Nouvelles du Front de 261 à 270

 

Pier Paolo Pasolini est un poète anthropophage, un cannibale dont le théorème a pour foyer originaire le ventre des affamés, les infâmes en haillons qui sont les humiliés et les offensés. L'écrivain italien qui a fait feu de tout bois, vivant désespérément, a aussi été un cinéaste voyant en prophétisant comment le consumérisme aura fait une nouvelle litière au fascisme.

 

(Revoir Paris d'Alice Winocour et Nos frangins de Rachid Bouchareb)

 

Ce qui nous arrive, parfois, est le pire. Quand le réel fait trou en faisant sauter les barrières symboliques, le cinéma tantôt peut en ignorer la frappe traumatique en continuant de mouliner les fables consensuelles habituelles, tantôt vouloir moins tourner autour du trou que s'y jeter dedans, ajoutant alors du néant au néant.

 

 

Il ne manque pas aujourd'hui de grands réalisateurs de documentaires en Italie, Leonardo Di Costenzo et Roberto Minervini, Stefano Savona et Pietro Marcello, Andrea Segre et les frères Serio, et puis Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi...

 

 

Ils rêvaient d'un film sur Jean-Sébastien Bach mais il faudra plus d'une décennie d'efforts pour y parvenir. Lire Heinrich Böll permet en attendant de faire bouillir la marmite en faisant advenir Machorka-Muff et Nicht versöhnt, premiers films et doublet de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Du chaudron jaillit une bombe, un coup de tonnerre à double détente, mèche du court-métrage et explosif du moyen-métrage.

 

 

Damien Chazelle est un prodige, mais d'un type particulier. La vérité du prodige a été donnée par un groupe de musique électro au nom caractéristique, The Prodigy, quand il a intitulé son hit « Smack My Bitch Up » qui veut dire : « Claque ma chienne ». Le prodige est prodigue, la prodigalité poussée loin, la dépense somptuaire jusqu'à la consumption, la profusion jusqu'à sa dissipation. La prodigalité du prodige a tout des éruptions de l'adolescent acnéique. Il a besoin à tout prix de faire savoir qu'il sait tout faire, et très bien. Un monstre dans la démonstration, l'épate obscène et la virtuosité qui s'étale en petite pornographie de soi.

 

 

Straub ! Le nom est un point d'exclamation. Il dit la clameur de l'être pour l'une des plus belles clairières du cinéma. Straub ! Le nom sonne comme une frappe exclamative. Moins un coup de poing qu'une main tendue, deux, trois, quatre avec celles de Danièle Huillet, pour hisser le cinéma avec une rigueur nouvelle qui est aussi une infinie générosité, à l'endroit où il ne redescendra plus jamais : l'invention d'une forme radicale qui fait deux choses à la fois – voir ce qui résiste au regard en prêtant l'oreille à ce qui n'aura pas été entendu.

 

 

1) Les Mondes parallèles ? Quoi en dire, quoi penser ? Une première idée a été le baroquisme au cinéma, avec ses séries divergentes et ses mondes incompossibles : revoir Joseph Mankiewicz, Raul Ruiz, Krzysztof Kieslowski, Alain Resnais, David Lynch avec les lunettes du Pli de Gilles Deleuze et ses relectures de Leibniz. Une deuxième idée a été l’hypothèse du multivers dans l’univers Marvel en guise de roue de secours d’une culture saturée. La troisième idée est la bonne, inopinée : « En même temps » d’Emmanuel Macron. Avec le discours du 17 avril 2017 à Paris-Bercy, l’inflexion rhétorique est une formule assumée, ce qu’il l’est moins est sa tournure idéologique.

 

  • Passes par huit pour un passage en fraude (Jean-Luc Godard, Moments choisis des Histoire(s) du cinéma)

 

En 1988, Jean-Luc Godard s'attelle à la réalisation des Histoire(s) du cinéma. Dix ans plus tard, huit épisodes sont réalisés dont la durée totale dépasse les 260 minutes. Il y pensait au moins depuis la fin des années 70 lorsqu'il a été invité par le Conservatoire d'art cinématographique de Montréal à prendre le relais d'Henri Langlois et des « anti-cours » qu'il y avait donnés dix ans durant. Les conférences ont débouché sur la publication d'Introduction à une véritable histoire du cinéma (1980), prolégomènes aux Histoire(s) du cinéma, l'opus magnum de Jean-Luc Godard.

 

 

Que les films soient les trajets d'une excentricité native, les spirales d'une existence qui n'en aura jamais fini avec l'enfance, les girandoles exotiques d'un dépaysement nécessaire à protéger sa propre étrangeté. Il y a de la diplopie dans le cinéma de Franssou Prenant, l'atopie (qui dit le désir du dehors) et l'utopie (du possible sinon c'est l'asphyxie), les jeux du double et de la schizophrénie contre l'entropie et ses dévastations partout, Paris et Alger, Beyrouth et Damas, Alep et Conakry.