Rions un peu : les propositions "primaires" des candidats "socialistes"

La désignation du candidat représentant le parti « socialiste » pour les élections présidentielles de 2012 semble aujourd’hui avoir grandement besoin d’une forme de légitimation populaire pour renforcer la chance de remporter le plus grand nombre de suffrages. Ce seront les « primaires citoyennes » qui auront lieu les 9 et 16 octobre prochains, et qui succèdent donc aux deux précédentes primaires de 1995 et 2006. Sauf que celles-ci sont ouvertes à tous les sympathisants de gauche prêts à jouer le jeu de la démocratie interne ou participative propre à accréditer électoralement le parti socialiste. Un euro et la signature d’une déclaration d’intention suffisent aux personnes inscrites sur les listes électorales pour se dire « sympathisant de gauche » et participer au grand jeu des « primaires citoyennes ». A l’exclusion des étrangers donc, mais la chose indiffère. Sinon, 16 signatures de maires de communes de plus de 10.000 habitants sont nécessaires pour la validation des candidatures. Super égalitaire et démocratique. Bon, tout cela ne serait pas très intéressant si était éludée la question des programmes politiques avec les mesures économiques et sociales prévues. C’est vrai que sur le site officiel, on découvre surtout les moyens pour médiatiser (à défaut de populariser) le principe des primaires. En grattant beaucoup, on trouvera malgré tout quelques morceaux de choix. Un petit tour d’horizon des propositions de Martine Aubry, François Hollande, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Ségolène Royal et Jean-Michel Baylet (représentant du parti radical de gauche) sera à nouveau l’occasion de comprendre qu’il n’y a rien à attendre d’une gauche dont les atermoiements, tantôt sociaux-libéraux, tantôt libéraux-sociaux ne constitueront jamais une alternative au néolibéralisme de la droite.

1/ Le capitalisme de papa de Montebourg

Prenons le discours d’Arnaud Montebourg donné à Frangy-en-Bresse le 20 novembre 2010. On ne s’arrêtera pas davantage sur le côté « terroir » du propos, même s’il signifie quand même les obligations du députe bourguignon se devant d’entretenir aussi sous la forme symbolique les règles implicites du clientélisme prévalant dans le monde des professionnels de la politique.

 

Outre ses vertueuses recommandations concernant une utopique VIème république qui ferait ainsi peau neuve de la précédente, on y apprend surtout que le bonhomme veut « étendre le modèle du capitalisme coopératif et mutualiste, pour faire reculer l'emprise de la finance, et mettre l'économie au service des hommes et non plus l'inverse ». Contre la financiarisation du capital, Montebourg veut retrouver la pierre philosophale de ce bon vieux capitalisme des familles à la sauce vaguement gaullienne. Vous savez, celui que certains semblent aujourd’hui regretter avec nostalgie quand d’autres hier se rappellent encore qu’il signifiait l’exploitation de leur force de travail.

 

Le monsieur est même incapable de voir la contradiction pourtant flagrante existant entre l’existence dissociée du travail et du capital, et l’idée que les salariés soient copropriétaires de leur entreprise. Alors que le capital ne représente pas autre chose que du travail mort accumulé extorqué au travail vivant des salariés subordonnés à leur emploi. Alors que la propriété ouvrière des moyens de production n’induit pas autre chose que l’appropriation sociale et l’autogestion. Diminuer la part de la richesse dévolue aux actionnaires n’appelle pas que très très relativement la diminution de la pression des capitalistes dont on ne souhaite rien d'autre que l'abolition.

 

Ce néo-keynésianisme est vraiment une impasse historique aujourd’hui. On rappellera à cet effet que le rôle historique du keynésianisme aura au bout du compte signifié, après plusieurs crises de surproduction ayant largement conditionné les deux guerres mondiales, la restructuration du capitalisme grâce à l’élargissement de la demande. Cette dernière ayant connu ses limites structurelles au mitan des années1970, ce modèle économique de rénovation du capitalisme dévasté par le libéralisme d'avant guerre a alors permis la déréglementation financière. Était actée la reconstitution du capital financier, incluant le secteur bancaire, et habilité à faire les poches des ménages, des collectivités et des États en les enferrant dans le piège de la dette.

 

Le néo-keynésianisme promu par Montebourg, c’est juste pour calmer le jobard en diminuant les prétentions de l’usure dans l’attente que les peuples se calment, pour repartir ensuite de plus belle lors d’un prochain cycle économique.

2/ La droite décomplexée du PS : Valls

Manuel Valls représente l’aile droite décomplexée de son parti. Au départ, il voulait turbiner pour Dominique Strauss-Kahn avec dans le viseur le portefeuille ministériel de l’intérieur. Depuis, les frasques sexuelles et les déboires pénaux de l’ancien patron du FMI ont poussé Valls à s’engager dans l’aventure en solo. On trouvera lors d’échanges avec des internautes organisés par le site 20minutes.fr le 28 juillet un festival de perles néolibérales. D’abord, Valls regrette l’existence d’un « surmoi marxiste » censé déterminer la mauvaise conscience de son parti qui, au pouvoir, serait victime de l’opprobre de ses électeurs qui crieraient systématiquement à la trahison.

 

Il moque le pseudo-concept de « démondialisation » de son camarade Montebourg qui effectivement relève d’une idéologie souverainisme et du « patriotisme économique » que l’on peut trouver à droite (Villepin, Dupont-Aignan). Mais il s’agit pour le persifleur de valoriser l’existant en affirmant que la mondialisation du capitalisme, sobrement désignée sous le vocable euphémique de « globalisation », représenterait une chance pour l’Inde, le Brésil et la Chine. On précisera que sont surtout chanceux dans l’affaire les capitalistes européens et étasuniens qui investissent dans ces pays afin de profiter sur place d’une main-d’œuvre bon marché dont le travail exploité satisfera la valorisation de leurs capitaux en retour. Peut-être cette appréciation risque d’être interprétée comme un symptôme de ce « surmoi marxiste » décrié par un homme qui lâche tranquillement qu’il faut abandonner le terme de socialisme, trop entaché des catastrophes du 20ème siècle.

 

On appréciera encore l’idée, fondatrice de son arrivée au pouvoir s’il est élu, d’instituer un ministère de l’économie et des finances commun à la France et à l’Allemagne, sûrement en vue de rabattre tout le potentiel économique européen sur les exigences économiques et financières des deux pays les plus riches de la zone euro. Sans rien changer par ailleurs à l’autonomie monétaire allouée à la BCE ni toucher aux critères du Pacte de stabilité qui se contrefoutent du social et des salaires au nom de l’équilibre budgétaire ! Quand on sait que la dette publique dont souffrent l’Espagne, l’Irlande et la Grèce est entre les mains des banques de ces deux pays, on trouvera justement que la proposition ne manque pas de sel ou de piquant (cf. Faire banquer les peuples : la dette, stade ultime de la bêtise capitaliste (I) ; Faire banquer les peuples : la dette, stade ultime de la bêtise capitaliste (II)).

 

Sinon, les 35 heures et la retraite à 60 ans sont des principes qui dateraient selon Valls des années 1970. On croyait que c’étaient des conquis sociaux d’un haut niveau de civilisation. Pardon. Partisan de la « règle d’or », Valls affirme que les impôts, c’est d’abord fait pour désendetter l’État, pas pour dépenser dans le social. Sinon, autre chose ? Oui, les contrats d’intégration, c’est fait pour les personnes étrangères qui ne doivent pas démériter afin de pouvoir jouir des mêmes droits que les nationaux. Enfin, la tauromachie, c’est la culture, c’est la tradition, on n’y touche pas. On imagine d’un coup l’époque de l’Inquisition avec ses partisans expliquant que la torture pour débusquer et combattre les hérétiques, c’est la culture, c’est la tradition, on n’y touche pas.

 

Mais pourquoi donc Valls qui n’hésite pas à passer par-dessus bord le terme de socialisme veut-il garder le mot de « gauche » ? En même temps, « gauche » signifie aussi demeurer dans le domaine existant du politique, soit le parlementarisme et l’État. C’était quoi déjà le titre d’un de ses bouquins ? Ah oui : « Pouvoir ».

3/ Royal, la nationaliste des socialistes

Ségolène Royal a échoué en 2007 sur un programme (notamment) social qu’elle a renié tranquillement un mois après son échec. Pas grave, elle veut remettre ça en 2012. C’est pourquoi elle a répondu aux questions que lui a posées le 29 juillet dernier Le Nouvel Observateur.

 

Elle affirme déjà son désir ce combattre « l’inactivité des jeunes ». Lutter contre l’inactivité plutôt que contre le chômage, c’est déjà sous-entendre que le plus important, c’est d’être employer, même a minima, même si c’est peu de temps, même avec un salaire de misère, même avec un contrat précaire.

 

Royal dit regretter le contournement d’une carte scolaire qui dans les faits aura été constamment bafouée. En même temps que son souci de l’équité (et pas de l’égalité : Egalité, équité, égalité des chances : de l'ordre des mots) ne peut que contenter « la liberté du renard libre dans le poulailler libre » (Marx) qu’est en train devenir l’école, une institution toujours plus soumise aux injonctions concurrentielles du marché.

 

Le soutien scolaire gratuit, ça a l'air sympa, mais le problème, c'est que Royal demande aux étudiants d’effectuer gratuitement ces heures afin de gagner des points supplémentaires dans le cadre de leurs études. Substituer au travail payé des salariés le travail gratuit des bénévoles, c’est vraiment aller dans le sens de la désalarisation du monde du travail, en même temps qu’il s’agit sûrement ici de considérer les étudiants comme des demi-inactifs dont il faudrait probablement stimuler l’activité.

 

Sinon, elle se dit très attachée à l’idée de nation dont elle refuse qu’elle soit confisquée par le FN. Quand on sait que l’idéologie nationaliste considère que la légitimité citoyenne repose sur la primauté du naître, de la naissance articulant une terre et le peuple poussé dessus, on ne comprend pas comment le racisme ne peut pas ne pas prendre racine dans un humus ou une tourbe aussi nauséabonde et décomposée que le nationalisme interclassiste et le consensus gauche-droite.

 

Enfin, sur le plan sécuritaire, Royal propose l’encadrement militaire des jeunes qui font suer les honnêtes citoyens, une idée qui sera reprise dans le rapport Ciotti commis en juin dernier par l’UMP. Tiens, tiens… On en profitera d’ailleurs ici pour énoncer les bonnes idées de Valls sur le sujet, idées qu’il partage évidemment avec Royal (bracelets électroniques, centres éducatifs et semi-liberté afin de désengorger les prisons, séjours à la campagne ou à l’étranger pour les délinquants mineurs). Dématérialiser le fait carcéral en le multipliant un peu partout ici et ailleurs, c’est faire du monde une prison. Le consensus idéologique nouant gauche et droite autour du pilier sécuritaire trahissant la nature autoritaire du projet néolibéral perdure, même en temps de crise.

4/ La solution anti-chômage de Hollande : la solidarité non-payée des salariés

François Hollande a un but bien précis : « convaincre Madame Dugenou » comme il l’a dit lui-même dans un entretien donné au journal Le Parisien le 1er juin 2011. Sa grande idée pour convaincre cette abstraction sondologique, c’est le « contrat de génération ». En quoi le bidule consiste-t-il ? « Ma proposition, c’est le contrat de génération. L’employeur s’engage à garder dans l’entreprise un senior, le temps qu’il parte à la retraite à taux plein, et il embauche dans le même temps un jeune de moins de 25 ans pour acquérir l’expérience du senior. En contrepartie, l’employeur est dispensé pendant trois ans de toute cotisation sociale sur les deux emplois. Il y aurait ainsi une solidarité entre les générations. Et les jeunes pourraient rentrer, avec cette formule-là, avec un contrat à durée indéterminée » explique Hollande. Scandaleux et ridicule ! Expliquons-nous.

 

Pour convaincre les patrons de donner du boulot aux jeunes entrants et de garder au boulot les vieux sur le point de partir, il faudrait les dispenser du paiement des cotisations sociales de leurs employés. Tout est dit : les salariés sont stigmatisés selon que, jeunes, ils sont donc considérés comme faiblement employables parce qu’inexpérimentés, et selon que, vieux, ils sont faiblement employables parce que trop chers et épuisés par le travail subordonné. Ce sont des handicapés dont aimerait se dispenser tout bon patron, à moins de les embaucher ou de les maintenir en poste en les payant le moins possible.

 

Les exonérations de cotisations sociales déterminées par la rentabilité actionnariale entraînent une faiblesse structurelle des recettes propres de la protection sociale, et une compensation financière effectuée par l’Etat, autrement dit par le recours aux impôts. Truandés comme salariés, les mêmes personnes le sont une seconde fois comme contribuables. Et c’est tout bénéfice pour le patronat qui, sans le « contrat de génération » de Hollande, ne semblerait alors pas pouvoir envisager d’aliéner le travail vivant des jeunes et des vieux salariés.

 

D’ailleurs, Hollande ne parle pas de cotisations, mais de « charges ». Le salaire socialisé pèse – cela est certain – sur les marges de manœuvre du capital. Sûrement pas sur le désir d’autonomie des travailleurs comme le montrent par exemple les travaux du sociologue Bernard Friot.

 

Comme Valls enfin, Hollande est également partisan d’une refonte de la fiscalité avec l’idée d’une fusion de l’impôt sur le revenu avec la Contribution Sociale Généralisée (CSG). Alors que l’urgence sociale consisterait en la baisse drastique (sinon la suppression) de la TVA (une bien belle invention française, cet impôt proportionnel aveugle aux inégalités de revenus qui représente 50 % des recettes fiscales), concomitante de l’imposition renforcée des hauts revenus, des entreprises et des patrimoines sans exception. Il faudra bien pourtant que les riches raquent pour rendre la monnaie d’une pièce forgée avec la sueur des travailleurs.

5/ L’égalité mais pas réelle et pas à n’importe quel prix d’Aubry

Face à ce terrible panorama, les propositions de l’actuelle première secrétaire du PS, Martine Aubry, brillent seulement parce qu’elles ne sont pas pires que les précédentes. Elle prône par exemple la sortie progressive du nucléaire en 30 ans qui lui permettrait de rallier Europe-Ecologie-Les Verts si elle était la candidate officielle du PS en situation de se maintenir au second tour. Sortie en laquelle ne croit d’ailleurs pas Hollande qui propose seulement de réduire de moitié grand maximum la production de l’électricité grâce au nucléaire.

 

Notons encore l’égalité salariale entre hommes et femmes, l’augmentation du budget de la culture de 30 à 50 %, et la mise en place d’une allocation d’autonomie pour les étudiants. Toutes propositions les plus explicites avancées par la candidate qui sinon a pour habitude de se replier poliment derrière les propositions officielles du parti dont elle a été l’initiatrice et la maîtresse d’œuvre s’agissant de leur synthèse.

 

On serait, pour ce qui nous concerne, plutôt pour préférer l’instauration, comme y invite par exemple Sud-étudiant, d’un salaire étudiant à l’idée d’allocation d’étudiant d’un montant estimé à 700-800 euros. Financée par la fiscalité, alors que la formation des étudiants qui profitera aux patrons doit être payée par eux, cette allocation serait contractuellement soumise, particulièrement du point de vue de Hollande et Royal, en compensation à de menus travaux de solidarité effectués à destination des scolaires. L’extension bourgeoise de l’idéologie du contractualisme, considérant que le droit égal pour tous est efficient s’il relève d’un accord inégal entre deux parties, s’effectue donc sur le dos des étudiants, alors que ce sont des créations de postes spécifiques et statutaires qui devraient être exigés.

 

Dans le même mouvement, l’annonce de la création de 300.000 « contrats d’avenir », succédané des « emplois-jeunes » de la gauche plurielle, parachève la stigmatisation de la jeunesse travailleuse considérée comme handicapée et inemployable, et prolonge la politique pro-patronale de précarisation des contrats et d’exonération de cotisations sociales. Ce n’est pas vraiment de cette façon que sera un jour instaurée l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.

6/ l’anti-radicalisme des radicaux-de-gauche : Jean-Michel Baylet

Enfin le petit dernier, Jean-Michel Baylet, président du conseil général du Tarn-et-Garonne, représentant du parti radical de gauche, qui passe surtout son temps en ce moment à se plaindre de la manière dont le PS s’approprie ses « primaires citoyennes » !

 

La radicalité du représentant du PRG consistera surtout à refuser la « règle d’or » chère à l’Europe néolibérale. Autrement dit la constitutionnalisation de l’équilibre budgétaire et du Pacte de stabilité. Autrement dit l’indiscutable remboursement de la dette inscrite au cœur du système constitutionnel républicain. C’est bien d'être contre : d'ailleurs pas un candidat socialiste n’a semble-t-il affirmé publiquement le refus de la « règle d’or ». Mais c’est tellement insuffisant en regard de la violence capitaliste actuelle.

 

On n’en saura pas davantage, si ce n’est, outre un renchérissement traditionnel sur la sauvegarde de « la laïcité à la française », la grande idée de moraliser l’économie. Les vertus de l’éthique vont-elles sauver le monde des rapines de la rente privée ? Dans le monde des Bisounours peut-être. Et encore, pas sûr... (cf. Jusqu'à quand ? Pour en finir avec les crises financières).

 

Bien, le tour d’horizon est achevé. Peu de contenu, pas de substance. Parfait, il n’y aura donc pas contradiction si on préfère continuer à s’en remettre à la démocratie directe du mouvement social qui, malgré ses faiblesses combatives et ses divisions sectaires, offre un potentiel propositionnel mille fois plus radical et concret que le candidat le plus à gauche du PS.


03 août 2011


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