2023, on ne battra pas en retraite

Faire advenir le salariat : avec la pension de retraite comme salaire continué qui démontre que nous pouvons produire en étant libérés du joug du marché du travail, des employeurs et des emplois, des investisseurs, de la finance et des banquiers, nous pouvons émanciper la création monétaire, libérée de la marchandise et de la propriété lucrative, fondée sur la qualification des salariés, les seuls producteurs de richesses.

Que veut dire répartir quand on parle de notre système de retraite ?

 

 

 

 

 

Répartir du salaire, c’est financer des pensions qui sont la continuation du salaire ; répartir du revenu, c’est financer des pensions tirées d’un patrimoine constitué de la somme des cotisations passées du retraité. Le critère du salaire continué, c’est le taux de remplacement du dernier salaire par la première pension. Le critère du revenu différé, c’est le taux de rendement des cotisations. Dans le premier cas, la pension est, comme tout salaire, la reconnaissance de la qualification actuelle du retraité. Dans le second cas, le retraité est un inactif qui récupère sa prévoyance passée. L’enjeu actuel des « réformateurs » néolibéraux est de passer du salaire continué, qui est la réalité de la plupart des systèmes de pensions en Europe, au revenu différé, qui caractérise les réformes italienne et suédoise des dernières années. On est toujours en répartition, mais son sens aura été perverti. Aujourd'hui, 240 sur les 320 milliards collectés annuellement par les caisses de notre système de retraite institué en 1946 reviennent à la poursuite du salaire, et non pas au versement différé de cotisations de carrière.

 

 

 

 

 

Un-e retraité est un-e salarié-e

 

 

 

 

 

Le retraité qui continue à toucher son salaire (et la justice serait que tous les retraités touchent 100% du brut de leur meilleur salaire) le touche de façon irrévocable : il est payé à la qualification à vie ! Enfin il peut travailler sans passer par le marché du travail. C’est ce que disent la forte minorité des retraités qui ont une pension proche de leur meilleur salaire, des capacités reconnues et un réseau de pairs actif, dont le travail bénéficie aujourd’hui à un tiers de la vie associative : jamais ils n’ont autant travaillé, jamais ils n’ont été aussi heureux de travailler ! Ce bonheur au travail des retraités débarrassés de l’emploi, de l’employeur et de la dictature du temps de travail contraste radicalement avec le malheur au travail de millions de travailleurs qui sont encore sous le joug de l’emploi.

 

 

 

 

 

La solidarité intergénérationnelle est un beau mot mais c’est un leurre !

 

 

 

 

 

Ce sont les retraité-e-s qui produisent les biens et services correspondant à la valeur attribuée à leur travail à travers leur salaire continué : leur pension n’est pas prise sur la valeur attribuée au travail des actifs. En ce sens-là, il n’y a aucune solidarité intergénérationnelle. L’impression contraire vient de ce que la monnaie n’est créée dans nos sociétés capitalistes que sur la base des anticipations par les banques du prix des marchandises lorsqu’elles prêtent aux entreprises. De ce fait, tout le travail non marchand, reconnu par du salaire (celui des parents avec les allocations familiales, celui des hospitaliers avec la cotisation maladie, celui des retraités avec la cotisation retraite, celui des fonctionnaires avec l’impôt), est inclus dans le prix des marchandises. Nous confondons le flux de monnaie avec le flux de valeur (la cotisation et l’impôt transitent des entreprises vers les fonctionnaires et les retraités), alors que les pensions correspondent à la valeur attribuée au travail non marchand des retraités, les impôts correspondant à la valeur attribuée au travail non marchand des fonctionnaires. Le spectacle scandaleux de la création monétaire afin de sauver les banquiers et les actionnaires doit nous faire mener la bataille des retraites sur la nécessité d’une nouvelle création monétaire libérée de la marchandise grâce à l’attribution à chacun-e d’une qualification statutaire.

 

 

 

 

 

Le travail émancipé, c’est le travail libéré de l’emploi

 

 

 

 

 

Ce n’est pas d’emplois dont nous avons besoin mais de libérer le travail des employeurs qui sont responsables du chômage en détruisant les emplois. L’emploi n’est plus la matrice possible et désirable du travail. C’est la qualification personnelle qui est à l’ordre du jour pour fonder et refonder le travail : la qualification personnelle des fonctionnaires (payés pour leur grade et non pas pour leur poste), celle des retraités, celle qu’il s’agit d’attribuer non seulement aux étudiants (dont le travail est évidemment plus utile que celui d’un « actif » spécialiste de l’évasion fiscale) mais à toute personne de 18 ans à sa mort. La même question à poser à l’occasion de la nouvelle bataille des retraites est toujours la suivante : travailler, est-ce avoir un emploi au service d’actionnaires ou est-ce avoir un salaire irréversible permettant la mise en œuvre d’une qualification personnelle ?

 

 

 

Poser les retraité-e-s ainsi que les fonctionnaires pour ce qu’ils sont en rappelant le grand héritage communiste de 1946, loi de création de la sécurité sociale avec Ambroise Croizat, loi de création de la fonction publique avec Maurice Thorez et loi de création du statut d'électriciens-gaziers à EDF-GDF par Marcel Paul, c’est leur reconnaître le statut de salariés payés à vie, débarrassés du marché du travail, de l’emploi et des employeurs, et enfin reconnus pour leur qualification.

 

 

 

 

 

Ce que nous devons combattre, ce qu’il faut proposer

 

 

 

 

 

Ce qu’il faut récuser en matière de retraite : le recul de l’âge légal de départ ; la stabilité, voire le recul du taux de cotisation ; l’indexation des salaires sur les prix ; l’inscription des cotisations dans des comptes notionnels (la retraite à points) ; le déplacement selon la norme de la « neutralité actuarielle individuelle » du taux de remplacement vers le taux de rendement ; la distinction entre les parts contributive et non contributive de la pension ; la CSG et le fonds de solidarité vieillesse : l’abandon de l’âge légal et l’allongement de la durée de cotisation ; les décotes, les surcotes et la remise en cause des bonifications (pour enfants) ; l’épargne salariale et les fonds de pension.

 

 

 

Ce qu’il faut proposer en matière de retraite : promouvoir la pension comme salaire continué dans les régimes actuels ; aucune pension inférieure au SMIC ; l’indexation des pensions sur les salaires ; l’augmentation annuelle du taux de cotisation sociale, patronale et salariale ; le calcul de la pension nette sur la base de 100 % du meilleur salaire net pour une carrière complète de 150 trimestres validés ; la liquidation sans décote de la retraite à 60 ans (ou le jour de la cessation d’activité s’il est postérieur ou antérieur à 60 ans pour les travaux pénibles) ; une politique authentique de soutien de la qualification personnelle des retraités dans les sphères publique et privée ; le soutien aux réseaux de pairs des retraité-e-s en leur donnant des institutions représentatives et en finançant leurs projet.

 

 

 

Une revendication unitaire : la qualification personnelle universelle, comme support nouveau de droits collectifs et reconnaissance du statut de producteur ; l’attestation de la maîtrise d’un ensemble de capacités transversales à plusieurs métiers relevant des conventions collectives existantes ; un niveau de salaire correspondant au niveau des capacités reconnues, avec une hiérarchie de qualifications de 1 à 4 pour une échelle des salaires de 1 à 5 allant de 2.000 à 10.000 euros nets.

 

 

 

La monnaie et l’investissement doivent devenir d’autres institutions caractéristiques de la puissance du salariat. Comme la monnaie n’est créée qu’à l’occasion du prix attribué aux marchandises par le jeu des anticipations par les banques de ces mêmes prix, la monnaie mesurant la valeur de la richesse créée par les retraités transite forcément par ces marchandises. C’est-à-dire qu’un flux monétaire passe des titulaires d’emploi du secteur capitaliste vers les pensionnés à travers la cotisation vieillesse. Il ne s’agit dès lors pas d’un transfert de valeur, puisque ce sont bien les retraité-e-s qui produisent les richesses auxquelles est attribuée la valeur correspondant à leur qualification. Il est alors tout à fait envisageable d’une autre création monétaire, qui est toujours une anticipation de ce qui va être produit, mais qui anticiperait cette fois-ci le produit du travail en l’évaluant par le truchement des qualifications et non pas des marchandises, et qui ainsi serait mise au service du travail émancipé de l’emploi. Quant à la propriété lucrative, qui n’est rien d’autre que le droit de ponctionner de la valeur sur la valeur de la production existante, et dont profitent investisseurs, spéculateurs et banquiers, elle serait abolie au profit d’une contribution économique générale, prélevée sur la valeur ajoutée, collectée par des caisses qui financerait l’investissement productif et social sans taux d’intérêt, et qui rendrait obsolète l’accumulation privée du capital.

 

 

 

Faire advenir le salariat : avec la pension comme salaire continué qui démontre que nous pouvons produire libérés du marché du travail, des employeurs et des emplois, de la finance et des banquiers, nous pouvons libérer la création monétaire du carcan des marchandises et de la propriété lucrative en la fondant sur la qualification personnelle des salariés, les seuls producteurs de richesses.

 

 

18 janvier 2023

 

 

Note : ces notes s'appuient sur un entretien avec Bernard Friot (ici) et la lecture indispensable de ses ouvrages ().


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