L'envers de la fraude sociale, c'est le non recours aux droits sociaux

ODENORE, L'Envers de la "fraude sociale" : Le scandale du non-recours aux droits sociaux

 

 

On le connaît par cœur, le discours réactionnaire visant à discréditer la dépense sociale. Tantôt en rabattant l'assurance sociale sur l'assistance et celle-ci sur l'assistanat (c'était l'option Wauquiez). Tantôt en surenchérissant sur la « fraude sociale » afin de délégitimer la protection sociale dès lors considérée comme un coût trop lourd à supporter à l'heure de la concurrence mondiale, de la crise de la dette et de l'obligation européenne des équilibres budgétaires (c'est l'option de toute l'UMP). Dans les deux cas, il s'agit à chaque fois de stigmatiser les franges les plus précarisées de la population considérées comme des fainéants préférant tirer au flanc et ne pas travailler en profitant indûment de revenus financés par des classes moyennes et supérieures illégitimement ponctionnées. Il y a pourtant des chiffres qui viennent contredire ces opinions idéologiquement intéressées et complaisamment relayées par les médias audiovisuels.

 

Par exemple, sait-on que sur les 20 milliards d'euros de « fraude sociale » comptabilisés en 2011 dans le rapport Tian (du nom du rapporteur UMP chargé d'en évaluer le montant), 15 à 16 milliards résultent du travail dissimulé et de la fraude aux prélèvements pendant que les 3 à 4 milliards restants sont le produit de la fraude aux prestations sociales ? Sait-on encore que la fraude fiscale, bien moins publicisée, représente un manque à gagner de 25 milliards d'euros annuels (dont la moitié en TVA) ? Sait-on enfin qu'en regard du chiffre concernant la fraude aux prestations sociales, ce sont entre autres 5,3 milliards d'euros de revenus de solidarité active (RSA), 767 millions d'euros disponibles avec la double tarification sociale de l'énergie (gaz et électricité), 700 millions de couverture maladie universelle complémentaire (CMU C), 378 millions d'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, etc., qui n'ont pas été versés à leurs bénéficiaires ou ayants-droits légitimes ?

 

C'est donc tout l'intérêt d'une structure interdisciplinaire rattachée au CNRS comme l'ODENORE (l'Observatoire des non-recours aux droits et services) que d'objectiver le scandale du non-recours aux droits sociaux, systématiquement minoré au profit de la seule fraude aux prestations sociales. Fondé par Catherine Chaveaud et Philippe Warin, l'ODENORE regroupe des économistes, des sociologues et des politologues qui proposent d'articuler travaux statistiques et enquêtes de terrain afin d'avancer les arguments rompant avec la nullité du discours sur le caractère « fraudogène » du système de protection sociale. Mieux, leur ouvrage synthétise l'argumentaire permettant la reconnaissance du non-recours comme catégorie d'action publique afin de mieux comprendre les raisons de la violence des discours dominants sur la « fraude sociale ». Pour le grand patronat et la classe politicienne acquise aux diktats néolibéraux, il s'agit de faire d'une pierre trois (mauvais) coups (pour les classes populaires les plus fragiles). D'abord, consacrer l'ignorance (en raison de la complexité bureaucratique du système) d'une bonne partie des bénéficiaires des prestations quand une autre partie préfère ne pas en jouir afin d'éviter à supporter le coût psychologique du stigmate. Ensuite, diviser les classes populaires entre celles dont la stabilité salariale assure une grande part du financement de la protection sociale et celles qui en profiteraient indûment en se complaisant dans l'inactivité, le parasitisme et la fraude.

 

Enfin, faire des prestations non-versées la possibilité d'économies accordées aux logiques néolibérales de baisse des coûts et de réduction de la dette. Incluant des travaux concernant également les recours au DALO (le droit au logement opposable, avec un piètre résultat de 10 % entre le nombre de recours potentiels et celui des réponses favorables), la tarification sociale concernant les transports collectifs (entre la moitié et les deux tiers des personnes éligibles aux tarifs sociaux n'en bénéficient pas), les droits à l'indemnisation des chômeurs (le cas pour la moitié d'entre eux seulement) ainsi que ceux des travailleurs saisonniers (près d'un salarié sur deux n'a pas toutes ses heures supplémentaires de payées), la synthèse de l'ODENORE est indispensable. Et ce pour deux raisons. En premier lieu pour comprendre la mécanique de discrédit de la protection sociale. En second lieu aussi pour affermir un discours de la dépense sociale, non pas dans le sens des coûts indus, mais dans celui d'une justice sociale autrement plus vertueuse économiquement (parce qu'elle génère des flux de cotisations et d'impôts) que l'intérêt privé et la ponction rentière valorisés par l'idéologie néolibérale.

 

05 janvier 2013


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