Des nouvelles du front cinématographique (98) : fin août, début octobre (la rentrée cinéma 2013 - première partie)

Fin août, début octobre (la rentrée cinéma 2013 - première partie)

La rentrée demeure une occasion privilégiée pour apprécier les lignes de force, de partage, sinon de fracture, innervant en surface comme en profondeur le paysage cinématographique. La rentrée comme terme du repos estival (la fin du mois d’août) et retour à l’offensive des affaires capitalistes (de septembre jusqu’à début octobre) équivaudrait à poser pour le cinéma la question de l’actualité, en même temps qu’il faudrait demander à l’actualité quels effets de domination, de hiérarchisation et de relégation elle exerce sur les films rejetés graduellement, à la mesure de ce qu’ils pèsent (ou ne pèsent pas), dans les marges d’une inactualité synonyme d’invisibilité. Tributaire des stratégies économiques des distributeurs qui décident du sort des film en indexant leur diffusion par exemple sur la chronologie estivale des festivals de cinéma parmi les plus cotés de l’année (de Cannes en mai à Venise et Deauville en septembre en passant par Locarno en août), le parc français des quelques 2100 cinémas regroupant plus de 5000 salles propose en conséquence une offre largement dépendante des effets structurels d’une concurrence inégalitaire entre les blockbusters médiatiquement surexposés (valorisés surtout au début de l’été) et les films sous-exposés, autrement dit ceux qui sortent dans les circuits plus confidentiels de l’art et essai.

 

 

Le paysage économique partagé entre la surexposition et la sous-exposition des films opère donc en surface (pour les films les plus visibles) tout autant qu’en profondeur (s’agissant des films les moins visibles). Et ce partage affecte également le champ des films d’auteur distribués selon qu’ils bénéficient par exemple de l’appui d’un gros producteur ou d’une sélection en festival pendant que les autres ne comptent souvent que sur leurs propres forces (faibles) pour tenter d’exister un peu. Ce partage largement sous-tendu par une lutte économique réglée par la domination marchande et dont les enjeux stratégiques consistent en la main-mise de la visibilité des films établit donc que les films en accumulant de la visibilité jusqu’à devenir médiatiquement sur-visibles en privent en toute logique les autres, l’expropriation n’étant que le revers structurel de toute appropriation. Et cette « exappropriation » comme l’aurait appelé Jacques Derrida trouve enfin à se rejouer – c’est une vieille rengaine – entre les films de fiction auxquels l’industrie identifie tout le cinéma et les films documentaires voués à une quasi-invisibilité heureusement entravée par l’opiniâtre travail de publicisation (plutôt que de médiatisation) accompli à l’occasion de quelques manifestations importantes (à l’instar des Etats Généraux du film documentaire de Lussas en août).

 

 

La médiatisation comme triomphe de la concurrence marchande et de l’inégalité capitaliste consiste alors en une surexposition induisant une suraccumulation expropriatrice de visibilité et empêchant l’advenue d’une politique égalitaire de diffusion et de publicisation des films. Le critique en ses jugements esthétiques peut alors proposer à la modeste échelle d’un site comme celui-ci de proposer un panorama non-exhaustif qui, après celui de 2010, propose un choix de films considérés autant que faire se peut dans l’égalité du regard qui les juge, indépendamment des pressions médiatiques en termes d’habitudes de classement ainsi que d’effets d’autorité. Du coup, le paysage est rendu dans son objectivité pour autant que la carte tentant d’en rendre compte est immanquablement référée à la subjectivité du cartographe.

 

 

Ainsi, les treize films présentement sélectionnés marquent l’importance du cinéma français bénéficiant de l’apport générationnel de ses plus jeunes représentants : du premier long-métrage de Justine Triet (La Bataille de Solférino) au second long-métrage de Rebecca Zlotowski (Grand Central), d’Axelle Ropert (Tirez la langue, mademoiselle) comme de Serge Bozon (Tip Top), la jeunesse s’affirme exemplairement, même si ses essais demandent à ce qu’ils soient discutés. La jeunesse débouche aussi avec le cinéaste québécois Denis Côté (Vic + Flo ont vu un ours) sur la consolidation d’une œuvre qui n’est « vieille » que d’une décennie seulement. Sinon, les nouveaux films de Claire Simon (Gare du nord) et d’Arnaud Desplechin (Jimmy P.) attestent de la persévérante singularité de leur travail cinématographique respectif. Du côté étasunien, la politique des auteurs semblerait marquer le pas entre Steven Soderbergh annonçant que Behind the Candelabra – Ma vie avec Liberace sera son dernier film et Woody Allen dont le retour américain avec Blue Jasmine témoigne de difficultés à renouveler une recette malgré tout encore gagnante pour le public français.

 

 

Les autres cinématographies peinent à exister, ou bien alors elles se présentent avec la figure du génie naguère célébré et depuis un peu oublié, qu’il s’agisse du chilien Alejandro Jodorowsky (La Danza de la realidad) ou de l’italien Bernardo Bertolucci (Moi et toi). Enfin, la part dévolue au documentaire est faible, même si elle affirme un désir inégalement accompli d’expérimentation (entre l’autorité boursouflée de Leviathan de l’anglais Lucien Castaing-Taylor assisté de Verena Paravel et la limpide souveraineté de Annonces de l’israélienne Nurith Aviv), le paradoxe voulant que ce désir soit probablement plus accentué que dans le cinéma de fiction dominant.

1/ Grand Central (2013) de Rebecca Zlotowski : Faible rayonnement

Il y a parfois des séquences qui savent puissamment contracter toute la matière d'un film, au-delà peut-être de ce que leurs réalisateurs voulaient y mettre initialement. Cette puissance de densification ou de contraction d'une seule séquence rapportée à l'ensemble du film peut autant valoir comme affirmation paradigmatique de ce que celui-ci vise essentiellement, qu'elle peut aussi trahir les hésitations ou les difficultés d'un film échouant à mettre en place l'équilibre souhaité. La puissance paradigmatique de la séquence contractant tout l'esprit d'un film devient alors la trace symptomatique de ses contradictions potentielles. Ainsi, Grand Central, le second long-métrage de Rebecca Zlotowski présenté à la sélection Un Certain Regard lors du dernier Festival de Cannes se réserve un moment particulièrement privilégié afin de faire entrer dans le cercle de la fiction le personnage de Karole interprétée par Léa Seydoux.

 

 

Jusque-là, nous avons suivi en préambule la trajectoire de Gary (Tahar Rahim), un ouvrier qui prend le train pour chercher du travail aux côtés de deux jeunes prolétaires rencontrés en chemin (Tcherno et Isaac respectivement joués par Johan Libéreau et Nahuel Perez Biscayart), et finit par en trouver comme salarié intérimaire dans une centrale nucléaire pendant les arrêts de tranches. Après avoir intégré avec ses deux compagnons le camping à l'intérieur duquel règnent les deux grandes gueules ayant accumulé suffisamment d'expérience dans la centrale pour fanfaronner (Gilles et Toni interprétés respectivement par Olivier Gourmet et Denis Ménochet), Gary est invité un soir à prendre connaissance des effets possibles que la « dose » peut provoquer après une exposition accidentelle aux radiations émises par le réacteur de la centrale nucléaire. Après que Gilles ait demandé à la cantonade d'expliquer les conséquences possibles d'une irradiation, Toni se met soudainement à tousser, suffoquer, à s'étouffer jusqu'à ce qu'il révèle dans un sourire de grand gosse la supercherie qui avait réussi à susciter l'attention de Gary.

 

 

Arrive alors pour la première fois dans le film Karole qui se présente directement devant ce dernier, lui demande de se lever afin de pouvoir l'embrasser, y met toute la sensualité dont la jeune femme est capable, expliquant que les effets de la « dose » sont sensiblement identiques à ceux de la passion amoureuse, avant de se retourner et rejoindre dans un grand éclat de rire son compagnon, Toni. On ne pourra pas ne pas saisir la très nette différence existant entre la performance de Toni qui capte l'attention de Gary pour se résorber rapidement dans la révélation de son caractère de blague et celle de Karole qui fait plus que susciter son attention, qui la tend, l'attise et l'électrise comme jamais, qui soulève en lui (comme en elle) des affections interdites qui exigeront d'être poursuivies dans le secret renoirien des hautes herbes de l'autre côté du lac et du camping. Il n'y a donc pas photo : la performance de Karole (qui travaille aussi dans la centrale mais figure surtout le pôle hétérosexuel et passionnel du film) l'emporte bel et bien sur celle de Toni (qui incarne quant à lui le pôle du virilisme ouvrier fragilisé par les fantômes du désir).

 

 

Et cette incontestable victoire consigne symboliquement le déséquilibre frappant malheureusement Grand Central qui aurait probablement voulu constituer l'inquiétante zone au cœur de laquelle seraient devenus indiscernables le trouble de l'affect passionnel et l'angoisse de la contamination radioactive. Sauf que cette zone des particules flottantes et indistinctes de la contamination radioactive et amoureuse, passionnante sur le papier, n'existe presque jamais à l'écran, la représentation solidement documentée du travail des « nomades du nucléaire » finissant systématiquement par servir d'illustration métaphorique au travail de la pulsion et du désir. Au service strict de la métaphore amoureuse, les images du travail ouvrier dans le réacteur nucléaire ne bénéficient à l'inverse jamais des images de la passion sexuelle comme métaphore.

 

 

La perspective métaphorique est unilatérale et, asymétrique et inégalitaire, elle ne marche que dans un sens, jamais dans l'autre. Comme si la réalisatrice avait voulu initialement combiner en les actualisant les images évidemment renoiriennes de Une partie de campagne (1936) et de La Bête humaine (1938) sans réussir pourtant à établir les circuits de l'échange égalitaire entre les images naturalistes de la passion amoureuse et sexuelle (dans le milieu originaire offert par le petit bosquet herbu) et celles tout autant naturalistes de la passion ouvrière et industrielle (la centrale comme milieu dérivé). Comme si le naturalisme à deux vitesses proposé par Rebecca Zlotowski (la vitesse des corps au double travail de la pulsion sexuelle et de l'angoisse industrielle) s'abandonnait au rabat métaphorique de l'une sur l'autre. Et, comme le prescrivait Franz Kafka (dont Georges Steiner rappelait opportunément dans De la Bible à Kafka que son art, héritier hétérodoxe du judaïsme, avait justement œuvré contre la métaphore), s'il faut se méfier des métaphores, c'est parce qu'elles courent le risque continuel de réduire et figer dans les évidences de l'équivalence symbolique des images qui devraient avoir tout intérêt à préserver leurs ambivalences propres.

 

 

On ne dira pourtant pas que Grand Central, inspiré par le roman La Centrale (2010) d’Élisabeth Filhol et ayant bénéficié des conseils techniquement avisés de Claude Dubout (l'auteur en 2010 de Je suis décontaminateur dans le Nucléaire), n'est pas un film solidement documenté sur le sujet du travail de décontamination dans les centrales nucléaires, comme il en existe bien peu dans le cinéma de fiction grand public. On ne dira pas non plus que les séquences tournées à l'intérieur de la centrale (non pas française mais autrichienne) ne diffusent pas une sensibilité inquiétante (et même terrifiante quand une femme contaminée est contrainte à la honte d'être tondue) formellement prolongée par le choix du numérique dans les prises de vue et de l'utilisation de la musique expressive et primitive de Rob.

 

 

On remarquera également que le scénario ne se prive pas du juste rappel de cette politique de dualisation salariale distinguant l'aristocratie ouvrière des salariés protégés d'EDF et le prolétariat des salariés exposés embauchés sur des missions intérimaires. Mais on pourra quand même trouver un peu trop évident le partage symbolique et filmique entre grain solaire et organique du 35 mm. pour les séquences à l'extérieur de la centrale et particules numériques et cliniques du numérique haute définitition pour les séquences à l'intérieur. Comme est un peu courte l'idée d'une pratique spontanément individuelle et irréfléchie de Gary planquant son dosimètre afin de truquer les chiffres de dose d'exposition aux millisieverts alors que son usage est en réalité un implicite collectif partagé par les ouvriers qui veulent continuer à travailler sur un site malgré l'exposition aux doses. Comme on pourra également regretter que le registre du virilisme ouvrier et de la mobilité des « nomades du nucléaire » fournisse davantage un cadre pittoresque à partir duquel Rebecca Zlotowski imagine pouvoir connecter un contexte français avec un imaginaire étasunien (un peu comme dans Jimmy Rivière de Teddy Lussi-Modeste en 2011, un film auquel celle-ci a participé au niveau du scénario). Alors qu'il aurait été souhaitable que ce registre soit appréhendé au-delà du pittoresque à partir de ses linéaments sociologiques (la protection symbolique apportée par le collectif ouvrier) comme ses conséquences sanitaires (l'impossible suivi médical des intérimaires du nucléaire).

 

 

Mais il semblerait que la réalisatrice ne dispose pas de ce temps-là, et cela au nom d'une préférence pour le temps requis à entretenir et peaufiner son fantasme d'un nouveau naturalisme conjuguant réalisme du cinéma français (avec Jean Renoir cité aussi avec Tonien 1935, c'est Jacques Becker qui est cité via le nom de Gary, Manda, qui était celui du personnage de Serge Reggiani dans Casque d'or en 1952) et onirisme du cinéma de genre étasunien (avec son collectif ouvrier digne de Michael Cimino, ses marges lynchiennes et cette atmosphère de contamination toute cronenbergienne).

 

 

Le titre du film faisant glisser par le biais d'une homophonie la grande centrale nucléaire française dans la sphère linguistique de la célèbre gare new-yorkaise Grand Central ainsi que l'image finale mêlant en plusieurs fondus enchaînés le rodéo mécanique chevauché par un Toni solitaire exposent d'ailleurs assez bien un rêve franco-américain (avec la référence cinéphile à The Lusty Men de Nicholas Ray en 1952) désirant ici croiser les signes d’Éros et Thanatos par l'hybridation des corps français et des gros engins étasuniens.

 

 

Mais, en regard d'un film qui s'abrite derrière un casting musclé et subordonne le contexte industriel de la centrale nucléaire sur l'office pittoresque et métaphorique d'une passion évidemment glamour mais aussi absolument quelconque, on pourra toujours préférer les circuits moins directement lisibles en termes métaphoriques mais aussi plus égalitaires (ou fraternelles comme y autorise Jean-Luc Godard évoquant dans Film socialisme en 2010 « la fraternité des métaphores ») du long-métrage précédent de Rebecca Zlotowski. Belle épine (2010) savait en effet entrecroiser les images (carpenteriennes) de la faune motorisée de Rungis avec les images (pialatiennes) de la famille désunie et désorientée. Comme on pourra trouver infiniment plus mystérieux et réussi La Fille de nulle part (2012) de Jean-Claude Brisseau, dernier exemple en date d'un geste radical et singulier de cinéma dans lequel se reconnaît explicitement la réalisatrice. Elle qui désire conjoindre réalités françaises socialement situées et pointes oniriques et fantastiques issues du cinéma de genre hollywoodien, mais dont le respectable désir de conjonction métaphorique se heurte aujourd'hui, alors qu'elle a délibérément décidé de réaliser un film plus « grand public » que le précédent, aux impasses de la métaphore conçue comme subordination hiérarchique.

 

 

De ce point de vue-là, les invisibles promesses catastrophiques dans l'amiante délivrées par Emmanuel Roy avec son film intitulé La Part du feu vu aux États Généraux du film documentaire de Lussas l'emportent largement en angoisse quasi-ontologique sur les tourments du cœur des amants prolétaires privilégiés par Rebecca Zlotowski à l'indicible vertige exercé par le cœur de la centrale sur les intérimaires du nucléaire.

2/ Tirez la langue, mademoiselle (2013) d'Axelle Ropert : La gaieté n'est pas bienheureuse

On se rappellera toujours la phrase avec laquelle se clôt Le Plaisir (1952), le triptyque réalisé par Max Ophuls à partir de trois nouvelles de Guy de Maupassant : « Le bonheur n'est pas gai ». Le plaisir était donc pour Max Ophuls le nom de ce hiatus, voire de cette disjonction vérifiant la non-identité entre le bonheur et la gaieté. Le sentiment donné par le geste cinématographique peaufiné par Axelle Ropert, pour elle-même (le court-métrage Étoile violette en 2005 et ses deux premiers longs-métrages, La Famille Wolberg en 2008 et aujourd'hui Tirez la langue, mademoiselle) comme pour Serge Bozon, son camarade de la défunte revue La Lettre du cinéma (la coécriture de ses films L'Amitié en 1998, Mods en 2003, La France en 2005 et aujourd'hui Tip Top) consisterait à précisément imaginer l'inverse de la proposition ophulsienne, posant peut-être que la gaieté ne serait pas bienheureuse. La formule est paradoxale mais c'est justement la propension au doux-amer et le goût du demi-ton propres à une scénariste et réalisatrice n'ayant dès lors de cesse de vouloir rendre compte des intensités expressives et affectives que ramasserait la proposition selon laquelle « la gaieté n'est pas bienheureuse ».

 

 

Ainsi, Axelle Ropert a conçu à l'occasion de son second long-métrage toute une série de micro-inventions de scénario ou de ponctuations de mise en scène attestant d'une gaieté partagée et dont le partage suscite, au-delà des personnages eux-mêmes, l'empathie du spectateur. On pourrait même dire, en souvenir du personnage de tailleur dans Étoile violette, qu'elle en a cousu la trame dentelée avec une délicatesse sur laquelle il est nécessaire d'insister tant celle-ci n'est pas vraiment ce qui motive la majeure partie du cinéma français. Ainsi, le duo de frères médecins (Boris joué par Cédric Kahn et Dimitri interprété par Laurent Stocker, tous les deux excellents) exerçant dans le 13ème arrondissement de Paris (pas souvent filmé, récemment dans Le Tueur de Cédric Anger en 2007) ponctue le train-train de leurs consultations par toute une série de petites ponctuations (un air d'harmonica ici, une chansonnette d'enfant là, un jeu de mot ailleurs) qui les rendent éminemment sympathiques. Ce sens de la gaieté, transformant un rendez-vous médical en moment chaleureux (et insolite puisque les deux frères officient ensemble) et faisant ainsi de ce duo de médecins des figures incontournables du quartier, s'accomplit sur un mode délibérément mineur (les personnages sont souvent drôles mais n'en sont pas pour autant comiques) qui se prolonge dans un registre verbal peu fréquenté. Celui, assez rare pour être également souligné, du quasi-chuchotement.

 

 

Dans Tirez la langue, mademoiselle, on n'élève pas la voix, même quand le cœur est alourdi par la peine. Et quand l'affliction s'exprime quand même, c'est avec un sens pudique de la litote (l'alcoolisme de Dimitri ou la sclérose en plaques poussant l'ami Charles joué par Serge Bozon à ne pas pouvoir se retenir de se pisser dessus) qui fait contrepoint au sublime plan contractant dans le visage légèrement haletant de Judith (Louise Bourgoin) l'extase des amoureux après l'amour. On dit moins les choses ici que l'on reste sur sa réserve, sur le seuil de vérités tues (« Cela ne vous regarde pas » est une formule récurrente avec le motif du secret) pour autant qu'elles s'autorisent à être devinées (comme on est loin ici du déballage psychologique des bâtons merdeux fondant la dramatisation du Passé d'Asghar Farhadi). Et si l'on se décide à parler, c'est pour dire le vrai (de la souffrance ou de l'amour) sachant que, comme le disait Jacques Lacan, la vérité ne peut que se « mi-dire ».

 

 

Alors, on parle bas et ce parler-bas participe à substituer à la gaieté tapageuse des divertissements ciné-médiatiques une gaieté subtile qui transcende le malheur général, parfaitement raccord avec une ambiance elle-même paradoxale, étrangement chaude et froide à la fois. Ainsi, les couleurs sont froides (le bleu, le mauve, le gris dominent et le rouge n'apparaît que pour retomber vers le bordeaux ou le pourpre), propices à suggérer un climat hivernal et, forcément, les matières vestimentaires sont chaudes et organiques (avec la laine comme matière dominante). Mais Axelle Ropert arrive justement à tenir la ligne intervallaire (la demi-teinte ou le demi-ton) grâce auquel, comme si elle jouait du glockenspiel, elle fait tinter quelques notes de gaieté réchauffant les cœurs en hiver d'un malheur qui a frappé ou s'apprête à le faire (les deux frères aiment la même femme et son choix à elle peut entraîner la fatale complication de leur amour à eux).

 

 

C'est alors qu'on en arrive à cet étrange paradoxe, dont le peaufinage garantit la singularité du geste esthétique finement développé par Axelle Ropert, selon laquelle donc la gaieté n'est pas bienheureuse. Investir la ligne intervallaire à partir de laquelle l'égrenage des notes de gaieté sert de ponctuation rendant compte d'un tissu général dévolu au lainage du malheur (et l'intense fatigue tirant les traits de Louise Bourgoin souvent sollicitée par ailleurs pour sa vitalité est en soi l'un des plus émouvants marqueurs de ce malheur), c'est d'une part proposer l'inédite variation de Dead Ringers (1989) de David Cronenberg comme si elle avait été réalisée par le Alain Resnais de Cœurs (2006). Plus éloigné de son modèle référentiel que Noémie Lvovsky s'amusant à refaire avec Camille redouble (2012) Peggy Sue Got Married (1986) de Francis Ford Coppola, Axelle Ropert a pourtant conservé l'idée d'un fantasme de mimétisme fraternel environné par le motif obscur de l'addiction et menacé de dériver vers la « passion rivalitaire » (René Girard) dès que survient l'Autre, autrement dit la Femme.

 

 

Les quelques clins d’œil à la gémellité n'en sont plus vraiment (ils sont même subtilisées par la nette différence physique entre les deux acteurs masculins) quand Tirez la langue, mademoiselle travaille l'essentielle différence entre le duo (fraternel) et le Deux (du couple d'amoureux), vérifiant que le Deux vient briser l'homologie narcissique et fraternelle du duo. Deux n'étant pas toujours strictement égal à un plus un. A l'instar de la vie comme l'aurait dit Friedrich Nietzsche, l'amour est une maladie particulière échappant au diagnostic expert des médecins généralistes. Et cette maladie que sait retenir Boris quand il est frontalement allumé par la secrétaire du cabinet médical, et ce pour les besoins secrets de l'équilibre fraternel à préserver, l'enfièvre quand il devient amoureux de Judith dont sera également amoureux son frère. La diminution de la gaieté constatée se justifie au nom d'une promesse de bonheur qui, malgré des difficultés dont l'exposé minutieux manifeste sur le plan scénaristique l'heureux refus de l'inflation et de la dramatisation, finira par s'accomplir. Judith déclare enfin son amour à Boris qui n'y croyait plus mais se convainc pourtant d'y croire, pendant que son frère parti s'établir sur la côté méditerranéenne écrit à son frère pour lui souhaiter tout le bonheur du monde.

 

 

Pourquoi alors la fin de Tirez la langue, mademoiselle est-elle si triste, si subtilement triste ? La gaieté des amoureux comme promesse de bonheur n'est pourtant pas synonyme de bonheur pour les spectateurs attentifs à cette subtilité gagnée par la rigoureuse tenue de la ligne intervallaire, toute en demi-teinte ou demi-ton. En effet, le triomphe de l'amour et la fin du fantasme mimétique qu'il a induit se réalisent dans la disparition du cabinet médical fraternel. A l'instar du maire joué par François Damiens dans La Famille Wolberg, les deux frères incarnent à nouveau des figures (laïques) du bien qui sont moins victimes de la perversité (catholique) du mal comme chez Luis Buñuel que le bien qu'elles prodiguent n'est peut-être pas le plus approprié en regard du malheur général. Le bien prodigué par eux n'était certes pas le plus grand des biens mais la disparition finale d'une certaine configuration sociale dans le quartier déterminée entre autres par l'existence de leur cabinet vérifie que les gens (comme cet ancien patient rencontrant par hasard l'ancienne secrétaire médicale dans la dernière séquence du film) se portent un peu moins bien.

 

 

Un amour triomphe dans l'intensité de deux cœurs gais (voire trois si l'on leur ajoute la fille diabétique de Judith) dans le même mouvement où le désarroi général s'en trouve légèrement renforcé. Cette gaieté des amoureux est même encore troublée – ultime subtilité – par la possibilité du suicide de Dimitri (dont on croit deviner le spectre truffaldien dans cette nuit tombant sur le personnage au moment où, depuis un exil méditerranéen dégageant une humeur particulièrement mélancolique, il poste sa lettre). Certes, le cinéma d'Axelle Ropert, précieuse (dans tous les sens du terme) dans son souci minoritaire (de la distribution à l'arrondissement de tournage qui est celui où elle habite), puise sa matière dans un monde peuplé de figures du bien public (le maire et les médecins) suivant les principes éthiques d'une harmonie relationnelle et d'une cohésion sociale éloignés des puissances politiques de « dissensus » (Jacques Rancière) et de « déliaison » (Alain Badiou). Au-delà d'une carte du tendre recoupant le quartier des Olympiades filmé avec le sens topographique d'un Éric Rohmer (le motif lunaire et le triangle amoureux pouvant rappeler Les Nuits de la pleine lune en 1984), on devra pourtant reconnaître que cette esthétique délicatement intervallaire sait investir les subtilités douces-amères du mi-dire, de la demi-teinte ou du demi-ton. Et ce afin de produire une délicate attention aux imperceptibles mouvements architectoniques affectant une configuration relationnelle donnée qui, commençant par une gaieté malheureuse partagée, se concluent sur un mal général légèrement renforcé par suite paradoxale d'une concentration hyper-localisée du bien.

3/ Gare du Nord (2013) de Claire Simon : Les coalescences du documentaire et de la fiction

Il suffit d'avoir préalablement vu (aux États Généraux du film documentaire de Lussas par exemple) Géographie humaine pour saisir ce qui, dans Gare du Nord, y fait écho sur le mode d'un renforcement compliqué du potentiel fictionnel accumulé dans le film précédent. Le jeu des correspondances entre les deux longs-métrages (que l'on commencera d'abord par distinguer schématiquement comme documentaire pour le premier et de fiction pour le second), n'est par conséquent pas simplement formel, et ne saurait se réduire au fait que Claire Simon ait décidé, en filmant la façade extérieure de la troisième gare européenne, de panneauter tantôt sur la gauche (le premier film), tantôt sur la droite (le second). Ou bien que la cinéaste ait privilégié la fermeture nocturne des portes de la gare (Géographie humaine) ou leur réouverture (Gare du Nord).

 

 

Il s'agit d'abord de lever cette crainte pour laquelle le film documentaire aurait pu servir dans ses marges de casting sauvage afin de peupler ensuite les arrière-plans ou de fournir les faire-valoir des acteurs professionnels occupant les avant-plans du film de fiction. C'est que Gare du Nord vient donc renforcer mais surtout compliquer ce qui, dans Géographie humaine, était impliqué en termes de virtualités fictionnelles à partir du moment où les personnes manifestaient leur désir de jouer le jeu du film (celui de devenir des personnages) en acceptant d'occuper le cadre et de répondre aux questions de l'ami Simon Mérabet.

 

 

L'implication virtuellement fictionnelle des personnes apparaissant dans le film documentaire de Claire Simon trouverait ainsi plusieurs manières de complication dans Gare du Nord. D'une part, quand certaines personnes de Géographie humaine se retrouvent bien comme personnages dans Gare du Nord, mais sans pour autant faire de ce retour le passage autorisé de la figure reconnue à la figuration quelconque. Ainsi, « Maman » qui travaille à l'entretien d'un café ou cet agent de sécurité d'origine africaine sont les personnages qui, jouant leur rôle social habituel de fait devenu par le jeu de miroir des deux films un rôle fictionnel, dominent la séquence dans laquelle ils interviennent pendant que leurs partenaires de jeu professionnels (François Damiens pour le premier cas et Reda Kateb pour le second) se tiennent en position stricte d'auditeur sur la réserve plus que d'interlocuteur relançant la conversation. D'autre part, Claire Simon s'est à juste titre refusée (ou bien son refus prolonge celui des filmés) à adopter une démarche systématique selon laquelle tous les personnages virtuels de Géographie humaine devaient forcément devenir des personnages actuels de Gare du Nord. Tantôt en intégrant dans la fiction d'autres personnes réelles qui n'apparaissent cependant pas dans Géographie humaine. Tantôt, et de manière certainement perverse, en sollicitant des acteurs (et il y en a une foultitude ici, de Samir Guesmi à Jean-Christophe Bouvet en passant par Lou Castel) pour qu'ils jouent d'étranges « figurants fictionnels » de passage dans l'un des intervalles du film.

 

 

Une situation intermédiaire serait par exemple celle du gérant de ce restaurant vietnamien par ailleurs amateur d'art contemporain qui revient certes de Géographie humaine, mais de façon lointaine et voilée, comme un fantôme reconnaissable seulement derrière la grille de la devanture de son commerce. L'implication de la fiction virtuellement nichée dans les interstices du documentaire s'est donc actuellement transformée en complication rétroactive du partage des deux films selon que l'un se rapporterait strictement au documentaire et l'autre à la fiction. Et cette complication rétroactive se double d'une complication active des rapports entre documentaire et fiction au sein du même film. Comme s'il s'agissait de proposer une sorte de redoublement opéré à partir de la division du film précédent, Les Bureaux de dieu (2008), et ce afin de hausser au carré les passionnantes questions du partage entre documentaire et fiction. Le partage au sens par exemple de Jean-Luc Nancy (par exemple celui du Partage des voix, éd. Galilée, 1982), autrement dit qui se comprend et s'entend comme marquant ce qui sépare au lieu même de ce qui réunit, établissant de la division au lieu même de ce qui fonde du commun. Le partage au sens aussi du « partage du sensible » selon Jacques Rancière.

 

 

Et la sensibilité cinématographique propre à Claire Simon serait celle qui refuserait de départager ce qui relève du documentaire et ce qui appartient à la fiction en posant que le partage entre documentaire et fiction ne saurait s'établir que dans leur échange ou leur commerce incessant via des images indiscernables. Ce qui pourrait encore être nommé d'un terme scientifique utilisé en phonétique : la coalescence.

 

 

 

Là encore, il s'agit pour la réalisatrice de ne pas se suffire des pistes virtuellement fictionnelles fournies à l'occasion du tournage de Géographie humaine afin d'en actualiser les promesses dans Gare du Nord. Certes, l'évocation par un usager de la SNCF des fantômes entourant chacun d'entre nous devient dans Gare du Nord l'élément spectral à partir duquel nouer plusieurs trajectoires individuelles. Mais alors le risque est aussi un forçage scénaristique qui par exemple atténue ici la force émotionnelle des retrouvailles d'un père et de sa fille. L'élément spectral est probablement plus intéressant quand il exprime sans avoir besoin de les énoncer les conséquences en termes de volatilisation ou de disparition (un commerce fermé ou une adolescente ayant fugué) d'une mobilité sociale soumise aux logiques transnationales d'accélération du capital et d'effritement corrélatif des relations familiales traditionnelles.

 

 

Certes, cette ombre humaine aperçue dans Géographie humaine qui en rappelle d'ailleurs d'autres dans le cinéma chinois contemporain (par exemple 14 28 de Du Haibin) et qui vit dans une misère le privant pour nous de nom et de visage comme de capacité ou de désir pour jouer le jeu du film semblerait devoir revenir dans Gare du Nord avec la figure fictionnelle, farineuse et mélancolique de Lou Castel. Mais alors la fiction pourrait valoir de repentir, de manque à combler, de trou à boucher. L'élément spectral intéresse surtout quand il renseigne, à la suite du long travail d'immersion dans la gare du Nord effectué ces quatre dernières années en compagnie de Benoît Laborde, Judith Fraggi et John Hulsey (et un poil trop personnifié par le personnage de doctorant en sociologie interprété par Reda Kateb), de ce que les témoignages de vie documentaires sont pour beaucoup devenus les récits d'existences fictionnelles attestant de vies réellement disparues ou volatilisées. La fiction représente alors le moyen symbolique moins d'une « survivance » (Georges Didi-Huberman citant Aby Warburg) du documentaire que de sa « revenance » (cf. « L'irreprésentable » in Revue française de psychanalyse, n°1, tome LVI, février 1992).

 

 

Le documentaire ne reviendrait donc que sous la forme d'un retour spectral ou de la symbolisation d'une absence subsumée sous le concept de fiction, les circuits du virtuel et de l'actuel (concernant le passage de l'implication à la complication fictionnelle) se dédoublant en circuits du documentaire et de la fiction (la seconde consistant dans le retour spectral de la première). Ce sont finalement tous ces circuits qui, manifestant un sens de l'expérimentation fictionnelle (figurative davantage que narrative) à partir du réel lui-même, électrisent Gare du Nord plus que ses arrangements scénaristiques dont l'intrication peine à cacher ses artifices d'écriture. Et cette inventivité est telle qu'elle emporte les contradictions provisoires d'un film qui, certes, s'amuse des effets de réel consécutifs à la reconnaissance de François Damiens par certains usagers tout en proposant le contraire du principe télévisuel de la caméra cachée dont l'acteur est par ailleurs un expert (parce que la caméra est ici exposée au regard de tous en n'induisant donc aucun voyeurisme pour le spectateur), mais qui finit aussi par céder au désir facile de convoquer l'acteur pour ce qu'il sait faire à la télévision.

 

 

Heureusement, Claire Simon n'a pas son pareil pour mettre en scène d'extraordinaires rencontres (et une forme de rencontre privilégiée est ici la rencontre amoureuse) entre le documentaire et la fiction de telle manière que les figures filmées s'en trouvent comme modifiées. Ainsi, les acteurs professionnels bénéficient de l'émission de particules documentaires qui les exposent avec une sensibilité inédite. Et l'on pense particulièrement ici à Nicole Garcia qui déboule dans la fiction avec une puissance iconique rappelant le film noir (et elle ressemble extraordinairement à Angie Dickinson dans Dressed To Kill de Brian de Palma en 1980) tout en figurant une fragilité (dans les gestes et dans la voix) qui n'appartient qu'à son grand art actoral. A l'inverse, les personnes réelles jouissent des rayonnements fictionnels émis par les acteurs professionnels au point de devenir immédiatement des personnages requérant de leurs partenaires qu'ils les écoutent et les respectent dans une égalité du cadre et du jeu parachevant de balayer toute vision hiérarchique concernant les rapports entre le documentaire et de la fiction.

 

 

A l'instar de la modification de deux sons qui au contact l'une de l'autre produisent un son unique (comme deux voyelles pour une diphtongue), les images de Gare du Nord (et de ce film avec Géographie humaine) entrent dans des rapports de coalescence qui atteignent leur maximum d'intensité esthétique avec la séquence d'action syndicale de Sud-Santé bloquant la circulation des trains et dont on ne sait plus ce qui en elle relève de la fiction et ce qui revient au documentaire. Ultime paradoxe de circulations (en termes de transport) bloquées et de courts-circuits (entre le documentaire et la fiction) intensifiées. Et cette zone du documentaire et de la fiction en leurs relations indiscernables est ce qui vient alors redoubler la formidable découverte ethnographique de Géographie humaine concernant une zone commune (une « place du village mondial » comme le dit l'apprenti-sociologue) auto-instituée par la jeunesse des banlieues de la relégation sociale au cœur des bâtiments de l'administration publique et à proximité des espaces commerciaux (notamment, ajoute Gare du Nord, pour y rencontrer l'amour). Ainsi, Claire Simon affirme l'actualité de l'héritage cinématographique de Jean Rouch dont elle n'a sûrement pas oublié le court-métrage qu'il a réalisé pour le film collectif Paris vu par... (1964) et qui porte justement pour titre Gare du Nord.

4/ Leviathan (2012) de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel : Poisson pas frais

L'exergue tiré du chapitre 41 du Livre de Job ainsi que le générique-fin mentionnant le port de New Bedford dans le Massachusetts ouvrent et ferment un film documentaire voulu comme une expérience sensorielle placée sous les auspices littéraires de Moby Dick (1851) de Herman Melville.

 

 

Dans le cadre scientifique et interdisciplinaire du SEL (Sensory Ethnographic Lab) valorisant au sein de l'université de Harvard le croisement heuristique des arts visuels et de l'ethnographie, l'anthropologue et vidéaste Lucien Castaing-Taylor assisté de Verena Paravel a accumulé pendant plusieurs semaines de tournage sur un chalutier un matériel filmique gros de 150 heures de rushs à partir duquel ont été extraites les visions plastiquement saisissantes propres à caractériser un « Léviathan » des temps modernes qui doit moins à l'allégorie politique du philosophe Thomas Hobbes (Le Léviathan, ou Traité de la matière, de la forme et du pouvoir d'une république ecclésiastique et civile en 1651) qu'à l'auteur de Billy Budd (1891) et son inspiration biblique.

 

 

L'esthétique immersive privilégiée par Leviathan a remporté un certain succès dans les festivals où le film a été présenté (comme à Locarno où il reçut le prix FIPRESCI). Résultant concrètement de prises de vue obtenues avec des caméras de marque « GoPro » qui épousent des points de vue parfois impossibles (verticalement, en haut des mâts ou au fond de l'eau), cette méthode de filmage impose ainsi une phénoménologie du choc entre la puissance océanique et le pouvoir halieutique qui – ce sont les hasards de la programmation des films – serait à mettre en regard avec les monstres marins du blockbuster de Guillermo del Toro sorti en juillet dernier, Pacific Rim.

 

 

Distribué par Independencia, le documentaire en question propose un magma de sensations épuisantes qui happe d'emblée le spectateur pour ne plus le lâcher pendant 80 minutes, ce dernier affrontant essoré un film dont la spectaculaire stratégie gouvernée par les principes de l'interpénétration, de l'échangisme et de la réversibilité aura donc consisté à adopter toutes les solutions de continuité formelles. Continuité du haut ou de l'endroit solubles dans le bas ou l'envers et vice-versa. Continuité des matières organiques indifféremment animales et humaines solubles dans les matières inorganiques des cirés (telle la chair visqueuse des poissons) et des cordages (telles des viscères). Continuité de l'inhumaine machine halieutique soluble dans la non-humaine machine océanique elle-même. Ainsi, les matières finissent par toutes s'interpénétrer, les ordres ou les hiérarchies par tous se renverser et les plans par tous s'échanger dans un régime romantique de l'équivalence fluidifiée selon lequel, depuis Emmanuel Kant, le sublime con-fond horreur et beauté.

 

 

Deux images échappent au volontarisme formel d'un « chaosmos» (comme l'aurait dit Félix Guattari) cinématographique acharné à tenir les deux bouts du monstrueux (océanique d'un côté et industriel de l'autre), attestant alors que l'expérience sensorielle et immersive dans l'abstraction et l'insensé n'est pas non plus nulle en significations poétiques. Tel plan montrant l'arrachement par les filets de pêche d'étoiles de mer venant flotter en surface de l'océan et tel autre plan captant à l'envers un vol de mouettes manifestent ainsi la catastrophe écologique en cours valant autant comme désastre (les étoiles perdues) que comme renversement (les oiseaux sur le dos). Le plus gros poisson que le film ait alors à affronter consistant à ce que l'échangisme magmatique et obscène, quasi-partouzard, des points de vue filmiques aboutisse à ce que la vague du sensationnel l'emporte quand même sur le bateau du constat scientifique (ou la vision plastique sur le rendu objectif du collectif ouvrier des pêcheurs ou encore l'impersonnelle hauteur de vue sur les subjectivités au travail).

 

 

Sous prétexte de proposer une phénoménologie totale égalisant les points de vue afin d'échapper à l'étroitesse de la perception humaine particulière, Leviathan s'enlise parfois dans les images poissonneuses de déchets qui, tout en voulant fouailler dans les estomacs (de l'océan comme des spectateurs), substituent à l'intelligence analytique du propos la fascination problématique pour l'informe et l'abjection. Et ce goût viscéral et insistant pour le dégoût finit par incorporer les pêcheurs eux-mêmes, dissous comme figures (elles sont brouillées), comme noms (ils bredouillent et restent inaudibles) et comme récits (aucune temporalité ne pourrait en autoriser ici la levée). Et c'est alors bien la prestigieuse référence à Moby Dick qui finit par être jeté par-dessus bord. Comme s'il avait été nécessaire pour les réalisateurs de liquider les sujets de l'humanité laborieuse au nom des joies éminemment distinctives de l'inhumain et du sublime permettant de conjoindre à la perception de l'horrible son artistique délectation. Toutes choses gardées à distance par Julien Samani dans son moyen-métrage intitulé La Peau trouée (2004) et consacré à quelques pêcheurs irlandais partant à la chasse aux requins.

 

 

Dans une perspective allégorique semblable, Drawing Restraint 9 (2005) de Matthew Barney convainquait davantage par son sens du rite et de la durée. Le seul point d'accroche restant, si l'on ne désire pas finir noyé par les grandes eaux d'un spectaculaire « arty » qui risquerait bien de servir de caution publicitaire pour la marque prisée des caméras utilisées, serait celui de s'identifier à cette pauvre mouette prise au piège du chalutier pour avoir voulu goûter de ses trésors poissonneux. Et qui n'a plus d'autre option que celle de se jeter par-dessus bord si elle veut survivre à la catastrophe en cours. On aura dès lors compris que le Léviathan (dont le dernier avatar impressionnant aura été vu au cinéma chez Béla Tarr dans Les Harmonies Werckmeister en 2000) ne désignerait rien d'autre ici que le film lui-même, obèse de son propre autoritarisme artistique.

5/ Tip Top (2012) de Serge Bozon : La démise en boîte des clichés

Il faut attendre le générique-fin et entendre pour la troisième et dernière fois la formidable chanson pop qui avait précédemment servi de chorégraphie spontanée à un indicateur de la police franco-algérien nommé Younès (Aymen Saïdi) puis de musique d'accompagnement de la solitude nocturne d'un inspecteur de police en voiture (Robert Mendès interprété par l'incontournable François Damiens) pour gagner la certitude que, non, cette chanson n'est pas algérienne mais turque, que son titre est Ve Ölüm et qu'elle a été composée par Feridun Hürel à l'époque de son groupe 3 Hürel en 1974. Il ne faudra pas pour autant se suffire de reconnaître chez l'auteur de Mods (2002) un penchant certain pour les références musicales hyper-minoritaires. C'est que le diable gît dans les détails, dit-on, et la subtilité des films aussi qui savent, à l'instar du second long-métrage de Serge Bozon (coscénarisé par sa camarade Axelle Ropert, fan pour sa part de « northern soul » comme le prouve La Famille Wolberg en 2008), faire disjoncter les micro-circuits de la représentation quand elle repose mécaniquement sur les habitudes impensées du mimétisme et l'identification.

 

 

Ainsi, Tip Top montre, avec une manière comique insolite, particulièrement râpeuse, les rapports compliqués entretenus par des représentants de la police lilloise avec certaines personnes d'origine algérienne. Et la chanson qui circule entre quelques-uns de ces personnages, français, algériens, franco-algériens, expose cette complication puisqu'elle n'est pas chantée en arabe mais en turc, ce qui est loin d'être pareil. On trouverait peut-être un exemple semblable dans Tirez la langue, mademoiselle d'Axelle Ropert (coscénarisé par son camarade Serge Bozon, fande « pop-sike » ou de « sunshine pop » comme le prouve La France en 2006) qui, de manière moins frontale, joue parfois aussi avec les possibles effets d'identification induits par le choix du 13ème arrondissement de Paris habité par de nombreuses personnes d'origine chinoise.

 

 

Ainsi, les « jeunes » pris en exemple par l'un des deux frères médecins dans leur capacité à conjuguer études universitaires, travail aux côtés des parents tenant leur petit commerce et assistance à leurs aînés les plus âgés donneraient presque l'impression d'être confondus avec ces « jaunes » dont la doxa raciste leur reconnaît le goût naturellement asiatique de la famille et du labeur. Les « jeunes » plutôt que les « jaunes » dans le film de l'une et la chanson pop et turque résonnant dans le film français le plus parlé en arabe de l'année pour l'autre exprimeraient donc de façon structurale, en mode mineur pour le premier et majeur pour le second, que le poncif ou le cliché est ce dont il faudrait partir afin de pouvoir s'en émanciper par un jeu subtilement réflexif de désajustement ou de désemboîtement. « (…) s'attacher et s'arracher en permanence, comme une poêle sous la fricassée des clichés », ainsi que l'affirme Hervé Aubron dont l'analyse des « clichés vivants » cinématographiques s'accomplit sous la condition de la philosophie de Gilles Deleuze (in Gilles Deleuze et les images [sous la direction de François Dosse et Jean-Michel Frodon], éd. Cahiers du cinéma/INA-coll. « Essais », 2008, p. 93).

 

 

Et n'est-ce pas aussi Gilles Deleuze qui, outre de voir dans la convocation et l'accumulation des clichés une manière perverse d'en traverser les couches pour triompher de leur statisme, distinguait l'ironiste de l'humoriste, le premier qui « discute sur les principes » alors que pour le second, « les principes comptent peu, on prend tout à la lettre, on vous attend aux conséquences (…) » (in Dialogues avec Claire Parnet, éd. Flammarion-coll. « Champs », 1996, p. 166 cité par Hervé Aubron, opus cité, p. 92) ? En cela digne héritier (avec Alain Guiraudie) du burlesquenéo-primitif de Luc Moullet, Serge Bozon a décidé de tirer d'hilarants effets comiques d'un usage de la littéralité (par exemple, un gamin passe comme un coup de vent dans un parc et une bourrasque emporte dans sa foulée les affaires des pique-niqueurs du dimanche s'y trouvant) qui se prolonge formellement par le goût de la ligne claire, de la fixité des cadres et de la frontalité des plans.

 

 

Prenant donc tout au pied de la lettre, littéralement, le cinéaste filme les exigences de contrôle et de répression de la police selon que l'une de ses représentantes (le personnage de Sandrine Kiberlain) développe une tendance au voyeurisme et que l'autre (celui d'Isabelle Huppert) est adepte de séances de sadomasochisme. Ramassé en un seul plan (puisque le film cultive aussi le goût cinéphile de l'économie hérité du cinéma hollywoodien bis des années 1940 et 1950), cela donne un jeune flic qui, parce qu'il mate, se prend sur le crâne une tape. Ou encore, toujours digne de Luc Moullet, ces deux panneaux de signalisation désignant la direction et la localisation de la « plage du lac » qui passe pourtant du gag hyperbolique (il ne s'agit que d'un petit lac artificiel de banlieue sans plage) au non-lieu vague autour duquel ne cesse de tourner et retourner l'ombre de la mort.

 

 

Et c'est alors le paradoxe : l'image littérale, sans profondeur (de champ) et aux tons pastels (outre le blanc, le bleu domine mais ce n'est plus celui de la gaieté malheureuse et mélancolique du film d'Axelle Ropert) accuse une étrange opacité des personnages et de leurs relations, les premiers s'ingéniant à surjouer maladivement leur rôle (et le trio formé par François Damiens, Isabelle Huppert et Sandrine Kiberlain poussés à radicaliser leur jeu respectif est imparable), tandis que les secondes se voient affectées d'un coefficient d'incertitude elliptique particulièrement élevé. Entre pleins et creux, vides et bosses (il y a autant de moments silencieux que de moments verbeux dans le film et les deux femmes font bien la paire entre celle qui se trouve inconsistante et l'autre amatrice de performances en tout genre), Tip Top multiplie ainsi à chaque raccord les changements de ton et de rythme de telle sorte que sa littéralité s'en trouve électrisée. Et, avec cette électrisation, les clichés que son régime esthétique aura convoqués, moins selon le principe habituel de la mise en boîte (synonyme d'indirecte validation ironique) que selon le souci plus inattendu de la démise en boîte (synonyme de directe invalidation humoristique).

 

 

S'il est vrai que certains personnages sont les sujets électriques du prolongement hystérique de ce que leur position les enjoints à représenter socialement (jusqu'au bizarre clignement de l'œil gauche de madame Belkacem, symptôme de sa duplicité, très gentille au début et très méchante à la fin), d'autres personnages (du policier suicidaire au chef corrompu marqué par le décès de sa conjointe) sont les sujets vaguement éteints d'un courant dépressif qui coule dans les obscurs souterrains du récit. Entre les deux, on trouvera la figure intermédiaire de Younès, tantôt mélancoliquement absent, tantôt drôlement surexcité, et qui semble répéter le sort fatal ayant frappé son prédécesseur Ben Ammar dont le mystère non-résolu ouvre le film.

 

 

Démettre en boîte les clichés, ce serait vérifier d'une part que si les personnages occupent bien de manière différenciée chacune de leur position respective, cette occupation même fait problème, par excès (grotesque) ou par défaut (mystérieux), obligeant dès lors le spectateur à constamment changer de place en se demandant bien à quel genre de film il a affaire (comédie policière apparaissant alors comme une catégorie insuffisante en regard des bizarres facéties Tip Top).

 

 

La démise en boîte des clichés consisterait, d'autre part, à proposer de partir des poncifs relatifs à la situation actuelle des personnes d'origine algérienne en regard des représentations essentialistes et péjoratives (notamment du côté policier) qui les accablent tout en choisissant de les excéder ou de les prendre à revers, en défaut. Par excès, c'est par exemple l'inspecteur de police qui déboule dès la première séquence dans un café fréquenté par des franco-algériens victimes de sa part d'un déversement d'injures racistes tellement improbable et délirant qu'il masquait en réalité la stratégie permettant de sauver la peau de son indicateur. Par défaut, c'est tout un film dont on se demande longtemps ce qu'il raconte en fin de compte, mais dont on sait aussi très nettement ce qu'il ne raconte pas.

 

 

Le défaut révèle alors la subtile intelligence de Tip Top qui expose à la sensibilité du spectateur le partage cinématographique de parlures et de postures qui appartiennent aux manières d'être franco-algériennes, sans pour autant les référer aux problématiques médiatico-politiques qui plombent le débat public en relayant sans les questionner les opinions les plus bêtement racistes. Ainsi, le film qui semblerait s'inscrire dans le jeu des catégories habituelles de « flics » et d'« Arabes » n'a strictement rien à faire des questions d'islam et de laïcité, de délinquance et d'intégration ou de fondamentalisme et d'immigration (qui forment le lit du didactisme étriqué professé par La Désintégration de Philippe Faucon en 2012). Littéralement, Tip Top les moque moins qu'il s'en moque, préférant à l'ironiste qui en chercherait en vain les principes premiers l'humour de celui qui sait que ces questions représentent déjà l'excès hystérique et grotesque du monde social existant. La démise en boîte vaut donc bien comme désemboîtement des figures et des clichés qui les habillent du point de vue de l'opinion.

 

 

Ce désajustement s'articule alors avec la représentation des figures de l'institution policière qui, hystériques (par excès grotesque) ou dépressives (par défaut mystérieux), tirent l'ordre qu'ils représentent en direction d'une psychopathologie dont le contrepoint structural est marqué du coin de visibilités auxquelles on ne s'attendait tout bonnement pas (ou plus) de la part d'un film français. Car, au lieu de s'ingénier à répéter la formule naturaliste d'un Maurice Pialat qui avait voulu à l'époque de Police (1985) dynamiser le genre policier en le plongeant dans le bain postcolonial des relations entre policiers français et gangsters arabes, le film de Serge Bozon propose une perspective originale et inédite questionnant (mais autrement) le malaise social des banlieues avec leurs habitants d'ascendance migratoire et coloniale n'en demeurant pas moins (mais différemment) victimes des violences policières. Originale parce qu'il faut en passer par un roman policier anglais rédigé par Bill James (l'un des pseudonymes d'Allan James Tucker) qui, traduit en 2008 sous le titre de Mal à la tête, avait pour titre premier en 2005 Tip Top. Et inédite parce que cette perspective esthétique demande, dans les intervalles (ou creux) du rire, de penser l'articulation politique entre l'exil français de plusieurs policiers algériens lors de la victoire électorale du Front Islamique du Salut (FIS) en décembre 1991 et les émeutes sociales ayant secoué l'Algérie en 2011 dans le contexte plus global du « printemps arabe ».

 

 

Pour le dire avec les mots du titre du film de Serge Bozon lui-même, ce dernier n'aurait été que Tip s'il ne s'était contenté que d'une stratégie de mise en défaut par évitement ou contournement de la « fricassée de clichés » au milieu desquelles souffrent de rissoler les personnes d'origine algérienne. Mais le film est assurément Top quand il tire toutes les conséquences d'un rapport des franco-algériens à la police nationale interrogé à la loupe d'un exil politique (les policiers algériens refusant il y a vingt ans autant l'alternative fondamentaliste que de servir une répression étatique ayant conduit à une guerre civile sans nom) dont la lumière fossile pourrait nourrir le combat de la jeunesse algérienne contre l'actuel régime autoritaire du vieil État-FLN.

 

 

La frontalité du film, c'est alors de montrer longuement les images sous-exposées des émeutes algériennes de 2011. Et – juste à côté du sens du secret de Tirez la langue, mademoiselle– son sens du mystère consisterait à faire sentir l'absence de l'indicateur assassiné qui donc n'aura pas été le témoin de ces images de révolte. La culpabilité de cette absence aurait-elle poussé au suicide le policier témoin de ces images qu'il regarde avec un intérêt particulier ? Ce suicide succéderait-il à un assassinat qui peut-être relèverait moins de la corruption policière et de la guerre des polices que de la politique divisant entre eux les franco-algériens dont certains sont devenus indicateurs et d'autres leurs ennemis de principe ? Moins soucieux donc, à l'instar de Bertrand Tavernier réalisant L.627 (1992), de Xavier Beauvois avec Le Petit lieutenant (2005) et de Maïwenn réalisant Polisse (2011), que de réitérer le coup de Maurice Pialat au moment de Police, Tip Top préfère inventer en désajustant, tantôt par le défaut elliptique d'une dépression souterraine et intervallaire, tantôt par l'excès littéral d'une hystérie psychopathologique et grotesque, des poncifs du genre policier comme des clichés racistes stigmatisant les personnes franco-algériennes.

 

 

Tip concernant cette esthétique du désajustement, le film de Serge Bozon est parfaitement Top quand il tire toutes les conséquences politiques d'une démise en boîte des identifications policières des opinions au profit de nouvelles articulations des temps et des lieux, l'Algérie des années 1990 et la France contemporaine, Lille et la jeunesse algéroise révoltée. L'apparition même de Samy Naceri, reposant à la fois sur la reprise décalée des clichés qui lui collent à la peau (ses excès de comportement faisant la une des journaux) et sur la manifestation documentaire de douleurs réelles (le tremblement de son menton et de ses mains), figure le symptôme lisible d'un rapport malheureux ou compliqué pour ceux qui, en France, ont leur existence liée à l'Algérie. Après La France et ses poilus déserteurs de la première guerre mondiale, Serge Bozon continue son travail de désertion azimutée des identifications catégoriques en extrayant, dans les intervalles d'un rire épinglant sur le mode grotesque l'excès policier acharné à démasquer la corruption policière, les creux algériens d'une France qui a pour fâcheuse habitude de les ignorer. Tip et Top.

6/ Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des plaines) d'Arnaud Desplechin : Sur la réserve des noms cachés

Devant le huitième long-métrage (et le neuvième film avec le moyen-métrage La Vie des morts en 1991) d'Arnaud Desplechin, le spectateur pourrait avoir le sentiment légitime de se retrouver dans la même position structurale que Georges Devereux face à l'Amérindien d'origine « Black Foot » ou « Pied-Noir » qui, pendant les années 1947 et 1948, lui a longuement raconté ses rêves alors qu'il était soigné à l'hôpital militaire et psychiatrique de Topeka dans le Kansas. Alors que semblait s'imposer le diagnostic portant sur de possibles lésions cérébrales susceptibles de déterminer une schizophrénie et consécutives à la mobilisation du patient en tant que soldat des États-Unis sur le front français à la fin de la seconde guerre mondiale, l'anthropologue et psychanalyste français (et originaire de la mosaïque austro-hongroise alors désossée par le nazisme) s'est lancé avec celui-ci dans une entreprise psychanalytique originale puisqu'elle reposait sur un dialogue intégrant du point de vue de l'analyste la connaissance ethnologique des éléments culturels soutenant le système de valeurs symboliques de l'analysant.

 

 

Et c'est cette pratique particulièrement hétérodoxe de la psychanalyse que Georges Devereux, auteur en 1951 de Psychothérapie d'un Indien des plaines. Réalités et rêve (rééd. Fayard, 1998 et 2013), a ensuite théorisé sous les noms d'« ethnopsychiatrie » (reprenant à son compte le terme au psychopédagogue haïtien Louis Mars) afin de désigner ce nouveau domaine complémentant la psychologie clinique avec l'anthropologie et d'« ethnopsychanalyse » afin d'en proposer la méthode. Regarder pendant deux heures Georges Devereux (Mathieu Amalric) écouter les rêves racontés dans le détail par Jimmy P. (Benicio del Toro) et se représenter (avec lui ou à ses côtés) les images énigmatiques qui l'assaillent (quand ce ne sont pas d'intenses migraines ophtalmiques qui le foudroient en le privant d'équilibre), ce serait donc reconnaître – pourquoi pas ? – le spectateur invité à interpréter les images de Jimmy P. en vertu de leurs intensités symptomatiques.

 

 

Ce serait se reconnaître soi-même comme l'imaginaire ethnopsychanalyste d'un cinéaste dont les images ne témoigneraient alors pas seulement de la satisfaction cinéphile d'un grand rêve américain ou de la rigoureuse documentation d'une pragmatique (les 300 pages de dialogues entre l'analysant et son analyste de la seconde partie de l'ouvrage de Georges Devereux) dont la conceptualisation (les premières 300 pages explicitant et justifiant, cliniquement comme théoriquement, la démarche adoptée) allait révolutionner les rapports scientifiques et thérapeutiques entre psychanalyse, psychiatrie et ethnologie ou anthropologie. D'abord, la symptomatologie critique reconnaît les traces ou indices d'une constellation cinématographique à l'intérieur de laquelle le cinéphile tente, comme à chaque film, de trouver sa place comme l'oiseau de Jean Cocteau qui chante le mieux dans son arbre généalogique.

 

 

Ainsi, le film d'Arnaud Desplechin semble réitérer la partition de Esther Kahn (2000) en proposant, sous la condition linguistique (l'anglais à la place du français) d'une déterritorialisation transitoire (les États-Unis se substituant à l'Angleterre), un nouveau récit de formation inspiré par L'Enfant sauvage (1970) de François Truffaut. Et ce nouveau récit de formation lointainement hérité du « Bildungsroman » goethéen ressemblerait idéalement à un scénario hitchcockien (par exemple celui, évidemment psychanalytique, de Spellbound en 1945) mis en scène par John Ford (celui de l'amitié entre deux hommes sur fond amérindien comme dans Two Rode Together en 1961).

 

 

Un extrait de Young Mister Lincoln (1939), autre classique récit de formation, atteste ainsi de l'intelligence d'un cinéaste cinéphile qui sait forcément, tournant aux États-Unis, devoir affronter le cinéma John Ford (et d'autant plus s'il filme des Amérindiens). Mais tout en sollicitant le geste cinématographique fordien à partir du motif (parfaitement récurrent) de l'homme s'adressant sur la tombe de sa fiancée à son fantôme puisque, en effet, James Picard est hanté par plusieurs spectres féminins lui renvoyant une culpabilité contre laquelle il n'a de cesse de devoir se battre.

 

 

On pourrait tout à fait considérer aussi que Jimmy P. proposerait comme la suite idéale de Flags Of Our Fathers (2005) de Clint Eastwood qui montrait le soldat amérindien Ira Hayes (dont l'histoire inspira une chanson folk de Peter Lafarge, The Ballad Of Ira Hayes, reprise notamment par Bob Dylan et Johnny Cash), l'un des trois héros de la célèbre photographie de la prise du mont Suribachi à la fin de la bataille d'Iwo Jima en février 1945, devenir alcoolique et dépressif à la suite de sa démobilisation. Il faudrait encore mentionner deux (sinon trois) films avec lesquels Jimmy P. a décidé d'entamer une conversation féconde. D'une part, c'est Let There Be Light (réalisé en 1945 mais seulement sorti en 1980), le passionnant documentaire de John Huston sur les vétérans victimes de troubles psychosomatiques consécutifs à leur expérience de la guerre.

 

 

Et le fait que ce film soit le bonus du blu ray étasunien et français de The Master (2012) par Paul Thomas Anderson souligne la proximité de ce dernier film avec celui d'Arnaud Desplechin concernant une Amérique déboussolée par la guerre et dont les bricolages portant sur les thérapies plus ou moins inspirées de la tradition psychanalytique et susceptibles de lui redonner une orientation sont le fait d'hommes blessés pourtant capables des plus intenses mouvements de l'amitié. D'autre part, c'est The Pledge (2005) de Sean Penn dans lequel Benicio del Toro jouait un Amérindien souffrant de troubles psychiques et qui se suicidait en prison alors qu'il était considéré comme le principal suspect d'une affaire de meurtre. En bonus, on trouvera que Larry Pine dans le rôle de Karl Menninger, le directeur de l'hôpital militaire de Topeka ressemble extraordinairement à James Stewart (qui jouait l'un des deux rôles principaux de Two Rode Together).

 

 

 

Pourtant, Jimmy P. affronte cette forêt touffue de références cinématographiques avec une énergie inhabituelle, le film paraissant dans sa contention presque atone, particulièrement concentré sur les dialogues entre l'analysant et son analyste au point de faire quasiment le vide autour d'eux. Certes, d'autres indices témoignent de récurrences qui sont de véritables hantises dans l'œuvre d'Arnaud Desplechin (la narration épistolaire face caméra comme chez François Truffaut mais aussi Hamlet de William Shakespeare, le théâtre de marionnettes et Ingmar Bergman avec Les Fraises sauvages en 1957), jusqu'au nom de Devereux lui-même qui était celui de la psychanalyste d'origine africaine d'Ismaël Vuillard interprété par Mathieu Amalric dans Rois et reine (2004), les dialogues entre les deux personnages étant alors littéralement indexés sur un passage de Psychothérapie d'un Indien des plaines.

 

 

Mais il y a délibérément une atonie qui, si elle a déterminé la réception critique mitigée du film lors de sa projection en compétition officielle lors du dernier Festival de Cannes (dont le président, Steven Spielberg, n'a malgré tout pas dû être insensible aux références fordiennes du film), servirait plutôt à décevoir les attentes d'un public désireux de jouir des orages hystériques mis en scène à l'occasion de Rois et reine et Un conte de Noël (2008). Un indice de cette tactique déceptive serait peut-être à trouver dans l'invitation par le directeur de l'hôpital à ce que Georges Devereux fasse preuve un peu moins de cette exubérance qui le caractérise (et qui caractérise tous les personnages joués par Mathieu Amalric dans les cinq films d'Arnaud Desplechin depuis son petit rôle d'étudiant en médecine légale dans La Sentinelle en 1992). Le fait même que cet acteur ait raconté à quel point il était impressionnant de jouer en compagnie de Benicio del Toro et comment il a utilisé cette forte impression pour parfaire son interprétation va complètement dans le sens d'un film dévolu au « neutre » dont ont parlé Maurice Blanchot et Roland Barthes et dont le neutre vaudrait d'abord pour la neutralisation de la tendance hystérique dominante.

 

 

C'est qu'Arnaud Desplechin, en se rapprochant toujours plus (en trois films, Rois et reine et Un conte de Noël suturés par le documentaire L'Aimée en 2007) de Roubaix et de son noyau biographique et familial propre, s'est abandonné à cette hystérisation des manières figuratives et des formes narratives attestant symptomatiquement d'une trop grande proximité avec une histoire familiale qui, obscurément, brûle, fascine et révulse à la fois. En trois films, le cinéaste qui n'a donc pas cessé de mettre en scène des héritages intempestifs et des héritiers symptomatiques avait fini par hériter de lui-même et le risque de régner en maître dans le royaume saturé des signes éclatants de sa souveraineté était trop grand pour ne pas imaginer, comme à l'époque de Esther Kahn succédant à l'épuisant Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) en 1996, une nouvelle ligne de fuite salutaire.

 

 

Certes, il y avait déjà, dès La Vie des morts, des souvenirs d'enfance qui se ramassaient dans quelques figurines de western parmi les détritus au fond d'un jardin irlandais de Roubaix, mais la déterritorialisation transitoire autorise désormais l'exploration d'un nouvel arbre généalogique séparé de tout remugle familial. Surtout, cette ligne de fuite autorise, au-delà de tout effet de neutralisation des mouvements hystériques habituels, la saisie tout au long des dialogues entre Georges Devereux et James Picard de véritables « lignes de tact » qui recoupent des « lignes de failles » (pour reprendre les belles formulations de Georges Didi-Huberman dans son ouvrage Peuples exposés, peuples figurants en 2012). Des lignes de tact recoupant des lignes de faille dont l'image paradigmatique serait celle montrant James Picard enrôlé dans l'armée étasunienne et dont le boulot consistait en France à désamorcer des mines.

 

 

Film atone et neutre parce qu'il s'agit de contenir et dépasser l'exubérance hystérique caractérisant un rapport compliqué à l'autobiographie, film doux parce qu'il s'agit d'être au diapason d'une violence sourde qui, si elle éclatait, emporterait tout (et Benicio del Toro est formidable dans l'expression des basses de cette contention), film précautionneux parce que le tact ne se comprend qu'en rapport nécessaire avec la faille dont il faut porter témoignage (sans pour autant s'y engouffrer puisque témoigner consiste justement à séjourner sur son bord), Jimmy P. rend compte d'une concentration qui est contention, autrement dit sens de la retenue. Parce qu'il s'agit de se tenir sur la réserve de ce qui sourd des corps en regard de ce qui inconsciemment les informe, s'agissant des pires violences commises au cours des 19ème (le génocide amérindien) et 20ème siècles (le génocide des Juifs).

 

 

 

Et la réserve se comprendrait ainsi comme le seuil de ce qui vient diviser les noms et, les divisant, les réserve aux conséquences symptomatiques de l'histoire du nationalisme et de l'impérialisme occidental et des déflagrations culturelles et populaires qu'ils ont entraînées durant les deux derniers siècles. S'il y a un grand délire onomastique traversant les films d'Arnaud Desplechin électrisés par les noms, leur transformation ainsi que leur circulation, il y aurait peut-être aussi parmi les plis de ce délire la hantise souterraine d'un « nom caché » ou d'un « nom secret », qui par exemple aurait pu être celui de Canetti pour le personnage éponyme de Esther Kahn si elle avait accepté de le prendre pour nom de scène afin de masquer sa judéité. Le paradoxe voulant que ce nom soit celui porté par l'écrivain Elias Canetti, un Juif séfarade né en 1905 en bordure de la frontière entre la Bulgarie et la Roumanie et dont les ascendants étaient d'origine espagnole – et cette grande figure intellectuelle appartient d'ailleurs à la même génération que Georges Devereux, né quant à lui en 1908 dans la région austro-hongroise du Banat roumain.

 

 

Le « nom caché » ou le « nom secret » est celui qui, dans la lecture que fait Gershom Scholem d'un court texte énigmatique intitulé Agesilaus Santander et rédigé par Walter Benjamin au tout début des années 1930, s'associe selon la tradition juive avec la figure de l'« ange personnel à tout homme, et qui représente son moi secret, bien que son nom lui demeure caché » (« Walter Benjamin et son ange » (1972) in Benjamin et son ange, éd. Payot & Rivages, 1995,p. 109). « '' Secret'', ce nom ne l'est précise plus loin Gershom Scholem que dans la mesure où, chez les Juifs assimilés, on n'en fait guère usage, bien que leurs enfants, une fois la treizième année accomplie, âge auquel ils deviennent majeurs d'après la loi juive, soient appelés pour la première fois à la lecture de la Thora dans la synagogue sous ce nom (Bar Mitzva) » (opus cité, p. 115).

 

 

Dans une exégèse consacrée au texte de Walter Benjamin qui discute de manière serrée la lecture proposée par Gershom Scholem, Giorgio Agamben instruit même du vrai « nom secret » de Walter Benjamin (Benedix Schönflies), tout en rappelant que Schönflies était le nom de jeune fille de sa mère (« Walter Benjamin et le démonique. Bonheur et rédemption historique dans la pensée de Benjamin » (1982) in La Puissance de la pensée. Essais et conférences, éd. Payot et Rivages, 2011 [2005 pour l'édition originale], p. 246). Il faudra ici citer le début de la seconde version du texte de Walter Benjamin, encore plus explicite que la première dans son désir d'actualiser un élément de tradition judaïque avec un contexte politique alors rongé par l'antisémitisme nazi : « Quand je naquis, il vint à l'esprit de mes parents que, peut-être, je pourrais devenir écrivain. Il serait bon, alors, que tout le monde ne remarque pas d'emblée que je suis juif. C'est pourquoi, en plus de mon prénom usuel, ils m'en donnèrent deux autres, inusités, qui ne laissaient pas voir qu'un Juif les portait, ou qu'ils lui appartenaient comme prénoms » (Gershom Scholem, op. cit., p. 95).

 

 

Il faudra enfin mentionner le fait ethnographique évoqué par Georges Devereux lui-même en 1964 selon lequel l'existence de noms publics doublés de noms secrets peut servir pour ceux ayant été informés des seconds à lancer des malédictions : « De même, dans certaines tribus, chacun a un nom public et un vrai nom, qui est tenu secret. Quiconque découvre ce nom secret peut s'en servir pour jeter un sort à celui dont il connaît le vrai nom, aussi efficacement que s'il s'était emparé d'une rognure d'ongle, ou de quelque autre partie de son corps »  (in La Renonciation à l'identité. Défense contre l’anéantissement, éd. Payot & Rivages, 2009, p. 71 ).Il en fallait alors de la précaution pour s'approprier la forme canonique du classicisme hollywoodien, autrement dit le champ-contrechamp, et faire de cette appropriation le site d'une mise en regard entre l'Amérindien qui porte un nom occidental (James Picard) et dont le nom traditionnel (« Oxhonita:he:puyo:pe ») en langue pikanii signifie « Tout-le-monde-parle-de-lui » et le Français exilé aux États-Unis dont le nom cache en fait depuis 1933 celui, juif et magyar, de György Dobŏ.

 

 

Et il en fallait bien du tact pour montrer que ces figures exemplairement minoritaires, porteurs de noms divisés par d'autres cachés ou secrets, dialoguent dans l'idiome majoritaire – le « monolingue » aurait dit Édouard Glissant – de l'Autre (étasunien) au lieu même d'une réserve qui, de la contention sourde de James Picard à l'exubérance dissimulatrice de Georges Devereux, les retient au bord de la faille génocidaire. Et le champ-contrechamp attesterait alors, dialectiquement, autant d'un processus mimétique (les migraines ophtalmiques de l'un répondant à la vue de taupe de l'autre) qu'il vient aussi marquer les lignes de radicale différenciation dans les positions (la fuite du second opposée à la menace de folie du premier) rapportées aux désastres historiques, incommensurables entre eux, et sur lesquels ils se tiennent pourtant tous les deux.

 

 

Entre celui dont le nom secret prescrirait presque qu'il devienne le sujet connu d'un ouvrage révolutionnaire proposant l'invention de l'ethnopsychiatrie et cet autre dont le nom de famille secret signifiait « deutsch » en magyar et dont le nom français provenait peut-être du roumain « evreu » signifiant « juif » (cf. Tobie Nathan, préface à Ethnopsychiatrie des Indiens Mohaves, éd. Les Empêcheurs de penser en rond, 1996), c'est alors un nouveau délire onomastique dont les racines plongent cette fois-ci dans les abîmes transatlantiques de la destruction occidentale des peuples minoritaires. Peut-être, comme le prétend également l'ethnopsychiatre Tobie Nathan, qu'aurait existé un malentendu entre l'analyste et son analysant, le premier croyant qu'il entreprenait une cure d'un nouveau genre pendant que le second croyait que ce dernier était pour lui comme l'équivalent d'un chaman ou d'un sorcier. Mais le malentendu est tellement fertile, celui qui montre que l'invention de l'ethnopsychiatrie aura également séjourné sur le site impensé de deux exterminations qui, incommensurables entre elles, se seront pourtant fait face dans l'impossibilité de leur représentation respective.

 

 

Et que ce séjour aura également autorisé la possibilité, même provisoire, d'une amitié entre deux hommes permettant à l'un de pouvoir affronter le visage de sa fille (c'est la dernière séquence du film, bouleversante de simplicité) et à l'autre d'entamer une cure psychanalytique au cours de laquelle, peut-être, son rapport compliqué à sa judéité pourrait trouver matière à être éclairé. C'est que l'homme des racines (amérindiennes) n'est plus seulement l'homme de la génération (il est le géniteur d'une fille qu'il n'a pas en son temps reconnue) mais désormais celui de la filiation réclamant que le regard de sa fille le fonde comme père autant que lui voudrait qu'elle devienne sa fille (et cette double adoption soutenant le régime symbolique de la filiation dispose de cette force permettant de rompre tranquillement avec tous les arguments naturalistes défendus par l'idéologie familialiste et réactionnaire des opposants à la loi sur le mariage homosexuel et l'homoparentalité).

 

 

En regard de cette filiation dont la promesse de restauration établit qu'un homme en renouant avec son passé s'ouvre à un nouvel avenir, les symptômes de la judéité compliquée de Georges Devereux (tels qu'ils se manifestent dans son refus maniaque de porter ses lunettes rondes ou dans la blague autour de la barbe postiche de Sigmund Freud) exposent la stratégie de survie de celui qui deviendra l'auteur, lors de son retour en France en 1964, d'une conférence donnée devant la Société psychanalytique de Paris et intitulée La Renonciation à l'identité. Défense contre l'anéantissement (opus cité). Jimmy P. est ainsi ce beau film qui aura non seulement eu le tact de donner un nom (fictif – James Picard) et un corps (de fiction – celui de Benicio del Toro) à un homme dont l'identité est demeurée mystérieuse. Mais qui aura aussi pensé l'amitié des porteurs de noms cachés ou secrets qui se tiennent sur la réserve de failles génocidaires.

 

 

Et la précaution serait alors de mise si l'on veut, au terme de ce tout petit essai d'ethnopsychiatrie imaginaire consacré à un cinéaste venu devant son spectateur présenter son rêve cinématographique de deux heures, tenter de dire que le nom caché de l'Amérique serait probablement amérindien – celui désignant les peuples autochtones ou « natifs » exterminés lors de la conquête occidentale de l'Amérique. En même temps que le nom secret du réalisateur, hérité, adopté, serait peut-être juif – d'une judéité impossible, celle marquée du double signe de François Truffaut (le nom de Steiner porté par l'amante fictive de Georges Devereux fait ici directement référence au Dernier métro en 1980 réalisé par celui qui découvrit en 1968 que son père biologique, Roland Lévy, était juif) et de Shoah (le film de Claude Lanzmann en 1985 ainsi que le judéocide qu'il nomme en l'envisageant comme l'irréductible catastrophe).

 

 

Fin août, début octobre (la rentrée cinéma 2013 - seconde partie)

 

 

Jeudi 10 octobre 2013


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