Nouvelles du Front social, d'ailleurs et du reste de 151 à 160

 

La Question humaine (2007) de Nicolas Klotz sur un scénario d'Élisabeth Perceval d'après le récit éponyme de François Emmanuel est un document autant qu'une allégorie, un film de sorcellerie dans lequel les magies noire ou blanche ont été remplacées par la littérature grise administrative.

 

 

Le chantier de réflexion sur les images ouvert depuis au moins trente ans par Marie José Mondzain a pour innervation une enquête serrée sur la crise de l'iconoclasme byzantin et sa sortie par une économie propre au christianisme distinguant icône visible au service du pouvoir temporel et image invisible le protégeant de toute idolâtrie. Cette vaste réflexion lui a notamment permis de marquer la puissance constituante des images – précisément ce qu'elle nomme des opérations imageantes. En particulier les opérations fictionnelles relevées dans les livres et les expositions, les mises en scène de théâtre et les installations, et puis aussi les films rencontrés en chemin, ainsi vérifiées dans leur dimension constituante, à la fois critique du réel et utopique sur le versant du possible.

 

 

Penser l'époque avec Bernard Stiegler consiste à réfléchir à notre destin techno-logique, c'est-à-dire à l'humanité resituée à chacune de ses époques au carrefour critique du langage et de l'outil. Ce destin a une lointaine origine accidentelle, l'accident d'un défaut d’essence pour une hominisation dès lors comprise comme une extériorisation continuée.

 

 

Penser c'est se faire à soi-même la guerre qu'allégorise Athéna qui surgit de la tête de son père Zeus déjà toute armée. Si penser, c'est s'ouvrir la tête, forcé par la frappe imprévisible de l'événement, désirer c'est accueillir en soi l'énigme de l'autre dont la place est ce qu'une vie peut penser. Le désir est ainsi ce qui rend la pensée possible et impossible, ce qui la rend réelle en tant que la pensée jamais n'épuise ni sa possibilité ni son impossibilité.

 

 

La catastrophe nomme un tournant (strophê), le grand renversement la tête en bas (cata). Les catastrophes s'accumulent aujourd'hui tellement, elles saturent tant notre actualité qu'elles font époque – qu'elles sont l'époque. Être à la hauteur de la catastrophe qui nous renverse la tête consiste d'abord dans la saisie qu'il y a plus d'une catastrophe, ensuite dans la relève de son sens sans dissiper ses effets sensibles au nom du signifiant, enfin dans le tracé d'un chemin éclairant malgré l'obscurcissement la possibilité d'une orientation nouvelle.

 

 

Bartleby, the Scrivener: A Story of Wall Street est une nouvelle de Herman Melville, publié une première fois en 1853 puis en 1856. Scribe dans une étude notariale de Wall Street, Bartleby est employé par le narrateur, un avoué, qui le charge de copier et recopier des actes notariés. Bartleby est aussi consciencieux que silencieux, aussi appliqué que lisse et sans aspérité, acceptant sans broncher de dormir sur son lieu de travail. Jusqu'au jour où Bartleby commence à refuser d'exécuter les instructions qu'on lui transmet, mais toujours en douceur, sans véhémence ni hystérie. Même son licenciement il le refuse toujours selon sa manière particulière, qui ne cesse d'étonner son employeur racontant son histoire. Petit à petit, Bartleby cesse de s'alimenter, dépérit et meurt.

 

 

L'horreur, l'horreur. L'horreur est à la répétition, qui épuise les possibles en empêchant l'advenue de l'impossible. Y échapper consiste selon le philosophe Frédéric Neyrat à interrompre la continuité catastrophique de l'Histoire. L'interruption est alors merveille, l'interruption est alors révolution.

 

 

Au lecteur d'ouvrir la boîte noire du Silence. Au silence mat de l'écran noir répond la parole muette qui se soutient du blanc de la page écrite. Le lecteur peut ainsi expérimenter la puissance esthétique d'un écrivain qui, héritier de J. G. Ballard et de Samuel Beckett, est l'éclaireur d'un monde qui porte encore la promesse silencieuse de choisir une autre voie que celle de la catastrophe devenue l'assourdissant bruit de fond du contemporain.

 

 

De quoi Jean-Luc Nancy est-il le philosophe ? Du corps en tant qu'il est une pensée que l'on peut toucher. Du toucher en tant que son concept touche aux limites mêmes de la pensée. Du sens qui est fini en tant qu'il diffère de la vérité qui est infini. De la communauté en tant qu'elle expose l'écart commun qu'il y a entre les corps. De l'être enfin compris comme être-avec.

 

 

Pouvoir notre impuissance est une fête, c'est une promesse sabbatique quand l'époque a la passion de l'apocalypse. Penser est une aventure et un divertissement, une trouée pour un échappatoire, une interruption pour une bifurcation. Un pas de côté pour rendre justice aux oubliés, désœuvrer ce qui nous accable et libérer dans de nouveaux usages des puissances insoupçonnées. C'est ainsi qu'avec Giorgio Agamben nous sommes contemporains en affrontant la division des temps dans chaque présent, et en sauvant la part de non-vécu en chaque instant.