Nouvelles du Front de 231 à 240

 

Les personnages de Jacques Becker vont vite, si souvent pris en flagrant délit de courir après l'instant d'après. L'indolence orientale et proverbiale d'Ali Baba joué par le méditerranéen Fernandel resterait une exception si peu appréciée des amateurs du cinéaste. Pourtant, les quarante voleurs sont une horde sauvage qui s'empresse de punir le voleur du sésame ouvrant la caverne où s'accumulent non seulement les trésors du moment mais également l'or du temps.

 

  • Nouvelles 233 : John Ford, l'adieu aux armes I (L'Homme qui tua Liberty Valance)

 

L'Homme qui tua Liberty Valance apparaît aujourd'hui comme un enterrement de première classe du genre, bien avant les films de Sergio Leone et Sam Peckinpah. Aboutissement du classicisme hollywoodien, triomphe d'un modernisme qui offre à la télévision les moyens artistiques de lui rappeler de lointaines origines théâtrales : avec l'antépénultième western de John Ford, le genre est disposé à l'aventure moderniste d'une ouverture radicale sur les abîmes d'un cadavre cinématographique à déconstruire sans fin – au cinéma, chez soi devant sa télévision, à la maison et au-delà.

 

  • Nouvelles 234 : John Ford, l'adieu aux armes II (Frontière chinoise)

 

Avec l'ultime Frontière chinoise tourné en 1966 dans un coin du studio comme au bout du monde, John Ford précipite toujours plus vite le rythme en atteignant aux confins du classicisme et de la modernité : à la vitesse de la lumière – la lumière fossile qu’irradie un astre mort mais dont l’idée triomphe en traversant tous les temps avec la lueur fragile de l'éternité.

 

  • Nouvelles 235 : Watchmen, post-scriptum

 

Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons est un chef-d'œuvre du comics. Imaginer une suite au roman graphique est un pari osé mais relevé par Damon Lindelof dont la mini-série diffusée sur HBO en 2019 est une autre réussite après Lost et The Leftovers. Si le « showrunner » est un narrateur sophistiqué doublé d'un horloger à l'heure de la relativité, c'est en multipliant les effets de parallaxe comme autant de masques à soulever. La déconstruction du super-héros fendille la coquille du manichéisme en dénudant désormais le noyau de la race dont les bavures maculent notre actualité.

 

  • Nouvelles 236 : Puissance quatre (les quatre saisons d'Eric Rohmer)

 

La grande affaire du cinéma d'Eric Rohmer tient à ce que les êtres parlants que nous sommes parleront toujours à côté de la plaque de leurs actions. L'écart entre le dire et le faire est constitutif de notre subjectivité et sa comédie, ses bégaiements et ses lapsus, ses failles et ses ratés. Les personnages rohmériens aiment rien moins que raconter des histoires aux autres pour mieux s'en raconter à soi-même. En amour, il y aurait cependant moins de malentendus que de malentendants. L'évidence consiste alors en ce que les dialogues d'Eric Rohmer ont la virtuosité d'être de savants dialogues de sourds.

 

  • Nouvelles 237 : Serge Daney, l'histoire, la géographie, la modernité

 

Qu’est-ce qu’un passeur ? Celui qui a besoin de frontières pour les passer et pour faire passer des trésors qu’il n’a pas envie de garder pour lui tout seul. Le passeur passe le filet à l’épreuve du mauvais rebond de la balle et de l’impasse au fond du court. Le contraire du passeur est la passoire personnifiée aujourd’hui par la figure médiatique du commentateur ou du chroniqueur.

 

  • Nouvelles 238 et 239 : Youssef Chahine, cordialement (I et II)

 

On connaît, inspirée d’un poème de François de Malherbe plus tard repris en titre par Valéry Larbaud, la fameuse métaphore employée par le jeune critique Jean-Luc Godard à l’occasion d’un article important intitulé « Montage, mon beau souci » : « Si mettre en scène est un regard, monter est un battement de cœur » (Cahiers du cinéma, n°65, décembre 1956, p. 30-31). Cette question-là, dont on voudrait entendre ici qu’elle caractérise la cordialité intrinsèque du cinéma au sens de la rythmique interne des films, s'est posée et même imposée à Youssef Chahine. Et cela à deux moments décisifs.

 

  • Nouvelles 240 et 241 : Le pot aux roses de l'adulescence         

(Bertrand Mandico et Yann Gonzalez, Caroline Poggi et Jonathan Vinel)

 

En 1962, le pédiatre et psychanalyste anglais Donald Winnicott décrit l'adolescence comme un pot au noir. La métaphore est issue d'un terme de navigation désignant une zone de convergence intertropicale dans laquelle les marins ne savent plus dans quelle direction les vents vont tourner. Jetés dans l’intervalle chaotique des deux hémisphères, ces marins à l’instar de ceux qui ont été inspirés naguère par le portugais Henri le Navigateur se voient obligés de tirer parti d’une situation caractérisée par la plus grande des incertitudes et des instabilités.