). Pierre le sait d'autant plus qu'il est interprété par le réalisateur qui a la fâcheuse tendance de faire de son documentaire montagnard la toile de fond d'une super-narration de soi. Et ce soi n'a pas tellement changé depuis l'avènement de son règne avec les années 80, individualisme postmoderne et (sex)toys clignotants.

 

 

 

Thomas Salvador y va bille en tête : après une poignée de courts-métrages et Vincent n'a pas d'écailles (2014), La Montagne maintient le cap. L'auteur-acteur-réalisateur persévère dans sa posture favorite : l'exception mine de rien, le surhomme dans la défroque de monsieur-tout-le-monde. On pourra toujours mobiliser les noms de Werner Herzog, Jean-François Stévenin et Luc Moullet, voire le méconnu La Sanction de Clint Eastwood pour rester chez les montagnards. Ce qui s'effondre tout là-haut, c'est une personnalité narcissique qui aurait la perversité de la jouer profil bas en ayant la tête dans les nuages, faisant passer le pour du minimalisme à son summum. Thomas Salvador a, il est vrai, deux ou trois trucs pour lui (des tics d'oiseau et un léger strabisme). Mais il faut plus que loucher pour rendre consistant le hors-champ auquel se substitue l'enfer blanc d'antiques clichés réactionnaires hérités du genre allemand du « Berg-Film ». Pour se soigner du mal des montagnes, on reverra avec bonheur L'Âme sœur de Fredi M. Mürer et, mieux encore, La Lumière bleue (1932) de Leni Riefenstahl, génie teutonne du genre montagnard.

 

 

 

Pierre fait crier la roche, il la pénètre en en devenant le ver luisant (l’effet spécial 3D est pas mal, on l’avoue sans mal) et quand il redescend, c'est en nouveau Lucifer, le porteur d'une lumière éclairant les pauvres habitants d'en bas auxquels nous ressemblons tant, nous qui levons les yeux au cinéma.

 

 

 

 

 

Lucifer et son jumeau obscur

 

 

 

 

 

Un ami l'a souligné : Salvador nomme le réalisateur qui aurait pris son nom trop au sérieux (le sauveur), notamment en voulant l'apparier à celui de Spielberg (qui pourrait signifier la montagne du jeu). On ajoutera qu'il n'a peut-être pas suffisamment prêté attention à son prénom qui provient de l'araméen signifiant jumeau. Car Thomas Salvador est le double de lui-même, son jumeau obscur, la doublure de l’oiseau rare auquel il aspire mais la montagne est inaccessible dont le col relierait la candeur des grands burlesques qui prenaient des risques aux metteurs en scène du self. Le Grand Blanc répond au Grand Bleu mais nomme aussi le squale de l'auteur de E.T. dont Serge Daney avait justement indiqué qu'il y allait d'un étron dont le bout toujours luit pour le nourrisson.

 

 

 

Pierre (c'est son prénom, il fallait oser) roule donc son spectateur en pénétrant la roche mais il faut avouer qu'il n'amasse pas mousse. C'est fou comment, sous couvert de cinéma d'auteur (silences, plans fixes, séquences para-documentaires, minimum psychologique), le film nous rappelle au double souvenir des étrons luisants de Steven Spielberg et des abysses absconses de Luc Besson, véritables Dioscures des années 80. Il est ahurissant de voir que La Montagne conte l'histoire d'un homme qui enfonce un bras dans la nature comme il se glisserait un doigt dans le fondement, en y trouvant là un moyen sûr d'apporter aux Hommes la lumière qu'il leur ferait défaut évidemment.

 

 

 

En attendant le retour messianique du super-chéri, une femme en bas l'attend. Pénélope mollement défendue par Louise Bourgoin persévère dans son être parce qu'être une femme libérée, tu sais, c'est pas si facile. Cookie Dingler, plagieur d'Iggy Pop, ce sont aussi les années 80. Nous qui nous identifions enfant à Tintin lors de ses aventures au Tibet, on aura fini par ressembler à Tchang.

 

 

 

4 février 2023


Commentaires: 0