Des nouvelles du front cinématographique (4) : le "Nouvel Hollywood"

fragments d'analyse économique

Reposant sur la génération de cinéastes qui ont rué dans les brancards du vieil Hollywood de la fin des années 60 à la fin des années 70, l'intervention du critique Jean-Baptiste Thoret, mieux inspiré quand il parle de cinéma que quand il rédige ses consensuels billets d'humeur dans Charlie-Hebdo, Bakchich.info et Rue 89, concernera donc ce que l'on appelle aujourd'hui à la suite du journaliste Peter Biskind le "Nouvel Hollywood". Il se trouve que les analyses concernant cette "parenthèse enchantée" du cinéma hollywoodien, si elles sont nombreuses et de bonne qualité, demeurent faibles concernant le versant économique qui a objectivement déterminé son existence. Sans sombrer dans l'économisme le plus restreint, il est bon malgré tout de rappeler quels ont été les facteurs (macro)économiques ayant autorisé l'émergence d'une telle inflexion cinématographique à l'intérieur d'une sphère industrielle, peu prompte à pareille originalité politique comme artistique.


En général, l’exégèse cinématographique repose essentiellement sur l’analyse de facteurs endogènes : l’analyse esthétique de films domine le champ. Beaucoup plus rarement pouvons nous disposer d’études qui prennent en compte les éléments exogènes qui déterminent la production des films. Analyse du champ cinématographique lui-même, avec ses déclinaisons historiques et géographiques, des règles qui le régissent, et des acteurs qui luttent symboliquement pour dominer et orienter les manières de faire et de penser propres au champ. Pareillement, si la considération d’éléments historiques est en généralement admise pour mieux apprécier les conditions objectives de production des films comme les déterminations relatives à leur contenu fictionnel, l’analyse macro-économique n’est que peu mobilisée pour comprendre les pressions et transformations induites par la dynamique historique du capitalisme afin de perpétuer ses logiques de rentabilité, concernant le champ du cinéma ou toute autre industrie.

 

Prenons l’exemple hollywoodien, et attardons-nous sur l’émergence de ce que l’on a pour convention l’habitude d’appeler le « Nouvel Hollywood », à savoir ces films qui, entre 1967 et 1980 ont contesté de l’intérieur les normes représentatives et diégétiques promues jusqu’alors par l’industrie étasunienne du film. Si nous voulons comprendre plus en profondeur les révolutions qui ont déterminé l’avènement des films d’une génération qui a désiré refonder Hollywood sur des bases davantage politisées et avec une conscience artistique plus affirmée, il ne faut pas mésestimer ni faire l’économie des facteurs précisément économiques (ce que Marx appelait «l’infrastructure ») qui ont rendu pareil avènement possible.

 

1/ La saturation du modèle industriel fordiste : la rentabilité hollywoodienne rognée

 Sur un plan général, le modèle fordiste promu par les États-Unis et étendu à l’ensemble du monde occidental après le seconde guerre mondiale, via le plan Marshall (c’est d’ailleurs ce plan qui a permis la diffusion massive de films étasuniens en Europe, et notamment en France), privilégie dans le domaine industriel les grandes concentrations ouvrières, et préfère soutenir la demande  plutôt que l’offre, c’est-à-dire les demandes de consommation. Ainsi, sur la double base de grand pôles dominés par des industries spécifiques (l’automobile à Chicago, le cinéma à Los Angeles, etc.) dans lesquelles règne une division accentuée du procès de production, et d’élargissement des marchés incluant désormais le monde du travail considéré comme lieu paradigmatique d’écoulement des marchandises que celui-ci produit, le compromis fordiste explique tant l’investissement public massif (du côté des nationalisations comme de celui des allocations revenant aux ménages), que l’extension et la différenciation continues du salariat accompagnées par une progression du salaire nominal indexé sur l’augmentation des prix. Ce progrès économique, identifié (et souvent seulement réduit) à ce que Jean Baudrillard a un jour nommé « la société de consommation », a au bout d’une trentaine d’années d’exercice connu ses limites systémiques. Limites classiques en régime capitaliste qui est mu par une tendance intrinsèque à la suraccumulation afin de maintenir les taux de profit. Jusqu’à ce que la saturation du système entraîne une spirale déflationniste (la baisse des prix qui affecte la rentabilité du capital voit s’enchaîner à sa suite et de manière cumulative destructions de postes de travail, chômage de masse, et affaiblissement de la demande), elle-même induisant la remise en cause de l’ancien modèle organisationnel.

 

C’est une grave crise économique qui s’est ainsi amorcée à l’orée des années 60 pour les grands studios hollywoodiens qui subissent une récession économique s’expliquant d’abord sur le plan macroéconomique par une saturation des marchés entraînant l’équation suivante : toujours plus de films, et toujours plus chers, et de moins en moins de spectateurs permettant à la consommation de rentabiliser la production de films. Cette baisse continue du nombre de spectateurs est ensuite déterminée sur un plan davantage microéconomique par le boom télévisuel : parce que la consommation induit une production toujours plus accentuée de biens domestiques et ménagers, incluant la télévision, les ménages pour lesquels cette partie de l’économie des marchandises a leur préférence contribuent à l’affaiblissement considérable et durable du nombre d’entrées par spectateur. Mais déjà la loi anti-trust de 1948, initiée au nom des dommages causés par les grands monopoles industriels à l’époque précédant le New Deal rooseveltien et en faveur de la protection de la concurrence, cassait les chaînes monopolistes qui liaient ensemble la production et la distribution en passant par l’exploitation en salles. Parce que la part allouée au capital constant (les machines) est énorme dans toute économie industrielle, et parce que la part relative au capital variable (ces facteurs de production incluant le travail) n’a pas cessé de croître (notamment en valeur salariale), ce sont en conséquence les taux de profit qui n’ont pas arrêté de baisser, s’agissant du cinéma, de l’industrie automobile, comme de toute autre industrie.

 

Dès les années 50, les grands studios, victimes de la concurrence télévisuelle, des débuts de la saturation des marchés de consommation des films, et d’une politique anti-monopoliste, perdent beaucoup d’argent. La seule question qui les intéresse n’est pas de produire de l’art (n’oublions jamais comment les studios ont malmené les artistes autoproclamés, Erich Von Stroheim et Orson Welles dont ils se sont toujours méfiés parce que peu rentable puisqu’il s’agit de s’adresser non pas à des sujets mais une masse à rassasier en divertissement), mais : comment rattraper leur mise et se remettre financièrement à flot. C’est une double recherche des bas coûts et de nouveaux marchés qui a d’abord permis d’initier la décentralisation des tournages en direction de l’Europe, et notamment de l’Italie à partir des années 50. On peut aisément imaginer que cette décentralisation en direction de l’Europe a eu pour effets de mettre en contact les équipes de cinéma issues de Hollywood avec l’influence culturelle déterminante du néoréalisme en Italie qui commençait à l’époque à largement dépasser ses frontières nationales (ce dont témoigne la Nouvelle Vague en France), et dont la promotion des coûts de production allégés allait faire son chemin.

2/ Un espace ouvert au cœur de l'industrie hollywoodienne pour le cinéma d'auteur

C’est aussi une sévère crise symbolique voyant au sein de Hollywood certains réalisateurs profiter de la crise économique grandissante pour contester l’autorité des producteurs. Les contrats longue durée ne sont de toute façon plus la norme juridique depuis la fin des années 40. C’est une façon pour les studios de se délester d’un coût (le salaire des réalisateurs) afin de redonner un élan à leur taux de profit. Mais cela n’est pas suffisant quand cette part est mesurée à la hauteur des capitaux mobilisés (surtout le capital constant) pour faire tourner la machine cinéma. Du coup, c’est une marge de manœuvre qui est nouvellement donnée aux réalisateurs afin de devenir leurs propres producteurs, et ce faisant de pouvoir mieux contrôler la fabrication de leurs films, du scénario au montage. C’est la double remise en cause des monopoles cinématographiques représentés par les grands studios et de la division du travail au sein de l’industrie hollywoodienne (avec cette promotion d’une nouvelle génération de réalisateurs producteurs) qui ouvre une brèche à ce qui sera appelée une décennie plus tard « Nouvel Hollywood ». Les réalisateurs ne se contentent plus d’être les simples exécutants techniques à la solde des producteurs, mais veulent (pour reprendre la distinction de Jean-Claude Biette) devenir cinéastes, et ainsi affirmer un peu sur le modèle français de la Nouvelle Vague un discours artiste (le sociologue Philippe Mary le qualifie justement d’« auteuriste ») qui les pousse à produire leurs propres films. C’est la génération des précurseurs, les Huston, Wilder, Fuller, Aldrich, Mankiewicz, etc. Parallèlement, en dehors de l’industrie, la crise de l’économie industrielle hollywoodienne entraîne la mise en place de microstructures de productions indépendantes remettant en cause la façon même de faire du cinéma. New York symbolise à l’est du pays cette opposition symbolique et pratique à la domination culturelle que représente la Californie dans l’ordre de la production cinématographique.

 

Les innovations techniques (tel le format scope) et le gigantisme des superproductions produites à partir de la fin des années 50 échouent, contrairement à l’arrivée du son à la fin des années 20 et l’avènement de la couleur à la fin des années 30, à ramener dans les salles de cinéma un public toujours plus captif des réseaux télévisuels alors en expansion. Avec l’extinction, dans le courant des années 60, de la génération qui a permis l’installation du classicisme hollywoodien depuis les années 20, un nouvel espace est donc disponible pour des créateurs qui peuvent investir et rénover Hollywood. Leur goût partagé pour les techniques légères d’enregistrement d’images et de sons (issus du champ télévisuel) comme le refus concomitant des studios accomplissent un renouvellement des formes dans un même mouvement d’allègement des coût de productions qui ne peut qu’être apprécié par les tenants des majors en déficit croissant, même si leur méfiance envers la création artistique ne s’est jamais démentie. Mais si celle-ci entre en conjonction avec la nouvelle sensibilité populaire de l’époque, façonnée par un refus des discriminations sociales, sexistes et raciales, une opposition massive à la guerre du Vietnam, et un désir de rupture avec les modèles productiviste et consumériste alors en vigueur, en permettant aux films d’auteur de renflouer les caisses, alors la méfiance des producteurs peut être suspendue. Pour un temps.

3/ La réorganisation néolibérale des anciens systèmes industriels : financiarisation du capital et luttes de classe, Hollywood compris

 

 

Les marchés sont saturés, les recettes baissent, les studios sont en faillite et ne sont plus en mesure de rechigner devant les audaces des nouveaux cinéastes. A partir de 1971, les majors hollywoodiennes sont absorbées par des conglomérats financiers qui n’ont plus le cinéma comme cœur de cible économique, et qui relancent leur taux de profit par la mise sur le marché mondial à partir des années 70 des films catastrophe et autres blockbusters inscrits dans une démarche marketing incluant jouets et autres produits dérivés. Cette reprise en main « hyper-industrielle » (Bernard Stiegler) en faveur d’une économie qui aura su à la fois reconstituer des logiques monopolistiques, développer de nouveaux segments de marché, et tertiariser l’industrie cinématographique en la plongeant dans les flux des nouvelles technologies de l’information et de la communication – reprise exemplifiée de manière paradigmatique par le succès mondial de Star Wars (1977) de l’ancien gauchiste George Lucas –, met un terme à la parenthèse enchantée qu’aura représenté, de 1967 à 1980, le « Nouvel Hollywood ». Cette absorption est aussi largement déterminée par la situation du dollar à l'époque. La mise en place des accords de Bretton-Woods en 1944 avait institué le système monétaire international pour lequel le dollar devenait la monnaie de référence mondiale des échanges. C’est un système de change or, avec définition de chaque monnaie nationale par rapport à l’or et les parités de change fixe corrélatifs, induisant une logique de paiement fondée sur le dollar qui a seul le pouvoir de se convertir en or et en face duquel les autres monnaies se définissent. Mais au fur et à mesure que se sont reconstituées et modernisées les économies des principaux pays capitalistes, leurs monnaies s’affirmant et leurs comptes s’améliorant ont entraîné une augmentation de leur poids relatif à celui de l’économie étasunienne. Avec pour résultat la montée des avoirs en dollars des partenaires des États-Unis, et conséquemment la chute de leur stock d’or. En août 1971, la décision étasunienne de suspendre la convertibilité du dollar en or provoque une logique de changes flottants qui appelle une dynamique financière de spéculation internationale sur les monnaies nationales, ainsi qu’une dévaluation du dollar (reconduite à nouveau en 1973) afin d’améliorer la compétitivité industrielle des capitalistes étasuniens par rapports à leurs concurrents, le coût de leurs marchandises étant de fait moindre. Fort, le dollar était un moyen de domination. Faible, il facilite la compétition internationale (notons que c’est cette série de dévaluation qui va inquiéter les pays producteurs de pétrole payés en dollars, et qui va les conduire à relever leurs prix lors de la quatrième guerre israélo-arabe en 1973). Et cette facilitation va augurer d’une réorientation monétariste et néolibérale de la politique économique internationale, dans une perspective de spéculation sur les devises et les taux de change amorçant un mouvement plus global de financiarisation (soit de fluidification des mouvements de capitaux à l’échelle mondiale) expliquant l’absorption des anciens studios de cinéma dans les trusts financiers qui se constituent à cette époque-là pour répondre au défi structural en régime capitaliste de la relance des taux de profit.

 

Le plus mémorable est que bon nombres de films produits pendant cette parenthèse enchantée ont su rendre compte, souvent de façon originale et bouleversante, de ces nouvelles inflexions économiques dont les analystes et critiques de cinéma font si souvent l’économie. C’est Wanda (1970) réalisée et interprétée par Barbara Loden qui inscrit les processus sociaux de désaffiliation dont est victime son héroïne éponyme sur fond de crise industrielle (les mines de charbon de Pennsylvanie). Cette crise, déterminée par la nouvelle orientation économique d’alors (et que l’on n’appelait pas encore néolibéralisme) qui préféra substituer aux industries lourdes en coût (s’agissant tant du capital constant que du capital variable, c’est-à-dire le travail protégé par le cordon syndical), va jusqu’à affecter les normes symboliques pour lesquelles l’ethos ouvrier et le modèle patriarcal sont de mise, et en lesquelles ne croit plus l’héroïne. C’est ce diptyque formé par Vanishing Point (1970) de Richard Sarafian et Two-Lane Blacktop (1971) de Monte Hellman qui ne fait pas seulement que pousser à son apogée, via le motif narratif de la course de voitures à travers les Etats-Unis, ce nouveau genre imposé par le « Nouvel Hollywood » (et Easy Rider en 1969 de Dennis Hopper et Peter Fonda), à savoir le road movie. Tantôt, s’agissant du film de Sarafian, la ligne esthétique privilégiée est celle de la dépense improductive et du potlatch qui est l’expression structurale de la tendance nihiliste propre à l’économie capitaliste dont les plus horribles incarnations sont la destruction de richesses à l’échelle industrielle entraînant le chômage de masse d’alors comme la guerre du Vietnam, véritable trou noir à l’intérieur duquel des milliards de dollars ont été échangés contre des millions de vies humaines. Tantôt, concernant le film de Monte Hellman, la logique de la saturation des marchés et de la baisse corrélative des prix ne mène pas à l’autodestruction mais une esthétique de l’épuisement pour laquelle les motifs dramaturgiques et psychologiques s’abolissent dans un final qui, montrant la pellicule s’enflammer, désigne pareillement la pente nihiliste propre au capitalisme. Embrasement paroxystique dans Vanishing Point (mais aussi dans Zabriskie Point réalisé la même année par Michelangelo Antonioni – notons l’homologie des titres désignant, comme dans Point Blank de John Boorman en 1967, un même point final) ou étiolement de Two-Lane Blacktop (mais également dans Wanda) : dans tous les cas, c’est la tendance entropique capitalistique qui est saisie, selon un axe inflationniste ou bien selon celui d’une déflation caractéristique.

 

 

Enfin, l’immense Heaven’s Gate (1980) de Michael Cimino ne représente pas seulement le point final du « Nouvel Hollywood » dont la valeur historique est qu’il a causé la ruine de la United Artists (créée en 1919 par les grands noms hollywoodiens d’alors, D. W. Griffith, Charles Chaplin, Douglas Fairbanks et Mary Pickford, cette société de production a été rachetée après le fiasco financier du film de Cimino par la MGM, et dont la direction est assurée depuis 2006 en partie par l’acteur Tom Cruise). Paradigmatique demeure ce film au sens où il montre comment Hollywood, engagé dans de nouveaux processus économiques au nom desquels le capital financier a subordonné à ses logiques de rentabilité le capital industriel, n’est que la manifestation, dans le domaine du cinéma, d’une relance des taux de profit qui, du point de vue du capital, s’est joué contre le camp du travail. La lutte de classes que montre Heaven’s Gate s’est traduite par l’expropriation violente de milliers de petits exploitants agricoles ayant récemment migré d’Europe centrale. Impulsée entre 1889 et 1892 dans le Wyoming, cette brutale appropriation a été perpétrée par de grands propriétaires terriens qui souhaitaient ainsi user des terres existantes non pas dans la perspective de les cultiver mais comme supports fonciers afin d’y établir des fabriques capables de concurrencer le pôle industriel qui commence à se développer dans l’est étasunien. Ce passage en force d’une forme de capitalisme à une autre, et qui entraîne une violente dynamique de prolétarisation, répond très précisément à la transition hyper-industrielle alors acceptée par Hollywood, et pour laquelle la reprise en main de la production des films au nom de nouveaux impératifs financiers a valu comme expropriation symbolique des réalisateurs qui avaient pu disposer d’un espace original de création à la fin des années 60. Mais également, le film de Cimino annonce les luttes de classes à venir, notamment dans le monde anglo-saxon où les dirigeants néolibéraux, Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher en Angleterre, vont imposer une financiarisation de leur économie nationale respective au nom de laquelle le projet idéologique de liquidation des anciennes concentrations industrielles, ouvrières et plus généralement salariales, a induit des combats terribles. La mise à mort du syndicat des contrôleurs aériens en 1981 avec le licenciement à vie de 11.345 agents sur 12.000 qui avaient entamé une grève, et la fermeture de 20 mines anglaises en 1984 entraînant une grève de plus d’un an, rappellent la violence sociale des restructurations des processus de production lorsque la rentabilité capitalistique est en cause. Mais c'est aussi la hausse des taux d’intérêt (jusqu’à 8 %) qui, promue par les courants économistes les plus monétaristes, et activée par la banque fédérale étasunienne (FED) en 1979 (soit à l’époque du tournage du film de Michael Cimino), certes vient à bout de l’inflation en restreignant le crédit et en induisant une politique de blocage des salaires, mais surtout elle profite aux créanciers individuels et institutionnels. L’endettement explose et écrase l’épargne. La hausse des cours boursiers dopés par l’accroissement spectaculaire des titres de créance enclenche un mouvement spéculatif dont une des résultantes a donné la crise des « subprimes » en août 2007, prélude à la plus grande crise que le capitalisme ait connu depuis 1929 (les banques mouillées dans les crédits hypothécaires pourris limitent leur offre de crédit, et ainsi contraignent l’investissement productif dont les entreprises ont besoin pour se maintenir à flot). Cette hausse des taux d’intérêt a été programmée afin de lutter contre l’inflation, c’est-à-dire aussi contre la hausse des salaires alors indexés sur les gains de productivité, de rétablir ainsi les revenus financiers de créanciers, et enfin de faire de l’endettement cumulatif de l’État un argument pour casser la protection sociale assurée en partie par la socialisation du salaire. Cette fracassante entrée dans l’ère de l’endettement généralisé (comme moteur du nouveau régime d’accumulation) et des déficits budgétaires majeurs (dont profitent les créanciers détenteurs des bons du trésor, soit des titres émis par l’Etat afin d’éponger une dette augmentée à la suite du coup de la FED en 1979) va se traduire dans les pays du centre de l’économie-monde capitaliste par un chômage de masse, et dans les pays de la périphérie par une explosion de la dette du Tiers-monde (et particulièrement des pays d’Amérique du sud, comme le Mexique qui se déclare en août 1982 en faillite). Ce qui entraînera un nouveau cycle de luttes de classe dont témoigne lucidement Heaven’s Gate, avec ses émeutes sociales, ses répressions étatiques, le renforcement autoritariste de l’appareil d’État et la reconstitution de mouvements sociaux ou politiques de résistance à l’impérialisme étasunien (c’est la résurgence du zapatisme au Mexique au début des années 1990). Cette violence économique retraduite dans le cadre politique des États-Nations intégrés dans les nouvelles règles du capitalisme mondial, comme dans un cadre international surdéterminé par l’impérialisme étasunien, Heaven’s Gate en aura témoigné deux fois : en tant que fiction, et en tant que film.

 

Vendredi 8 mai 2009


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