Des nouvelles du front cinématographique (111) : Vampire, vous avez dit vampire ? (... et fin)

7/ The Countess (2009) de Julie Delpy : « Ô miroir, mon beau miroir »  

« Ce n’est donc pas "réellement" que l'on peut projeter le réel d'une procédure de vérité dans la symbolique narrative de l’Histoire. Ce n'est qu'imaginairement, ce qui ne veut pas dire, loin de là, que ce soit inutile, négatif, ou sans effet (…) : l'Idée expose une vérité dans une structure de fiction » explique Alain Badiou (in L’Idée du communisme [sous la direction d’Alain Badiou et Slavoj Zizek], éd. Lignes, 2010, pp. 12-13). The Countess, le troisième long métrage de Julie Delpy, vise précisément à la projection imaginaire (sous la forme d’une fiction cinématographique) du réel d’une procédure de vérité (l’amour de la comtesse Erzsébet Bathory pour le comte Istvan Thurzo) dans la symbolisation narrative d’une époque historique (l’aristocratie hongroise au mitan des 16ème et 17ème siècles) résonnant structuralement avec la nôtre. C’est un double principe, historique et philosophique, qui déterminera donc le film de la cinéaste : d’une part, reconnaître dans le miroir d’un temps passé l’actualité de normes et prescriptions déterminant notre présent ; et d’autre part, arracher à une configuration historique localisée le sujet fidèle à l’événement amoureux qui est consacrée, par-delà les âges, et éternellement, dans son caractère immortel.

 

 

Le premier long métrage de Julie Delpy, Looking For Jimmy (2002), se moulait dans une esthétique post-warholienne afin de subordonner le temps réel reconstitué soutenant la narration d’une journée partagée entre amis en quête de l’un des leurs à la durée (24 heures) nécessaire au tournage et au filmage de cette journée. Ce faisant, ce film s’inscrivait dans le cadre économique minimal d’une production indépendante, privilégiant un présent presque à l’état pur dans lequel étaient identifiés le temps narratif et le temps filmique (toutes choses qui seront peu ou prou rejouées avec la trilogie de Richard Linklater, Before Sunrise en 1995, Before Sunset en 2004 et Before Midnight en 2013, dans laquelle Julie Delpy partage l'affiche avec Ethan Hawke). A l’opposé, The Countess repose sur un autre type d’identification imaginaire des temps, non plus concordants mais séparés par des époques historiques distinctes. Revêtant les habits plus austères de la reconstitution historique post-médiévale qui nécessite une logique économique autrement plus fastueuse (coproduction franco-germanique, langue anglaise assurant la vente internationale du film – toutes choses participant d’un projet que d’aucuns, moqueurs, auraient qualifié il y a quelques années d’« euro-pudding »), le nouveau film de Julie Delpy ne pose plus la question du temps qui passe, mais celle du temps qui fuit, non plus la question du présent comme expression d’une prime accordée à la jeunesse (le premier film réalisé par une femme de 33 ans), mais celle du présent comme manifestation d’une vieillesse (la maturité du troisième film réalisé par une femme alors à l’orée de ses 40 ans) dès lors vécue sur le mode de l’inquiétude persistante.

 

 

On trouvera remarquable la mobilité cinématographique de la cinéaste, capable de tourner successivement un petit film entre amis (la comédie romantique Two Days In Paris en 2007 dont la suite tournée en 2012, Two Days in New York, n'est pas bien fameuse) et un gros film aux attendus commerciaux plus affirmés, alternant donc des tournages aux envergures économiques opposées. Comme on devra également – et c’est là un point éminemment important pour ce qui suit – insister sur la position exceptionnelle occupée par une femme qui est à l’initiative d’un projet ambitieux dont elle est tout à la fois la réalisatrice, la scénariste unique, l’actrice principale, ainsi que la compositrice (elle en a écrit la musique). Si Julie Delpy est l’indiscutable auteure de The Countess, c’est qu’il s’agit pour elle de faire œuvre de film d’auteur malgré son inscription dans les rouages d’une grosse machine culturelle européenne, de la même façon que son héroïne, moulée dans les formes sociales, symboliques et esthétiques de son temps, travaille aussi à perpétuer la singularité de son être de l’intérieur même d’une culture qui n’en a que faire.

 

 

Il est donc moins question pour la cinéaste de raconter (pour une énième fois d’ailleurs, tant le mythe aura nourri depuis plusieurs siècles romans, enquêtes, bandes musicales et représentations de toute sorte dont plusieurs films comme le fameux Les Lèvres rouges de Harry Kümel avec Delphine Seyrig en 1971) la dérive sanguinaire et vampirique de Bathory (reconnue coupable en 1610 d’avoir décidé la mort de centaines de jeunes femmes vivant dans les alentours de son château afin que leur sang l’aide à préserver éternellement sa jeunesse fuyante), que de mettre en regard et en rapport cette singulière figure féminine avec notre présent tel que le visage de l’actrice-réalisatrice, comme en un miroir, le reflète pour l’occasion. La vieillesse a été une détresse pour la comtesse qui s’est abîmée dans la conservation de ce qui ne peut être retenu. Et cette détresse ne peut qu’interroger l’inquiétude d’une femme d’aujourd’hui, qui a 40 ans (à peu près l’âge à partir duquel Bathory a entrepris son funeste projet), et vit dans une époque dévolue aux injonctions et prescriptions d’un consumérisme imposé par l’industrie des cosmétiques, et selon lequel les femmes (davantage que les hommes, même si un marché les vise particulièrement désormais) ont tout intérêt à paraître plus jeunes que leur âge réel afin de valoir toujours sur le marché de la séduction.

 

 

Malgré ses faux airs de film académique empesé dans son souci décoratif et réaliste, de réalisation marmoréenne et lugubre traversée çà et là de zébrures gore revigorantes, The Countess se consacre pleinement à mener trois opérations spécifiques et passionnantes. En premier lieu, rendre manifeste un ordre symbolique patriarcal qui, dans la société de cour d’hier comme dans la société libérale d’aujourd’hui, voue toujours à l’impossibilité l’affect amoureux au nom de principes sociaux (respecter la règle des rangs hier, consommer des relations sexuelles de nos jours) et générationnels (la différence d’âge, qui demeure encore prégnante) invariables. En deuxième lieu, soustraire à la mythologie poussiéreuse et réifiée emprisonnant la figure subversive de la comtesse de la gangue pseudo-fascinante du sadisme assassin, afin d’en délivrer l’or véritable de l’amour éternel au nom duquel l’immortalité de l’Idée dont se soutient la vie triomphe tant des pesanteurs sociales-historiques, des grilles de lecture spectaculaires, que des lois physiologiques du dépérissement de la matière organique. En troisième et dernier lieu, assurer comme en un miroir la consécration de la vérité de cette idée (l’éternel amour) sur le visage de celle-là même qui, en réalisant précisément ce film, témoigne par-delà les âges et les temps historiquement séparés de sa reconnaissance émue envers celle qui, en d’autres lieux et temps, aura connu l’épreuve de la rencontre avec l’Idée d’amour, et cela de la façon la plus tragique qui soit.

 

 

« Le cinéma filme la mort au travail » disait donc Jean Cocteau. Mais le vampirisme dont est capable la machine cinématographique par rapport au réel des lieux et surtout des corps filmés rédime cette mort à l’œuvre en les consacrant du sceau de la spectralité, et donc de l’immortalité artistique. Bathory, dont un aïeul avait guerroyé avec le comte Vlad Tepes, prince de Valachie surnommé au 14ème siècle l’Empaleur ou Dracula (une partie des biens fonciers de la comtesse lui avait d’ailleurs appartenu), et qui a inspiré la célèbre reine du conte des frères Grimm, Blanche-Neige (paru en 1812), aura maladivement transféré sur le corps d’autrui le plein d’un amour invivable (Ivan Thurszo, interprété par Daniel Brühl, est éloigné d’elle par son père Gyorgy Turzo, joué par William Hurt, qui de son côté convoitait déjà la comtesse, sa propre cousine, moins par souci amoureux que pour accroître sa puissance matérielle et défendre sa position).

 

 

Amour littéralement invivable parce qu’il lui dévore les entrailles, activant les déterminations de l’époque qui décident de l’impossibilité d’une telle union. Douleur qui prive la comtesse de la compréhension que l’événement amoureux qui l’a transie n’appelle pas le plein de la situation antérieure (la jeunesse à retrouver coûte que coûte) mais convoque le vide, cette tabula rasa à partir duquel tout devient neuf et possible (Alain Badiou, L'Éthique. Essai sur la conscience du mal, éd. Hatier, 1993, éd. Nous, 2003, pp. 80-115). Détresse qui l’empêche d’entendre la parole du comte masochiste, avatar physique de Dracula (sa peau n’apprécie pas la lumière du jour), qui, malgré sa réelle duplicité (il travaille secrètement pour Gyorgy Turzo), lui propose les motifs complémentaires de la faculté imaginative-dialectique, de la dénégation et du suspens induisant l’interruption qualitative, de l’esthétique fétichiste et du contrat moquant le caractère patriarcal de la loi. Autrement dit, toutes choses constitutives du masochisme que la comtesse a préféré à la faculté spéculative-démonstrative, la négation propre à la réitération quantitative et l’identification surmoïque à la loi du père, tous éléments constitutifs du sadisme (Gilles Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch, éd. Minuit, 1967-2007, pp. 114-115).

 

 

C’est que Bathory lutte contre la domination patriarcale, par exemple en opposant sa confession protestante au représentant de l'Église catholique qui à cette époque pratique un « gynocide » de masse (le néologisme « gynocide », employé dans Antichrist de Lars von Trier en 2009, serait la traduction de « gendercide » employée par Mary Anne Warren dans Gendercide : The Implications of Sex Selection, éd. Rowman & Allanheld, 1985), alors même qu’elle a intériorisé psychiquement la force symbolique de cet ordre. Au lieu de sublimer l’abondante blessure qui coule de son être par sa réappropriation masochiste (par exemple, comme elle le fait elle-même maladroitement, en glissant dans la plaie qu’elle a ouverte sur son sein gauche la mèche de cheveux de son aimé), ou par la reconnaissance de la rupture événementielle que représente la rencontre amoureuse à partir de laquelle inventer un nouveau monde subjectif débarrassé des oripeaux de l’ancien, Bathory aura privilégié le principe de la vengeance sadique au terme de laquelle le sang de centaines de vierges passées au fil de l’horrible Vierge de fer qui, au-delà du seul caractère fantasmatique de permettre une jouvence retrouvée, est censé alimenter un corps qui pourtant ne cesse pas de dépérir, de couler, de s’épancher, comme fendu en deux par l’expérience d’un amour impossible.

 

 

Le réel du transfert monstrueux de Bathory et de son échec à convertir son sadisme, tantôt en masochisme, tantôt en « idéation » (soit l’incorporation à l’éternité de l’Idée ouvrant d’inédits processus de subjectivation – cf. Alain Badiou, Second manifeste pour la philosophie, éd. Fayard, 2009, pp. 97-130), se retrouve imaginairement réapproprié par Julie Delpy qui substitue à l’horrible transfert mortifère la sublimation de l’art cinématographique, comme au sadisme vengeur le masochisme de celle qui s’est reconnue dans la comtesse et qui a reconnu chez elle à la fois la victime d’une oppression patriarcale toujours active et la grande amoureuse tragique que l’habituel des mythologies courant à son sujet recouvre. On sera ainsi sensible au jeu combiné du maquillage et des reflets dans le miroir qui instruit d’une schize entre le modèle et son interprète, la femme vieillissante et celle qui croit retrouver sa jeunesse, l’actrice qui se sait vieillir et celle qui sait ressusciter le visage de ses vingt ans (immortalisé dans Détective de Jean-Luc Godard en 1985, Mauvais sang de Leos Carax en 1986, La Passion Béatrice de Bertrand Tavernier en 1987).

 

 

Certes, l’emmurement final suivant son procès rappelle Antigone (1944) de Jean Anouilh. En effet, le jugement (qui laisse d’ailleurs entendre la possibilité de l’innocence de l’héroïne victime d’un complot ourdi par son cousin) est l’occasion de rappeler que la barbarie guerrière autorisée pour les hommes à l’époque de l’invasion turque n’est pas permise pour les femmes, punies pour leurs excès meurtriers quand la loi patriarcale et l’ordre masculin demeurent pour leur part intouchables. Mais cet emmurement, en écho peut-être à celui du Chat noir (1843) d'Edgar Allan Poe, rappelle aussi et surtout Gertrud, ultime chef-d'oeuvre réalisé par Carl Theodor Dreyer en 1965 (et, 33 ans auparavant, ce dernier réalisait Vampyr). En effet, Bathory, à l’instar de Gertrud, a dû se dire lors des quatre années qui lui restaient à vivre qu’elle aussi avait connu l’amour, même si l’homme qui a rendu possible l’avènement de cette Idée (ou «sublimité  » dirait Bernard Stiegler) n’est pas à la hauteur de son surgissement événementiel (Istvan Thurzo qui raconte en voix-off l’histoire de Bathory avoue in fine qu’il l’a trahie au nom des intérêts paternels). Sur la tombe oubliée de Bathory, poussent in fine quelques fleurs (dont l’une arrachée par une enfant jouée par la même actrice qui interprétait la comtesse dans sa jeunesse), une herbe folle, le rhizome sauvage de l’amour vampire, potentiellement toujours barbare, toujours véritablement immortel.

8/ Twixt (2011) de Francis Ford Coppola : « Nevermore »

Twixt est le vingt-deuxième long métrage de Francis Ford Coppola (et le troisième depuis son grand retour au cinéma avec Youth without Youth faisant suite en 2007 à un silence de dix ans). Il se trouve que Twixt (qui est l'aphérèse d'un mot anglais archaïque, « betwixt », qui signifie « entre deux choses ») est également le nom d'un jeu de société étasunien inventé en 1962 par Alex Randolph dont le mode combinatoire et abstrait impose grosso modo aux participants de relier les bords opposés d'un plateau percé de trous avec une ligne continue, l'un devant créer une ligne verticale et l'autre une ligne horizontale en utilisant des pions représentant des piliers et des ponts. S'il est possible de continuer de filer la métaphore ludique, on peut alors considérer avec un œil original l'étrange partie engagée par le cinéaste avec son spectateur, et cela à partir des points disséminés dans les plans et reliés par le montage de son film. Une première série de points lorsqu'ils sont reliés forme le visage d'un homme dont la bonhomie ne cache pas longtemps la crise qu'il traverse. Hall Baltimore est un écrivain de romans gothiques ou de fantasy en voie de déclassement (on dit de lui qu'il est « un Stephen King au rabais ») interprété par une ex-star hollywoodienne réellement déclassée (Val Kilmer), qui fait la tournée des bleds paumés pour vendre avec grande difficulté son nouvel opus.

 

 

C'est le début du film narré par la voix rocailleuse de Tom Waits (qui jouait le rôle de Renfield dans Bram Stoker's Dracula en 1992), et c'est plutôt drolatique. A cette occasion, il fait la connaissance du shérif de la cité grisâtre de Swann Valley située au nord de la Californie où échoue l'écrivain, Bobby LaGrange (Bruce Dern) qui invite ce dernier à se pencher sur le cas d'une victime d'un probable tueur en série qui se prendrait pour un chasseur de vampires (un pieu est fiché dans le cadavre de la victime recouverte d'un drap dans la morgue locale). Au loin derrière le lac, un bande de jeunes gothiques dirigée par le romantique Flamingo (Alden Ehrenreich qui jouait dans le précédent film du cinéaste, Tetro en 2009) aux yeux maquillés comme s'ils avaient versé des larmes d'encre est mal considérée par le shérif qui fantasme de conjoindre rêve littéraire personnelle et résolution de l'enquête criminelle en cours. Devant une atmosphère mêlant l'insolite, le drolatique et le saugrenu, on pense inévitablement au feuilleton Twin Peaks (1989-1990) de David Lynch et Mark Frost, et ce rapprochement est aussi favorisé par l'homonymie des titres qui nous inviterait dès lors à penser ce qu'il y a entre (Twixt) les monts jumeaux (Twin Peaks).

 

 

Quant à l'écrivain dont on apprend au détour d'un plan qu'il a récemment perdu sa fille dans un accident, son éditeur Sam Malkin (David Paymer) ainsi que son épouse Denise (Joanne Whalley, l'ex-épouse de Val Kilmer avec qui elle fut mariée entre 1988 et 1996) le poussent à rédiger le roman qui lui permettra enfin de renouer avec le succès de ses débuts, et qui peut-être aura été nourri par l'étrange atmosphère fantomatique qui règne dans une bourgade ayant vu passer jadis Edgar Allan Poe. A cette première série de points reliés traçant la perspective existentielle du protagoniste s'entrecroisent d'autres séries de points venant compliquer notre affaire. Ces séries alternatives appartiennent aux rêves d'un écrivain sur le déclin qui se réfugie auprès du spectre de l'auteur du poème Le Corbeau écrit en 1845 et traduit par Charles Baudelaire puis Stéphane Mallarmé (avec son fameux leitmotiv « Nevermore », « Jamais plus »), comme s'il s'agissait de conjurer la hantise de difficultés littéraires et financières déjà rencontrées par un maître du genre fantastique (interprété par Ben Chaplin) malheureusement pour lui seulement reconnu après sa mort. Mais ce sont aussi les cauchemars de ce même écrivain hantés par le fantôme d'une jeune fille, V. (Elle Fanning), qui aurait peut-être échappé au massacre de douze enfants commis par un fondamentaliste à Swann Valley en 1955 (l'année de la réalisation de The Night of the Hunter, l'unique long-métrage et chef-d’œuvre absolu de Charles Laughton) dont le fanatisme confinait aussi à l'inceste, et qui aurait depuis ce sordide fait divers disparu sans laisser de traces.

 

 

Mais ce sont encore les rêveries constantes d'un protagoniste qui, ne sachant plus démêler le vrai du faux (il boit beaucoup comme son maître Edgar Allan Poe), autrement dit distinguer la veille du sommeil, finit par être contaminé par les délires du shérif qui pense que Flamingo est le chef d'une secte de vampires et qu'il serait l'auteur des crimes en série ayant eu lieu dans la région. C'est enfin le réveil final du héros qui aurait fait du shérif délirant l'auteur des crimes en série afin de nourrir la trame de son nouveau roman dont un carton du plus haut comique nous instruit avant le générique-fin qu'il a été vendu à 30.000 exemplaires, « ce qui n'est pas si mal ».

 

 

 

Twixt le film ressemble effectivement à Twixt le jeu en ceci donc qu'il multiplie les points afin de tracer les lignes visant à établir les ponts reliant diverses régions de signification et ainsi densifier et excéder son récit initial et terminal (un écrivain sur le déclin et en panne d'inspiration aurait donc trouvé sur le morne terrain de la promotion de ses succès passés le terreau propice à un nouveau – même si relatif – succès inespéré et susceptible de calmer son éditeur comme de satisfaire les attentes matérielles de son épouse). Car, entre temps, de nombreux fantômes sont venus à la rencontre du héros qui, passant des prestigieux souvenirs littéraires liés à Edgar Allan Poe aux clichés plus usés qu'il serait encore possible de ranimer en renvoyant au motif de la maison hantée et du fanatisme religieux, aux meurtres de masse ou en série et au vampirisme, finit par affronter le plus important d'entre eux, car le plus refoulé : la mort accidentelle de sa fille pour laquelle il nourrit secrètement la plus grande culpabilité.

 

 

Cette culpabilité aura pris plusieurs noms dans l’œuvre d'Edgar Allan Poe (Lenore dans Le Corbeau et les héroïnes des contes et poèmes éponymes Annabel Lee, Eleanora, Ligeia, Berenice, Morella), et qui dans Le Cœur révélateur écrit en 1843 s'enfonce dans la mort de l'une des filles de l'auteur pendant que, dans Le Chat noir écrit la même année, elle s'abreuve comme tant d'autres textes du souvenir de la mort par tuberculose en 1847 de sa cousine et concubine Virginia Eliza Clemm Poe âgée de seulement 25 ans. Eh bien, cette culpabilité qui aura également découlé du puritanisme foncier d'un contemporain d'Edgar Allan Poe, soit le romancier Nathaniel Hawthorne (l'auteur par exemple de Ethan Brand en 1850 qui raconte la vie d'un imprécateur commettant l'impardonnable péché qu'il voulait combattre et qui peut avoir inspiré l'épisode dans Twixt de l'ogre fondamentaliste, incestueux et meurtrier – il se trouve par ailleurs que sa première fille Una qui était handicapée mentale mourut aussi très jeune), fournirait en dernière instance l'énergie psychique avec laquelle carburent tant Hall Baltimore que l'homme dont il représente potentiellement une doublure fictionnelle : à savoir Francis Ford Coppola lui-même.

 

 

Ce dernier affirme qu'il a rêvé son film lors d'une nuit agitée à Istanbul au cours de laquelle il dit avoir rencontré une jeune fille fantomatique (semblable à celle qui deviendra V. dans Twixt), ainsi que le spectre d'Edgar Allan Poe. C'est l'interruption de ce rêve et l'incapacité du cinéaste à pouvoir en continuer le déroulement qui l'aurait donc poussé à réaliser son nouveau long-métrage afin de comprendre le fin mot d'une énigme proposée par son inconscient à sa conscience. Comme le dit l'auteur du Chat noir dans un des rêves du protagoniste, et à l'adresse directe de ce dernier, « la fin que tu cherches est en toi-même ». Le fantôme de V. peut ainsi devenir l'allégorique figure pouvant tout à la fois incarner toutes les héroïnes imaginées par Edgar Allan Poe afin de sublimer dans la littérature les souffrances causées par la maladie et la mort de sa fille et de son aimée Virginia. Mais aussi la fille assassinée dans les parages de Swann Alley qui fait fantasmer le shérif Bobby LaGrange. Mais encore la propre fille disparue du héros qui se prénommait Vicky. Mais enfin le propre fils de Francis Ford Coppola lui-même, Gian-Carlo décédé (comme Vicky) d'un accident de bateau (il est mort à 22 ans en 1986).

 

 

Pourquoi la mort du fils dans la réalité est-elle devenue celle de la fille dans la fiction ? Surnommé Gio, Gian-Carlo Coppola était le frère aîné de Roman et Sofia Coppola et fit de la figuration dans les films de son père (par exemple Rumble Fish en 1984 qu'il avait également coproduit). Faire jouer Elle Fanning qui incarnait dans Somewhere (2010) de Sofia Coppola un rôle inspiré de la relation de la réalisatrice et de son père consisterait alors à faire de V. l'étrange figure hybride accueillant la présence spectrale du fils défunt et de sa sœur qui aurait pu faire partie de l'escapade maritime. De la même façon, le surnom de Gio résonne avec le prénom de la fille du défunt, Gia (qui ne l'a d'ailleurs jamais connue puisqu'elle est née sept mois après la mort de son père, en 1987), qui a réalisé le making-of du dernier film en date de son grand-père. Comme il était nécessaire pour le jeune héros de Tetro, Benjamin « Bennie » Tetrocini, de lire dans un miroir le roman autobiographique écrit de manière inversée par son grand frère Angelo « Angie » Tetrocini (joué par Vincent Gallo) qui au bout du compte se révélait être son père, il était donc nécessaire pour le cinéaste de repasser par le filtre cathartique de la fiction la haine fratricide qui divisa le père du cinéaste, Carmine Coppola (qui travailla pour son fils en tant que compositeur) et son frère Anton qui fut chef d'orchestre (tous les deux étant joués par Klaus Maria Brandauer dans le film) pour en délivrer et transmettre le message à ses héritiers symboliques (notamment l'acteur Vincent Gallo qui est aussi réalisateur et qui a su exprimer par le biais de son rôle le rapport difficile noué avec la figure de son propre père).

 

 

Il est désormais nécessaire d'entrer, via le miroir tendu par Twixt reflétant les pointillés et autres points reliés comme dans le jeu de société Twixt, dans la connaissabilité de la lisibilité d'un visage appartenant à Francis Ford Coppola. Recouvert en partie par celui de Hall Baltimore (l'écrivain fictif, l'acteur et le cinéaste réels partageant une peur semblable du déclassement, voire du déclin), le visage de cet homme aujourd'hui âgé de 75 ans exprime ainsi sa propre culpabilité s'agissant de la mort de son fils, en même temps qu'il l'élargit en en projetant le spectre sur ses enfants et petits-enfants Sofia et Gia.

 

 

 

S'agit-il pourtant de faire de Twixt un film funèbre et sombre (et l'italien « tetro » signifiait ces mots) ? Au contraire, le dernier film en date de Francis Ford Coppola fait preuve d'une légèreté et d'un ludisme (encore la référence au jeu) quand il s'agit de bricoer en numérique et dans les marges lointaines de Hollywood un film de genre amusé par le désir frankensteinien de réanimer quelques clichés aussi réifiés que les animaux en bois qui peuplent les bordures de Swann Valley. Entre le film de genre et sa réanimation ludique (qui du coup interpelle les débuts au cinéma de Francis Ford Coppola quand il réalisait en 1963 pour Roger Corman la série B. horrifique Dementia 13 habitée par une Ophélie qui témoignait déjà de l'influence littéraire de William Shakespeare mais aussi d'Edgar Allan Poe et que rappelait encore récemment la fin de Tetro), l'autobiographie du cinéaste inversée (avec le changement de sexe de l'enfant décédé) dans le miroir de la fiction et les rêveries d'un écrivain fictif qui s'abîme dans le vrai et le faux pour tirer de ses propres tourments la sublimation prosaïque d'un nouveau roman à succès (même si relatif comme le sera celui du film), Twixt est donc ce film « entre les choses ».

 

 

Un film à la beauté inactuelle et à l'écart des modes (mais « l'écart produit de l'entre » comme le dit bien François Jullien in L'Ecart et l'entre. Leçon inaugurale de la Chaire de l'altérité, éd. Galilée, 2012, p. 49), situé en bordure esthétique de régimes de représentation spécifiques, dans les dis-jointures des images traumatisantes et des clichés éculés, à mi-chemin de l'art de demain (l'outil numérique – et même la 3-D pour deux séquences oniriques – propice à des remontages du film après projection et sur suggestion des spectateurs comme le rêve aujourd'hui Francis Ford Coppola) et des utopies d'hier (la lanterne magique et les trucages de Georges Méliès, mais aussi les rêveries électroniques de Francis Ford Coppola à l'époque de One from the Heart en 1982 dont l'échec commercial lui coûta son indépendance financière pendant quinze ans).

 

 

Entre la légitimité des grandes références littéraires étasunienne (Edgar Allen Poe, Nathaniel Hawthorne et Stephen King) et l'auto-réflexivité autobiographique comme cinématographique d'un artiste en exil à l'intérieur de lui-même (les horloges déréglées de Rumble Fish, les enfants environnés par le désastre de Outsiders en 1983, la fille de Michael Corleone assassinée devant son père et jouée par Sofia Coppola dans The Godfather III en 1989).

 

 

Entre les clichés du genre fantastique en état de mort clinique et donc à réanimer et les notations grinçantes et sarcastiques qui appartiennent aussi à l'existence de Val Kilmer (qui dans un passage improvisé dit à l'actrice qui interprète sa conjointe et qui le fut en réalité qu'il connaît bien les sorcières parce qu'il en a épousé une), s'épanouissent telles des « fleurs du mal » baudelairiennes (et Flamingo, même s'il semble issu du monde onirique de Jean Cocteau, cite aussi le poète français). Comme des moments de pure poésie (le jaune des citrons découpés anticipant le rouge des gorges tranchées des enfants) qui représentent aussi des moments de pure terreur (la vampire V. dont les dents en poussant font éclater les bagues diamantines de son appareil dentaire et dont le sang giclant après le retrait du pieu dans son cœur rappelle au héros que sa culpabilité s'enracine aussi dans la hantise de l'inceste que le réel de la mort accidentelle de sa fille aurait dès lors refoulée). Le motif des dents revient par ailleurs aussi de Youth without Youth (comme le compositeur Osvaldo Golijov et ses émouvantes ambiances spectrales et le directeur de la photographie Mihai Milaimare jr. et sa magnifique image mercurielle, bleue cendrée et enfumée) afin d'exprimer le travail perpétuel ou cyclique de renaissance de la vie (les dents qui repoussent) au lieu même de son anéantissement (les dents qui tombent). Soit, depuis leur accueil à l'intérieur dentaire de la bouche, les mots longtemps attendus en regard de visions traumatiques dont la symbolisation restera toujours différée (l'inceste encore – l'épouse d'Edgar Allen Poe était aussi sa cousine).

 

 

V. comme le sang de la tuberculeuse Virginia et le cou coupé des enfants du prédicateur, V. comme la première lettre de Vicky décapitée, V. comme le rideau maritime fendu après le passage du hors-bord meurtrier : V. offre donc la « lettre écarlate » (pour reprendre le titre du roman le plus célèbre de Nathaniel Hawthorne publié en 1850) de Twixt dont la plus grande beauté, dépassant les derniers films de Tim Burton (Francis Ford Coppola avait d'ailleurs coproduit son film Sleepy Hollow en 1999), le gothique officiel du cinéma mondial récemment célébré à la Cinémathèque française, réside in fine dans sa malicieuse modestie : certes, « le temps est hors de ses gonds » demeure la formule héritée de Hamlet (1605) de William Shakespeare par le cinéma de Francis Ford Coppola (c'est encore ici l'horloge à sept cadrans désynchronisés qui semble sortir de la nouvelle d'Edgar Allan Poe écrite en 1839 et intitulée Le Diable dans le beffroi et qui du coup rapproche Twixt de Hugo Cabret de Martin Scorsese, autre histoire de temps déréglé sollicitant le patronage cinématographique de Georges Méliès et de filiation fantomatique mais cette fois-ci contée du point de vue de l'enfant plutôt que du père). Un cinéma qui n'a donc de cesse de pleurer, sans pour autant ne pas en rire aussi, l'étrange « discordance des temps » (Daniel Bensaïd citant Ernst Bloch) d'après laquelle certains rajeunissent en vieillissant quand d'autres meurent si jeunes, enfants soufflés dans la fleur (coupée) de l'âge. Pourtant, cette vérité mélancolique n'implique aucune asthénie susceptible de légitimer les entreprises les plus sérieuses, lugubres ou marmoréennes. Au contraire, elle sert la promotion ludique des œuvres les plus volatiles et désinvoltes, celles qui ne manifestent pas autre chose que l'idée selon laquelle la vie doit continuer et qu'elle ne peut décemment continuer qu'en prenant acte, au-delà de toute culpabilité, de la nécessité a posteriori des blessures contingentes.

« Personnage ni mort ni vivant, hantant les marches de l'au-delà mais restant auprès des hommes, capable de sortir de jour comme de nuit, unissant en lui tous les contraires, haine et amour, bien et mal, transgressant toutes les normes, rédempteur et damnateur, ''Christ noir qui prétend donner la Vie dans la mort'', émanation des forces des ténèbres, possédé d'une faim et d'une soif monstrueuses, habité par la crainte et le désir de mourir, redoutant la solitude, le vampire a suscité mille questions auxquelles les hommes d'antan ont apporté quelques réponses » (Claude Lecouteux, Histoire des Vampires. Autopsie d'un mythe, opus cité, p. 137). Et de nouvelles réponses ont donc continué ou continuent d'être effectivement données, prouvant ainsi la persistance des questions posées par la figure entêtante du vampire en tant qu'il manifeste la survivance de plusieurs archaïsmes (en particulier sexuels et sociaux) dont la cristallisation, loin d'avoir été anéantie par la modernité, brillerait au contraire en son sein d'un éclat toujours obscur. D'autant plus lorsque le vampirisme sert par exemple à instruire et actualiser la classique métaphore (marxienne) du capital dans la diversité historique de ses processus d'accumulation, qu'il s'agisse de la lutte entre périodes distinctes du capitalisme selon ses versions discordantes, aristocratique et plébéienne (Dark Shadows), ou bien de l'extension spectaculaire du fétichisme de la marchandise comme « psychopouvoir » (Bernard Stiegler) investissant pour mieux l'aliéner et la subjuguer la psyché des consommateurs (Antiviral).

 

 

Mais la figure, persistante et survivante car perpétuellement revenante, du vampire est également mobilisée pour laborieusement vérifier, sinon l'aura intacte du plus connu d'entre eux (Dracula – 3D de Dario Argento), du moins la particularité d'époques historiques au sein desquelles elle aurait su s'épanouir de manière plus ou moins parasite, que l'on ait affaire au passage entre la décennie chaude et libertaire des années 1970 et la décennie conservatrice et refroidie des années 1980 (Les Prédateurs – The Hunger), à la transition entre le rationalisme libertin du 18ème siècle et le romantisme noir du siècle suivant (Histoire de ma mort) ou bien encore à la mise au pas de l'aristocratie féminine dans la Hongrie du tournant des 16ème et 17ème siècles (The Countess). Le vampirisme soutiendrait encore le pouvoir mystérieux d'affects dont les morsures foudroient les vivants en faisant couler dans leur veine le poison d'une hantise mortifère qui contient aussi (tel le Pharmakon de Platon déconstruit par Jacques Derrida) le remède d'une vie supérieurement bonne, du deuil interminable de l'enfant (Twixt) à l'amour transmondain vécu avec plus ou moins de bonheur par les héros romantiques de Dracula – 3D, des Prédateurs et de Only Lovers Left Alive.

 

 

Mais toutes ces hypothèses ou perspectives, pour certaines davantage passionnantes sur le papier que réussissant vraiment à passer la rampe pour gagner à être projetées sur un écran, suffisent-elles pour établir la singulière vitalité ou coriacité du vampire alors qu'il est aujourd'hui, à l'instar du zombie (pour le moment, le loup-garou semblerait partiellement y échapper) l'objet d'une vaste et fatigante entreprise de déclinaisons commerciales de toute sorte ? Le constat pourrait alors être aussi lapidaire que celui-ci : « Qu'on le veuille ou non, en effet, le mythe a été vidé de sa substance et le vampire a perdu de son aura de mystère pour devenir un simple objet de consommation courante » (Jean Marigny, Vampires. De la légende au mythe moderne, op. cit., p. 187).

 

 

Du côté du plus éminent des vampires (autrement dit Dracula), l'adaptation littérale se fourvoie dans les impasses figuratives et représentatives d'un geste cinématographique passablement épuisé (le film de Dario Argento), pendant que la séduisante tentative dialectique de mise en regard de figures antithétiques (Casanova versus Dracula dans le film d'Albert Serra) s'évanouit au profit d'un pauvre rapport de consécution reproduisant par effet de structure les réflexes réactionnaires du vieux discours antitotalitaire (de la Révolution française seraient nés les montres sanguinaires des deux siècles suivants). La télévision n'aura pas fait mieux avec la non-reconduction après une saison de la série Dracula (2013) avec Jonathan Rhys Meyers diffusée sur NBC.

 

 

La modernisation du mythe vampirique, sous le légitime prétexte de la vérification de l'actualité intempestive du vampire en tant qu'il demeure aussi une figure inactuelle, évite difficilement la production de nouveaux clichés qui valent malgré tout pour attester symptomatiquement du caractère kitsch de l'actuel (les films respectifs de Tony Scott et de Brandon Cronenberg). Au risque plus ou moins bien affronté d'une distanciation parodique qui impliquerait également la neutralisation de la figure vampirique (le film de Tim Burton). L'autre risque étant encore de tordre le bâton dans l'autre sens et, partant, de valoriser la part seulement inactuelle propre au vampire afin d'y adosser solitairement un dandysme coupé de tout sens (ou tout désir) de l'actualité (le film de Jim Jarmusch). Resteraient alors les films respectivement réalisés par Julie Delpy et Francis Ford Coppola qui, seuls, réussiraient, pour le premier à rendre justice à la figure historique qui a inspiré le mythe vampirique (Élisabeth Báthory considérée comme archétype de la grande amoureuse flouée) tout en montrant la permanence transculturelle et transhistorique des hantises genrées (le visage d'une femme menacée de vieillissement), et pour le second à passer souverainement la rampe des clichés afin de toucher au cœur d'une douleur intime littéralement délivrée dans une expression à la fois mineure et baroque s'offrant de façon bouleversante comme le masque pudique de l'auteur peut-être définitivement revenu de ses tendances démiurgiques.

 

 

Si le mythe vampirique n'est pas actuellement le sujet d'un grand film susceptible d'en revisiter intégralement les implications afin de les problématiser à nouveaux frais (à l'instar de ce que fit Francis Ford Coppola à l'époque, encore démiurgique, de son Bram Stoker's Dracula réalisé il y a déjà plus de vingt ans de cela), il vaudrait malgré tout pour définir en biais les postures particulièrement adoptées par des auteurs soucieux de tirer profit des prestiges de la distinction. Posture aristocratique et dandy frontalement affirmée dans Dark Shadows et plus encore dans Only Lovers Left Alive, le premier se différenciant du solipsisme élitaire du second par son intéressant questionnement fictionnel des régimes concurrentiels de l'accumulation du capital. Il en va encore de cette posture dans Les Prédateurs – The Hunger mais le paradoxe veut aussi que le premier long-métrage de Tony Scott (qui s'est suicidé en août 2012) témoigne déjà d'une fin de règne – celle des aristocrates jouisseurs promise jurée par la nouvelle bourgeoisie conservatrice à l'époque clinquante de sa restauration au début des années 1980.

 

 

La stratégie de distinction s'accomplit ailleurs en étrange et fascinante (auto)vampirisation lorsqu'un fils emprunte sciemment les pas de son père dans une perspective ambivalente selon laquelle l'hôte désignerait amphibologiquement autant le premier vampirisé par le second que l'inverse (Antiviral). Elle peut sinon servir à établir et circonscrire les limites d'un aristocratisme ou d'un dandysme en marge desquelles la séduction peut se figer en absconse préciosité (Histoire de ma mort) et la décadence traditionnellement associée à la figure du vampire se transmuer en avachissement et signe de sénescence (Dracula – 3D). Il faudra alors pour finir deux films aussi peu tapageurs que le sont ceux de Julie Delpy et Francis Ford Coppola pour comprendre ce qu'il en est dans leur cœur respectif, eux qui assument toutes les conséquences éthiques autant qu'esthétiques d'une fidélité à l'égard du mythe vampirique impliquant la persévérance de hantises qui leur appartiennent en propre. De l'amour sans âge comme idée vérifiée dans le miroir d'un visage vieillissant (The Countess) comme du deuil de l'enfant perdu relayé dans celui reflétant le sang s'écoulant continûment d'un cou coupé (Twixt). Comme quoi, ainsi que le disait Henri Langlois : « Dracula n'appartient pas à la littérature, mais à l'univers » (in Préface à Bram Stoker, Dracula, éd. Cercle européen du livre, 1975).

 

 

Lundi 2 juin 2014

 

 

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