Je ne suis pas exilée je ne suis pas migrante je ne suis pas immigrée
Mais je ne suis pas le contraire de tout cela je ne suis pas comme je ne suis que
Ma peau est mon visage est mon ventre est ma douleur est mon cri retenu est
Je ne me souviens pas je porte
je ne me souviens pas j’incorpore
je ne me souviens pas je le vis
je ne me souviens pas je lâche
Je me souviens de toi que je n’ai pas quitté
je me souviens de l’odeur que je ne porte plus
je me souviens du goût que tu as en toi
je me souviens de la chaleur que tu m’as transmise
je me souviens de cette langue que je ne connais plus
je me souviens de ce tout qui s’évapore à chaque fois
Lorsque je te regarde je pleure d’une honte aussi immense que l’océan
lorsque j’ose m’approcher de toi je suis muette de tout ce que je ne fais plus
lorsque tu me regardes je me sens présente et fragile
lorsque tu me parles je me sens silence et prière
lorsque je me souviens de toi tu me fais moi
Toi l’exilé l’immigré le migrant
Toujours ce retour à la peau à cette insupportable surface sur laquelle je ne cesse de broder ma vie
Je ne sais pas dire l’identité je ne sais pas comment dire en mot ce ça qui s’abat toujours dans une langue que je ne reconnais jamais tout à fait les mots m’épuisent à force de clarté je préfère ton silence je recherche ton murmure et c’est dans cette bordure que je te retrouve dans cette infirmité du langage que je me renoue à toi à moi
Je claudique alors que je ne suis pas exilée
je trébuche alors que je ne suis pas migrante
je m’abats alors que je ne suis pas immigrée
mon corps dérape comme le brouhaha de ma langue française ma langue dans ma bouche ma langue collée engluée ma langue fasciste ma langue séductrice ma langue traitresse ma langue perdue ma langue assoiffée desséchée démembrée policée pute sociale
ma langue à jamais bancale
Je ne peux dire l’exil si ce n’est celui du monde qui se foudroie en moi je ne peux raconter si ce n’est l’univers de nos mémoires
Tu es ma flèche au cœur
Tu es mon souffle suspendu
Tu es mon album sans photo
Tu es la danse dans mes jambes inertes
Tu es le magma de mes mots
Comment puis-je dire je suis alors même qu’ici tu n’es pas ? Comment puis-je affirmer je suis alors que tu es assommé battu refoulé nié oublié enterré noyé tué ?
Comment puis-je t’oublier alors que tu es en moi ?
Tout commence par une histoire je voudrais tant nous raconter, et ne plus raconter à ta place, je voudrais tant que tu sois désirable, violemment aimé, intensément recherché
Je voudrais tant que tu deviennes pour chacun de nous ici l’acmé de l’existence, tu sais celui qui fait rêver celui qui ouvre le ciel de nos possibilités celui qui nous rappelle la poésie celui qui nous remémore le sable comme le vent le soleil comme le sourire
T’écouter enfin pour ne plus dire à ta place t’aimer enfin pour ne plus avoir honte et peur