Les burlesques, l'idiotie des anges

Les burlesques sont nos accompagnateurs originaires, ils sont en cinéma nos premiers doubles placentaires. Ce sont leurs films qui, très tôt, ont donné figure à la voix de l'ami qui a toujours précédé la nôtre en nous avertissant de ceci : la vie est invivable mais pas moins risible. La vie est une comédie dont le secret entretenu par les burlesques tient au rire de nos fautes parce qu'elles n'en sont définitivement pas.

« Le place du burlesque (envahissant, contagieux : imitable) est cependant précise : la périlleuse patinoire où nous attendaient nos premiers rôles adultes » (Jean-Louis Schefer, Images mobiles, éd. P.O.L., 1999, p. 155)

 

 

 

Larmes de joie

 

 

 

 

 

Le burlesque c'est l'enfance : l'enfance du cinéma, l'enfance de l'art. C'est notre enfance et l'on ne s'en remet pas. Les burlesques nous importent tellement en comptant parmi les premiers amis de notre enfance. Comme des grands frères paradoxaux, ceux que nous n'aurions jamais eus en même temps qu'ils auraient toujours été plus jeunes que nous. Les burlesques sont les primitifs de la modernité cinématographique. Des enfants qui auraient grandi trop vite, des asociaux qui font comme ils peuvent pour jouer au jeu biaisé de la normalité, des autistes qui s'ignorent quand ils ne sont pas persuadés du contraire. Ils ont la figure farineuse en même temps qu'ils s'épanouissent dans un monde encrassé. Un monde saturé, comme l'a noté Jean-Louis Schefer, par l'accroissement du déchet de la fonction humaine dont ils seraient les passeurs, les médiateurs promis à l'évanouissement. Peut-être alors montrent-ils, eux qui s'agitent et gesticulent tant, qu'il sont non seulement des rebuts de l'ordre social, mais aussi leurs monstres : des monstres pour les adultes qui persistent à refuser de voir et savoir qu'il n'y a pas de grandes personnes.

 

 

 

Les burlesques sont nos accompagnateurs originaires, ils sont en cinéma nos doubles placentaires. Ce sont leurs films qui, très tôt, ont donné figure à la voix de l'ami qui a toujours précédé la nôtre en nous avertissant de ceci : la vie est invivable mais pas moins risible. La vie est une comédie dont le secret entretenu par les burlesques tient au rire de nos fautes parce qu'elles n'en sont pas.

 

 

 

Les burlesques sont des anges qui nous rendent visite en ayant la malice qui est pudeur de ressembler à des idiots. Leur visitation est celle aussi des démons dont le génie personnifie le nôtre quand nous ne cédons pas sur notre enfance, l'enfance qui est la part la plus précieuse de notre existence en tant qu'elle est la plus impersonnelle. Le génie des burlesques consiste à tirer de nos ruines ironiques des persévérances pour le cœur, de nos catastrophes des rebonds pour le corps, de nos fardeaux des rires qui soulèvent la poitrine et revivifient l'esprit. Leur allégresse nous allège.

 

 

 

Les films burlesques en témoignent depuis plus d'un siècle, le cinéma est un art encore si jeune et déjà si vieux : les burlesques ont pris tous les coups pour nous, ils ont été injustement humiliés et offensés ; moqués et molestés ils sont tombés et retombés mais toujours pour prévenir que nous tomberons aussi. Et comme eux, à leur enseigne, nous nous relevons, enfin croit-on.

 

 

 

Nous nous relèverons en riant parce qu'avant de nous reposer définitivement, nos chutes seront drôles et obscènes, hilarantes et jouissives, libératrices. Voir tomber les burlesques nous fait retomber en enfance. Leur infantilisme sauve notre enfance, leur puérilisme la relève. Les burlesques sont des exemples et leur idiotie est un remède à notre bêtise qui est irrémédiable. On en pleure mais de joie. Les larmes de joie que nous versons à chaque fois pour nos chers burlesques ont la saveur de faire voir au travers des guenilles d'un présent effiloché des lendemains qui chantent en s'en souciant comme d'une guigne.

 

 

 

Comme le dirait Polichinelle, un grand ancêtre de nos burlesques : là où il y a une catastrophe, il y a une échappée.

 

 

 

 

 

Sans honte ni parole

 

mais pas sans geste

 

 

 

 

 

Burlesque, le mot vient de loin : de l'italien burlare qui signifie à la fois rouler et tomber et, par extension, tromper et bafouer. Burlesque est un terme qui apparaît sous la plume d'Agrippa d'Aubigné pour indiquer la bassesse d'une figure habituellement caractérisée par sa dignité. Burlesque jouerait ainsi entre de telles polarités : le digne qui chute fait rire en tombant dans l'indignité mais la chute n'empêche pas la relève d'une dignité moins retrouvée qu'elle montre qu'il n'y a pas de dignité naturelle. Les burlesques sont des gamins autistes, des enfants grandis trop vite qui jouent dans la zone d'indiscernabilité entre dignité et indignité, socialité et débilité, humanité et animalité. Ils n'ont aucune honte, c'est pourquoi ils sont honteux en libérant partout une honte qui ne fonctionne pas chez eux. Immunisés contre la honte ils font la honte de tout le monde, c'est pourquoi ils sont les grands contemporains des héros de Franz Kafka.

 

 

 

Si tomber fait rire en nous rappelant à la marionnette défectueuse que nous sommes (de la mécanique plaquée sur du vivant selon Bergson), s'en relever sans mourir d'indignité est un autre rire qui appartient au grand art des burlesques.

 

 

 

Moins qu'un genre et plus qu'un style, le burlesque est une tonalité qui s'impose d'abord chez Rabelais avant d'atteindre au théâtre une manière de sommet, en Angleterre avec certaines comédies de William Shakespeare, et puis en France avec les pièces de Molière formé à l'école de la commedia dell'arte. Le music-hall anglais qui hérite des scènes comiques, légères et satiriques (le vaudeville) expérimentées par le café chantant de la fin du 18ème siècle et le café-concert en accueillera les maîtres et les figures durant le siècle suivant. À la fin du 19ème siècle apparaît enfin le cinéma qui offre avec ses moyens spécifiques un prolongement original à la tradition burlesque dont le génie atteindra désormais des puissances d'expression inégalées. Vingt ans plus tard, les burlesques connaissent leur âge d'or.

 

 

 

Avec le burlesque, l'absurde règne mais dans un sens physique et concret amplifié par le réalisme ontologique caractéristique du médium cinématographique. Le burlesque est un royaume délirant, celui de la violence et son arbitraire. La morale et la psychologie n'y comptent pour rien ou presque. Le gag s'impose comme unité de base du burlesque et les premières bandes burlesques sont des chapelets de gags débités dans l'indifférence usinière d'en construire le récit. Les premiers burlesques sont européens, français (André Heuze et Jean Durand) et italien (Romeo Bosetti) et ce sont les grandes sociétés françaises, Pathé et Gaumont, qui dominent le marché jusqu'en 1914, y compris outre-atlantique.

 

 

 

Si les gags s'épanouissent à l'époque du muet c'est en faisant entendre ce que le mot anglais de gag signifie originellement, à savoir un bâillon. Le burlesque qualifie au fond celui qui a un bâillon au fond de la gorge, Elias Suleiman en a retenu la leçon. C'est ainsi qu'il est l'ange gardien d'un mutisme essentiel au cinéma qui, pour paraphraser le philosophe Ludwig Wittgenstein, est l'art de montrer ce que l'on ne peut pas dire. Les gestes du burlesque rappellent à l'enfant son défaut de la parole (infans) en montrant à tous les autres le fait d'être dans le langage sans même avoir besoin de prononcer un seul mot. Le gag autorise les burlesques à l'agitation tous azimuts, ils font des manières autant que des mimiques, ils ont chacun un gestique caractéristique. Les gestes des burlesques parlent pour eux et pour nous qui les reconnaissons comme les gardiens mythiques de notre enfance mutique, les brocanteurs et chiffonniers de nos ruines et antiquités : « gestualité pure » (Giorgio Agamben).

Premières chutes

 

 

 

 

 

D'abord le cinéma c'est le pré-cinéma. Le principe de la lanterne magique a été modernisé par le photographe Émile Reynaud qui invente en 1892 le Théâtre optique accueilli alors en exclusivité par le Musée Grévin. Avec le Théâtre optique qui est dans la continuité technique du praxinoscope, Reynaud organise la projection de ses Pantomimes lumineuses et colorées à l'instar du célèbre Autour d'une cabine (1894). La chute dans l'eau du vacancier bedonnant suivie par celle de la touriste parisienne dans le sable, tout cela est évidemment burlesque. L'existence du pré-cinéma rappelle en passant qu'à l'origine de l'avènement du cinéma, il y aura eu la conjonction historique de la photographie et de la mise en mouvement des images, autrement dit de l'animation. L'animation est aussi une question de spiritualisation, soit d'insufflation spirituelle donné aux machines qui fonctionnent avec la hantise du ratage et dont la conjuration appelle le rire.

D'emblée, les frères Auguste et Louis Lumière explorent la part documentaire du cinéma comme machine d'enregistrement de fragments de la réalité et glissent entre deux « vues photographiques animées » une vue comique inoubliable. Inspiré par une caricature d'Hermann Vogel, L'Arroseur arrosé existe en trois versions dont, à l'origine, aucune ne porte ce titre (la première a pour titre Le Jardinier et le Petit Espiègle) avant d'être reproduite par Georges Méliès en 1896 et Alice Guy en 1897 mais leurs films sont considérés comme perdus. La vue en question est un plan de 49 secondes qui met déjà en scène un grand nombre d'attributs associés au burlesque : l'adulte et son esprit de sérieux tourné en ridicule, la révolte des objets et la colère du dupé, la course-poursuite et les fessées infligées au petit plaisantin (qui a une façon remarquable de pivoter sur lui-même et regarder la caméra avant de sortir de champ). L'Arroseur arrosé est considéré comme le premier film de fiction de l'histoire du cinéma. L'enfance c'est bien le burlesque, on n'a pas menti.

L'illusionniste Georges Méliès qui était présent le jour de la projection organisée par les frères Lumière le 28 décembre 1895 a tourné plus de 600 films pendant ses 17 années d'activité dans son studio situé à Montreuil entre 1896 et 1913. Celui qui rêvait de succéder à Robert Houdin devient le premier imagier et artificier de l'histoire du cinéma reconnu comme tel par David W. Griffith et Charlie Chaplin. Si les trois genres qu'il a privilégiés sont la féerie, la science-fiction et la reconstitution historique, le burlesque est une tonalité qui traverse toute son œuvre. Qu'on en juge en regardant Nouvelles luttes extravagantes (1900) avec son décor en trompe-l'œil et l'usage de l'arrêt de caméra permettant des transformations à vue (un procédé dont Méliès n'est pas l'inventeur mais qu'il a systématisé avec génie). Changement de sexe, démembrement et dédoublement, corps aplatis puis explosant en libérant un drôle de gaz sont au programme d'un film qui rit fort du pantin humain en extrapolant l'effroi de sa nature artificielle, mutante et prothétique, aberrante.

Un héritier solitaire des fantaisies de Georges Méliès c'est Charley Bowers, une singularité à lui tout seul. Ce dessinateur étasunien découvre le cinéma en 1912 et y adapte Pim, Pam, Poum. Il devient son propre producteur dans les années 20 en concevant ses comédies conçues à cheval entre le burlesque des prises de vue réelles et la loufoquerie des images animées. Il invente le personnage d'inventeur farfelu (Bricolo en VF) qu'il joue et dont les inventions témoignent d'un machinisme rigolo contemporain du dadaïsme tout en pouvant représenter le versant farceur du constructivisme soviétique.

Enfin Max Linder : le premier génie burlesque est un français. Repéré en 1905 par Charles Pathé, le garçon qui rêve d'entrer au Conservatoire supérieur d'art dramatique tourne un film par jour en s'essayant au drame comme à la comédie. Il semblerait cependant que le jeune acteur ait davantage de talents pour le second genre qui devient son domaine de prédilection au point d'inventer un personnage original, celui du dandy Max. Chapeau haut-de-forme et petite moustache, riche et oisif, le séducteur Max ne manque jamais d'élégance malgré la loufoquerie des situations dont il s'extirpe toujours avec brio. C'est le seul d'entre les burlesques qui voudrait nous faire croire à une normalité adulte et séduisante que dément systématiquement une surenchère de situations délirantes. Le départ d'André Deed pour l'Italie en 1908 fait de lui le comique numéro un de la maison Pathé et le succès des films avec Max assoit sa réputation entre 1910 et 1914. On le considère aujourd'hui comme la première star de cinéma. Mobilisé en 1914, gazé, il se soigne et part aux États-Unis où il tourne ses meilleurs films comme Sept ans de malheur (1921), Soyez ma femme (1921) et L'Étroit mousquetaire (1922) dont les joyeux anachronismes inspireront bien des années plus tard les films de Monty Python. Propriétaire d'un cinéma toujours en activité (le Max-Linder sur les grands boulevards), adulé par Charlie Chaplin puis plus tard par Pierre Etaix, inspiration du personnage de The Artist (2011) de Michel Hazanavicius, Max Linder est pourtant un homme dépressif qui tente de se suicider une fois puis une seconde et celle-là réussit. Il décède en 1925 à l'âge de 41 ans. La grande scène du miroir de Sept ans de malheur inspirera les Marx Brothers pour une variation non moins inoubliable dans La Soupe aux canards (1933) de Leo McCarey.


 Mack, c'est net !

 

 

 

 

 

Quand soudain arrive Mack Sennett. Le canadien Michael Sinnott découvre le cinéma grâce à David W. Griffith. Celui-ci le fait entrer au sein de la Biograph Company qui, créée en décembre 1895 (le mois de la première projection organisée par les Lumière au Salon indien du Grand Café de Lyon), est la première société de production de cinéma aux États-Unis. Devenu Mack Sennett, il réalise en stakhanoviste des comédies de 1908 à 1912, année où il est embauché par un autre studio, la Keystone. Entre 1913 et 1916, Mack Sennett qui produit en tout 120 films et en tourne la moitié gagne haut la main le titre de « King of Comedy » en imposant une manière originale, celle du slapstick. Avec Mack c'est net ainsi que le formule joliment Jean-Luc Godard dans ses Histoire(s) du cinéma (1988-1998).

 

 

 

Le slapstick nomme déjà le bâton qui claque, la cliquette inspirée du battocchio des bateleurs de la commedia dell'arte. Précédé par le Théâtre de Guignol, le slapstick inflige aux corps toutes les violences possibles. Brutalisés, les burlesques en reçoivent plus qu'ils n'en peuvent, c'est une suite de courses et une pluie de coups, un charivari qui voudrait crever les oreilles malgré la barrière du muet. On rit des coups qui ne nous atteignent pas et des violences qui ne sont jamais létales. On découvre en fait que nous sommes sourds à une violence qui passe d'autant mieux qu'elles ne blessent pas nos oreilles. C'est un soulèvement des corps, une véhémence, un excès dionysiaque, une dépense quasi-orgiaque dont l'énergie livre à l'anarchie radicale les ordres et les fonctions. Le slapstick est une manière agressive et régressive de diabolisation par surenchère du symbolique. Après le physicien Rudolf Clausius mais avant le mathématicien René Thom, Mack Sennett serait à sa manière un théoricien de l'entropie, un vrai penseur des catastrophes. Par exemple, le décor des films de la Keystone n'est dressé qu'à seule fin d'être détruit lorsque le tournage est fini. Avec les sexy bathing beauties, la bande des Keystone Cops en représente la quintessence avec ses policiers débiles, excités comme des puces, hystériques parce qu'incompétents.

L'âge d'or du burlesque est aussi celui de sa production collective. La Keystone est la première usine burlesque de l'histoire du cinéma et son génial patron est l'homme qui a donné sa chance aux meilleurs ouvriers disponibles, entre autres Roscoe « Fatty » Arbuckle et Charly Chase, tous passés par l'école turbulente des Keystone Cops. C'est d'ailleurs à la Keystone qu'on expérimente la première manifestation d'un gag inépuisable, celui de la tarte à la crème dans Mabel au fond de l'eau (1913) tourné par Mack Sennett et joué par Fatty et sa partenaire Mabel Normand, unique star féminine de l'âge d'or du burlesque. Pourquoi une seule femme ? Une hypothèse, sexuelle : il serait plus facile pour un homme que pour une femme de jouer les êtres asexués ou si peu. Dans l'imaginaire sexuel d'alors, le sexe est l'affaire de l'autre (sexe) et quand les hommes s'y rendent c'est en lâchant leur enfance. Dans Mabel's Stratagem (1913), Mabel s'habille en garçon pour ne plus être embêtée par son patron tout en l'étant par sa patronne. Dans Fatty's Day Off (1913), Roscoe, archétype du gros, bête et méchant qui ne cesse d'être tourné en bourrique (le mot partagerait la même étymologie que burlesque), retrouve l'humour de la pantomime vacancière d'Émile Raynaud.


Le corpulent Fatty ne pouvait pas deviner alors quel mauvais sort allait s'acharner sur lui. Les mauvais coups bientôt lui tomberont sur le ventre pour de vrai en l'empêchant de rebondir à jamais. Trois procès pour viol et meurtre d'une actrice, Virginia Rappe, entre novembre 1921 et avril 1922 ont flingué Fatty. À chaque fois acquitté, Roscoe Arbuckle est la victime expiatoire d'une moralisation de Hollywood entreprise à marche forcée par le sénateur républicain William Hays, créateur du Code de censure qui porte son nom en 1930. Trois ans plus tard, Roscoe Arbuckle qui n'est plus que l'ombre de lui-même décède d'une crise cardiaque, il avait 46 ans. En 1930 déjà, Mabel Normand meurt de la tuberculose à 37 ans après avoir été impliquée dans un autre scandale, celui de l'assassinat par balle du réalisateur William Desmond Taylor. Hollywood c'est Sodome et Gomorrhe, c'est aussi Saturne dévorant ses meilleurs enfants.

 

 

 

D'autres burlesques importants sont sortis du giron de la Keystone comme Charlie Chaplin, Harry Langdon et, de manière plus brève, Harold Lloyd. Harry Langdon ressemble de loin à l'Auguste mais se révèle de près un clown blanc sans autorité. Avatar du Pierrot lunaire, il est l'incarnation d'une inadaptation congénitale, d'une innocence pathologique. Avec lui, le burlesque abolit définitivement la frontière entre l'ange et l'idiot. Le rêveur éveillé, peureux et si peu sexué atteint à une forme de sainteté dans un monde qui conçoit la modernisation comme une profanation continue. De tous les burlesques c'est celui dont le rire est le plus triste. Langdon qui rêvait d'égaler Chaplin a fini après plusieurs échecs comme acteur de complément au début du parlant. Il meurt d'une hémorragie cérébrale en 1940 à 60 ans. Les trois longs écrits et/ou tournés par Frank Capra, Plein les bottes (1926), L'Athlète incomplet (1926) et Sa dernière culotte (1927), représentent l'apothéose de l'art en apparence comique mais profondément tragique de Harry Langdon,

 Le concurrent Hal Roach

 

 

 

 

 

La vis comica de Harry Langdon le montre et, déjà, celle de Max Linder avait su montrer la voie : le burlesque peut suivre en effet un autre chemin que celui du slapstick qui demeure la marque de fabrique de la Keystone. Les figures archétypales et grossièrement stylisées cèdent désormais la place à des personnages mieux dessinés et plus individualisés. Le pur gag et son accumulation pléthorique s'effacent également au profit d'une narration plus intéressée par les enchaînements d'actions et les affections complexes ou nuancées. La psychologie arrive, la morale revient aussi, mais avec des constructions narratives et formelles dont la sophistication esthétique demeure inégalée depuis.

 

 

 

Hal Roach représente cette nouvelle tendance qu'il impulse en créant ses propres studios en 1919. C'est lui qui fera de Harold LLoyd une star en inventant avec lui son personnage d'optimiste à lunettes rondes qui cache moins un intellectuel qu'un acrobate capable de cascades réalisées par l'acteur lui-même (une explosion lui a d'ailleurs fait perdre deux doigts en 1919). L'optimisme très américain du héros a trouvé son image emblématique dans Safety Last ! – Monte là-dessus ! (1923) co-réalisé par Sam Taylor. Suspendu au-dessus du vide, Harold s'accroche aux aiguilles d'une horloge en figurant l'allégorie du temps contre lequel il se bat comme les chevaliers se battaient hier contre les dragons. Le temps homogène et vide de la modernité a des machines contre lesquelles s'oppose le machinisme burlesque qui s'amuse à en détraquer le mécanisme. Si Harold Lloyd partage certains traits héroïques avec Buster Keaton (l'optimisme est un engagement physique et le goût de l'intrépide), cette séquence annonce à sa façon Les Temps modernes (1936) de Charlie Chaplin tout en jouant d'effets de trompe-l'œil moins théâtraux et plus subtils que ceux de Méliès.

À l'autre bout du spectre, on trouve Laurel et Hardy. Le duo qu'ils forment en 1927 va durer 25 ans en courant sur 100 films et l'une de ses forces aura consisté à avoir réussi à passer l'épreuve critique du parlant, épreuve fatale à plusieurs burlesques de premier plan comme Buster Keaton. Oliver Hardy débute au cinéma en 1914, Stan Laurel en 1917, les deux se rencontrent en 1919 mais il faut attendre Maison à louer (1927) pour qu'ils partagent enfin l'affiche ensemble. Le gentil Laurel et le méchant Hardy forment un couple qui dépasse ce genre de catégories psychologiques. Le premier a le génie de la construction des gags en donnant de nouveaux rythmes de jeu au second. Les deux partagent une vision archaïque et quasi-naturaliste du monde : là où ils passent, il leur faut épuiser le milieu, que plus rien ne dépasse. Le gros qui sadise le gentil est sadisé en retour par lui : en fait Hardy est un sadique en apparence révélant en profondeur un masochiste et comme avec Laurel c'est le contraire, on peut dire que ces deux-là se sont vraiment bien trouvés. Leurs rapports sadomasochistes disposent ainsi d'une grande puissance de dévastation. Leurs disputes perpétuelles leur donnent de faux airs de vrais vieux couple homo. Modernes Bouvard et Pécuchet salués comme tels par Jean-Louis Schefer, Laurel et Hardy montrent avec perversité que leur appétence au travail bien fait cache en réalité un profond désir de tout casser, tout détruire, tout ravager.

Le paria et le géomètre

 

(Charlie Chaplin et Buster Keaton)

 

 

 

 

 

L'âge mythique du burlesque a sa décennie, les années 10, authentiques années folles. Les années 20 sont de véritables « roaring twenties » pour une autre raison qui revient celle-là à deux auteurs complets qui auront offert au burlesque la dignité des grands chefs-d'œuvre de l'histoire du cinéma. La création collective cède le pas devant le génie individuel et quasi-démiurgique des artistes qui font rire le monde entier en concevant des films dont ils maîtrisent intégralement la conception, y élevant l'art du burlesque à des hauteurs insoupçonnées : Charlie Chaplin et Buster Keaton.

 

 

 

Les deux géants sont d'abord des enfants du music-hall. En 1907, Charlie Chaplin a 18 ans, son enfance difficile est derrière lui quand il est engagé par Fred Karno à la tête de la troupe comique la plus connue de Grande-Bretagne. Une tournée américaine en 1912 lui permet d'être remarqué par Mack Sennett. En décembre 1913, il signe son premier contrat de cinéma avec la Keystone et tourne son premier film le 2 février 1914, Pour gagner sa vie. Cinq jours après il improvise en tournant son personnage du vagabond pour son second film qui est déjà un chef-d'œuvre, Charlot est content de lui. Il joue dans la foulée dans L'Étrange aventure de Mabel tourné par Mabel Normand elle-même. Chaplin réalise son premier film le 20 avril 1914, Charlot et le chronomètre. Après 36 films d'une bobine tournés pour la Keystone, Chaplin signe avec les studios Essanay. Nous sommes le 1er février 1915 et il est devenu une vedette très connue. En 1918, il crée sa propre société de production. Charlie Chaplin est alors une star internationalement connue et reconnue.

 

 

 

De six ans son cadet, Buster Keaton est le fils d'un couple d'artistes itinérants. Le magicien Harry Houdini serait à l'origine de son surnom quand il a vu son père le projeter sur le public comme un missile. Sa formation sur les planches dure jusqu'en 1917 et la dissolution de la troupe familiale. Alors qu'il a signé pour un one-man-show pour Broadway, il décide soudain de choisir le cinéma en intégrant pour cinq fois moins d'argent les Comique Studios dont la star est alors Roscoe « Fatty » Arbuckle avec qui il tourne une quinzaine de films entre 1917 et 1919. Le départ de Fatty fait les affaires de Keaton qui peut produire et tourner ses propres films. En 1920 il tourne un deux-bobines qui est son premier chef-d'œuvre, La Maison démontable. Une vingtaine de films plus tard, celui qui a été connu en France sous le sobriquet de Malec ou Fregoli tourne son premier long-métrage en forme de variation comique d'Intolérance de Griffith, Les Trois âges en 1923, l'année de L'Opinion publique qui est aussi le premier long-métrage de Chaplin (même s’il n’y joue pas).

 

 

 

Charlie Chaplin et Buster Keaton ont nourri des admirations réciproques et le premier a même invité le second à tourner une séquence commune dans le testamentaire Les Feux de la rampe (1952). Leur vis comica respective se joue pourtant à l'opposé l'une de l'autre. Quoi de plus dissemblable en effet que les mimiques du premier et l'impassibilité du second ? Quoi de commun entre le paria qui tire de sa survie des rires jusqu'aux larmes et le jeune homme candide qui révèle un héroïsme confiant dans les lois du calcul et de la physique ?

 

 

 

Les dissemblances sont profondes en ayant parfaitement été identifiées et pensées par Gilles Deleuze : Charlie Chaplin est le burlesque de la plus petite différence tandis que Buster Keaton est celui des plus grandes distances. Le second est une machine de projection qui prend ses rêves pour des réalités, c'est une machine de précision géométrique qui soumet ses projets aux jugements du réel. Le premier est un archétype universel du pauvre qui a un rapport malheureux au cadre, exclu de ce qu'il désire intégrer, retenu dans ce qu'il cherche à fuir. Le paria qui tire de toutes les situations les ressources de sa survie nous fait bidonner alors que son bide le tord de douleur. Si Buster Keaton et Charlie Chaplin sont deux corps athlétiques capables de toutes les acrobaties, le premier est cependant un cerveau qui calcule loin quand le second est un ventre qui a faim. Buster Keaton est un optimiste qui a un rapport physique au milieu en croyant à l'efficience des forces et des machines. Charlie Chaplin qui s'en méfie voit moins loin mais plus profond aussi en vérifiant que dans chaque situation il y a une part comique et une autre tragique. La plus petite distance entre le rire et les larmes lui permettra bientôt de montrer avec l'identité spéculaire du dictateur et du juif l'inhumanité dont est capable le genre humain.


Les burlesques parlent et ça fait mal

 

 

 

 

 

En 1927, Le Chanteur de jazz d'Alan Crosland avec Al Jolson est un carton. Le premier film sonore est une révolution et l'avenir du cinéma sera parlant ou ne sera pas. En 1929, le mutisme essentiel aux burlesques n'est plus de mise. Le début des années 30 est un abattoir, la plupart des grandes stars burlesques ne survivent pas au massacre. Rares sont ceux qui, comme Laurel et Hardy soutenus par le producteur Hal Roach et le réalisateur Leo McCarey, arrivent à négocier ce tournant critique. Max Linder déprimé s'est suicidé bien avant le passage au parlant, Roscoe Arbuckle et Mabel Normand pâtissent dans leur chair de la nouvelle censure morale à Hollywood, Buster Keaton et Harry Langdon victimes de mauvais choix se retrouvent à cachetonner. Charlie Chaplin voit le mal arriver, il retarde tant qu'il peut le moment fatidique en jouant des bruits (Les Lumières de la ville en 1931, peut-être son chef-d'œuvre absolu), puis en inventant un charabia universel (sur l'air de la Titine à la fin des Temps modernes). La confrontation avec le dictateur pour vol de moustache se conclut ensuite sur le doute jeté sur tous les discours, y compris les plus humanistes (Le Dictateur, 1941) avant de se solder par la mise à mort de Charlot (Monsieur Verdoux, 1947). Charlie Chaplin paie le prix fort de ses insolences politiques. Victime du maccarthysme, il est contraint à l'exil.

 

 

 

Tant de destins brisés, tant de génies éteints. On saisira peut-être mieux l'outrance carnavalesque des burlesques qui est la malédiction de ceux qui travaillent corps et âme à faire rire de nos existences catastrophiques, et cela en poussant le plus loin possible le curseur de la comédie. Comme si les gags devaient servir à tenir éloigné le spectre de la tragédie qui, finalement, n'aura jamais cessé de revenir en tambourinant toujours plus fort à la porte de la réalité.

 

 

 

L'époque du début des années 30 est celle où le cinéma s'industrialise toujours davantage en standardisant ses manières de faire, encouragé par une grave crise économique dont le contexte est favorable à la simplification commerciale des formules. Rares alors sont ceux qui tirent leur épingle du jeu mais ceux qui y arrivent ont du génie en conjuguant le vieux gag visuel à la nouveauté des gags verbaux. D'un côté on trouve les frères Marx issus dès l'enfance du monde du spectacle. Sacrés rois de Broadway en 1924, les frères qui sont au départ cinq (Groucho, Chico, Harpo, Zeppo et Gummo) débarquent à Hollywood en 1929, invités par la Paramount qu veut produire deux de leurs spectacles, Noix de coco et L'Explorateur en folie suivis en 1930 par Monnaie de singe qui déploie dans un forme plus filmique leurs exploits scéniques. Gummo est déjà parti depuis longtemps et Zeppo ne fera que cinq films. Les Marx sont devenus un trio qui représenterait pour Slavoj Zizek la seconde topique freudienne, celle du moi (Chico, le pragmatique), du ça (Harpo, l'infans ayant gardé un lien avec le muet) et du surmoi (Groucho, le fumeur de cigares à l'humour nonsensique et aux sous-entendus lubriques). Dans Une nuit à Casablanca (1946), Harpo tient le mur et le gag a valeur métaphysique. De l'autre on trouvera W. C. Fields. Fils d'Irlandais et enfant du vaudeville, l'homme au gros nez de clown a l'air débonnaire mais il est doté d'un humour acide (il hait rien moins que les enfants et les chiens). Cynique et anti-conformiste, amateur de bibines qui auront raison de de sa santé, cité par les Beatles et adulé par Woody Allen et David Lynch, Fields est génial dans la scène de rasage d'Une riche affaire (1934) tant y respire une haine tranchante de la vie conjugale.


Des comiques tenteront avec des bonheurs inégaux de continuer à entretenir la flamme du burlesque : Bob Hope, le duo Abbott & Costello connu en France sous le nom des Deux Nigauds entre les années 40 et 50, aussi le trio des Stooges des années 30 jusqu'aux années 70. La popularité est là mais le burlesque a perdu de son éclat d'origine comme de son génie démiurgique. C'est un peu un recul qui serait relativement tempéré par une curiosité venue de Broadway, Hellzapoppin (1941) avec Ole Olsen et Chic Johnson qui tirent les codes du spectacle vers l'absurdité et l'entropie.

Continuateurs modernes, passeurs contemporains

 

 

 

 

 

Le burlesque est-il mort ? À cette question il faudra opposer un vif démenti. Burlesque pas mort, plusieurs le prouvent. D'abord du côté de l'animation avec les cartoonistes Chuck Jones et Tex Avery qui se croisent sur la série des Looney Tunes et des Merrie Melodies pour la Warner avant de suivre des voies personnelles. Si les deux s'amusent à jouer de la mise en abyme en révélant les coulisses de l'animation (comme le montre pour le premier Duck Amuck en 1953), le second dispose d'une énergie plus débordante encore. Sa tonicité est d'une inventivité folle quand elle caractérise la lubricité du loup dans la version très originale du Petit Chaperon Rouge (1943) qui a alors titillé la censure.


Jerry Lewis témoigne aussi de la vitalité indestructible du burlesque. Ce fils d'acteur de spectacles de variétés s'est reconnu parmi ses meilleurs amis d'enfance Laurel et Hardy. Il monte ensuite un duo comique avec Dean Martin au milieu des années 40. Après les night-clubs ils tournent ensemble 17 films et se séparent après Un vrai cinglé de cinéma (1956) tourné par Frank Tashlin qui, lui, vient de l'animation. Le burlesque retrouve avec eux des couleurs repeintes aux airs du rock'n'roll et il y a même une humeur franchement pop sur laquelle va renchérir Jerry Lewis lorsqu'il commence à tourner ses propres films au début des années 60. Avec lui, la grimace s'associe à la démiurgie et la naïveté du pauvre gars s'allie avec l’ingénierie des machines qui décortiquent le vide de l'American Way of Life. Comme Chaplin, Lewis multiplie les doubles en les dispersant dans des labyrinthes à l'abstraction sophistiquée qui le mèneront sur l'énigme insoluble et tragique du clown qui n'arrive plus à faire rire. Avant, par exemple dans Le Zinzin de Hollywood (1961), Jerry Lewis a le sens des mimiques intégrant le grand orchestre à sa parodie du boss des studios.

À la même époque, Blake Edwards est l'autre grand auteur de comédies. Il vient de la télévision (la série Peter Gunn), c'est d'ailleurs une grande différence avec Jerry Lewis qui, lui, s'inscrit encore dans la tradition des planches. Il commence à tourner en 1955 et sa carrière s'étend sur quasiment quarante ans. L'élégance de la mise en scène habille chez lui un humour caustique mais non dénué de tendresse qui lui sert à moquer les milieux sociaux qu'il dépeint comme le montre le sublime Diamants sur canapé (1961). La rencontre avec l'acteur britannique Peter Sellers est décisive, elle démarre au quart de tour avec La Panthère rose (1963) qui va devenir une série de films à succès. Mais leur chef-d’œuvre commun demeure La Party (1968) dans lequel un acteur de seconde zone d'origine indienne invité par erreur à la soirée d'un producteur hollywoodien va progressivement en dérégler l'horlogerie. Dans ce film où les dialogues comptent pour peu, l'observation des mécanismes de l'entropie renoue explicitement avec l'âge d'or du cinéma muet, tout en étant le contemporain assumé de Playtime (1967) de Jacques Tati, grand héritier français de Buster Keaton.

Le burlesque semblerait bel et bien avoir été chassé à la porte d'Hollywood à partir des années 70. On trouvera toujours quelques exceptions comme On s'fait la valise, docteur ? (1972) de Peter Bogdanovich, comédie cinéphile qui voudrait récapituler un genre peut-être alors en voie d'agonie, de Howard Hawks aux cartoons, en y associant significativement la fameuse adresse de Bugs Bunny, lapin roi des Looney Tunes créé en 1938 par Chuck Jones et Tex Avery. Il y a pourtant, et de façon tout à fait inattendue, un genre qui va devenir peut-être le plus important de la décennie, genre majeur au début du parlant avant d'être longtemps cantonné aux marges de l'exploitation malgré des chefs-d'œuvre, genre mineur qui en le restant va cependant éclairer comme jamais les bouleversements figuratifs et politiques de la décennie, à savoir le cinéma d'horreur. C'est bien l'horreur qui revient par la fenêtre en accueillant un beau regain de burlesque quand la violence faite aux corps débouche non pas sur le cri d'effroi mais, au contraire, sur un rire à gorge déployée. L'horreur connaît avec la décennie suivante des développements gore qui n'hésitent pas en effet à exacerber la dimension carnavalesque et parodique du genre, loin de tout naturalisme, entre le grand-guignol des origines, un burlesque tendance cartoonesque et, pourquoi pas, l'expressionnisme abstrait quand le sang et les humeurs de toutes les couleurs deviennent des jets de peinture voisinant avec le dripping et l'action painting d'un Jackson Pollock. Evil Dead (1981) de Sam Raimi, le premier long-métrage qu'il tourne à 22 ans, est déjà un sommet qui transcende la modestie de son économie par une invention de tous les instants, furieuse et hystérique, extatique. Ce qui emporte le morceau revient encore au corps burlesque, celui du copain Bruce Campbell doté de l'endurante capacité à encaisser les pires outrages sans jamais lâcher le rire qui lui permet d'être happé par l'horreur sans en mourir.

Plus récemment, les frères Peter et Bobby Farrelly ont bien travaillé à maintenir haut le flambeau du burlesque. Eux aussi viennent de la télévision (ils ont participé à l'écriture d'épisodes de la sitcom humoristique Seinfeld) et le passage au cinéma s'effectue très fort avec Dumb and Dumber (1994). Le burlesque est une joie retrouvée, celle des idiots que l'idiotie sauve de la bêtise ambiante. Les burlesques sont des anges déchus mais des anges quand même et s'ils ont les ailes coupées, cela ne les empêche pas de transcender la crasse du quotidien sans craindre la régression sexuelle et la scatologie. Le duo burlesque formé par Jeff Daniels et Jim Carrey est l'un des plus beaux du cinéma contemporain. Jim Carrey est lui-même un génie en son genre et son art grimacier atteint les sommets de Jerry Lewis. Ainsi la transformation à vue du personnage de gentil flic schizophrénique de Fous d'Irène (2000) est un plan parmi les plus étonnants de l'histoire du cinéma. Si Jerry Lewis s'était déjà amusé à s'approprier le thème du double avec Docteur Jerry et Mister Love (1965), Jim Carrey y parvient en une seule prise montrant l'impossibilité de lutter contre l'humeur burlesque.

Le burlesque est notre enfance schizophrénique et les burlesques qui en gardent les ruines ont pour la plupart côtoyé la ruine pour de vrai. Le burlesque est aussi la catastrophe qui dure encore, celle d'un ratage aussi incontournable que sa folie en est risible. Même si rire avec les burlesques n'autorise jamais de conjurer la peur qui demeure et dont ils feignent de ne rien en savoir alors qu'ils en connaissent tout. « C'est pourquoi le burlesque fait peur : ces corps sont déjà coupables plus que maladroits, ils ne sont qu'un léger sursis de gesticulation dans l'attente de l'enfer » (Jean-Louis Schefer, L'Homme ordinaire du cinéma, éd. Cahiers du cinéma-Gallimard, 1997 [1980 pour l'édition originale], p. 15).

 

 

 

4 septembre 2021


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