Blockbusters, état des lieux 2015

Des éléphants blancs, sûrement, mais quelques termites aussi         (première partie)

 

« Les éléphants blancs se cachent derrière le grandiose de leur sujet, ils ont une stratégie qu’ils poursuivent sans jamais la changer. Et il y a le termite. Le termite part d’une prémisse, et puis il la grignote. On ne sait pas où ça va, ni comment ça va, le termite lui-même ne comprend pas très bien : il bouffe... » (Camille Nevers et Vincent Vatrican, « French Connection : entretien avec Jean-Pierre Gorin » in Cahiers du cinéma, n°476, février 1994, p. 62)

 

 

Il y a sept ans, le 18 août 2008, mourrait à l'âge de 91 ans Manny Farber, moins connu pour ses peintures cinéphiles (en hommage à Howard Hawks, Anthony Mann ou encore Laurel et Hardy - l'une d'entre elles fait la couverture du fameux numéro des Cahiers du cinéma d'avril 1982 consacré au cinéma étasunien) que pour son œuvre de critique de cinéma courant, dans le sillage de James Agee (celle de Jonathan Rosenbaum s'inscrivant aujourd'hui dans l'héritage de ces deux-là) et la publication d'articles fondamentaux dans des journaux progressistes (comme The New Republic où il entre en 1942 puis The Nation, The New Leader ou encore Artforum spécialisé dans l'art contemporain), de la période de la guerre jusqu'au milieu des années 1970.

 

 

 

Parlant de Manny Farber, il faudra immédiatement saluer ici le beau travail éditorial de Patrice Rollet, initiateur avec quelques autres de la traduction d'un recueil absolument nécessaire (Espace négatif, éd. P.O.L., 2004) proposant un florilège d'articles parmi les plus fameux d'un critique finalement peu fréquenté de ce côté-ci de l'Atlantique. Et encore moins des jeunes générations qui n'auront peut-être entendu seulement parler de lui qu'à travers son double fantasque ironiquement proposé par M. Night Shyamalan avec The Lady in the Water (2006). Parmi les articles proposés par Espace négatif, un article brille et, non des moindres. C'est dans la revue Trafic (dont le comité éditorial compte l'incontournable Patrice Rollet) qu'avait été publié pour la première fois un article-phare de Manny Farber, considéré par beaucoup comme son manifeste (cf. Trafic, n°10, printemps 1994). Intitulé « L'art termite et l'art éléphant blanc » et originellement publié en 1962 dans une revue étasunienne du nom de Film Culture, l'article en question propose de manière polémique (on pourrait sur ce point le rapprocher du fameux article de François Truffaut, « Une certaine tendance du cinéma français » dans le numéro 31 des Cahiers du cinéma de janvier 1954 si le réalisateur souffrait par ailleurs d'avoir été peu estimé par Manny Farber) une distinction tranchante entre deux conceptions du cinéma considérées comme antagoniques, l'une prisée par l'auteur qui s'appuie sur elle pour s'opposer à la seconde, vivement critiquée, sinon méprisée.

 

 

 

C'est contre une tendance à « toutes les enflures du grand style » avec force dialogues psychologiques et moult références culturelles que s'élève héroïquement le critique en la caractérisant à partir de certains films de Joseph L. Mankiewicz et Fred Zinnemann, John Huston et Orson Welles (et même Michelangelo Antonioni). Et cela en privilégiant au contraire le sens classique de l'action et de l'efficacité narrative transcendant la production des séries B. modestes, fauchées et préservées de toute caution culturelle tournées par Raoul Walsh et Allan Dwan, André De Toth et Samuel Fuller, Don Siegel et Jacques Tourneur le plus grand producteur hollywoodien de séries B. » pouvait-il ainsi écrire à propos de Val Lewton). L'art termite, c'est donc celui des auteurs (on pourrait encore citer dans le domaine de la comédie Frank Capra et Preston Sturges) qui refusent de s'exposer comme tels en sollicitant l'aide stratégique des signes ostentatoires de la mise en scène ou des fétiches venus de la culture légitime parce qu'ils préfèrent mettre leur art au service de leurs personnages et de l'écrin des récits dans lesquels ils trouvent place. A l'inverse, l'art éléphant blanc conçoit la subordination stricte des plaisirs de la machinerie cinématographique aux signes extérieurs et symboliquement plus rémunérateurs du grand art bourgeois, en particulier ceux relevant du domaine de la littérature théâtrale ou romanesque.

 

 

 

Ceci étant dit, et contrairement aux apparences, Manny Farber, ami de Jean-Pierre Gorin (l'alter ego de Jean-Luc Godard à l'époque du Groupe Dziga-Vertov), aura par ailleurs particulièrement soutenu les films des grands modernes des années 1970, Jean-Luc Godard donc mais aussi Marguerite Duras, Rainer Werner Fassbinder, Werner Herzog et Chantal Akerman. On pourrait alors s'amuser à déployer aujourd'hui cette opposition structurale dans plusieurs directions spécifiques, vérifiant par ailleurs sa fécondité métaphorique et pourquoi pas heuristique. L'art éléphant blanc étant par exemple homologue pour nous à cette huile de palme cannoise fortement saturée en bonne volonté culturelle et en auteurisme dont s'abreuvent jusqu'à la lie tous ces films programmés pour ressembler au chef-d'œuvre idéal-typique prisé par le consensus hégémonique festivalier-critique-public. Tandis que l'art termite s'évertuerait à faire entendre, en dépit de l'hégémonie festivalière assujettie aux accords majeurs cannois, les ritournelles en accord mineur de gestes esthétiques moins préoccupés de leurs effets de signature que des effets proprement cinématographiques dont ils sont capables.

 

 

 

On aimerait alors ici oser s'approprier la fameuse distinction imaginée en son temps par Manny Farber dans l'analyse des superproductions spectaculaires dont cet été aura été nourri, à l'instar de tous ceux qui l'auront été depuis pas mal d'années désormais (probablement depuis Jaws de Steven Spielberg en 1975, en soi un coup de maître au principe des orientations caractérisant, depuis la fin de la parenthèse enchantée représentée par le Nouvel Hollywood, la nouvelle économie hollywoodienne soumise à la triple loi du super-héros, de la franchise et du reboot). Envisagée ainsi, on comprendrait aisément de quelle façon cette opposition structurale pourrait fonctionner, l'art éléphant blanc pouvant dès lors identifier les blockbusters aussi balourds sur le plan de l'offensive commercial et du conservatisme idéologique qui en est le corrélat logique que des pachydermes introduits dans le magasin de porcelaine.

 

 

 

Mais alors, qu'en serait-il de l'art termite ? Il ne s'agira pas tant en fait d'opposer les films d'auteurs ou indépendants étasuniens aux blockbusters hollywoodiens (une opposition aussi facile que stérile, les bons films n'étant pas plus nombreux dans une catégorie que dans l'autre), que de tenter de voir comment, parmi les seuls éléphants blancs du divertissement hollywoodien contemporain, certains pachydermes peuvent en leurs entournures creuser tels des termites d'inattendues galeries.

 

 

 

Dans le premier article ouvrant Espace négatif et intitulé « Films souterrains », Manny Farber insiste à juste titre sur des auteurs œuvrant au sein de l'industrie sur le mode de l'imperceptible, contrebandiers sans avoir l'air d'y toucher qui savaient pourtant s'approprier le grand héritage cinématographique du « muet » (le critique, parfois en compagnie de Patricia Patterson, aura écrit sur David W. Griffith), les films étant plus remarquables que leurs auteurs cachés dans leurs plis ou recoins secrets. Ce serait alors la moindre des choses que de constater que les blockbusters doivent répondre à des obligations, en termes de production et de distribution comme de figuration et de narration, toutes susceptibles de leur assurer la plus grande rentabilité à court terme (ce serait ici leur côté éléphant blanc). Mais ce serait une autre chose que de prendre avec le même élan en considération dialectique, au sein des mêmes films, les articulations plus ou moins fines ou les inflexions plus ou moins subtiles au principe d'un creusement souterrain d'une certaine idée du cinéma, encore persistante, quand bien même sur un mode minimal et parfois spectral (ce serait là leur côté termite).

 

 

 

Il ne s'agira par conséquent ni de racheter l'âme de produits voués au plus vil mercantilisme ni de traquer la possibilité d'un auteur quand, la plupart du temps (mais pas systématiquement), ces films appartiennent à une intelligence anonyme collectivement mobilisée pour faire exploser les plafonds du box-office en raison d'une propension toujours plus accentuée à l'hyper-capitalisation. A la place, on souhaite ici proposer, en homologie à la métaphore du termite, une approche de taupe s'essayant à creuser des tunnels dans les épaisses carcasses des éléphants blancs du blockbuster pour y pister, dépister et débusquer les galeries souterraines d'un art termite qui ne se réduirait alors pas à l'analyse clinique des symptômes caractéristiques de la pensée idéologiquement capturée ou « embarquée » (Isabelle Garo). A l'endroit où quelques lueurs faibles ou fossiles émises par l'astre cinéma éclairent encore le désastre contemporain du spectaculaire intégral et intégralement désintégrant dès lors qu'entrent en scène et en concurrence les impérialismes rivalitaires et mimétiques et les terrorismes asymétriques.

 

 

 

Un spectre hanterait donc la société spectaculaire dont les blockbusters représentent pourtant l'une des marchandises privilégiées, et ce serait celui du cinéma qu'il faut donc travailler à voir et reconnaître en allant au fond de la mine, dans les souterrains de la catastrophe audiovisuelle et médiatique actuelle. Là où brille aussi cette « faible force messianique » dont Walter Benjamin disait, dans ses thèses posthumes portant Sur le concept d'histoire (1940), qu'elle était accordée à chaque génération comme aux générations précédentes.

 

 

 

La faible force messianique du cinéma, c'est celle sur laquelle comptent ses amateurs, ceux qui veulent suivre les galeries souterraines de l'art termite dans les replis du derme épais des éléphants blancs du divertissement hollywoodien, ceux qui croient encore en un art en forme d'avertisseur d'incendie ou de dialectique à l'arrêt du train fou de la globalisation des conflits et des barbaries.

Mad Max : Fury Road (2015) de George Miller



Revenu du désert



Dans Le Sixième jour (1986), Youssef Chahine réussissait le double exploit de nous faire oublier la blondeur des cheveux de Dalida (son personnage trouvée d ans un roman d'Andrée Chedid avait la chevelure recouverte d'un voile) puis de nous la restituer à la toute fin du film sous la forme intempestive d'un dévoilement : cette blondeur oubliée était rendue au spectateur comme s'il la découvrait pour la première fois. D'abord su, puis oublié, enfin revenu avec l'allure d'une première fois : le motif avait ainsi valeur d'événement. Toutes choses égales par ailleurs, George Miller ferait de même concernant son personnage-phare de Max, qui devra en effet atteindre le bout du bout du ruban filmique et attendre le terme du film en guise de reboot de la franchise qui fit le succès du réalisateur australien dans la première moitié des années 1980 pour se rappeler au prénom célèbre qui est le sien : Max. Cet oubli vaut moins tripette qu'il fait symptôme et compte pour triple : il est celui d'un héros suffisamment happé par les enchaînements max-imalistes et explosifs de la situation qu'il réussit paradoxalement à trouver dans les impératifs catégoriques du présent un bon moyen de refouler les spectres familiaux qui le tourmentent ; il est encore l'oubli caractérisant une logique de reboot soucieuse de faire repartir en dépit de ce que nous en savons la série mythique de zéro plutôt que d'en proposer un quatrième volet, en réactualisant ainsi à l'heure du spectaculaire contemporain une imaginaire dystopique et post-apocalyptique daté, âgé déjà de trois décennies ; il est enfin l'oubli du spectateur comprenant très vite qu'il s'agira moins pour lui de renouer avec les aventures du vieux « Mad » Max Rockatansky que d'appréhender un nouvel avatar du héros qui, déjà, n'est plus incarné par le même acteur (le taiseux et massif Tom Hardy en remplacement de Mel Gibson qui alors y gagna ses galons de star quelque peu ternis depuis, les marmonnements du premier pour une fois en accord avec un agir ici sans commentaire). Depuis Mad Max III : Beyond Thunderdome (1985), troisième épisode d'une trilogie inaugurée avec Mad Max (1979) et poursuivie par Mad Max II (1981), quelques principes d'obédience peut-être lointainement nietzschéenne auront pourtant conservé la peau dure du reptile. Le désert n'aura eu de cesse de croître ; le nihilisme demeure la philosophie spontanée la mieux partagée par ceux qui restent en s'entre-dévorant ; l'oubli représente la meilleure façon d'effacer les pesantes créances du passé ; et le dernier homme du vieux monde agonisant (un chef tribal divinisé incarné par Hugh Keayes-Byrnes, l'interprète du Chirurgien, tonitruant méchant du premier film) ne voit pas que monte l'aurore du premier homme en promesse insoupçonnée du nouveau monde qui vient. Certes, est reconduite la norme du road-movie post-punk, à équidistance du néo-western et du péplum du futur, qui fit tant d'impression sur le premier Terminator (1984) de James Cameron, et dernièrement encore sur Bellflower (2011) de Evan Glodell comme sur The Rover (2014) d'un autre Australien, David Michôd. Comme cette norme s'inscrit au carrefour du désastre possible (la crise pétrolière de 1973) devenu probable depuis (les guerres étasuniennes contre l'Irak en prévention de la fin du pétrole, à laquelle s'ajoute désormais le risque écologique de l'épuisement des ressources aquifères) sur un axe et, sur l'autre, de l'apocalypse johannique qui hante le monde anglo-saxon en son noyau chrétien et néotestamentaire. Pourtant, c'est comme si Mad Max : Fury Road voulait prendre de vitesse le souvenir prégnant de ses augustes prédécesseurs, au point d'imposer sa partition furibarde et déjantée dans les bandes de la philharmonie des blockbusters récents (Avengers : Age of Ultron est tout simplement distancé, et même méchamment tant sa laborieuse stratégie des équilibres narratifs pèse d'un poids stérilisateur dont s'émancipe à force de vitesse le nouvel opus de George Miller, cette année 70 ans au compteur). Outre l'oubli du prénom mythique, et d'emblée, le fameux véhicule « Interceptor » est symptomatiquement volé au héros et détourné au profit des guerriers appartenant au clan tribal de Immortan Joe. Son non moins fameux fusil au canon scié, ensablé, finit en pétard mouillé, symptôme d'une contrariété du prestige phallique du personnage. Quant à sa tout aussi fameuse veste en cuir noir, elle lui a été également arrachée mais sa récupération n'autorise en rien de pouvoir en jouir une seule seconde. La force incroyable et inattendue du supersonique Mad Max : Fury Road réside précisément là, dans un minimalisme narratif élémentaire (le récit consiste en un simple aller-retour dans le désert), mais surinvesti et excédé par une fièvre carnavalesque, pas ressentie depuis Escape from Los Angeles (1996) et Ghosts of Mars (2001) de John Carpenter, et bien rare dans les mornes contrées du spectaculaire hollywoodien (le seul autre film vu cette année et, dans un registre semblable, aussi désarçonnant, mal peigné et mal élevé, mal fichu et mal dégrossi, c'est Chappie du sud-africain Neill Blomkamp, auteur d'un bon District 9 en 2009 qui s'était fourvoyé dans les grandes largeurs avec Elysium en 2013).



C'est qu'avec un budget de 100 millions de dollars (soit l'équivalent du total des recettes accumulées par le premier film, longtemps le plus rentable de l'histoire du cinéma), le potlatch devrait être incontournable. Et, souvent contourné par de grosses machines calibrées pour avoir les yeux uniquement rivés en direction de la ligne bleue des Vosges du box-office, il est ici accompli dans une logique tendue de dépense tripale, joyeuse et somptuaire, sorte de concert ambulant et en plein air de rock industriel. Barnum saturé en tératologie (une apocalypse nucléaire aura laissé quelques pustules sur des peaux autrement soumises aux incisions et tatouages d'un néo-tribalisme de rigueur), comme un Dune sous cocaïne, le film de Georges Miller fonce droit devant en revenant sur ses propres pas pour ignorer ceux qui les ont précédés, les potards dans le rouge, empruntant avec ivresse la seule route qui lui sied : la consomption foraine d'un trop-plein en plein milieu de nulle part. L'excès figuratif multiplié en éclosions acnéiques bouture ainsi la peau d'adolescent éternel d'un désert ocre et bleu dont l'abstraction aura été réalisée avec des fragments trouvés en territoires namibiens, sud-africains et bien sûr australiens. Coriaces sont ici les ruines issues du monde ancien en vérification des plaies purulentes du désastre actuel : l'eau rare et vénérée est appelée « Aquacola » et le festin des guerriers se sacrifiant dans un mixte d'autocide et d'hétérocide pour un aller supposé direct au Walhalla se nomme « McFestin ». Mais tout aussi vivaces sont les quelques moments qui, feux de détresse lancés plus hauts que les feux d'artifice tirés, font exception à la règle drastique du survival en acquérant une dimension d'événement frappante. C'est, on l'a dit, le prénom retrouvé in extremis par le héros qui, une fois le mandat accompli en dehors de toute psychologie (il y est impérativement obligé par la situation, les affects ne venant qu'après, sans mot dit ou un de trop), disparaît dans la foule en évaporation de tout messianisme (en sec contre-pied de Mad Max III : Beyond Thunderdome, le dernier et peut-être le moins bon opus de la première trilogie). C'est aussi un gynécée composé de cinq femmes apparaissant dans le désert comme une gravure de mode en papier glacé mais qui pourtant, désireuses de se soustraire au destin de pondeuse de luxe du chef de la Citadelle tribale, apprennent à se battre en rendant coup pour coup, aux côtés de quelques vieilles sorcières revenues de Macbeth de William Shakespeare et surtout de la pétroleuse Imperator Furiosa (Charlize Theron, boule à zéro qui ne fait pas, contrairement à Marion Cotillard dans De rouille et d'os de Jacques Audiard en 2012 tout un fromage de son moignon). C'est également l'obsession de cette dernière (retrouver la terre mythique de ses origines, Les Terres Vertes) dialectiquement retournée par le pragmatisme de Max substituant à l'idée d'une fuite vers un ailleurs matriarcal et utopique (entre-temps ce pays d'abondance est devenu marécage insalubre comme revenu d'une peinture de Salvador Dali et traversé sans avoir conscience du désastre) le principe de réappropriation politique d'un ici dont les femmes (mais pas seulement) auront été expropriées. C'est encore un énoncé guerrier (« Sois témoin ») qui se voit, à la suite d'une caresse éprouvée pour la première fois par un apprenti-combattant (Nux joué par Nicholas Hoult) s'amourachant de l'une des femmes du chef, détourné de sa cause guerrière sublime pour une autre cause dénoyautée de son contenu surmoïque – le sublime amoureux (on songe alors, entre deux bourrades ou télescopages, aux tristes combattants de la différence sexuelle intranquille de Boko Haram ou Daesh). Et c'est même un tout petit gag (Max fait signe de son pouce, sourire timide esquissé aux lèvres, à l'une des pondeuses sortie à l'arrachée du piège autoroutier où elle se trouvait pour y retomber quelques secondes après) dont la singularité, loin des punchlines à répétition du terne blockbuster de Joss Whedon, offre le point de capiton d'une autre humanité possible, à mi-distance du comique et du tragique. Entre la bête et le surhomme, entre la bêtise de la civilisation de la bagnole à l'ère postindustriel (à ce titre, l'origine cinéphile de Mad Max, c'est, déjà carnavalesque et bariolé, Week-end de Jean-Luc Godard en 1967) et une post-humanité évaluée à coup de pulsions primales et de machines rafistolées, entre la superproduction à la pyrotechnie lourdement capitalisée et le risque de pensum dystopique heureusement électrisé par une fièvre électrique azimutée, il y a encore un tout peu de la place pour quelques signes aussi émouvants qu'erratiques. Des signaux de détresse hérissant de chrome les pointes d'un feu d'artifice à 80 % sans ajout numérique (sauf pour l'extraordinaire séquence de tempête de sable), en attestation d'une humanité a minima, gagnée à l'arrachée (ce n'est plus la survie qui compte, mais bien la vie qui l'emporte désormais). Cela valait alors quand même bien le coup de froisser autant de tôles comme de remuer aussi bruyamment pour elle autant de poussière.

Avengers : Age of Ultron (2015) de Joss Whedon /

Jurassic World (2015) de Colin Trevorrow


La nature du symptôme


On sait ce qu'est un symptôme : un signe clinique en forme de rencontre ou de coïncidence entre un leurre (la fausse piste détournant l'attention du centre vital d'une souffrance) et une réalité (un mal réel dont le traitement tant craint détermine précisément la tactique inconsciente du détournement). Quand les films (particulièrement les blockbusters) échouent à être de bons films, on peut alors les envisager de manière extrinsèque comme des symptômes caractéristiques du régime économique et idéologique à l'intérieur duquel ils prennent place ou corps. Il y aurait alors de bons comme de mauvais symptômes, dès lors que les premiers offrent une perspective compréhensive du milieu matériel et idéel dans lequel ils s'inscrivent, tandis que les seconds souffrent seulement de ne valoir que comme les échecs logiques des contradictions de leur régime de production. De ce point de vue, Avengers : Age of Ultron (2015) de Joss Whedon représente un mauvais symptôme témoignant à son corps défendant des apories propres au stade hyper-spectaculaire de l'industrie hollywoodienne contemporaine, l'incapacité au renouvellement (par exemple la laborieuse intégration des petits nouveaux comme la Vision, Vif-Argent et sa sœur la Sorcière rouge) résultant des accords contractuels et des rivalités commerciales entre compagnies (Walt Disney, 20th Century Fox et Columbia) se partageant le fonds narratif et figuratif de la marque Marvel Comics. Alors qu'en 2011 le premier volet des aventures communes de Captain America et Thor, Hulk et la Veuve noire, Œil-de-faucon et Iron Man rendait assez bien compte du passage nécessaire entre de fortes individualités (y compris celles identifiant les stars convoquées dans cette entreprise) et un collectif soudé (le travail d'équipe préféré au jeu personnel, la lutte collective plutôt que la bataille d'ego), le deuxième épisode se cantonne à la gestion de l'existant (c'est une bande sympa de potes à laquelle le fan rêverait d'appartenir). Et, ce faisant, le film échoue à produire de la conflictualité (après le grandiose Loki qui offrait un peu de contrechamp, le Mal résulte désormais de la seule Némésis machinique de Tony Stark) pauvrement déplacée sur un terrain de guerre abstrait et nettoyé de tout enjeu géostratégique (la grotesque et même pas tintinesque Sokovie). Pour oser finir (le générique-fin en donne la berlue) par la sotte consécration dans le marbre (certes numérique, mais quand même) des nouveaux héros des temps consensuels, condamnés à ne pas pouvoir faire autre chose que ce qu'ils savent faire (remuer terre et ciel numériques sans qu'un seul civil, pourtant de fiction, n'en soit la victime collatérale). Au moins, X-Men : Days of Future Past (2014) de Bryan Singer et Mad Max : Fury Road (2015) de George Miller, qui représentent tous les deux des blockbusters parfaitement réussis dans leur genre (mieux, il s'agit tout simplement de bons films), ont su dynamiser et réinventer leur franchise respective (tantôt par une savante complexification narrative autorisant le passage du futur antérieur au conditionnel, tantôt avec un sens carnavalesque de la tabula rasa) à partir de laquelle décocher et tirer de nouvelles flèches en direction de nouvelles cibles (l'uchronie avérant la nécessité idéologique de l'ennemi d'un côté, l'allégorie du fondamentalisme barbare de l'autre). S'il n'est guère surprenant de constater que Jurassic World (2015) de Colin Trevorrow est un film d'un intérêt à peu près nul, il reste quand même assez surprenant de voir que ce blockbuster placé sous le patronage logistique de Steven Spielberg vaille quand même comme un bon symptôme caractéristique du régime hollywoodien pour lequel il représenterait alors, mieux que Avengers : Age of Ultron, le parfait petit poisson-pilote du moment.


 

Certes, mobiliser 150 millions de dollars pour seulement proposer le remake gonflé et customisé de Jurassic Park (1993) d'après Michael Crichton en lui adjoignant de pathétiques piqûres de stéroïdes (ces avatars kitsch dérivés de Jaws en 1975 que sont d'un côté Jaws 3-D de Joe Alves en 1983 pour le parc à thème et de l'autre Deep Blue Sea de Renny Harlin en 1999 pour la modification génétique des créatures) semble ne pas devoir représenter autre chose que la nouvelle arnaque hyper-capitalisée d'une économie catastrophiquement divisée entre dépenses inflationnistes d'un côté et contractions austéritaires de l'autre. Pourtant, il faudrait insister en creusant cette perspective symptomatologique en raison de laquelle Jurassic World exprime plus et mieux que ce qu'il a eu l'intention de dire. Ce blockbuster en soi insignifiant deviendrait de façon extrinsèque plutôt intéressant dès lors que l'on constate qu'il repose sur une contradiction clivant deux axes d'énonciation. D'un côté, le film de Colin Trevorrow est non seulement efficace mais juste lorsque son récit se comprend sur le plan imaginaire et allégorique du régime économique où il se place. De l'autre, la fiction qu'il narre se contredit symptomatiquement entre sa portée symbolique et sa réalité matérielle, finalement victime de sa propre cécité idéologique. D'une part, en effet, le parc à thème rempli de dinosaures symboliquement ou imaginairement consommés par les touristes se retourne dialectiquement en nouvelle jungle où les consommateurs risquent d'être à leur tour (mais cette fois-ci réellement) mastiqués par les bestioles. Ce qui est alors avéré, c'est le triomphe capitalistique de la naturalisation de l'esprit d'entreprise et de loisir, la nature originelle et monstrueuse appartenant moins à un stade historique antérieur à la société de consommation qu'elle en résulte directement, comme retour du refoulé autant que comme produit et artefact. La nature, ce n'est donc pas ce qui vient avant le capitalisme, elle en est même la résultante, le refoulé retourné à son expéditeur, l'excès de réel obscène débordant la logique des rapports de production, d'exploitation et de consommation pour en révéler le noyau prédateur et mortifère. La pulsion de mort ou la nature monstrueuse, le capitalisme ne la domestique pas et la sublime encore moins, il la travaille et la recrée, il la recrache à la face de ses producteurs comme de ses consommateurs – tous ingérés par une dynamique circulaire en forme d'autophagie cyclique. La catastrophe d'une nature à jamais non-identique à elle-même car métabolisée par l'agir humain et le défaut technique qui en caractérise essentiellement le fond, telle est donc la promesse disjonctive du capitalisme spectaculaire. Et, de ce point de vue, Jurassic World dit sans plus d'intelligence la vérité anthropologique du régime économique dont il relève dès lors quand même exemplairement. En revanche, le film se contredit radicalement à un autre niveau de compréhension. Celui où sa portée symbolique (l'héroïne interprétée par Bryce Dallas Howard, gestionnaire ayant une vue comptable et abstraite du parc finissant par être rappelée à sa nature de femme aiguillonnée par l'instinct de survie et celui de la conservation de la progéniture familiale par le chasseur joué par Chris Pratt) se voit contrariée par sa propre réalité matérielle et technologique. En effet, et dans un schématisme symbolique assez proche de celui du scénario de Australia (2008) de Baz Luhrmann, la femme est la représentante des abstractions monétaires et des manipulations informatiques quand l'homme est celui du terrain concret et du rapport pratique et intuitif à l'animal, le second démontrant la cécité de la première en la sortant des ornières du symbolique (les chiffres des bénéfices) et de l'imaginaire (la raison instrumentale ayant domestiqué les faits de nature) pour l'inclure positivement dans l'épreuve d'un réel en guise de rappel à l'ordre de ses fonctions maternelles. Sauf que si la fiction donne raison à la logique du héros à laquelle doit alors se plier l'héroïne, l'environnement technologique au principe de la réalisation du film donne à l'inverse raison à la seconde contre le premier, les bestioles néo-archaïques n'étant en définitive qu'une série de 0 et de 1 alignés pour permettre aux effets spéciaux numériques de garantir des profits maximum. Chassée par la porte (la nature est l'avenir catastrophique du capitalisme promettant moins la vie que la survie) et revenant par la fenêtre (la nature est ce qui autorise un homme de sauver une femme du déni caractérisant sa propre nature), la nature ne se résume à rien d'autre qu'à ce qu'en énonçait l'héroïne durant le premier tiers du film où son mépris de classe triomphait encore : une suite de chiffres subordonnée à la loi capitaliste des grands nombres.

Terminator : Genisys (2015) d'Alan Taylor


Vieillesse ou obsolescence ?


« Vieux, mais pas obsolète » : tel sera donc le nouveau slogan ou l'identifiant qui, aux côtés des deux sésames récurrents, « Viens avec moi si tu veux vivre » et « Je reviendrai », est censé justifier le retour d'Arnold Schwarzenegger non pas au cinéma (acté depuis The Expendables 2 de Simon West en 2012) mais dans l'un de ses rôles les plus fameux (après la parenthèse politique représentée par deux mandats de gouverneur de Californie entre 2003 et 2011 sous la bannière patriotarde et ultralibérale des Républicains). Et, en complément d'un mot d'ordre claironnant la séparation de la vieillesse de l'acteur du risque d'une obsolescence fictionnelle envisagée, se trouverait a fortiori légitimé le cinquième épisode d'une franchise qui date déjà de 1984, dès lors qu'elle accepte d'être réinitialisée à partir des codes réglementant les tendances lourdes caractérisant l'actuelle production de blockbusters hollywoodiens. Ces codes, on les connaît bien maintenant. C'est, d'une part, le principe stratégique du reboot qui autorise de remettre à zéro les compteurs en ouvrant une perspective narrative en vertu de laquelle la nouvelle fiction se substitue moins à la première de la série qu'elles forment ensemble deux versions compossibles extraites d'un même fond diégétique. Et c'est, d'autre part, le recours à la séquence post-générique qui fait office d'annonce du film à venir (deux longs-métrages sont d'ailleurs en préparation afin de soutenir la relance programmée de la franchise Terminator en la déclinant sous la forme d'une trilogie inscrite dans une logique cette fois-ci moins sérielle que proprement feuilletonesque). Soit, d'un côté, un perspectivisme (allez, du genre leibnizien) en termes de compossibilités et de séries divergentes imposé à Hollywood par J. J. Abrams (depuis la série télévisée Lost entre 2004 et 2010 jusqu'au reboot de la franchise Star Trek en 2009-2013). Et, de l'autre, les déploiements feuilletonesques caractéristiques des films de super-héros (en particulier ceux issues de Marvel Comics dont le fond narratif et figuratif se partage aujourd'hui entre les compagnies de distribution Walt Disney Studios Motion Capture, Sony Pictures Entertainment et la 20thCentury Fox). La règle d'or hollywoodienne, ce serait donc celle de l'éternel retour du même pourvu qu'il produise, même a minima, de la différence. C'est bien là le grand paradoxe propre à l'économie du divertissement étasunien que celui, en raison d'une réduction des risques d'échec commercial associé à la consommation de produits hyper-capitalisés, d'un rétrécissement de l'imagination fictionnelle légitimée sur la base de l'appropriation cinématographique de codes (feuilletonesques) ou d'expérimentations (sérielles) appartenant au champ de la production et de la création télévisuelles. Parfois, l'opération est carrément désastreuse (le reboot des aventures de l'homme-araignée intitulé The Amazing Spider-Man dont deux volets ont été réalisés par Marc Webb entre 2012 et 2014), parfois aussi elle réussit brillamment à faire décoller des franchises à bout de souffle (les deux derniers Star Trek comme X-Men dirigés par Bryan Singer ou encore récemment le nouveau Mad Max de George Miller). Parfois encore elle épuise ses propres ressources en atteignant les limites de ce que le partage du butin exploité et le droit de tirage ou de propriété exclusive autorisent (toute la constellation de films entreprise autour des Avengers).


 

Dans ce champ de bataille (qui, pour certains, représente déjà un champ de ruines) caractérisant le régime d'hyper-concurrence des blockbusters, Terminator : Genisys commence par s'en sortir plutôt bien, en imaginant de commencer là où les choses sont censées exactement recommencées. L'indistinction du commencement et du recommencement est séduisante, consistant ainsi à ce que l'action du nouveau film s'inscrive dans le contexte diégétique du premier film de la série (d'abord, le spectateur se réjouit de retrouver en toute connaissance de cause les frissons ressentis à la découverte du premier Terminator) pour casser aussi vite la répétition du même en imposant une bifurcation valant comme intempestive différenciation (le même spectateur découvre ensuite qu'un univers parallèle s'est en conséquence d'une torsion spatio-temporelle substitué à celui qu'il connaissait depuis les quatre longs-métrages précédents). Prendre le spectateur de vitesse, c'est donc la gageure du film d'Alan Taylor (réalisateur de la deuxième aventure de Thor en 2013) qui articule le point de vue du spectateur sur celui de Kyle Reese, ce dernier croyant en savoir plus sur sa mission que Sarah Connor (venu du futur et mandaté par le fils de cette dernière, il a pour mission de la sauver des griffes métalliques du cyborg programmé pour la tuer et ainsi l'empêcher de mettre au monde l'homme qui deviendra le héraut de la résistance humaine lors du soulèvement des machines) alors que désormais la réalité se situe à l'inverse de cette croyance. Quand Sarah Connor déboule et sauve un Kyle Reese éberlué, c'est en effet avec un bon train d'avance sur lui, l'héroïne ayant été éduquée depuis son enfance par un T-800 (la première version du Terminator interprété par Arnold Schwarzenegger) dans la possibilité d'un avenir catastrophique dont elle travaille depuis longtemps maintenant à contrecarrer l'avènement. A ce niveau, Terminator : Genisys fait plus que seulement s'amuser à rabattre les cartes des précédents volets (en particulier les deux premiers réalisés par James Cameron en 1984 et 1991 – d'où que le film d'Alan Taylor ait reçu en guise de publicité la bénédiction médiatique d'un maître soucieux de récupérer les droits lucratifs de la franchise en 2019). Notamment quand il organise l'affrontement consécutif entre deux T-800 (celui programmé pour protéger Sarah Connor et celui programmé pour l'assassiner) et le bon T-800 et un méchant T-1000 (qui, joué par un acteur d'origine sud-coréenne, ressemble beaucoup à Robert Patrick qui incarnait la version du T-1000 dans le deuxième volet). Mieux, il renverse à 360° le partage des rôles genré sous-tendant les rapports de Kyle Reese et Sarah Connor propres au premier Terminator en faisant de l'héroïne celle qui en sait et fait plus que le héros. Et, ce faisant, il dégraisse à bon droit de toute crainte ou hystérie une figure de femme ayant admis le principe de la violence légitime qui, interprétée désormais par Emilia Clarke (connue pour son rôle de Daenerys Targaryen dans la série télévisée Games of Thrones pour laquelle Alan Taylor a par ailleurs réalisé quelques épisodes), arrive à indexer le souvenir de Linda Hamilton (l'interprète de Sarah Connor dans les deux premiers films de la franchise) sur les images plus récentes et prisées de la féminité juvénile et batailleuse (Jennifer Lawrence de la série Hunger Games ou Chloë Grace Moretz dans Kick-Ass 2 de Jeff Wadlow en 2013).


 

L'éternel retour du même comme le revenir de ce qui toujours se différencie, ce n'est pas seulement l'essentielle lecture deleuzienne du grand motif nietzschéen. C'est aussi ce qu'accomplit à son niveau Terminator : Genisys qui subordonne la logique du reboot sur une ligne asymptotique le faisant ressembler à un remake pour mieux s'en écarter afin de refonder une figure féminine qui connaît de la manière la plus distincte son désir (Sarah Connor sait qu'elle doit avoir un rapport sexuel avec Kyle Reese afin que naisse son fils John, futur sauveur de l'humanité), quand le héros ignore pour sa part les soubassements obscurs ou confus du sien (il part pour le passé autant parce qu'il désire inconsciemment la mère de l'homme qu'il vénère que parce que ce dernier le désire en toute connaissance de cause). C'était l'impensé du premier Terminator (Kyle Reese savait-il vraiment ce qu'il faisait en couchant avec Sarah Connor ?) dont Terminator : Genisys en retourne l'envers en raison d'une puissance féminine inédite dans la série (si Kyle Reese semble pris par l'indistinction de son désir, Sarah Connor sait quant à elle très bien ce qu'elle doit faire de ou avec ce dernier). On pourrait même dire que le film d'Alan Taylor réussit à hiérarchiser la question du désir en renversant la logique traditionnelle des rapports de genre au principe du lancement de la franchise. C'est-à-dire, qu'il soumet un désir masculin (un homme veut sans le savoir devenir le père biologique du père qui l'aura adopté) à un désir féminin (dès lors que John Connor adulte revient dans le passé pour apparaître comme une version supérieure de cyborg téléguidée par le réseau Skynet afin d'initier sous le nouveau nom de Genisys le programme connu du « Jugement dernier », tuer ce dernier induit l'arrêt du projet maternel). Autrement dit, Sarah Connor peut en toute liberté désirer Kyle Reese, sans que ce désir ne soit donc strictement assujetti à la mise au monde destinal d'une figure de prophète ou de héraut messianique. Une fois ceci fait, le film d'Alan Taylor (ou plus exactement son scénario dû par ailleurs à un homme et une femme, Patrick Lussier et Laeta Kalogridis) cesse à partir de son milieu d'intéresser, l'accumulation diverse de destructions urbaines servant de programme minimal à dérouler mécaniquement jusqu'à un terme dont une voix-off relayée par la séquence post-générique nous assure (plutôt qu'elle nous rassure) que des mystères restent encore irrésolus (notamment celui concernant l'origine de l'envoi dans le passé du T-800 afin de protéger la toute jeune Sarah Connor). Trop de pistes intéressantes écartées (on pense en particulier aux capacités mimétiques des T-1000 et l'on pense alors qu'il y avait quelques os à ronger de ce côté-là dans le faiblard Dawn of the Planet of the Apes de Matt Reeves en 2014). Trop de clins d'œil sacrifiés à l'humour post-moderne de l'époque (une arrestation déconnante directement revenue de Guardians of the Galaxy de James Gunn en 2014). Et puis l'essoufflement d'une tension narrative entre les temps (le présent impliquant l'ouverture depuis un futur programmé d'un avenir imprévisible) qui place Terminator : Genisys largement en-deçà de X-Men : Days of Future Past (2014) de Bryan Singer. C'est que le film, pourtant si soucieux du renouvellement du désir de ses personnages principaux, cède finalement sur son propre désir (soit marquer une ligne de différenciation depuis les répétitions statiques imposées par le programme), en ramenant en fin de compte une allégorie potentielle du monstre totalitaire que serait Internet (comme stade suprême et terminal de l'esprit inhumain du capitalisme) au simple niveau de divertissement hollywoodien remis au goût du jour de l'hyper-consumérisme spectaculaire contemporain (pourtant programmateur d'obsolescence accélérée). Ce qui brille un peu moins, à chaque nouveau film d'une franchise toujours plus saturée en effets spéciaux numériques (équivalents symboliques de stéroïdes dont devait abuser Arnold Schwarzenegger lorsqu'il était bodybuildeur), c'est la lumière fossile de cet astre cinématographique qui en fut pourtant à l'origine, aussi lointaine pour ce film que le Big Bang l'est pour nous : La Jetée (1962) de Chris. Marker.

 

 

Le 25 juillet 2015

 

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