Viatique de la critique

(le geste critique et son secret)

Il y a critique parce qu'il y a crise. La crise est la condition de possibilité de la critique, le transcendantal de tout jugement esthétique. Avant d'être la faculté de juger à partir des conflits entre la raison et la sensibilité, critiquer est un geste de soin dont l'origine est paysanne puis médicale, c'est un diagnostic qui consiste à passer au crible. 

 

Si la critique est un geste, c'est qu'elle a pour secret d'être toujours déjà une éthique.

 

Si la critique importe encore, c'est en la détachant de ses corporations qui en appauvrissent l'usage au nom des injonctions culturelles et journalistiques. La critique est un exercice littéraire dont les prises de position esthétiques sont des prises de position politiques. C'est une éducation de soi et une ouverture des horizons pour les autres, l'achèvement polémique de l'œuvre d'art et une expérience désirante du monde.

Pour Samir

« La critique devient alors

ce corps sans noms propres

qui ne connaît que deux états :

soit elle est unanime, soit elle est divisée »

(Arnaud Viviant, Cantique de la critique,

éd. La Fabrique, 2021, p. 112)

 

 

 

 

Crible paysan, diagnostic médical, éducation démocratique

 

(des gestes, une éthique)

 

 

 

 

Critique : le terme a plusieurs acceptions et sa polysémie en complique le sens. Critique, adjectif et substantif, contient en soi une charge critique comme un bâton de dynamite. La critique nomme d'abord, et historiquement, une éducation citoyenne à la parole (à l'époque de la démocratie athénienne), puis une méthode philosophique d'analyse des limites d'un système (doctrinal ou conceptuel avec Kant, puis économique, social et politique à partir de Karl Marx). Plus spécifiquement, la critique nomme la corporation professionnelle de ceux qui, avec plus ou moins de fidélité, s'en inspirent pour écrire au sujet de ce qu'une œuvre d'art fait à leur sensibilité. La critique comme adjectif par ailleurs est issue du champ médical : critique caractérise en effet l'état de santé d'un malade ayant atteint un état critique.

 

 

 

De façon élargie, critique qualifiera toute situation ayant atteint la limite des contradictions qu'elle peut supporter, avant de connaître un retour à la normale ou, au contraire, un chamboulement total ouvrant une nouvelle période, un état nouveau de la situation.

 

 

 

Donc, la critique résulte littéralement d’une crise : répondre à la crise, par exemple suscitée par une œuvre d’art, est une part essentielle de la fonction critique, qui est une fonction d’éclaircissement à la fois rationnel et thérapeutique d'une sensibilité affectée, valable pour soi comme pour les autres.

 

 

 

Il y a critique parce qu'il y a crise. Face à la crise, la critique est le diagnostic. L’exercice critique est le soin des sujets affectés par une crise. C'est pourquoi on peut dire que la pensée critique s'apparente à une pharmacologie, qui est le discours des remèdes que l'on tire des poisons.

 

 

 

Plus fondamentalement encore, la critique se déduit à l'origine d’un geste paysan, celui du crible et son usage discriminant consiste à séparer le grain de la balle ou le bon grain de l’ivraie (le noyau grec c'est krinein qui signifie choisir après avoir séparé). De Homère à Socrate, le criblage des grains de céréales rappelle à la méthode critique le secret de son origine paysanne : le crible et le tamis.

 

 

 

Secret a d’ailleurs la même racine, krino en grec qui a donné la racine latine cerno. Si la critique est un geste littéraire dont les origines sont paysannes, ses premiers prolongements médicaux et ses futurs développements philosophiques, elle organise par l'écriture le site d'un secret qui sera approché sans être jamais percé, le seuil d'un inaccessible qui est l'indicible au nom de quoi il y a critique, qui expose ce qui demeure en retrait, la réserve du sens en tant qu'il est toujours un reste sans épuisement – une restance.

 

 

 

Avec la critique et les critères qu’elle se donne, critiquer c'est décider pour trancher, c'est choisir pour distinguer, c'est penser, soit cribler et tamiser, c’est séparer le grain de la balle ou le bon grain de l’ivraie. Critiquer c'est juger. La philosophie critique se rappelle ainsi à l’origine secrète de ses tout premiers gestes, gestes paysans, gestes médicaux, gestes citoyens d'éducation démocratique à la parole publique. La critique est la manière d'un corps déposant par écrit les secrets de sa sensibilité. S'il y a geste, la critique est alors une éthique.

 

 

 

 

La faculté de juger au nom du tribunal de la raison

 

(le postulat égalitaire du n'importe qui)

 

 

 

 

La critique est enfin un outil dont la revalorisation philosophique coïncide, à l'époque de la fin du 18ème siècle, avec la démocratisation amorcée du jugement de goût marquée par les salons bourgeois, l'avènement du musée et l’irruption politique de la révolution en Europe. Au moment de la consécration des Lumières avec la Révolution française, Kant invente une méthode critique en érigeant de nouveaux tribunaux : avec l'introducteur de l'idéalisme qui est le grand héritage disputé par les penseurs romantiques comme les frères Schlegel jusqu'à Hegel, le philosophe n'est plus un enquêteur (Hume) ou un avocat (Leibniz), il est un juge.

 

 

 

Le tribunal est celui de la raison fondée sur elle-même et non plus sur une instance supérieure comme Dieu. La critique prononce un jugement au nom de la raison et celui qui juge cultive son esprit, il sort de sa minorité en se servant de son entendement. De la Critique de la raison pure (1781-1787) à la Critique de la raison pratique (1788), la raison s'impose avec la limitation de ses pouvoirs dont la loi morale est une manifestation, exemplaire du processus de sécularisation d'un monde alors sous tutelle de la religion.

 

 

 

Parmi les facultés existantes, il y a celle de juger une œuvre d'art. La Critique de la faculté de juger (1790) montre cependant qu'il y a une bataille des facultés, pleine d'accords discordants. La troisième critique fiche en effet la pagaille en déstabilisant le système kantien construit avec les deux précédentes. La critique dit alors la nouveauté d'un conflit des facultés concernant les questions d'esthétique, accords discordants entre entendement et connaissance, morale et imagination, jugement de fait et jugement de valeur. Kant démontre en particulier que si le beau est universel, il n'existe aucun concept pour en identifier la vérité. Les jugements sont ainsi les exemples d'une règle qui n'existe pas. Le jugement est encore désintéressé en ayant pour objet la beauté qui n'a pas d'autre fin qu'elle-même.

 

 

 

Avec le jugement esthétique, apparaît une autre limite de la raison qui ouvre de nouveaux horizons. N'importe qui peut en effet produire des jugements de goût qui ne se réduisent pas seulement au plaisir d'opiner. Parce qu'il s'agit de postuler l’égalité en posant celle des sujets, l’argumentation rationnelle valorisée au nom de ses vertus citoyennes et démocratiques, sur fond d'un sens commun disputé par la spécificité idiosyncrasique des sensibilités.

 

 

 

La critique est le geste de n'importe qui, elle est universelle et désintéressée en exerçant ses puissances de pensée qui sont impersonnelles, d'abord en s'exerçant pratiquement sur des objets esthétiques, en pouvant s'exercer par extension aussi sur des objets politiques. Des puissances impersonnelles qui sont à la fois constituantes et destituantes, des puissances de sentir et pâtir, d'agir pour l'égalité qui sont des puissances ne pas agir pour l'inégalité.

 

 

 

N’importe qui, voilà un postulat égalitaire. « Sapere aude ! », c'est l'injonction kantienne invitant à oser user de son entendement parce que le sens est commun (« sensus communis »). Bien sûr, la méthode critique ne nie pas l’existence des inégalités culturelles et leur reproduction scolaire (Pierre Bourdieu). Avec le sociologue, on a appris qu'il existe des intérêts, cachés ou explicites, au désintérêt. Critiquer invite alors à repenser aussi de façon critique les institutions (scolaires et culturelles) qui conservent et transmettent le savoir, à repenser encore les limites de la démocratie libérale légitimant la violence du capital.

 

 

 

Il n'empêche : l'opposition catégorique kantienne entre le jugement déterminant (la loi générale précède le cas particulier comme en science) et le jugement réfléchissant (du particulier se déduit l'universel comme en art) est décisive en ceci que l'universel est un concept rationnel autant que conflictuel, toujours susceptible de dialectisation. L'universel est un enjeu de luttes qui ne sont pas que symboliques, l'objet d'intenses et incessantes disputes, esthétiques et politiques. D'autant que l'universel a été aussitôt promu qu'il a été entaché de violents antagonismes, contredit par la série concrète de ses exclusions politiques (les femmes, les enfants, les pauvres, les colonisés, les fous, les minorités sexuelles).

 

 

 

La critique n’est pas seulement un jeu de langage avec lequel s’amusent les rhéteurs et autres sophistes qui sont des relativistes forcenés, et pas davantage un jeu de société distinctif auquel jouent les joueurs uniquement les mieux dotés et les plus cultivés. Si la critique est un jeu, c’est pour accueillir librement les synthèses provisoires de la raison sensible et de la raison intelligible, les jeux de balle entre les facultés discordantes. La critique instruit alors l'émancipation du spectateur soustrait du procès platonicien de sa coupable passivité.

 

 

 

Marqué par le développement de la presse, le 19ème siècle institue la critique d'art dont Charles Baudelaire est l'un des hérauts. Le poète critique est au siècle suivant le héros de Walter Benjamin qui a bien vu comment la critique partage avec la propagande et la publicité le génie du slogan, mais délivrée de ses fonctions utilitaires, comme à l'état pur, indifférente à la promotion marchande ou immunisée contre la défense des idéologies. Cette indifférence qui peut valoir en effet comme une immunité est un idéal de discipline que contredisent les corruptions affectant le petit monde des corporations critiques.

 

 

 

La critique est un interminable champ de bataille de la raison contre elle-même, dans le libre jeu du sensible et de l'intelligible, dans le rapport dialectique entre esthétique et politique. C'est aussi un jeu d'écriture, une éthique qui s'écrit et qui est autrement plus décisive que les postures verbales et les poses médiatiques. Moyennant quoi, la critique est l'écriture qui, organisée autour des secrets qu'il faut garder en réserve au nom du sens qui reste en ne s'épuisant jamais (la restance), marque des prises de position esthétiques pour autant qu'elles sont des prises de position, moins partisanes que politiques (Georges Didi-Huberman).

 

 

 

 

Passer la critique dans les images

 

(la Nouvelle Vague et le cinéma moderne)

 

 

 

Concernant le cinéma, avec cet événement qu'est la Nouvelle Vague, la critique passe directement dans les images : le cinéma moderne est né, qui consiste non seulement en une critique de l'héritage cinématographique classique, mais encore qui envisage radicalement l'usage d'une critique des rapports qu'entretient le cinéma avec le monde, rapports discordants entre esthétique et politique. Le cinéma moderne est celui qui prend acte de ce que fait la modernité au nom des ambivalences du progrès, vérifiée au 20ème siècle par la possibilité de la destruction intégrale de l'humanité, Hiroshima et Auschwitz.

 

 

La Nouvelle Vague vérifie alors ceci : meilleure est la critique, meilleur est le cinéma.

 

 

D'André Bazin à Eric Rohmer et Jean Douchet, de Jacques Rivette et André S. Labarthe à Jean Narboni et Jean-Louis Comolli, de Jean-Luc Godard à Serge Daney : voilà ce qui s'écrit dans les Cahiers du cinéma, le cinéma moderne à l'épreuve de ses ruptures (le néoréalisme italien) et de l'accomplissement de ses héritages (le cinéma hollywoodien classique), de ses formes mineures (la série B) et de ses francs-tireurs (Jean Renoir). Ce qui s'écrit, c'est le cinéma moderne à l'épreuve de la modernité des autres arts, de la modernisation de la société française et des nouvelles formes de politisation des années 60. Ce qui ne cesse pas de s'écrire, c'est un cinéma moderne qui lutte contre sa forclusion ou scotomisation dont la postmodernité est le nom à l'heure du capitalisme tardif.

 

 

Le cinéma ne propose pas, ou pas seulement, la synthèse des autres arts à l'époque industrielle de la reproductibilité des images, il est un site de dispute entre ce qui est reconnu comme art et ce qui ne l'est pas. Le cinéma est un champ de friction des hétérogènes, vrai et faux, fiction et documentaire, son et image, art et son contraire, autant de conjonctions disjonctives sur lesquelles le cinéma moderne renchérit en ne s'épargnant pas lui-même : par l'interruption dont la fragmentation est une modalité (redoublée de part et d'autre de l'image et du son) ; par la suspension du sens au nom d'une critique des enchaînements signifiants (ou de l'expression deleuzienne d'un rapport direct au temps) ; par le brouillage des identifications (qui sont des réflexes banalisés) et des partages catégoriques (qui sont des conventions hérités et non discutées) ; par l'effet d'étrangeté qui se dit abusivement distanciation (qui est en fait une dénaturalisation, autrement dit une critique du réalisme quand il s'apparente à une mimesis naturaliste) ; par la citation qui convoque les autres arts ou médias dans une approche critique des industries culturelles et médiatiques ; par le rappel qu'il n'y a ni son ni image sans montage (qui est toujours déjà démontage et remontage) consistant moins à enchaîner qu'à réenchaîner après une césure.

 

 

Avec son succès planétaire qui l'a imposé comme l'art du 20ème siècle, le cinéma est devenu enfin une condition de possibilité de construire et schématiser notre rapport au monde, comme un transcendantal au sens kantien mais à l'époque du machinisme. C'est pourquoi le monde se comprend toujours déjà comme ciné-monde (Jean-Luc Nancy).

 

 

 

 

Éducation esthétique et ouverture des horizons,

 

achèvement de l'œuvre et expérience du monde

 

 

 

 

La critique est une éducation empirique à la sagesse (David Hume). Le champ de l’esthétique n’est pas dès lors moins disposé à offrir les ressources d’un libre jeu entre les facultés discordantes et les raisons spécifiques (raison sensible et raison intelligible), une éducation esthétique qui est une émancipation politique (Friedrich Schiller relu par Jacques Rancière). Pour ne plus être confondu avec l’a priori court et expéditif du préjugé, le jugement critique doit alors devenir une méthode d'écriture requérant une attention et une concentration pour une capacité d'appréciation, de comparaison et de considération.

 

 

 

La critique est une pratique d’ouverture des horizons. D’un côté, avoir du jugement invite à développer (Ludwig Wittgenstein) ; de l’autre, la critique la plus juste est le fait d’un point de vue partial et passionné, exclusif et politique, participant à élargir les horizons en ouvrant le plus d’horizon (Charles Baudelaire). La justesse de l'écriture critique s'exerce au nom de la justice rendue à la subjectivité affectée et aux idées dégagées par la raison pour caractériser ce que l'œuvre d'art fait sur la sensibilité. Critiquer consiste ainsi à témoigner pour ses affections en les dépersonnalisant pour en dégager l'affect, c'est-à-dire l'idéation à partir d'une affection localisée que l'on appelle avec quelques amis un rayon vert. Le jugement de goût est une affaire personnelle mais son horizon critique est celui de l'impersonnel en lequel n'importe qui peut se reconnaître. Et si le jugement est concrètement universel, il ne l’est qu’en raison dialectique de son caractère disputé et conflictuel.

 

 

 

La critique est un achèvement provisoire de l’œuvre d’art. On précise immédiatement qu'elle en représente une clôture provisoire, mais toujours au risque assumé de la mortification (la critique ne craint pas en effet d'être portée par l'inquiétude du négatif, bien au contraire). Dans la 9ème thèse de sa « technique de la critique en treize thèses » insérée dans Sens unique (1928), Walter Benjamin peut ainsi affirmer, et avec quelle radicalité, que « seul celui qui peut anéantir peut critiquer » (en préfiguration d'un autre texte décisif, « Le caractère destructeur » publié en 1931). C'est pourquoi la critique ne doit pas craindre d'être polémique. Elle peut également dégager les singularités, épiphanies et intensités de l’œuvre pour les garder vivantes (une œuvre non critiquée tombe dans l’oubli disait encore Walter Benjamin). La critique n’est pas une activité seulement récréative ; elle n'est authentique qu'en étant aussi recréatrice de l’œuvre (Erwin Panofsky). La critique n'est pas tant une interprétation (l'herméneute est un prêtre ou un psy qui assoit son pouvoir sur le savoir d'un manque dans l'œuvre) qu'une expérimentation d'un rapport au monde (Gilles Deleuze).

 

 

 

La critique est une expérience désirante du monde. En rester à un régime subjectiviste relativiste, de type mystique (quand le sens est délié du souci de la vérité) ou dogmatique (au nom de la vérité soustraite du sens) oblige à restreindre le jugement de goût et saper les bases politiques de la pensée critique. Après les critiques nietzschéennes et, plus tard, heideggeriennes des opéras de Wagner, Walter Benjamin pose la distinction entre une expérience transmise (Erfahrung) et une expérience vécue (Erlebnis). Il peut ainsi distinguer, dans l’expérience suscitée par l’œuvre d’art, ce qui appartient aux plaisirs idiosyncrasiques de la subjectivité et ce qui relève d’une circulation des émotions et des mots pour les dire. Qui, cependant, n'en épuisent pas le sens (une fois la critique faite, du sens reste, c'est la restance de l'œuvre) parce que les mots sont porteurs d'un excès à toute communication.

 

 

 

En s’appuyant sur Paul Celan, la philosophe de l’art Claire Brunet a indiqué que « l’art exige de sortir de nous-mêmes ». Critiquer est un geste éthique qui consiste à se soigner (c’est une pharmacie) en criblant (c’est un geste paysan) ce qui a part avec la sensibilité personnelle et ce qui relève de l'impersonnel. Le geste critique tient au travail de sa propre éducation (on se cultive comme on cultive une terre) en participant à l’achèvement de l’œuvre d’art, sa singularité ainsi sauvée de la consommation et de l’oubli en assumant la polémique. Si la critique est une éthique, son geste désirant consiste à ouvrir le plus grand horizon, en remettant en question les partages consensuels et les partitions policières du sensible.

 

 

 

L'un des secrets de la critique dit que l’esthétique est l'autre nom de la politique (Jacques Rancière). Énoncé, le secret l'est encore à la lecture des efforts textuels des représentants d'une corporation critique qui voudrait se maintenir comme institution, à l'époque du processus de démocratisation de la figure critique attesté par la montée des médias alternatifs avec Internet, ainsi que d'une démonétisation virale de la pensée critique corrélative de l'empire planétaire et cacophonique des opinions dont les réseaux sont les relais saturés.  

 

 

 

Le viatique désire donner ainsi provision à la critique pour continuer à faire un bout de chemin avec un moribond.

 

 

 

 

30 avril 2022


Commentaires: 0