3èmes Rencontres internationales des cinémas arabes de Marseille

Pourvu que dimanche n'arrive jamais (deuxième partie)

Un accouchement dans la douleur :

 

 

Eau argentée – Syrie autoportrait (2014)

d'Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan

 

 

Un carton noir le précise rapidement au tout début du film. Eau argentée – Syrie autoportrait n'est pas seulement le nouveau long-métrage réalisé par Ossama Mohammed, un des rares cinéastes syriens connus à l'extérieur des frontières d'un pays ravagé par la guerre civile qu'il a dû fuir deux mois après son démarrage en mai 2011. Ni un film co-réalisé par ce dernier et Wiam Simav Bedirxan, un Syrienne d'origine kurde résidant à Homs qui a pris un jour contact avec lui en nouant à distance électronique une relation amicale déterminant une nouvelle inflexion dans la réalisation de ce projet. Mais il s'agirait en fait d'un film réalisé par eux deux ainsi que par les « mille et uns Syriens et Syriennes » dont les images filmées avec leur téléphone portable et disponibles notamment sur YouTube témoignent de manière hétéroclite des terrifiantes réalités d'un conflit qui a déjà provoqué la mort de plus de 200.000 personnes (dont un tiers de civils), l'existence de plus de deux millions de réfugiés et le déplacement de plus de 6 millions de personnes.

 

 

D'un côté polaire du film, c'est donc l'exil extérieur d'Ossama Mohammed parti vivre à Paris, pour qui l'expérience de la guerre se traduit primordialement par la diffusion aléatoire sur les canaux de l'Internet mondial de flux d'images hétérogènes prises par des individus, rebelles et civils, soucieux d'administrer les preuves de leurs conditions matérielles et symboliques d'existence comme par des membres de l'armée de Bachar el-Assad désireux de médiatiser préventivement les manières obscènes et brutales de la répression anti-populaire. De l'autre côté du pôle cinématographique, c'est l'exil intérieur de Wiam Simav Bedirxan qui subit directement l'épreuve du conflit (le siège de la cité de Homs surnommée « capitale de la révolution » aura duré quatre ans et la reprise en main militaire de la troisième ville la plus peuplée de Syrie aura été soldée par la mort de plus de 2.000 personnes) mais qui aurait trouvé aussi la possibilité symbolique d'une prise de distance avec cette réalité même en transmettant à celui qui est devenu son ami quelques images en guise de signes de vie lancées comme des fusées par-dessus l'abîme.

 

 

Entre ces deux pôles, c'est donc un crépitement de visibilités anonymes technologiquement marquées par le chaos de la guerre. Ce sont donc des témoignages audiovisuels sans auteurs sinon un peuple fragmenté (au sens propre et dé-figuré), divisé à l'intérieur (entre rebelles et partisans de Bachar el-Assad) comme à l'extérieur de lui-même (entre Syriens et combattants venus d'autres pays en soutien à la rébellion ou au régime). Sans auteur sinon – quand même – l'exilé qui en monte à Paris et en différé les visibilités afin d'extraire quelques images inoubliables. Ce sont des prises de vue comme autant de prises de guerre manifestant respectivement les formes de la barbarie étatique qui s'impose et de la résistance populaire qui s'y oppose. Des visibilités toutes virtuellement en attente d'être relevées et rédimées par le montage qui, après coup, saura penser cinématographiquement l'aspect poétique de leurs relations en attestant ainsi qu'elles sont bel et bien des images susceptibles, malgré l'horreur qu'elles expriment, d'être regardées ensemble et conservées en chacun de soi.

 

 

Si Eau argentée se contentait d'être seulement un pur film de témoignage en forme de mosaïque d'images trouvées sur Internet et diffusées depuis la réalité fracassante du conflit, ce serait déjà beaucoup, s'imposant a minima comme une preuve supplémentaire à verser au dossier du procès qui un jour s'ouvrira et jugera des auteurs des crimes barbares caractérisant un régime dictatorial ayant empêché que le peuple puisse s'en émanciper à l'instar de ce que réussirent dans des situations extrêmement inégales ses voisins, les peuples tunisien, égyptien et libyen (d'où le soutien au film apporté par Amnesty International). Mais Eau argentée est indéniablement plus important, déjà parce qu'il se constitue comme le relais cinématographique d'une résistance populaire s'accomplissant à l'intérieur comme à l'extérieur des frontières nationales. Ensuite parce que cette résistance même se décline subjectivement depuis la relation amicale établie à distance entre un Syrien exilé à Paris et une Syrienne d'origine kurde vivant à Homs, le cinéma reliant ainsi ce que la guerre s'efforce violemment de séparer.

 

 

Enfin et surtout parce que la mosaïque audiovisuelle en témoignage de la guerre se voit ici transcendée par un geste cinématographique en forme de work-in-progress qui travaille et est travaillé par l'essentielle question des puissances imaginales à l'heure des communications électroniques et des médias numériques. Et cela en posant notamment que la citation se comprend littéralement comme citation à comparaître. Le montage organise en conséquence la comparution différée de visibilités relevables comme images parce qu'elles sont agencées via l'élan d'une pensée par-delà les distances partagée. Sur le versant dialogique d'une conversation amicale entre une femme restée là-bas et un homme exilé et vivant ici. Comme sur le versant dialectique des images comme signes d'impuissance du pouvoir étatique et comme acte de puissances populaires qui depuis leur impouvoir même lui résistent.

 

 

C'est également ainsi qu'il faudrait comprendre avec la mention inaugurale d'un film fait par « mille et uns Syriens et Syriennes » la référence symbolique aux Mille et une nuits, chef-d'œuvre universel de la littérature arabe vieux de plus de mille ans et significativement sans auteur. D'un côté, parce qu'il y aurait autant d'images à produire et diffuser que de récits à raconter afin d'entretenir le différé d'une sanction définitive (le peuple serait ainsi une nouvelle Shéhérazade, filmant sans vouloir jamais cesser de le faire afin d'avérer qu'il n'a toujours pas été décapité, qu'il demeure encore en vie en gardant le souci que la vie ne soit pas strictement identifiée à de la survie). De l'autre, parce qu'il y aurait une dynamique imaginale au long cours qui, des essais de montage d'Ossama Mohammed initiés depuis 2011 aux plans tournés par Wiam Simav Bedirxan à partir de 2013, soutient et structure des processus de subjectivation communs au principe d'une relation amicale, ses effets érotiques compris.

 

 

C'est l'un des aspects les plus caractéristiques (et même systématiques) de Eau argentée que d'identifier effectivement l'acte de faire des images à un pur acte d'amour, l'image d'une naissance ouvrant le film et revenant tout du long comme un leitmotiv succédant en un raccord audacieux à l'embrassade des deux réalisateurs trouvant enfin l'occasion d'une abolition des distances physiques lors de la projection cannoise de leur œuvre commune (dont le titre est d'ailleurs la traduction du second prénom de la réalisatrice). Si l'eau argentée pourrait métaphoriquement désigner les flux numériques d'images montées par l'un et filmées par l'autre, Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan travaillent différemment le caractère argenté d'images qui ne relèvent définitivement plus du régime de production argentique. Le premier tournant quelques rares plans parisiens en insistant sur le motif de la goutte d'eau qui semblerait pouvoir contenir comme une monade le monde entier (on pense un peu au cinéma microphysique d'Alain Cavalier). La seconde affrontant dans son corps même la question de l'écoulement, des larmes roulant sur ses joues au sang coulant de sa plaie à la jambe après une blessure. C'est encore, aux côtés de l'image du bébé au cordon ombilical coupé, un autre leitmotiv proposé par l'image récurrente d'un peu d'eau fuyant un robinet filmé dans un environnement urbain dévasté : une eau argentée qui trouvera à s'actualiser et s'amplifier avec cette autre image d'une rue éventrée par des bombes et dont les trous remplis d'eau sont investis par des enfants.

 

 

Le robinet d'images est certes devenu un lieu commun dans la caractérisation des canaux de diffusion des visibilités mondialement produites par toutes les mini-caméras numériques incrustées ou non dans des téléphones portables. Et l'on sait aussi que cette réalité hyper-industrielle constitue massivement des enjeux économiques cruciaux pour le capitalisme contemporain. Capitalisme qui, d'un côté, travaille à l'extension domestique des possibilités technologiques en termes de production et de diffusion. Capitalisme qui, de l'autre, s'échine aussi à en tirer de formidables gisements lucratifs, d'autant plus quand les visibilités en question circulent en dehors de tout droit d'auteur. La question de la profitabilité semblerait hors-jeu (sauf à l'envisager sur le mode symbolique d'un auteurisme faisant image à partir de visibilités sans auteurs) dans Eau argentée – Syrie autoportrait. Une autre logique économique étant à l'œuvre ici en ce qu'elle travaille à restituer cinématographiquement la dignité symbolique d'un peuple martyrisé, depuis la mise en lumière d'une lutte entre productions imaginales aux intérêts politiques contradictoires.

 

 

La comparution des visibilités susceptibles de devenir des images ne vaut ici que parce que leur citation, compréhensible comme citation à comparaître (la métaphore, magnifique, vient de Marie-José Mondzain), oblige à un montage qui les associe de manière sérielle tout autant qu'il les confronte dans une logique d'affrontement dialectique. Si filmer représente souvent un acte élémentaire de résistance, résolument, le geste cinématographique consisterait ici dans l'agencement de visibilités de telle sorte qu'il en distribue de manière sérielle et didactique les puissances dialogiques dans un processus de subjectivation commun faisant de la relation d'une Syrienne de Homs et d'un Syrien exilé à Paris les garants (sinon les gardiens d'un peuple en son autoportrait censément anonyme et collectif). Et de telle sorte aussi qu'il en expose les puissances dialectiques depuis la double obligation du cinéma à faire avec des images qui n'ont en elles-mêmes aucune prétention artistique comme à rendre compte d'une guerre des visibilités rejouant et prolongeant sur le plan de la production imaginale les fractures de la guerre civile elle-même.

 

 

C'est alors que Eau argentée, parce qu'il raconte comment la communication entre une femme et un homme s'établit de part et d'autre des deux pôles d'une dynamique documentaire et archivistique, tantôt interrogée du point de vue dialogique des rapports entre le lointain et le proche, tantôt questionnée dans la perspective dialectique divisant le montage en associations poétiques comme en confrontations agonistiques en relève de l'agonie populaire, fait irrésistiblement penser à certains des plus beaux films de Chris. Marker (Sans soleil en 1982 et Level Five en 1996) comme de Jean-Luc Godard (Comment ça va en 1978 et The Old Place en 1998, les deux films ayant d'ailleurs été réalisés avec Anne-Marie Miéville). C'est pourquoi – on le notera ici en passant – l'argument d'un non-respect envers « l'exigence » bazinienne avancé par l'excellent Jean-Christophe Lacuve dans sa critique du film sur le site du cinéclub de Caen est inapproprié dès lors que l'on songe justement à la trahison esthétique que représente face à l'héritage bazinien le cinéma godardien, le caractère conjonctif du montage des documents hétérogènes ne se justifiant qu'en raison précise du caractère disjonctif de la réalité matérielle qui, frappée à mort par la guerre, aura pratiquement concouru à les fragmenter et les disperser.

 

 

Sur le versant associationniste et poétique, Ossama Mohammed réitère à satiété le motif de la goutte d'eau afin de penser ensemble la question de la vie continuant à s'écouler et celle des visibilités produites dans le cadre de la guerre – des gouttelettes risquant toujours d'être noyées dans l'océan infini et virtuellement indifférencié des grands flux ouverts par les vannes des médias à l'ère électronique et numérique. Comme il est capable d'enchaîner l'image tournée par Wiam Simav Bedirxan du petit garçon prénommé Omar soufflant sur la poussière recouvrant des baies trouvées par hasard avec un poudroiement neigeux filmé par ce dernier à Paris. Sur un versant plus dialectique et disjonctif, le réalisateur adopte un point de vue plutôt godardien en ce qu'il arrache aux impensables manifestations de la barbarie des pointes de pensée inattendues. En raccordant d'une part l'image inaugurale de la naissance du bébé avec celle d'un adolescent en slip torturé par des militaires en guise de rappel que l'enfant syrien qui vient au monde est virtuellement promis aux violences du régime de Bachar el-Assad. En demandant d'autre part ce qui différencie dans la guerre des visibilités le cinéma des bourreaux de celui des victimes. La preuve en image se veut la plus élémentaire.

 

 

Le cinéma des bourreaux est obsédé par l'anéantissement du visage, parce qu'il est voué à l'informe lors des scènes terribles de torture ou bien défiguré dès qu'il apparaît à force de coups reçus quand il n'est pas réduit en lambeaux par les balles et les bombes. La hantise du cinéma des victimes reposerait à l'inverse sur l'impérieux désir de sauver et restituer ce visage, tantôt en montrant une photographie de la victime avant son assassinat, tantôt en exposant le visage éploré de ses proches.

 

 

Autant d'exercices didactiques qui manifestent et soulignent l'éthique de celui qui en propose par montage les subtiles variations en ne cessant jamais d'interroger la place des personnes qui filment. Tantôt quand elles sont du côté du pouvoir pour lequel il ne saurait alors y avoir qu'une seule image à adorer (celle du dictateur dont la photographie est baisée de force par une victime torturée). Tantôt quand elles sont du côté des puissances qui lui résistent en multipliant les preuves des barbaries subies en raison de l'unique représentation à devoir vénérer. Face à l'intégrisme dictatorial de l'unique, une multiplicité virtuellement démocratique qui aura d'ores et déjà payé très cher le fait d'avoir seulement réclamé non pas un peu plus de pain et de fioul mais de la liberté à un régime qui ne tenait justement qu'à en restreindre drastiquement l'étendue (comme l'aura exemplairement prouvé le « Printemps de Damas » avec les promesses de libéralisation aussi vite levées qu'évanouies quelques mois seulement après l'accession de Bachar el-Assad succédant en juillet 2000 à son père Hafez el-Assad après trente ans de règne ininterrompu).

 

 

« Et le cinéma fut » scande encore poétiquement Ossama Mohammed quand il reconnaît parmi les victimes un jeune cinéphile rencontré autrefois à la suite d'une projection de Hiroshima mon amour (1959) d'Alain Resnais et Marguerite Duras. Ou bien quand il fait l'éloge de la beauté du plan fixe dans un monde où elle n'est plus qu'une lointaine possibilité pour le jeune homme qui finit sa course après la personne lui ayant volé sa caméra avec une balle dans la tête. Le cinéma comme moyen (là encore éminemment godardien) de sauver des cendres les restes en relevant ce qui est tombé et s'est affaissé : qu'il s'agisse de la solitude désœuvrée du réalisateur avec Dodes'Kaden (1970) d'Akira Kurosawa évoqué à l'occasion d'un plan tourné dans le tunnel du métro parisien en prolongement de tous les rails et tuyaux qui veinent son film et qui trouveraient leur premier nœud avec le cordon ombilical de l'enfant qui naît ; qu'il s'agisse encore de l'innocence de l'enfance qui résiste aux coups reçus avec City Lights (1931) de Charlie Chaplin transmis sur demande de la réalisatrice afin de le montrer aux enfants dont elle s'occupe.

 

 

De son côté, Wiam Simav Bedirxan hante avec le petit Omar un monde en ruines semblables à celles décrites par Roberto Rossellini dans Allemagne année zéro (1947), en s'appliquant notamment à inclure la souffrance animale dans le constat que la guerre en cours est génériquement une guerre contre la vie tout court (un chien la peau sur les os, des cadavres de chevaux, des chats éclopés). Mais en témoignant aussi des difficultés d'être une femme émancipée d'origine kurde dans un pays ravagé par un conflit qui lui-même se prolonge en guerre des hommes contre les femmes, son école pour orphelins ayant été brutalement fermée au nom de ce double stigmate attaché à un genre et une origine.

 

 

Quand on sait enfin que la carte syrienne est actuellement morcelée en plusieurs zones occupées par différents groupes de belligérants dont les intérêts sont particulièrement opposés (le régime de Bachar el-Assad ne contrôlant plus qu'un tiers du pays quand l'Organisation de l'État islamique ou Daesh en contrôlerait autant, sans compter les rebelles de l'armée libre syrienne et de la CNFOR ou Coalition Nationale des Forces de l'Opposition et de la Révolution, les Kurdes au nord-est et la présence du Front al-Nosra formés de djihadistes salafistes membres d'Al-Qaïda, d'autres appartenant au Hezbollah), Eau argentée – Syrie autoportrait représenterait un acte héroïque qu'Ossama Mohammed reconnaît déjà dans l'agir de Wiam Simav Bedirxan en regard de qui il avoue affronter sa propre lâcheté depuis qu'il a pris la décision de s'éloigner physiquement d'une guerre qui continue pourtant comme une onde de choc d'exercer en lui ses fracas.

 

 

Mais l'héroïsme se manifesterait aussi sous la forme du mandat symbolique que le réalisateur s'est à lui-même confié en ce qu'il consiste dans le montage en différé des visibilités hétérogènes qui sont issues de la guerre. Et dans la logique d'une comparution servant à départager le cinéma autoritaire des bourreaux obsédé par l'anéantissement du visage de l'autre et l'intégrisme de l'unique du cinéma des victimes hanté par la restitution ou la préservation de ce visage en la multiplicité de ses figures maltraitées. Le film pourra encore bouleverser quand l'évocation d'une phrase retenue depuis l'école (« Le train est parti pour Deraa ») est récitée au moment où le cadavre d'un jeune homme ayant probablement appris la même phrase est découvert à l'endroit (précisément Deraa) où la contestation populaire a démarré.

 

 

Le registre réactionnel, s'il peut être neutralisée et dépassé par les essais de montage didactique, se prolonge pourtant dans un virage émotionnel amplement soutenu par la musique de la chanteuse et compositrice Noma Omran, le lamento ayant l'intelligence de redonner du souffle aux multiples endroits où il manque (parce que l'on court, pleure ou tombe sous les coups et les balles de la répression) mais proposant aussi une surenchère de pathos lyrique à laquelle ni Jean-Luc Godard ou Chris. Marker n'auraient pour leur part cédé. Il n'empêche que l'intelligence dans le dispositif adopté trouverait à se vérifier de multiples façons ici. Qu'il s'agisse du champ-contrechamp de deux marches historiques et antithétiques (celle qui enveloppa du voile de la légitimité populaire l'accession au pouvoir de l'autocrate Hafez el-Assad il y a plus de quarante ans et celle qui caractérisa les premières vagues démocratiques il y a quatre ans). Qu'il s'agisse encore de ne pas rater les nouvelles figures de l'autoritarisme initiées par certains groupes se réclamant de l'islamisme salafiste qui, sous prétexte de vouloir s'opposer au régime de Bachar el-Assad, instaurent en les relayant technologiquement des formes d'oppression aussi barbares que celles réitérées par ce dernier. Et l'on pourrait encore citer la trouvaille d'un disque d'Édith Piaf en rappel hasardeux et lointain de l'occupation mandataire exercée par la France sur le Liban et la Syrie entre 1920 et 1946.

 

 

Cette inventivité esthétique réelle bute malgré tout sur de nombreuses scories impossibles à évacuer, de la séquence de la projection cannoise grosse de l'eau lourde du sentimentalisme au pathos lyrique d'une bande sonore accentuant de manière bien artificielle certains sons en post-production (un miaulement, un piano-jouet), jusqu'à la reconstruction narcissique de la notion d'auteur depuis l'idée de départ d'un film collectif (le générique-début est à ce titre révélateur, le « et moi » venant en un ultime carton coiffer la mention des « mille et un Syriens et Syriennes »). Quant à l'image récurrente de l'accouchement, elle finit également par prendre une coloration un rien sexiste, tant elle sert aussi à faire apparaître la coréalisatrice comme l'enfante née au monde du cinéma par les efforts d'un homme qui, de son côté, profite de la métaphore pour s'auto-accoucher comme commandeur du nouveau cinéma syrien qui vient. L'autoportrait du peuple syrien se retourne alors sur lui-même pour donner à voir, plus sûrement, l'autoportrait d'un Syrien parlant en raison du mandat particulier qu'il s'est confié au nom du peuple (et parler au nom de doit se comprendre aussi comme parler à la place de).

 

 

Là où Eau argentée intéresse vraiment et sans détour, c'est bien lorsqu'il recueille et structure en séries poétiques toutes les visibilités attestant des pratiques mises au point par les populations civiles afin d'arracher les cadavres du théâtre cruel des opérations. Risquer sa propre vie dans une volonté de soustraction qui se comprendrait à la fois comme un acte de récupération des dépouilles (afin que leurs proches puissent leur rendre les derniers hommages) et comme un geste de neutralisation politique (des instrumentalisations propagandistes que l'armée fait de ces mêmes cadavres) fait alors écho à un autre geste montré par le réalisateur en vérification d'une puissance imaginale ressaisie dans sa dimension apotropaïque. Ce geste est celui qui consiste pour un vivant à recouvrir le cadavre d'une victime, le visage littéralement réduit en bouillie et mise en scène de manière obscène.

 

 

Soustraire les cadavres ou bien les recouvrir d'un voile : soustraction et recouvrement exprimeraient ainsi, dans l'image ou bien dans le rapport imaginal entre deux visibilités distinctes, le noyau dur de toute image authentique qui, lorsqu'elle ne peut pas faire autrement que s'avancer et s'ouvrir aux forces inhumaines et mortifères de destruction et de défiguration, impose la nécessité complémentaire de la distance et du retrait. Tout cela vaut infiniment mieux que la stratégie narcissique de consécration auteuriste d'un homme qui ne craint ni d'abuser des métaphores, ni de s'exposer comme celui qui représente le peuple, ni de noyer cette auto-représentation dans les nappes d'un sentimentalisme ou d'un lyrisme pathétique à l'opposé des manières cinématographiques autrement plus subtiles dont il s'inspire explicitement.

 

 

On devra pour finir souligner la réelle beauté de la dédicace finale, à Omar, qui désignerait moins tous les Omar syriens dans la perspective d'un universalisme abstrait que deux personnes absolument concrètes. D'une part, c'est le petit garçon orphelin et blasphémateur suivi par Wiam Simav Bedirxan, tel un jardinier de l'apocalypse ou un brocanteur de l'humanité, tel un frère du petit Edmund de Allemagne année zéro. Et c'est, d'autre part, Omar Amiralay, le grand cinéaste syrien mort en exil le 5 février 2011, soit un peu plus d'un mois avant les premières manifestations et leur sanction par la répression étatique, et qui fut le maître d'Oussama Mohammed avec qui il avait constitué durant les années 1970 un réseau de ciné-clubs.

 

 

Une dédicace pour deux êtres, en conclusion d'un film davantage schizophrène que strictement dialogique et dialectique puisqu'il dédouble malheureusement le grand poème d'amour et de mort dédié au peuple syrien martyrisé qu'il constitue le grand récit consacrant la conscience malheureuse de l'artiste. Celui qui se réjouit si ostensiblement d'avoir mis au monde du cinéma sa coréalisatrice que d'être devenu au terme d'un accouchement aussi douloureux que laborieux le réalisateur syrien incontournable du moment.

La tradition a-t-elle bon dos

ou bien s'agit-il de lui faire un enfant dans le dos ?

 

 

Before Snowfall (2013) de Hisham Zaman et Bad Hunter (2013) de Sahim Omar Kalifa

 

 

Plusieurs films présentés lors de la troisième édition des Rencontres internationales des cinémas arabes de Marseille auront questionné, parfois avec une étonnante proximité scénaristique, les contradictions d'une économie patriarcale prescrivant traditionnellement aux femmes la virginité maritale et aux hommes le rétablissement de l'honneur familial menacé par l'indiscipline de ces dernières. Dans Before Snowfall (2013), le premier long-métrage de Hisham Zaman, un réalisateur d'origine kurde irakien vivant en Norvège, un garçon est chargé par sa communauté villageoise de retrouver et tuer sa sœur ayant fui un mariage contraint afin de vivre librement sa sexualité. Il se trouve que le même acteur, Taher Abdullah Taher, interprète le rôle principal du court-métrage Bad Hunter (2013) tourné par un autre réalisateur kurde irakien, Sahim Omar Kalifa (qui, lui, vit en Belgique), celui-là racontant pour sa part comment un jeune homme parti pour chasser sauve par hasard une jeune femme d'un viol et accepte plus tard le mensonge de cette dernière l'accusant pourtant devant sa famille d'en être l'auteur.

 

 

D'un côté, le film d'ouverture des Rencontres, Tanit de Bronze à la dernière édition des Journées Cinématographiques de Carthage, propose une odyssée tout au long de laquelle, du Kurdistan irakien à la Turquie, de la Grèce à la Norvège en passant par l'Allemagne, un jeune homme prénommé Siyar, mandaté pour revêtir les habits bien trop grands pour lui de la vengeance familiale (les manches de sa veste en cuir mangent ses mains), effectuera un voyage initiatique valant à la fois comme déculturation (les longs flash-back rapportant le héros aux ordres de la communauté d'appartenance s'estompent progressivement au profit de rêveries plus lâches) et acculturation (aux bricolages de la clandestinité l'éloignant des conventions de la société traditionnelle, à l'image du travestissement en garçon d'une amie de fortune, Evin désireuse d'atteindre Berlin où vit son père). De l'autre, Bayoz, le Bad Hunter, éprouve les puissances d'écartement du dilemme (en grec, le dilemme désigne une double proposition), vouant à la mort s'il n'en relaie pas le mensonge une jeune fille condamnée par sa famille dès lors qu'elle vient de perdre sa virginité, voué à la honte s'il reprend à son compte un mensonge obligeant sa famille à réparer le tort subi.

 

 

Il est finalement assez beau que le court-métrage de Sahim Omar Kalifa (par ailleurs plus intéressant que celui qu'il avait présenté l'année dernière à la deuxième édition des Rencontres, Baghdad Messi également tourné en 2013) représente, en toute modestie, la relève du long-métrage de Hisham Zaman. Le premier préservant toute la beauté éthique d'un choix à la fois contraint et assumé (ce mensonge inattendu, Bayoz l'assume et cette assomption engage entre deux sourires discrètement échangés une affection partagée) quand le second interrompt son élan jusque-là dévolu à l'émancipation relative d'un garçon par rapport au commandement de l'ordre patriarcal en forçant dramatiquement la dramatisation de sa conclusion. C'est d'autant plus regrettable que l'on n'était pourtant pas si loin avec pareille histoire de Daratt – Saison sèche (2006) de Mahamat-Saleh Haroun et, pourquoi pas avant lui, de La Prisonnière du désert (1954) de John Ford. Certes, Siyar suspend le geste commandé de vengeance criminelle, mais c'est avec la séquence suivante finir par être la victime tragique du poignard du représentant du passeur qu'il avait dénoncé afin de sauver la mise à Evin lorsque celle-ci fut contrainte par la police des frontières grecques à se dévêtir. Au pays, la sœur cadette qui désirait tant le retour son aînée se trouve dans la dernière séquence du film obligée de prendre sa place dans un mariage arrangé avec le fils du chef local.

 

 

Alors que Before Snowfall démarrait en trombe (le héros enveloppé dans du film plastique était caché dans un camion-citerne rempli de pétrole et cet enveloppement avait quelque chose de natif et placentaire), il rabat tous les paradoxes d'un voyage en forme de déconstruction au fur et à mesure de sa progression de son motif initial, s'échinant à refermer tous les possibles qui pouvaient surgir en chemin (l'amour pour un avatar contemporain de l'héroïne éponyme transgenre de Sylvia Scarlett de George Cukor en 1935) en imposant le caractère inévitable d'une double punition (trahir son passeur, c'est pour le traître la mort et rester au village c'est pour les jeunes filles prendre la place de celles qui l'auront désertée).

 

 

Ô combien plus intéressant parce qu'intéressé par le courage éthique de ses personnages que par les effets dramatiques de son scénario, Sahim Omar Kalifa montre comment un dilemme et le choix forcé puis assumé qui en découle trahissent une subtile réappropriation depuis les points aveugles de la tradition des jeunes sur lesquels elle s'exerce, un mensonge partagé ouvrant ici droit à la possibilité d'un amour dès lors sauvé des conséquences infâmes du viol, pour sa victime réelle comme pour son auteur fictif. Mieux vaut en effet s'essayer à raconter comment faire un enfant dans le dos à la tradition que se suffire à démontrer qu'étant ce qu'elle est, elle a toujours bon dos de persévérer dans son être social et borné.

Histoires fécondes de taxi et d'infertilité :

 

 

Père (2014) de Lotfi Achour et La Preuve (2013) d'Amor Hakkar

 

 

Le mensonge au principe subjectif d'une torsion dans la reconduction des conventions est également à l'œuvre dans le court-métrage (son second) intitulé Père (2014) du franco-tunisien Lotfi Achour (qui bénéficie d'une longue expérience comme metteur en scène de théâtre et qui fut le directeur du théâtre de Grenoble entre 2000 et 2004) comme dans le long-métrage (son quatrième) intitulé La Preuve (2013) du franco-algérien Amor Hakkar.

 

 

Plus que cela, les deux films partagent des impulsions scénaristiques étonnamment proches, peut-être inspirées par le souvenir partagé d'un grand film iranien des années 1960, La Brique et le miroir (1964) d'EBrahim Golestan. Qu'on en juge : dans les deux films, un chauffeur de taxi (le premier est tunisien, le second algérien) est accusé par une cliente d'être le père de l'enfant qu'elle porte et cette accusation, levée et annulée par un test de fertilité, demande pourtant à affronter de nouvelles difficultés (dans Père, le héros comprend rétrospectivement qu'il n'est pas le géniteur de ses deux enfants ; dans La Preuve, le héros découvre une infertilité compromettante dans ses répercussions communautaires puisqu'elle risque de porter atteinte à son honneur).

 

 

Le décollement de la figure du père de celle du géniteur, en rappel que toute filiation est moins biologique que symbolique, se comprend dans le film de Lotfi Achour dans la division sexuelle du savoir quant à l'existence de cette dissociation, les femmes en sachant infiniment plus que les hommes à ce sujet, ces derniers étant protégés de ce savoir par une loi (ramassée ici en la figure patriarcale du juge) qui n'a pas d'autre requête à formuler que celle de l'identification masculine et paternelle des enfants (la reconnaissance de l'autonomie sexuelle des femmes et des mères n'étant définitivement pas son objet). L'extension du principe de filiation (le chauffeur de taxi s'engage même, en dépit des mensonges proférés, à s'occuper de l'enfant de sa cliente) s'envisage dès l'ouverture de Père, au bord d'un précipice duquel se détourne finalement le héros au profit de l'enfant qui vient, belle idée malheureusement brouillée par de nébuleux règlements de compte entre ce dernier et sa compagne afin d'égaliser les torts partagés.

 

 

La Preuve propose une autre orientation, refusant toute incartade comique au nom d'une application sèche dans le déroulement narratif du drame. Mieux que de simplement se cantonner à rendre compte du désarroi psychologique de personnages partagés par une commune incommunicabilité (le chauffeur de taxi du film d'Amor Hakkar ment sur ses rendez-vous médicaux lui permettant de savoir s'il est victime de stérilité et ce mensonge est censé tragiquement avérer la fiction d'une cliente l'accusant de l'avoir mise enceinte et abandonnée), La Preuve s'expose étonnamment comme la retraduction dans le paysage sociologique algérien contemporain de la figure classique du faux coupable cher au cinéma d'Alfred Hitchcock. Certes, les vertiges métaphysiques d'une culpabilité virtuellement universelle déployés par les films de ce dernier ont désormais laissé place à une sensibilité toute en retenue – au risque que la rétention frôle le confinement, voire l'étouffement – accordée aux jeux sociaux pervers de la fausse culpabilité individuelle et de la réelle responsabilité sociale.

 

 

La honte et le tabou (consécutifs à l'impensable stérilité masculine) au principe de mensonges ou de non-dits trouvent alors à se renforcer avec les représentants de l'institution qui, s'agissant des policiers, n'ont que peu d'égard pour la différence entre la présomption et la culpabilité, quand ils ne cherchent pas à tordre le bâton dans l'autre sens, s'agissant de la travailleuse sociale, en relayant un mensonge nécessaire afin de stigmatiser la faute masculine. Avec la généralisation de la honte, l'incommunicabilité en plus de triompher se trouvera même renforcée par l'imbrication des mensonges, dédoublant l'impuissance individuelle en irresponsabilité générale (le social a bon dos – avec lui, la faute appartient à tout le monde comme à personne : seule une réponse politique aurait évidemment raison de l'irresponsabilité sociale).

 

 

La femme enceinte qui ment afin de faire rejaillir la faute honteuse sur le chauffeur, ce dernier qui fuit le domicile conjugal en n'assumant pas d'avouer à sa compagne sa stérilité (qui, pourtant, sert de preuve permettant de l'innocenter), cette dernière qui reste persuadée que son mari l'a trompée : c'est, très simplement, l'intérêt du film d'Amor Hakkar que de déplacer la question du jugement des personnages qui en souffrent aux rapports sociaux qui, se nouant autour du tabou de la stérilité masculine, les compromettent. Mais c'est aussi la limite d'un film qui ne cherche jamais à excéder ses propres moyens (sur un même sujet, Kadosh d'Amos Gitaï en 1999 se constituait davantage comme objet cinématographique), se réfugiant dans la nécessité politique du constat sociologique comme pour s'éviter aussi d'avoir à ouvrir des gouffres qui auraient pu être autrement plus profonds et déstabilisateurs (des abîmes autrement dit kafkaïens – la culpabilité virtuelle de tout un chacun s'actualise dès lors que la loi pointe son index accusateur).

La tradition cachée de la fidélité :

 

 

Histoire de Judas (2015) de Rabah Ameur-Zaïmeche

 

 

Au lieu de caresser dans le sens du poil des représentations figées par l'histoire longue d'ancestrales traditions exégétiques, il y aurait tout lieu de les brosser à rebrousse-poil afin d'en prélever des formes intempestives, en guise de relève d'une possibilité, d'une nouvelle actualité chargée en utopie. C'est, avec une audace dans le geste qui sidère, ce qu'accomplit Rabah Ameur-Zaïmeche aujourd'hui en regard de Judas, figure de traître exemplaire pour l'historiographie chrétienne en son moment évangélique retournée sur elle-même pour apparaître dans toute sa dimension de fidélité jusqu'au-boutiste à l'enseignement de Jésus, contradictions comprises.

 

 

Que ce renversement héroïque d'une figure de la trahison au principe de l'histoire pluriséculaire de l'anti-judaïsme soit accompli (et littéralement incarné ici) par un artiste d'origine algérienne et de culture musulmane bouleverse autant qu'émeuvent aux larmes les youyous fêtant le retour de Jésus de sa retraite au désert ou le rapprochement de son « souffle d'amour » avec l'esprit du soufisme. Le bouleversement relatif à Judas rédimé (qui se dédouble en dé-liaison de Jésus et du Christ qu'ici il ne devient jamais) représente alors comme un écart salutaire en dérangement du consensus islamophobe identifiant actuellement l'antisémitisme qui (re)vient aux seules figures réactives et explosives issues de l'émigration-immigration d'ascendance migratoire et (post)coloniale. L'anti-tradition à laquelle souscrit avec son cinquième long-métrage l'acteur-réalisateur consisterait ainsi à trahir la vieille tradition de la trahison en vertu d'une vérité renouvelée – la fidélité à l'événement fondateur d'une parole de rupture substituant à la règle de la domination l'exception de l'émancipation.

 

 

La fidélité plutôt que la trahison à l'égard de la parole émancipatrice d'un maître, dans une perspective résolument hétérodoxe mais jamais blasphématoire, s'inscrit alors de toute évidence dans la continuité esthétique et politique des Chants de Mandrin (2011). Ce dernier film proposait en effet qu'une troupe bariolée issue de l'histoire migratoire hexagonale incarne une France de la camaraderie dissidente, minoritaire, rebelle et pré-révolutionnaire, en radicale discordance avec une actualité alors dévolue à un débat sur l'identité nationale relayée de sinistre mémoire par les préfectures.

 

 

Traduttore, traditore : traduire, c'est trahir. Au lieu de croire que Histoire de Judas s'évertue à proposer la réinterprétation d'un récit archiconnu et figé dans le marbre du texte néotestamentaire, la fiction qu'il narre s'inscrit dans une longue série faite d'interprétations d'interprétations depuis la lumière d'une mythologie susceptible de tous les écarts dès lors qu'elle ne relève pas d'une histoire strictement documentée en tant que telle. On l'a compris, la trahison consiste ici à trahir la tradition de la trahison, en même temps que le disciple le plus appliqué dans l'enseignement du maître finit malgré tout par le trahir en préférant suivre sa pente passionnelle consistant dans la destruction des retranscriptions faites par les scribes plutôt que de rester aux côtés d'un homme bientôt condamné par le colonisateur romain à la crucifixion. Pourtant, la parole pleine et vivante de Jésus, en ce qu'elle autorise ici la destruction par Judas des écritures faites de son vivant au nom d'un présent sans avenir alors surdéterminé par l'idée de la fin des temps s'approchant, s'oppose désormais à la parole imprimée et diffusée par les légataires du défunt Mandrin.

 

 

On pourrait en toute logique y déceler la preuve d'un retour à un logocentrisme critiquable (un « phallogocentrisme » comme l'aurait précisé Jacques Derrida), mais la reculade devra bien plutôt s'envisager dialectiquement comme un progrès dans l'œuvre : hier héritée avec la mort du maître, la fidélité subjective à la parole émancipatrice se vit désormais en sa coprésence (Judas ne peut d'ailleurs que mourir une fois l'annonce de la mort de ce dernier), elle s'éprouve au présent d'une incarnation triomphant à chaque plan de Histoire de Judas. Dans un rire d'enfant ou un braiment d'âne, avec l'harmonie d'un bendir et de flûtes naï, dans un souffle qui fait tournoyer la poussière ou parmi quelques ruines romaines restés en pays berbère. S'il y a une tradition à laquelle on pourrait au fond rattacher le nouveau film de Rabah Ameur-Zaïmeche ainsi que tous ceux qui le précèdent, ce serait peut-être celle au fond du judaïsme paria issu de la « tradition cachée » explorée par Hannah Arendt, l'outsider conscient d'incarner depuis les marges de l'empire (cet empire qui fait irrésistiblement ressembler la Judée colonisée par les Romains à la Palestine occupée par Israël) l'universel désir d'en finir avec l'oppression éprouvée dans sa chair.

 

 

Judas le sicaire : Iscariote ne dérive-t-il pas de Ish-Keriot signifiant en hébreu « homme de la banlieue », celui qu'a été et que demeure, crachat oblige, l'acteur-réalisateur depuis Wesh Wesh, qu'est-ce qui se passe (2001) ?

 

 

Disons les choses encore autrement. Il y a – au moins – deux grandes audaces dans ce nouveau long-métrage de Rabah Ameur-Zaïmeche, certes moins enjoué que les films précédents de son auteur et dès lors plus susceptible des pesanteurs didactiques de l'esprit de sérieux, plus hiératique aussi à mesure qu'il avance dans sa narration. Qu'un artiste, d'origine algérienne et de culture musulmane, incarne celui dont le nom signifie « je suis juif » en Judée retrouvée en pays berbère pose un écart absolument salutaire en regard du consensus islamophobe (et l'on ne peut pas ne pas songer ici à Edward Saïd, concepteur d'une « théorie voyageuse » affirmant dans un de ses derniers entretiens donnés à un quotidien israélien qu'il était le « dernier intellectuel juif »). Et qu'il ait décidé de se saisir d'une figure de la trahison constitutive de l'historiographie chrétienne en son versant judéophobe pour en faire une figure de fidélité à l'endroit d'un enseignement émancipateur donné par Jésus (ne serait-ce déjà que par rapport au motif de la violence mimétique caractéristique de l'Ancien Testament dont les trois monothéismes partagent la loi mosaïque) représente un autre écart face à un autre consensus rabattant toute idée d'un projet émancipateur sur la cohorte de ses trahisons historiques censées en condamner rétrospectivement le principe (et l'on serait à cet égard assez proche ici de l'approche philosophique défendue par Alain Badiou).

 

 

Un écart en forme de redoublement d'un autre, tout aussi essentiel : Jésus revient comme il avait été oublié, comme au premier jour, oriental.

 

 

Au lieu de solliciter de glorieux précédents cinématographiques (L'Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini en 1964, La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese en 1988), l'évidence voudrait plutôt qu'il faille chercher ailleurs les traces de l'actualité d'un enseignement émancipateur vécu au présent, tant Histoire de Judas tourne résolument le dos aux lectures évangéliques (d'où la destruction de l'œuvre des scribes) comme à celles posant la trahison de Judas comme une nécessité consciemment inscrite dans le plan divin de la résurrection de Jésus (Jésus revient parmi les roseaux ici mais dans la double ellipse de la scène de la crucifixion comme de celle de Marie-Madeleine – autrement dit sans jamais se transmuer en christ dont l'icône servira à l'établissement ultérieure d'une église, l'institution ecclésiale étant moins désireuse de l'incarnation d'une parole émancipatrice que soucieuse d'incorporation dans une machine de pouvoir).

 

 

Ainsi, on sera peut-être surpris que le pardon à l'égard de Bethsabée, avec le détail des écritures incompréhensibles de Jésus tracé dans le sable, paraît venir directement d'un épisode fameux de The Sun Shines Bright (1953) de John Ford. L'anti-tradition en laquelle comprendre le geste de Rabah Ameur-Zaïmeche aura donc consisté en la trahison de la tradition évangélique-synoptique posant la trahison de Judas en vertu d'une contre-tradition, révolutionnaire celle-là, consistant en la fidélité à l'endroit d'une parole universellement émancipatrice, sans dévoiement ni corruption autorisés par le figement faisant force de loi du verbe en écriture.

 

 

N'en demeurent pas moins quelques points insistant à faire question, notamment en regard du précédent Chants de mandrin. Ainsi, le dépliement de la figure de Jésus, avec d'un côté le personnage du fou (Carabas, le simple d'esprit également relevé de la représentation l'assignant classiquement aux moqueries anti-juives) et de l'autre le disciple le plus fidèle et appliqué (Judas, les autres n'existant que dans un souffle anonyme)au point où son application (jamais commandée par Jésus se contentant seulement de lui donner à librement interpréter l'impératif suivant : « Fais ce que tu dois faire et fais-le vite ») se prolonge en acharnement attestant d'une passion vaniteuse risque de brouiller davantage les lignes de la configuration iconographique générale plutôt que de permettre de faire souffler à équidistance de ces figures un vent de liberté réellement interprétative.

 

 

Mais le risque est ici courageusement assumé, d'une part parce que tous les interprètes jouent des deux côtés de la caméra, personnages souvent anonymes devant et techniciens derrière (leurs noms sont alors retrouvés avec le générique-fin électrisé par les larsens de Rodolphe Burger dont on aurait pu apprécier qu'ils viennent chahuter l'ordonnancement général de la représentation), selon une pratique déjà expérimentée de camaraderie cinématographique en-deçà et au-delà du pli des images. D'autre part parce que les plans, souvent tournés en longue focale (par Irina Lubtchansky), jouent à écraser les perspectives en pliant les paysages comme des surfaces les unes sur les autres.

 

 

Ainsi, Rabah Ameur-Zaïmeche semble être passé du stade de la parole imprimée à diffuser et disséminer après la mort de son auteur (le brigand Mandrin décédé) à celui de la parole vivante à préserver – ce qui, philosophiquement, nous ferait retomber dans la caverne de Platon (un texte essentiel à ce sujet est celui de Jacques Derrida intitulé « La Pharmacie de Platon » dans La Dissémination, éd. Seuil, 1972). Il serait pourtant tout à fait possible, même s'il faudrait y réfléchir encore davantage, d'y relever l'idée non plus d'un héritage de la lettre des morts à relayer par les vivants qui s'en inspirent, mais celle de la coprésence des disciples et des maîtres dans l'enseignement d'une parole émancipatrice communément partagée. Les maîtres (au sens moins scolastique que philosophique – les seuls qui s'autorisent à ce qu'on les autorise ainsi) ne sont plus d'obscurs anciens mais désormais nos contemporains, ceux avec qui nous vivons, affrontons et combattons les impasses brutales de l'époque.

 

 

On devra également évoquer les larmes baignant le dernier tiers de Histoire de Judas qui, pourtant, ne doivent pas empêcher la vue, brouillée devant tant d'effusions, d'admirer la séquence du procès, inspirée par le deuxième mouvement du Maître et Marguerite (1927-1939) de Mikhaïl Boulgakov. D'une part, parce que résonne en un théâtre à ciel ouvert digne du cinéma de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub la puissance d'une parole allégorique (l'empire exemplifié par la figure de Ponce-Pilate n'est que ruines) dont la vérité documentaire est matériellement attestée par les ruines romaines en pays berbère. D'autre part, parce que la machine judiciaire qu'est le tribunal (moins producteur de vérités éternelles que de jugements circonstanciels) est représentée ici en ce qu'elle bute sur une double aporie, l'homme de la décision (Ponce-Pilate) errant dans l'indécision tandis que Jésus s'inscrit à l'inverse dans un régime de la décision plus fort que celle qui va décisivement s'exercer sur lui (cf. Giorgio Agamben, Jésus et Pilate, éd. Payot & Rivages, 2014). Avec la césure logée dans le motif de la décision se manifeste, ici comme dans Michael Kohlhass (1810) de Heinrich von Kleist et son adaptation cinématographique par Arnaud des Pallières en 2013, l'écart ou l'hétérogénéité entre le droit et la justice (cf. Jacques Derrida, Force de loi. Le ''fondement mystique de l'autorité'', éd. Galilée, 1994).

 

 

Lorsque, enfin, Judas agonise et succombe dans un caveau en forme de reprise inversée du célèbre tableau de Hans Holbein le jeune, Le Christ au tombeau (1521-1522), le caractère de consécration terminale de la figure de Judas pourrait plaider comme dernier tour de vis d'un nouvel académisme d'auteur s'appuyant sur l'autorité de prestigieuses références picturales (ailleurs, Rembrandt et surtout Caravage sont convoqués). S'il ne venait pas se diviser de manière retorse en identification de la vanité de l'acteur-réalisateur à celle de son personnage, le plus fidèle d'entre les fidèles finissant par mourir d'un retour inattendu de manivelle – celle de la trahison éprouvée dans sa chair par celui qui aura préféré suivre sa pente passionnelle plutôt que de rester aux côtés de son maître menacé.

 

 

La trahison renversée en fidélité débouchant alors dialectiquement sur une vanité trahissant et contrariant amèrement le goût de la fidélité pour le plus fidèle d'entre les fidèles : l'anti-tradition de la fidélité en guise de trahison à la tradition de la trahison n'ignore pas qu'il n'y a pas meilleur traître que le plus fidèle d'entre les fidèles. Et c'est bien dans les tours subtils de la dialectisation de la fidélité et de la trahison que se nichent les complexités escarpées de Histoire de Judas.

Un critique, deux regards : contre l'école, tout contre

 

 

En rachâchant (1982) de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub,

Comment recadrer un hors-la-loi en tirant sur un fil (2010) de Lamine Ammar-Khodja

 

 

D'un côté, En rachâchant (1982) de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub d'après le conte pour enfants Ah ! Ernesto (1972) de Marguerite Duras tourné pour l'INA. De l'autre, Comment recadrer un hors-la-loi en tirant sur un fil (2010) de Lamine Ammar-Khodja (un film de fin d'études réalisé à Lussas qui représente à sa manière aussi un conte pour enfants). Aussi dissemblables soient-ils, ces deux courts-métrages partagent en effet un grand désir, celui d'une enfance rétive aux leçons administrées par l'âge adulte en ses mornes institutions.

 

 

Il y aurait d'abord une première valeur au rapprochements d'œuvres aussi hétérogènes formellement, celle consistant à considérer indépendamment de toute précession ou hiérarchie l'égalité de leurs auteurs, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet en hérauts prométhéens de la modernité cinématographique depuis un demi-siècle aussi nécessaires pour nous aujourd'hui qu'un jeune réalisateur formant le vœu de préserver le secret d'un geste de cinéma brossant à rebrousse-poil le tissu d'opinions emmaillotant l'existant jusqu'à en étouffer la complexité. Dans les deux cas, l'enfance comme insolence, en renvoyant à ses contradictions l'institution (l'école républicaine sanctuarisée dans le premier film, le pseudo-débat sur l'identité nationale pour l'autre), invoque depuis son noyau étymologique l'idée de se déshabituer ou ne pas s'habituer.

 

 

L'enfance en ses effronteries, c'est autant un enfant qui refuse d'aller en classe pour, dit-il, « y apprendre ce qu'il ne sait pas », que les cinéastes qui en respectent la révolte anti-autoritaire en usant de formes en rupture avec les conventions représentatives du cinéma académique (noir et blanc, jeu anti-naturaliste, fragmentation de la continuité filmique). L'enfance en sa hardiesse, c'est autant un jeune homme qui invite quelques camarades appartenant à sa génération afin de vérifier pratiquement la réduction identitaire des complexités subjectives, que le réalisateur qui se met lui-même en scène comme un enfant fourbissant avec les bégaiements de la langue et les objets trouvés de la vie quotidienne quelques contre-leçons transversales à la leçon ministérielle relayée par les préfectures.

 

 

Plus godardien que straubien (les effets-mitraillette du générique, les collages d'extraits de films, les jeux de mots), Lamine Ammar-Khodja finit au bout du compte par ressembler à Ernesto, enfant frondeur qui lui non plus n'a aucune appétence pour apprendre ce qu'il ne sait pas, préférant substituer aux abstractions idéologiques de l'identité nationale les « rachâchements » du court-circuit en résultante concrète d'un taillis buissonneux – celui d'un complexe de relations intersubjectives ressaisies depuis une identité comprise comme « alter-identité » ainsi que le dirait de manière particulièrement lévinassienne Fethi Benslama.

 

 

« Je ne retournerai pas à l'école parce qu'à l'école on m'apprend des choses que je ne sais pas » : c'est Ernesto qui parle, héros d'un conte pour enfants méconnu de Marguerite Duras, et l'assurance de l'enfant met en déroute ses parents comme elle fait sortir hors de ses gonds l'enseignant. « Je saurais i-né-vi-ta-ble-ment » pose en définitive l'insolent, d'un savoir sauvage en résistance aux orthodoxies bornées de la maîtrise scolaire. En guise de cadrage – sinon de recadrage, un « débat » sur l'identité nationale relayée par les bornes préfectorales. En guise de hors-champ, l'école buissonnière d'un marabout-de-ficelle proposant de discussions en citations de semer quelques cailloux colorés en guise d'associations d'idées – mieux, une coopérative où l'identité se pense moins en terme d'opposition exclusive avec toute altérité qu'en composition réciprocitaire avec elle.

 

 

Peut-être le gamin de JMS qui reviendra avec un corps d'adulte dans l'ultime film de Marguerite Duras, Les Enfants (1985), puis dans le roman La Pluie d'été (1990), manifeste-t-il une assurance cinglante, retorse et cassante en raison d'un désir de résistance aux procédures intégrantes et normalisatrices de l'institution scolaire. Tandis que celui de LAK, en ses coqs-à-l'âne dignes de JLG (et n'est-ce pas un hasard alors si ce dernier préfère citer dans son documentaire Chroniques équivoques en 2013, plutôt que de Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier en 1967, sa version pour enfants intitulée Vendredi ou la Vie sauvage en 1971 ?),viserait davantage le déroulé de lignes de fuite diagonales, tirant tous les fils (rouge, corde à linge ou de guitare manouche) afin de détricoter la pauvre idée d'une identité fixée d'en haut au riche profit des effilochements libertaires du sens.

 

 

L'enfance demeure définitivement le secret de notre persévérance, notre foyer d'utopie, une puissance constituante dans la contestation vive des figements institutionnels et des formes de destitution saturant le monde des adultes. L'enfance, celle qu'auront exposé Danièle Huillet et Jean-Marie Straub contre les pesanteurs du mitterrandisme (et contre Marguerite Duras elle-même ayant soutenu François Mitterrand lors des élections présidentielles de 1981) à l'époque du tristement célèbre « tournant de la rigueur » en 1982. L'enfance, celle que sauvegarde Lamine Ammar-Khodja contre la sénescence complice des États français et algérien. L'enfance, celle-là même que cultive le cinéma en sa puissance libertaire, depuis les burlesques, Charlie Chaplin, Jean Vigo.

Post-scriptum : Ghassan Salhab aura également proposé, dans la même catégorie « Un critique, deux regards », deux films aussi différents formellement que leurs différences mêmes autorisent de les rapprocher en un geste de montage auquel le cinéaste libanais n'aura pas été insensible (on pense ainsi à ses essais vidéo, par exemple La Rose de personne en 2000, jouant d'effets troublants moins en résultante de fondus-enchaînés que de surimpressions flottantes, au principe d'un décollement des images et des temporalités qui leur sont associées). Je t'aime infiniment (2010) co-réalisé par la libanaise Corine Shawi et le danois Nicolas Bendix Skyum Larsen et You are not I (1981) de l'étasunienne Sara Driver auront ainsi été montrés successivement pour les envisager en un imaginaire vis-à-vis, d'inattendues correspondances surgissant alors sur l'écran mental du spectateur.

 

 

Ce sont d'abord des figures communes, deux sœurs, naguère prostituées probablement menacées par le gâtisme dans le premier film, l'une des deux se substituant à l'autre dans le second. Ce sont ensuite des institutions proches, maison de retraite, hospice ou centre de gériatrie dans Je t'aime infiniment, asile dans You are not I, toutes habitées par des femmes mystérieuses dont on devine qu'elles sont habitées par des puissances excédant le cadre de leur assignation à résidence. Ce sont enfin des paysages qui, dans les deux cas, manifestent la réponse du dehors aux paysages du dedans habitant les héroïnes des films respectifs, tandis qu'une musique ambient pousse le spectateur du documentaire puis de la fiction à frayer de plus en plus dans les bordures de l'état second, dans les marges de la rêverie onirique et de l'hypnose. Le fait que le co-réalisateur de Je t'aime infiniment soit d'origine danoise serait presque suffisant pour déceler dans les deux films le spectre du cinéma de Carl Theodor Dreyer, la réclusion institutionnelle ou psychique des femmes ne contrariant en rien l'Ouvert en regard duquel les puissances du dedans et du dehors s'échangent selon de saisissants effets de polarisation qui sont d'estrangement (Siegfried Kracauer).

 

 

Et il ne saurait y avoir polarité en l'absence de pôles complémentaires et opposés, la nécessité polaire du Deux se rejouant alors dans les deux films tant du côté de la figuration (deux sœurs) que du côté de la réalisation (il en faut deux pour Je t'aime infiniment et le film de Sara Driver a bénéficié de l'aide de Jim Jarmusch dont elle fut l'actrice et la compagne). Mais chacun des deux films redéploie à son idée d'une inquiétante étrangeté des êtres et des choses aussi la question du Deux, les images de paysage ne raccordant pleinement avec les récits lacunaires de l'une des deux sœurs libanaises qu'à partir de motifs animaux cauchemardesques ou morts, la dérive en noir et blanc du film de Sara Driver (et émaillée de quelques cadavres également) se soutenant pour sa part d'une trame narrative off issue d'une nouvelle de Paul Bowles (et l'on songe devant You are not I et son ultime torsion narrative à du David Lynch sous tranquillisant).

 

 

La double programmation autorisée par « Un critique, deux regards », Ghassan Salhab l'aura prolongée en proposition de montage qui, dans l'émergence tectonique de « paysages humains » (Nazim Hikmet, dont le fantôme erre par ailleurs dans Comment recadrer un hors-la-loi en tirant sur un fil) en vérification des puissances d'indiscernable de l'image (comme interface membraneuse ouverte aux échanges entre le dedans et le dehors, entre soi-même et l'autre), ne peut pas ne pas entrer en résonance avec des impulsions travaillant sourdement la géographie intérieure de tant de ses longs-métrages (depuis Beyrouth fantôme en 1998 à La Vallée qui, enfin, sortira normalement en France à l'automne).

 

 

le 26 avril 2015

 

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