Quand nous irons battre le pavé lors de la belle journée du 1er mai, on aura en tête des images revenantes et d'autres vagabondes. Il y aura parmi elles des images de cinéma, de celui qui nous soulève et qui nous relève, le cinéma au sujet duquel on tient, même affaibli, en ne cédant en rien sur notre désir de respirer l'air que souffle dans nos poumons l'effort continué de l'émancipation.
La 79ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, Facebook) est dédiée à Eric Rohmer, Guy Gilles et Antoine Doinel.
Le pot aux roses de l'adulescence : Mandico et Gonzalez, Poggi et Vinel
L’ivresse n'est donc que celle de ses auto-intoxications. Îles désertes et chambres d’adolescents, zones grises et terrains vagues sont les tropes convenus d’un lieu commun, celui de l’entre-soi partagé par la coterie chic des nouveaux dandys de l'adulescence. En jouant les prolongations de l'adolescence, l'adulescence substitue à l'enfance son simulacre puéril.
Avec l'adulescence, ses gadgets flashy et ses mutants sexy, le poème cède la place à la publicité et l'adolescence répudie toute enfance avec un extrémisme qui n'a rien à voir avec la radicalité. Le pot au noir de l'adolescence se révèle alors un pot aux roses qui, selon la fameuse expression d’origine médiévale, invitait à comprendre aussi que le pot était pourri.
Première partie : Ultra Rêve de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, Bertrand Mandico et Yann Gonzalez ; Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico.
Seconde partie : Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez ; Jessica Forever de Caroline Poggi et Jonathan Vinel.
Des Nouvelles du Front inaugure une nouvelle rubrique : Les Reflux du flux
À l'ère du spectaculaire domestique, les fantômes du permanent de naguère sont devenus des spectres à la petite semaine, les feux follets d'une industrie de l'audiovisuel qui prolifère paradoxalement sur l'extension même du champ de sa décomposition. Spectralisation du cinéma.
Au miroir des écrans plats, la pharmacie de la vidéo à la demande fourgue sans discontinuer sa came à des insomniaques qui croient encore au messie cinéma. Les Reflux du flux tente de raconter à la fois quelque chose de l'idéologie qui persévère en dépit de l'horizon terminal du post-politique, et quelque chose du cinéma qui insiste en s'apparentant à Dieu qui est mort mais ne le sait pas.
Pour le mois d'avril : The Pool de Ping Lumpraploeng ; Furie d'Olivier Abbou ; Guest of Honour d'Atom Egoyan ; trois courts-métrages de Luc Moullet ; Army of the Dead (2004) de Zack Snyder.
Laura Palmer est morte, une nouvelle Ophélie. La rivière ourle un voile paradoxal, mélange impur qui se prolonge dans la membrane de plastique qui en altère le flux. Le linceul est la surface gris-bleu dévoilant la profonde interpénétration du profane et du sacré. Avec sa chevelure de serpent, la noyée nous méduse en exposant son désir d'engloutir le monde entier sous les eaux pleines de sa peine – eaux grises jusqu'au grisant, eaux abondantes jusqu'au torrentiel.
Laura Palmer est notre grande sœur, notre héroïne. Elle est l'éclaireuse qui se bat de toutes ses forces contre le théâtre familial abritant toujours le sale petit secret en lui préférant le monde qui est une zone d'indistinction entre le chaos et le cosmos – chaosmos. Sa vaillance est la nôtre et c'est elle qui lui fait à la fin préférer l'alliance électrique des puissances démoniques de la terre.
Extase mystique : Thérèse d'Avila hier, Laura Palmer aujourd'hui.
Zack Snyder's Justice League : L'œil crétois de Zack Snyder
« Seul un dieu peut encore nous sauver » : Martin Heidegger y croyait, à sa manière Zack Snyder aussi. Des dieux en temps de détresse, au contraire, la renforcent quand, avec les pompiers de Justice League, les esclaves d'une technique fétichisée jusqu'à l'obscénité sont, dans le même élan qui s'apparente à la capture de mouvement, les représentants de commerce de la supériorité grandiloquente des happy few sur la masse indistincte des poor many.
Cette masse c'est nous bien sûr et l'œil du démiurge nous regarde en exigeant, avec notre agrément, la nécessité, aussi spectaculaire que réactionnaire, de la transmutation des mythes en kitsch.
Si la fin des 400 coups est aussi inoubliable, si elle continue à serrer à ce point le cœur, c'est parce que la montée de la vague nouvelle portée par le film de François Truffaut et son acteur Jean-Pierre Léaud se soutient aussi d'une autre vague. La vague qui vient de plus loin et retombe sur la tête d'une enfance noyée, engloutie dans les eaux glacées du désamour maternel.
Voir la mer c'est découvrir que la mère est morte comme image de désir. Voir la mer c'est boire la tasse pour l'enfant découvrant, avec son enfance derrière lui, que c'est elle au fond qu'il n'avait jamais cessé de fuir.
Proust, l'art et la douleur de Guy Gilles :
Au pan coupé des plans, le biseau des raccords est un baiser de la mort. Guy Gilles, sa hantise aura été celle du temps perdu dont la perte se consomme au présent des souvenirs qui font mal au cœur en faisant tourner la tête.
Tourné pour la télévision, Proust, l’art et la douleur remonte le temps pour voir comment, indépassable, il passe et ne passe pas en déposant au pan coupé des plans – et le biseau des raccords en fait des baisers de la mort – l’insubmersible douleur dont Patrick Jouané est l’ange et le passeur, le passant déjà promis à ne plus repasser. « Nous sommes des cimetières ambulants ».
Les Cahiers du cinéma ont 70 ans : Le passé et le présent
Il y a des revues de cinéma dont l’excellence consiste à ce que l’amour des films témoigne, dans la persévérance du sens critique, des mutations de l’art auquel elles se consacrent. Et puis il y a les Cahiers du cinéma dont l’histoire a rien moins que bouleversé celle du 7ème art.
La revue de cinéma la plus mythique de l’histoire du cinéma constitue en soi une histoire de cinéma qui dure depuis 70 ans. Le temps des anniversaires autorise celui des retours en arrière, ainsi que des retours au présent mélancolique quand l'histoire l'emporte sur l'actualité en force critique et en intempestivité.
En complément, un entretien avec Samir Ardjoum dédié à Eric Rohmer, critique, sur la chaîne YouTube Microciné.
Karl Marx à Bruxelles de Juliette Achard et Ian Menoyot : Un revenant redevient possible
Du visible au réel, il faut une oreille pour voir ce qu'offusque le visible. La diplopie le dit : pour voir à quel point l'Histoire est chose louche, il faut deux images, toujours dialectiser. Pour voir, il faut faire comme les enfants et s'amuser à loucher. En louchant, on verra alors que Karl Marx à Bruxelles est une ombre passagère dans l'immobilité d'une idée.
Un effet de parallaxe, 1848-2020, ouvrant à plus d'un écart parallactique : révolution et démocratie, spectres vagabonds et rêves d'émancipation intempestifs, revenants d'une expulsion l'autre, au-delà toute offuscation. Alors on verra qu'en bas de chez soi, Karl Marx est redevenu possible.
Dans notre programmation musicale d'avril, on trouvera des plages canadiennes et des chardons folk, des éléphants suspendus et des feuillets d’Hypnos.
Retour au livre Masques blancs, peau noire. Les visages de Watchmen consacré à la série de Damon Lindelof avec un entretien pour Le Rayon Vert en cinq axes et autant d'effets de parallaxe :
1) Casser des œufs, pour faire des gaufres ou des omelettes ? ;
2) L'effet de parallaxe est le fait des désaxés ;
3) Aime-moi et soulève ton masque, les blessures ont besoin de respirer ;
4) L'amour, un don divin pour ne pas être un dieu ;
5) La meilleure série 2019 est la meilleure série de 2020 (et la meilleure de 2021 ?)