"Dead Ringers - Faux-semblants" (1988) de David Cronenberg

Pietà xiphopage

Dead Ringers Faux semblants (1988) de David Cronenberg raconte une histoire de fraternité déréglée, de gémellité détraquée par le choc de la rencontre amoureuse dont la force traumatique exerce d'incalculables conséquences. Face aux jumeaux Mantle, Claire Niveau est clairement l'exception, le franchissement impossible du niveau pour des hommes qui auraient voulu ne compter les femmes qu'en les faisant cliniquement passer entre la table d'opération et le lit de la séduction. Le refus schizophrène et psychotique de la castration ombilicale débouche alors sur la reprise monstrueuse et tragique de la scène de la pietà caractéristique de l'iconographie chrétienne et son altération par un rêve avorté de fraternité xiphopage avec le frère en mère de son frère. Des hommes qui se rêvent incréés, que font-ils sinon user du pouvoir institué de s'approprier le ventre des femmes afin de conjurer l'idée qu'ils en proviendraient ?

Fraternité déréglée,

 

gémellité détraquée

 

 

 

 

 

À chaque revoyure de Dead Ringers – Faux-semblants (1988), on n'est jamais certain que ce que l'on va revoir soit raccord avec ce que l'on croyait avoir vu et compris. Qu'avions-nous cru voir et que voyons-nous désormais pour demander encore de quoi l'on est ou demeure vraiment sûr ? Que faire dès lors que la question du Deux se voit comme ici rejouée et, en même temps, déjouée de manière si simple et si vertigineuse, à tel point d'être troublée et brouillée par toute une série opératoire de pliures et de complications de plicatures comme on en soigne en médecine chirurgicale ?

 

 

 

Le film de David Cronenberg se présente comme une histoire de fraternité déréglée, de gémellité détraquée par le choc de la rencontre amoureuse dont la force traumatique s'accomplit dans l'exercice de ses plus incalculables conséquences. Les jumeaux Elliot et Beverly Mantle savent pourtant compter sur leurs doigts : les frères sont des parangons du mâle blanc bourgeois hétéro, ce sont des hommes de science connus, reconnus et récompensés dont on paie cher le cours ou la consultation médicale très prisée, courue par les femmes de la grande bourgeoisie nord-américaine. Les Mantle officient précisément à titre de gynécologues renommés dans la glaciale cité de Toronto. Le premier est plutôt mondain et ouvertement cynique quand le second est plus timoré et davantage dévoué à la libido sciendi. Mais les deux s'entendent pour s'échanger et se partager leurs clientes et amantes avant de tomber un jour sur la personne de Claire Niveau qui va à son corps défendant incarner un déséquilibre décisif dans l'ordre symbolique (et phallique) que la fratrie aura mis en place depuis l'enfance. Quelles sont les formes qui surviennent en étant dévolues aux expressions du détraquement et du dérèglement ? Quelles sont-elles, elles qui nous auront d'ailleurs longtemps fait halluciner l'idée du spectre d'un frère témoignant pour la schizophrénie de son survivant qui jouerait alors les deux rôles alternativement (avec le titre pour indice puisque dead ringer signifie sosie) ?

 

 

 

Le récit dominé par une fraternité confiante dans le savoir qu'elle a d'elle-même et de son matériau privilégié puisé dans les imperfections physiologiques du corps féminin s'ouvre effectivement sur une pente inattendue. Elle précipitera la fêlure au fondement d'un devenir métamorphique qui rompt progressivement les amarres avec le glacis bleuté et laiteux d'un monde de béton, d'acier et de verre, un monde refroidi par sa propension idéologique à la réification sociale et au fétichisme technologique. Les échanges de personnalité auxquels se livrent habituellement les jumeaux dans leurs interactions professionnelles comme dans leurs jeux sexuels se disloqueront en effet avec la rencontre avec Claire Niveau. L'addiction de l'actrice aux excitants, fréquent dans le milieu télévisuel comme médical, va révéler chez les représentants de la médecine contemporaine une dérive pharmacologique, une déréliction sans retour actualisant dans la mort consentie une toxicomanie toujours déjà là virtuellement. Beverly devient en effet amoureux de l'actrice soignée par son frère et lui pour une stérilité résultant d'un exceptionnel utérus trifide. Cet amour finira par faire claudiquer l'ordre fraternel en déboitant sa force d'illusion gémellaire, jusqu'à se disloquer dans la confusion identitaire et régressive d'une indiscernable schizophrénie.

 

 

 

 

Gynécologie négative

 

 

 

 

La connaissance intime des faux-semblants appartient à ceux qui s'amusent à tromper leur monde en jouissant et surenchérissant sur le savoir médical qu'ils accumulent dans le domaine de la médecine gynécologique. Si cette connaissance est au départ offert au spectateur dans le partage jouissif d'un savoir exclusif (Claire Niveau ignore ainsi un bon moment ce que sait déjà le spectateur, mis d'entrée de jeu dans la confidence des pratiques fraternelles), elle butera cependant sur l'impasse imprévisible du désir exigeant du frère amoureux, Beverly, qu'il refuse à Elliot les habitudes fraternelles du partage sexuel des femmes et de leur équivalence généralisée. La connaissance intime est alors un pouvoir perdu et il le sera même deux fois : sur le plan d'un rapport aux femmes envisagées comme de la « monnaie vivante » (Pierre Klossowski), valable à la fois dans le champ professionnel et dans le registre de l'intimité (les femmes sont les clientes et les amantes que se passent entre eux les frères Mantle, soudés dans leur économie libidinale jusqu'à la rencontre amoureuse et ses effets de division et de séparation, de débandade et de déliaison). Cette perte se verra aussi bien consommée par le spectateur lui-même depuis la tenue élégante ou classieuse d'images marquées aux deux bords de l'usage non ostentatoire d'un effet spécial (le contrôle du mouvement généré par système informatique afin de caler dans le même plan le même acteur y jouant des rôles différents) et des modulations subtiles du jeu de l'acteur (Jeremy Irons pour le double rôle au principe de sa plus étonnante interprétation à ce jour, ex-æquo avec Reversal of Fortune Le Mystère von Bülow de Barbet Schroeder en 1990).

 

 

 

Les maîtres de l'illusion identitaire se révèlent les esclaves d'une passion narcissique et régressive qui les dépasse en excédant tout contrôle, toute maîtrise rationnelle, tout calcul. Les somnifères de Beverly incapables de se délier de son frère pour la femme qu'il aime se mélangent aux amphétamines d'Elliot impuissant à relever ce dernier de la déception qui l'accable en élargissant même les bords d'une zone dépressionnaire. La zone n'a cependant pas encore cette disposition larvaire qui va autoriser dans Naked Lunch – Le Festin nu (1991) d'après William S. Burroughs l'exterminateur de cafard hétéro à se métamorphoser en écrivain homo (la double métamorphose y est autant une éclosion qu'un passage à l'ennemi). Engorgé de détritus et de déchets, le cabinet chic de consultation devient une porcherie puis la scène d'une gynécologie très spéciale, d'un type très particulier. Une scène unique et monstrueuse de gynécologie négative et inversée dominée, depuis le mimétisme schizophrène des identités fusionnées, par le fantasme inavoué de frères qui se seraient toujours rêvés à la fois siamois (l'émouvante référence à la fratrie chinoise Chang et Eng) et incréés (l'opération finale est conçue via la fusion fraternelle comme une scène d'auto-engendrement délivrant l'image ultime d'une monstrueuse Piéta – l'image d'un échec qui est aussi un désastre réussi est autrement désirée par le cinéaste jouant ici comme dans La Mouche un semblable petit caméo d'obstétricien). La renaissance visée s'affaisse alors dans la débâcle d'un avortement.

 

 

 

 

À l'occasion de la réalisation de Dead Ringers, David Cronenberg a rencontré Peter Suschitzky, le chef opérateur avec lequel il n'a plus jamais cessé depuis de travailler. À ses côtés il aura accompli l'une de ses mues les plus importantes, qui ne se réduit d'ailleurs pas à la question du genre même si celle-ci reste importante, ne serait-ce que stratégiquement. Après le sommet gore offert par The Fly – La Mouche (1986), immense succès commercial de l'époque qu'il ne rencontrera plus jamais par la suite, le réalisateur canadien décide avec le film suivant de travailler une horreur qui ne se poursuivra dorénavant plus qu'en s'intériorisant. L'introversion succédant à l'extraversion ou l'implicite préféré à l'explicitation est ce que Dead Zone aura préfiguré en 1983 et ce que parachèvera Spider en 2002. Toutes choses égales par ailleurs, on songe alors à Fritz Lang dont le passage hollywoodien lui a permis d'alléger et de quintessencier tout ce qu'il pouvait y avoir de monumental dans sa période allemande, surtout muette. Dans les deux cas on pourrait parler d'un passage vers l'implicitation. Chez David Cronenberg, altérations et autres exacerbations du corps seront en effet continuellement relevées ensuite dans les peaufinages et lissages d'une « nouvelle chair » poussant l'approche phénoménologique dans de nouvelles dispositions technologiques. Récipiendaire du Grand Prix du Festival d'Avoriaz, Dead Ringers marque ainsi le moment critique où David Cronenberg se délie d'un respect strict des lois du genre avec lesquelles il composait depuis Shivers – Frissons (1975) qui faisait suite à ses premiers travaux underground comme Stereo (1969) et Crimes of the Future (1970). On devra alors souligner que l'épreuve de la césure et du décollement se soutient précisément d'une fiction narrant paradoxalement l'impossibilité imaginaire à consentir symboliquement au réel de la séparation.

 

 

 

D'un côté, la séparation est ce réel auquel il faut subjectivement consentir. La coupe est un fait de naissance (Julia Kristeva relisant Hannah Arendt en respectant son inspiration augustinienne native l'aurait qualifié de « naissanciel »). Toute femme qui met au monde en fait l'expérience ombilicale et tout être humain, signé du nombril qui lui rappelle la coupure originelle, en recommence symboliquement la nécessité destinale. L'échec des héros cronenbergiens des années 1980 consiste exemplairement en l'impuissance qui est addiction à ne pas choisir le réel de la séparation et sa symbolisation en préférant s'accrocher comme des parasites au fantasme régressif de la fusion. De l'autre, les mutations sont pour le cinéaste (et l'auteur du roman Consumés publié en France par les éditions Gallimard en 2016) considérées comme les courts-circuits méritant un double travail de figuration et de fictionnalisation en témoignant alors que l'individuation procède à trois brins (comme le dirait Bernard Stiegler dans l'inspiration philosophique de Gilbert Simondon), c'est-à-dire qui se jouent tout à la fois dans les domaines psychiques, organiques et techniques. Ces mutations à trois brins valent alors comme la ponctuation symptomatologique d'une organologie générale au sein de laquelle la physiologie humaine représente une région importante – mais une région seulement, largement privilégiée avec les premiers films pour laisser place depuis la fin des années 1980 à d'autres configurations moins directement sanguinolentes, moins organiques et plus organisationnelles, moins violemment explicites et plus insidieusement implicites.

 

 

 

 

Les siamois du nombril

 

(le duo fracturé par le Deux)

 

 

 

 

Neuroscience dans Stereo, industrie cosmétique dans Crimes of the Future, greffes dans Shivers, chirurgie esthétique dans Rabid – Rage (1977), psychothérapie médicamenteuse dans The Brood – Chromosome 3 (1979), médication œstrogénique et effets mutagènes dans Scanners (1981), médias audiovisuels dans Videodrome (1982) et industrie des jeux vidéo dans eXistenZ (1999), expérimentations scientifiques où la part de la science grignote sur celle de la fiction entre The Fly – La Mouche (1986) et Dead Ringers, psychiatrie avec Spider et psychanalyse avec A Dangerous Method (2012) attestent en leur diversité même un vaste régime d'expérimentations variées imposé par la clinique d'une raison instrumentale au service d'un transhumanisme sans destination ni finalité. Ce qui ne cesse alors de se vérifier est que, comme le disait déjà Sophocle dans Antigone avec son « Hymne à l'Homme » et comme l'a dit plus tard Pascal avec ses Pensées, « l'homme passe infiniment l'homme ». Ces passages peuvent être aussi des outrances et des excès, des outrepassements qui sont des impasses avérant autant d'accès pour la pensée de l'accidentalité humaine, jusqu'aux carambolages de Fast Company (1979), Crash (1996) et Cosmopolis (2011).

 

 

 

Dans Dead Ringers, Claire est génialement jouée par Geneviève Bujold (et il fallait bien que, face à un Jeremy Irons à la puissance deux, elle le soit en effet), toute en froideur évasive et fiévreuse jusqu'à la brûlure, et elle n'est pas loin de provoquer involontairement une catastrophe comme l'hyménoptère dans The Fly, figurant une nouvelle catalyse précipitant le chaos (en passant on entend dans le terme d'hyménoptère l'hymen, la membrane qui fait voler le diptère quand elle se déchire au moment de la naissance). Il faudra à cet égard prendre en leur entière considération les instruments de chirurgie imaginés par le délire créatif des frères Mantle, et y reconnaître une disposition artistique contrariée. Un designer contemporain leur en volera d'ailleurs l'idée, joué par l'un des deux rivaux mimétiques de Scanners dont Faux-semblants vaudrait alors comme un remake quintessencié mais aussi la réponse masculine au féminin Sisters – Sœurs de sang de Brian De Palma (1973). On y reconnaît aussi un fantasme insectoïde symptomatique (l'insecte nomme métaphoriquement le néant de la différence des sexes, l'indifférenciation neutralisant la coupure sexuelle, l'in-secte). On y voit encore une volonté d'indexation instrumentale du matériau humain sur les outils chirurgicaux de la raison médicale (les femmes se suivent indistinctement dans une compulsion sérielle court-circuitée par l'exception figurée par Claire).

 

 

 

La porteuse de l'utérus trifide, difformité imperceptible par le commun des mortels, est aimée (elle est non seulement une exception biologique fascinante mais elle est encore disposée à accueillir l'exception de la rencontre amoureuse authentique). Elle est aussi détestée (Claire est une femme qui en sait trop, le monstre de la nature qui expose la différence entre les frères qui s'amusent à la nier, la mutante qui oblige à changer littéralement de niveau et dérange les jeux narcissiques d'une fratrie révélée dans ses rapports proto-incestueux et quasi-homo). Claire est l'événement, non plus une femme équivalente à toutes les autres mais la femme qu'il faut aimer en relevant l'accident de la rencontre jusqu'à traverser l'écran du fantasme, doit-on en mourir. Comme la petite voisine de l'enfance qui envoie balader les frangins dont l'assurance n'a plus alors qu'à se retourner sur des jouets ou plus tard les cadavres de l'université de Cambridge, Claire Niveau est la femme qui figure la singularité que l'on ne peut contourner parce qu'elle brise la règle à calculer de l'économie libidinale fraternelle. Claire est clairement l'exception, le franchissement impossible du niveau pour des hommes qui auraient voulu ne compter les femmes qu'en les faisant cliniquement passer entre la table d'opération et le lit de la séduction.

 

 

 

Deux brise le deux : le duo fraternel aura été fracturé par le Deux amoureux. En passant, Axelle Ropert s'en souviendra pour Tirez la langue, mademoiselle (2013). Avec le Deux qui divise le duo, la fêlure est une différence événementielle ouvrant à la pente régressive d'une fusion des jumeaux dans le fantasme d'un sujet siamois et incréé. Onomastique indiciaire, comme toujours chez David Cronenberg : Beverly et Elliot se surnomment Bev et Elly dont la contraction, la fusion donnerait en effet Beverly. Par bien des aspects, Dead Ringers pourrait être rapproché aussi de la « trilogie des jumeaux » d'Agota Kristof (formé du Grand cahier en 1986, de La Preuve en 1988 et du Troisième mensonge en 1991). Mieux encore, ce film pourra être considéré comme la variation d'une nouvelle de l'un des écrivains préférés du cinéaste canadien, à savoir Vladimir Nabokov, l'auteur de Scènes de la vie d'un monstre double (1958). Peter Sloterdijk a proposé une belle lecture de ce récit tératologique dans le chapitre VI (intitulé « Le séparateur de l'espace spirituel ») de Sphères I. Bulles. Microsphérologie (1998), en appelant « siamois du nombril » ces figures incapables de la séparation qui permet de remplir le vide laissé par l'alter-ego, celui qu'il appelle le « double placentaire ».

 

 

 

Contre la séparation induite par l'événement amoureux et qu'un fameux cauchemar organique souligne un peu trop bien (on y voit Claire mordre les siamois au niveau du sternum qu'ils ont en commun), les jumeaux consentent à refluer jusqu'au monstre d'une fraternité fusionnelle de siamois fantasmée, incarnant de fait « la ''castration ombilicale'' non effectuée » (éd. Fayard/Pluriel, 2011 [2002 pour la première édition française], p. 492). Le refus de la castration ombilicale débouche alors sur la reprise monstrueuse et tragique de la scène de la pietà caractéristique de l'iconographie chrétienne altérée par un rêve avorté de fraternité xiphopage avec le frère en mère de son frère.

 

 

 

L'identité respective des gynécologues devient indiscernable, sacrifiée sur l'autel d'une gynécologie négative ou inversée, qui les concerne eux seuls dans l'exclusion de l'autre. Les représentants hautains et sexistes de la religion médicale et instrumentale, les officiants d'opérations mises en scène comme des liturgies cardinales (c'est le rouge intense des blouses), accouchent dans la mort d'une ultime image qui leur survivra, tandis qu'un coup de téléphone précédent venait d'avérer que leur survit aussi Claire, dont l'utérus trifide porterait la hantise fantasmatique d'une origine maternelle impossible à conjurer. La scène est d'évidence reprise de l'iconographie chrétienne. C'est une pietà comme en a sculpté Michel-Ange (le générique avec ses planches d'anatomie et des outils pareils à ceux conceptualisés par Léonard de Vinci indiquait déjà la Renaissance comme source matricielle de l'homo faber), avec sa Vierge en mater dolorosa tenant sur elle son fils descendu mort de la croix, avant sa mise au tombeau, sa Résurrection et son Ascension. Mais la reprise est monstrueuse, altérée par son fantasme xiphopage (qui dit étymologiquement que le sternum est une épée xiphos qui tranche moins qu'elle fait un sternum commun aux deux frères pagêis signifie uni, composé de plusieurs parties). Car la scène du frère dont le cadavre est déposé sur les genoux de l'autre frère également mort parachève dans son écrin opératique même (Howard Shore excelle toujours dans ce registre musical) l'exclusion mortifère de l'autre sexe dans l'image-fantasme d'une filiation purement masculine.

 

 

 

 

L'horreur de la différence niée

 

(le même est cela seul que l'Homme aime)

 

 

 

 

Le même est cela seul que l'Homme aime quand son érection se fait en majuscule. Autrement dit, le double identitaire plutôt que le Deux de la différence événementielle est ce que des hommes auront désiré à mort. À l'encontre de toute altérité de l'autre s'opère ainsi le recouvrement final du sujet féminin de l'exception en ennemi le plus dangereux car le plus intime intime. La Mère qu'il faut désavouer dans un matricide imaginaire alors qu'a contrario elle régnait despotiquement par hystérie psychosomatique dans The Brood au point d'enfanter en se dispensant de l'insémination masculine (et l'on pourrait encore citer la fin de Eastern Promises Les Promesses de l'ombre en 2007 qui marque l'exclusion redoublée de la figure patriarcale et inséminatrice).

 

 

 

L'horreur n'est pas dans l'absence de papa ou maman. Pas davantage dans la délaison de la procréation et de la filiation (la famille patriarcale est un artefact non moins que l'adoption). L'horreur gît dans la négation du Deux au nom de l'identité, dans le refus de la différence et l'expérience subjective qu'elle induit pour tout être sexué, indépendamment de son genre comme de sa sexualité. L'horreur s'affirme bien plutôt ici, dans un voisinage philosophique avec le cinéma de Stanley Kubrick, comme l'épouvante ontologique de ces hommes angoissant existentiellement face aux femmes qui menacent leur autorité phallique. Des hommes qui se rêvent incréés, que font-ils sinon user du pouvoir institué de s'approprier le ventre des femmes afin de conjurer l'idée qu'ils en proviendraient ?

 

 

 

 

10 janvier 2018


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