Dé-crochage

Photos Sana M'Selmi, texte Sihem Sidaoui

D’où nous vient cette attention aux petits bouts de mondes lorsqu’on prend des photos ?

 

Nous en prenons tellement sans et avec appareils ! Aujourd’hui, quand nous regardons, il y a toujours quelque chose qui interpelle, qui appelle à faire un clic, une pause, une respiration et nous passons… Marcher, passer, errer dans la ville comme lire dans un livre est devenu une sorte de nouvelle aptitude anthropologique pour celles et ceux qui prennent le temps de méditer, de s’arrêter quand une sensation, une vibration, une chaleur ou une couleur font naître le désir d’un clic : une valise abandonnée en pleine gare comme une promesse en attente d’accomplissement, un parapluie rouge délaissé traçant une tache poétique dans nos villes de plus en plus sombres, polluées, surveillées, policées (ACAB)… Voilà comment nous tentons de négocier notre quotidien semblent nous dire les photos de Sana M’selmi. Il faut bien voir autre chose par delà les barbelés de notre siècle, il faut bien apprendre à voir autant la crasse que la beauté des ballons colorés à côté de l’urinoir, apprendre le devenir clown et donner de la joie quelle que soit la désolation… Il faut bien continuer, marcher, déambuler, attendre l’autre image, attendre le négatif dégagé de nos sédimentations cimentées et se frayer des rails en plein ciel gris, escalader le gratte-ciel pour parvenir à voir le ciel, pour atteindre le moment du Sisyphe heureux. Prendre des photos, bien loin de la pulsion scopique, semble suspendre, un temps, un monde pour un autre où corps, outils, bouts de mondes sont juste en synergie. Le regard posé sur ces photos où il est question de voyage, de signes et de villes-parchemins envisagées à la manière d’un Benjamin (et non dévisagées) – devient lui-même un voyage, un « dé-placement » pour recréer notre quotidien, pour créer de l’écart, du rêve, de la poésie, de l’amitié au sens philosophique, une commune multitude d’êtres et de mondes.

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