Je ne suis pas

texte et photo de Nadia Meflah

Je ne suis pas exilée je ne suis pas migrante je ne suis pas immigrée 

 

 

Mais je ne suis pas le contraire de tout cela je ne suis pas comme je ne suis que 

 

 

Ma peau est mon visage est mon ventre est ma douleur est mon cri retenu est

 

 

Je ne me souviens pas je porte

 

 

je ne me souviens pas j’incorpore

 

 

je ne me souviens pas je le vis

 

 

je ne me souviens pas je lâche

 

 

Je me souviens de toi que je n’ai pas quitté

 

 

je me souviens de l’odeur que je ne porte plus

 

 

je me souviens du goût que tu as en toi

 

 

je me souviens de la chaleur que tu m’as transmise

 

 

je me souviens de cette langue que je ne connais plus

 

 

je me souviens de ce tout qui s’évapore à chaque fois

 

 

Lorsque je te regarde je pleure d’une honte aussi immense que l’océan

 

 

lorsque j’ose m’approcher de toi je suis muette de tout ce que je ne fais plus

 

 

lorsque tu me regardes je me sens présente et fragile

 

 

lorsque tu me parles je me sens silence et prière

 

 

lorsque je me souviens de toi tu me fais moi

 

 

Toi l’exilé l’immigré le migrant

 

 

Toujours ce retour à la peau à cette insupportable surface sur laquelle je ne cesse de broder ma vie

 

 

Je ne sais pas dire l’identité je ne sais pas comment dire en mot ce ça qui s’abat toujours dans une langue que je ne reconnais jamais tout à fait les mots m’épuisent à force de clarté je préfère ton silence je recherche ton murmure et c’est dans cette bordure que je te retrouve dans cette infirmité du langage que je me renoue à toi à moi

 

 

Je claudique alors que je ne suis pas exilée

 

 

je trébuche alors que je ne suis pas migrante

 

 

je m’abats alors que je ne suis pas immigrée

 

 

mon corps dérape comme le brouhaha de ma langue française ma langue dans ma bouche ma langue collée engluée ma langue fasciste ma langue séductrice ma langue traitresse ma langue perdue ma langue assoiffée desséchée démembrée policée pute sociale

 

 

ma langue à jamais bancale

 

 

 

 

Je ne peux dire l’exil si ce n’est celui du monde qui se foudroie en moi je ne peux raconter si ce n’est l’univers de nos mémoires

 

 

Tu es ma flèche au cœur

 

 

Tu es mon souffle suspendu

 

 

Tu es mon album sans photo

 

 

Tu es la danse dans mes jambes inertes

 

 

Tu es le magma de mes mots

 

 

Comment puis-je dire je suis alors même qu’ici tu n’es pas ? Comment puis-je affirmer je suis alors que tu es assommé battu refoulé nié oublié enterré noyé tué ?

 

 

Comment puis-je t’oublier alors que tu es en moi ?

 

 

Tout commence par une histoire je voudrais tant nous raconter, et ne plus raconter à ta place, je voudrais tant que tu sois désirable, violemment aimé, intensément recherché

 

 

Je voudrais tant que tu deviennes pour chacun de nous ici l’acmé de l’existence, tu sais celui qui fait rêver celui qui ouvre le ciel de nos possibilités celui qui nous rappelle la poésie celui qui nous remémore le sable comme le vent le soleil comme le sourire

 

 

T’écouter enfin pour ne plus dire à ta place t’aimer enfin pour ne plus avoir honte et peur


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