Les fils nouant et dénouant la sexualité des autres et celle de soi, dans une intimité s’exposant comme extimité et une crudité jamais séparable de toute cruauté, trament organiquement les images d’une demi-siècle d'alexandrins en cinéma.
Les images d’une vie de cinéma par le cinéma réinventée sont des battements de cœur et si elles étaient des cartes postales, leur auteur les aurait peut-être signées comme ça : Youssef « Jo » Chahine, cordialement.
Il y a avec Le Sixième jour parmi les plus beaux battements de cœur que compte le cinéma de Youssef Chahine. La cordialité chahinienne y atteint en effet des sommets d'émotion, les respirations si haletantes tout en ne cessant pas d'être profondes, approfondies. L'adaptation du roman publié en 1960 d'Andrée Chedid (l'écrivaine française d'origine syrienne-libanaise née au Caire a participé à l'écriture du scénario) a donné l'occasion rêvée de rebattre avec une grande virtuosité toutes les cartes d'un cinéma chaleureux parce que sa générosité pétarade en carburant aux plus détonant des mélanges.
Le Sixième jour est tout à la fois un grand film d'auteur et un grand film populaire, n'oubliant ni de montrer la fourche d'où il vient (le mélodrame populaire égyptien et la comédie musicale hollywoodienne) ni de faire savoir où l'entraînent ses bigarrures originelles (la tragédie éternelle et universelle). En direction de l'embouchure du fleuve où convergent les histoires grandes et petites, le tumulte écumeux des flots s'apaise en faisant du Nil un grand miroir d'huile immobile comme le brossage grossier et énergique des traits est le préalable nécessaire au raffinement stylistique de l'expression, la pudeur des sentiments méritant effectivement subtilité. L'embouchure géographique se disant encore un delta qui indique en mathématiques la différence entre deux grandeurs, la tragédie devra dès lors résulter de la fourche des genres cinématographiques invités depuis leur hétérogénéité à entrer dans la danse tempétueuse du film (le mélodrame et le musical) comme les acteurs pourtant si différents s'accordent à les personnifier respectivement (Dalida et Mohsen Mohieddine).
De la fourche originelle de la comédie musicale hollywoodienne et du mélodrame égyptien jusqu'au delta final de la tragédie c'est un triangle d'or dédié aux enfants qui agonisent et aux femmes qui ressuscitent. C'est un foyer offert aux feux mêlés de la jeunesse qui brûlent avant de s'apaiser et de la vieillesse qui s'embrase une ultime fois quand elle n'y croyait plus.
On tiendrait peut-être avec ce si beau film comme la pierre de Rosette d'un art perdu et son Champollion s'occuperait d'un cinéma de quartier comme c'est en effet le cas de l'amoureux de l'héroïne que le cinéaste interprète et qui constamment lui projette son film préféré, un mélodrame égyptien typique (et fictif) intitulé Le Sacrifice d'une mère, allant même jusqu'à sacrifier la projection tant attendue du Pirate (1948) de Vincente Minnelli avec Judy Garland et Gene Kelly (Le Sixième jour est d'ailleurs dédié à ce dernier). Voué à l'impasse des amours non réciproques, le montreur de cinéma décide alors de partir pour la Palestine d'avant la guerre de 1948 parce que, dit-il, les problèmes s'y régleront vite, identifiés là-bas comme ici en Égypte non pas à l'existence de foyers juifs mais seulement à la présence coloniale britannique. Et Youssef Chahine d'être le gardien d'un secret cryptique, celui d'un cinéma idéal où tout convergerait, l'histoire avec sa grande hache majuscule et la myriade écumante de ses minuscules, orient et occident, classicisme et modernité, comme tous les chemins mènent à la Rome réinventée de ce cher Federico Fellini.
Après tout, le natif d'Alexandrie sait bien que le nom de sa ville de naissance située au nord du Caire et à l'ouest du delta du Nil le doit à celui du roi de Macédoine qui fut l'élève d'Aristote et en a projeté la construction quatre siècles avant notre ère. Et l'artiste alexandrin n'ignore pas moins que sa cité natale a été développée ensuite par la dynastie ptolémaïque, en particulier le cinquième du nom qui est d'ailleurs l'auteur du fameux décret en trois versions dont la lecture croisée aura permis grâce aux efforts de l'égyptologue Champollion le déchiffrement des hiéroglyphes durant le premier tiers du 19ème siècle.
L'histoire du Sixième jour est celle de Saddika, une lavandière cairote d'âge mûr qui vit dans l'Égypte de la fin des années 1940, un pays ravagé à la fois par la lutte contre le colonialisme britannique et une épidémie de choléra. Saddika revient de son village natal où toute sa famille a été décimée pour prendre soin, dans un des quartiers pauvres de la capitale, de Saïd, son mari paralysé et de son petit-fils, Hassan. Mais l'épidémie y sévit aussi, elle emporte d'ailleurs la vie du gentil instituteur qui s'occupe de son fils et qu'elle admire. Elle pousse également les voisins à jouer aux délateurs afin de profiter de la prime récompensant l'identification des corps infectieux. Quand la mère du petit Hassan découvre que son fils est infecté lui aussi, elle le cache comme on cacherait un résistant entré en clandestinité. C'est qu'elle ne souffre plus désormais d'être opprimée par une promiscuité dont la surveillance intrusive renforce son caractère austère et renfermé. Saddika cache même son enfant malade à ce démon de Okka qui la harcèle constamment parce qu'il est épris d'elle, et qui la maudit parce qu'elle ne répond pas à ses avances.
Okka dont le surnom dit l'occasion est quant à lui un garçon des rues dont la compagne de solitude est un babouin prénommé Rose. Le gamin est un fanfaron surexcité qui n'arrête pas de faire le singe en vivant sa vie comme un film hollywoodien interprété par Gene Kelly. Il rêve notamment de la belle princesse dont la blondeur onirique représente les derniers feux mythiques de l'astre déclinant de la monarchie égyptienne. Le fantasme sexuel est une icône fellinienne ayant l'habitude d'embarquer dans sa voiture de luxe rouge de jeunes soldats anglais blonds comme les blés et éméchés à l'occasion de tournées filmées comme un moissonnage sexuel. Okkia voudrait bien à son tour avoir l'épi récolté en croyant bon se décolorer les cheveux afin de se faire passer pour un soldat anglais. Mais l'ironie du sort veut qu'à la place il se fasse tabasser par des militants anticolonialistes pris au jeu de celui qui, aveuglé par l'éclat de ses fantasmes, s'est trompé en jouant au miroir de la séduction.
Quand Saddika décide de prendre la fuite avec son fils malade en embarquant sur la felouque qui l'emmène du Caire à Alexandrie, elle laisse derrière elle un mari dont l'impuissance se résout dans l'acte final d'un incendie suicidaire. Elle laisse aussi dans la cendre quelques ambiguïtés (le film ne laisse jamais sentir que Hassan serait le fils de Saïd comme il n'est jamais question des enfants qu'il aurait eu avec Saddika pouvant expliquer leur statut de grand-parent). L'héroïne espère surtout que la prédiction de l'instituteur que l'on ne reverra plus se vérifiera pour son garçon (si le sujet infecté arrive à atteindre le sixième jour de la maladie, il en sera guéri). Et Okka l'espère aussi qui la rejoint in extremis dans cet ultime voyage, à la fois mobile et immobile, où l'horizon est cette ligne de fond où se rejoignent les pôles contraires. Avec la levée aurorale du sixième jour, la mort de l'enfant voit coïncider la mort symbolique de sa mère consumée et la résurrection intempestive de la femme que son austérité ne pouvait laisser deviner. Le sarcophage de pharaon abrité dans le labyrinthe d'une pyramide cachait un animal mythologique - le phénix.
La cordialité chahinienne propose ainsi de multiplier les battements de cœur comme des embardées, des dérapages contrôlés. Le rythme est alerte et vives sont les transitions qui font des glissements comme autant de crissements attestant que la fiction a la préoccupation de la friction électrique entre les genres et entre les gens. Les prises de vue réelles sur les faubourgs du Caire non seulement s'acoquinent avec les décors de studio mais, de surcroît, l'habit d'Arlequin tramé de lieux dépareillés est ce terrain cultivé pour y faire pousser des fleurs artificielles dignes des musicals hollywoodiens. Il suffit notamment que Okka rêve de Gene Kelly afin de convaincre Saddika qu'il est une étoile promise à briller au firmament pour que le terrain vague où il vivote comme un chien galeux se transforme en une scène minnellienne, avec cette enseigne en forme de soleil qui monte jusque dans les cintres et cette pluie qui tombe en trombe en rappelant le souvenir de Gene Kelly.
Le mélange des genres engage donc une mêlée des corps qui s'attirent selon des aimantations magnétiques. Avec Saddika qui se révèle plus grande princesse que la princesse elle-même faisant fantasmer Okka. Avec Okka qui pourrait être son fils et qui malmène Rose comme il houspille Saddika. Avec Saddika qui est à la fin ce soleil éclairant le jour nouveau comme un astre qui fait lever les yeux de son démon rêvant un temps d'avoir des cheveux d'or. D'emblée, le gamin des rues qui accueille l'héroïne de retour de son village natal dans la vallée du Nil en jouant à allégoriser l'épidémie de choléra est une image qui fusionne les images à venir de l'enfant qui tombera malade et du bonimenteur qui fait de la fiction le moyen de guérir par l'imaginaire des blessures du réel. D'emblée, s'amorce une triangulation des désirs dont Saddika incarne le sommet, la pointe d'un delta polarisé à sa base entre la figure de la mère de Hassan et celle de la femme qui pourrait être séduite par Okka. Et c'est bien pourquoi doivent s'effacer les figures complémentaires de l'instituteur et du projectionniste pour offrir à l'incarnation de fictions facilement identifiables (la Mère courage et le Gene Kelly arabe) le soin d'une contamination qui va en altérer les évidences allégoriques.
Le Sixième jour est beau quand, sous le regard d'Okka, il invite Saddika à se dédoubler du côté de la mort comme du côté de la vie. La mère qui veut mourir quand meurt son enfant devient ainsi la femme retrouvée comme sujet désirant mais le retour en forme de quasi-résurrection impose aussi le dernier tour de vis de son inaccessibilité. La renaissance appelle en effet l'intouchabilité pour celle qui pourrait dire à celui qui a réussi à ébranler sa carapace : noli me tangere. C'est une beauté dès lors ressaisie dans toute sa dimension paradoxale, la beauté tragique de la femme qui devient ce que son admirateur aspirait qu'elle soit et qui, l'étant devenue, est intouchable - l'inaccessible étoile.
Le film de Youssef Chahine l'est encore davantage quand il offre à Dalida son plus grand rôle au cinéma, aussi proche du désastre obscur que son corps abritait qu'il demeure soucieux des promesses de relève aurorale cachées dans ses plis. La grande chanteuse de variétés françaises, née au Caire d'une famille d'origine italienne, est une vieille connaissance du cinéaste qui l'avait rencontrée à l'époque de leur jeunesse commune, quand elle était la doublure de Rita Hayworth dans une production pour laquelle il travaillait en assistant de la seconde équipe. Trente ans ont passé et le temps est venu désormais de lui offrir le rôle de sa vie, celui d'une femme du peuple malheureuse qui se révèle une princesse autrement plus immortelle que les étoiles pâlissantes du monarchisme déclinant.
Ce rôle est comme un delta d'or, il est le triangle équidistant reliant la figure de la tragédienne comme l'a été Maria Calas dans le Médée (1970) de Pier Paolo Pasolini, celle de la mère courage célébrée par le mélodrame égyptien traditionnel et la figure de la paysanne porteuse de jarre et toujours élégante dans son labeur à l'instar des amies Wassifa et Khadra dans La Terre (1969). Mais ce rôle est aussi son plus terrible parce qu'il lui ressemble tellement, touchant à l'os de sa maladie. Saddika ne renaît en effet qu'au cinéma. La mère morte est un tombeau qui, certes, n'empêche pas que se lève l'étoile du matin du désir retrouvé. Pourtant, l'aurore de la vénus blonde comme la princesse aux cheveux d'or aura été obscurcie par l'éclipse définitive de la mort que, malheureuse en amour comme de n'avoir pas pu être mère, la chanteuse s'est donnée quelques mois après la sortie du film, le 3 mai 1987.
Ce n'est d'ailleurs pas la moindre des beautés du Sixième jour que d'avoir fait un bon moment oublié que Dalida est blonde en faisant de sa blondeur cachée par un voile noir un événement lorsqu'il se détache. Un or astral auquel rêve son démon irritable et facétieux qui aurait du coup été comme son accoucheur et son mineur de fond. Cette mort mine rétrospectivement la beauté du film de Youssef Chahine qui s'enténèbre encore d'une autre mort, certes plus symbolique, qui appartient celle-là à l'interprète d'Okka. Mohsen Mohieddine représentait alors pour le cinéaste égyptien ce que, plus que Franco Citti, Ninetto Davoli aura représenté pour Pier Paolo Pasolini rejoue avec une gouaille plus prolétarienne son rôle inaugural de Yehia, le cinéphile enfiévré qui rêve de Hollywood dans Alexandrie pourquoi ? (1979) et La Mémoire (1982). Sauf que l'acteur trublion et malin comme un singe est un démon qui brûle pour la dernière fois en jetant à l'écran des feux bientôt étouffés par l'incorporation dans un délire moins drôle, celui du fondamentalisme islamique dont les propagandistes zélés tomberont à bras raccourcis sur l'auteur de L'Émigré (1994).
Le désir est une maladie dont on ne guérit qu'au bout d'un certain temps d'incubation qui s'appelle l'amour. La trahison de l'amour est une blessure qui diminue la vie et la vie est une maladie dont on ne guérit qu'en mourant ou bien en renouant avec l'or de son désir. Saddika perd son garçon comme Youssef Chahine a perdu le sien et, de cette perte vécue comme un abandon, le cinéaste ne s'en est jamais remis. C'est ce que racontent en particulier Alexandrie encore et toujours (1990) et Le Destin (1997) qui représentent pour leur auteur comme autant d'épîtres de l'inconsolable. Le triangle des personnages du Sixième jour forme bien ce delta d'or inséparable de la mine de ténèbres qui l'environne.
26 janvier 2019
La cordialité chahinienne est l'expression d'une hospitalité accordée à l'énergie de l'enfance mélangée par les brassages du ventre natal, la cosmopolite Alexandrie. Une énergie utopique, vitale, démonique même, qui est au fondement d'un génie, ce Ka auquel est dédié un film aussi magistral que La Mémoire (1982). La cordialité s'entend donc comme le génie chahinien de l'hospitalité, disposé à une générosité non seulement dispensée à tous les personnages sans exclusive, aussi variées en soient les origines, mais dédiée aussi au brassage enlevée des genres, aussi hétérogènes soient-ils.
Dans le cinéma de Youssef Chahine où la fougue n'hésite pas à se faire brusquerie (on y joue toujours des coudes), la mêlée des gens et le mélange des genres conjuguent ensemble leurs efforts comme un cœur est cette organe qui a besoin d'un agencement complexe de valves, de ventricules et d'oreillettes. Le cœur est en soi un montage assurant le système circulatoire à l'intérieur du corps la mobilité du sang. Un film cordialement signé par le cinéaste égyptien est donc toujours à la fois populaire et joyeusement peuplé. Ses meilleurs sont des films sanguins qui vérifient l'identité circulatoire du classicisme et de la modernité, de la tradition égyptienne et des influences culturelles étrangères, hollywoodiennes et européennes.
Un film de Youssef Chahine, c'est enfin et surtout comme un organisme vivant. Ses inspirations sont des enthousiasmes au principe de ses grandes respirations et de ses vives précipitations. Le sang bat à la surface épidermique de ses plans cadrés, filmés et montés selon des saccades, des scansions rythmiques qui sont des battements s'apparentant à l'alternance cardiaque des contractions diastoliques et des relâchements systoliques. C'est pourquoi ses films battent la chamade, c'est pourquoi ils sont disposés aux coups de sang de leur initiateur.
L'Autre est à cet égard un film de colère mais sans pour autant autoriser que domine l'aveuglement caractéristique de la colère. On aurait bien envie de parler de « génie colérique » comme le faisait l'historien Jules Michelet quand il était à l'étude du peuple révolutionnaire de 1789. La théorie des affects développée par Spinoza dans L'Éthique (1677) définit la colère (ira) comme l'effort de causer du mal à un objet de haine, la haine (odium) comme la tristesse accompagnée de l'idée d'une cause extérieure, la tristesse (tristitia) comme l'affect fondamental, dérivé du désir et diminuant la puissance d'agir (le conatus) d'un corps (partie III, scolie de la proposition 39 et scolie 2 de la proposition 40). La colère chahinienne qui s'exprime avec L'Autre est bien déterminée par la tristesse d'un certain état des choses mais, parce qu'elle est modulée par une proverbiale cordialité, elle se refuse cependant à déboucher sur la haine. C'est, bien au contraire, la joie qui doit s'imposer dans la fabrication du film puis sa réception par le spectateur en ayant le loisir d'y reconnaître les coups de gueule d'un auteur qui sait bien que les coups de sang font sentir les battements d'un cœur certes blessé par la situation mais vaillant dans l'idée de ne pas s'en laisser compter.
Les coups de gueule sont bien des coups de sang mais toujours en se dédoublant comme des coups de sonde afin d'expérimenter le terrain, le sol d'une série de questionnements qui, en la circonstance, ne se réduisent pas à la seule société égyptienne.
S'ouvrant avec New York pour y revenir dans sa conclusion, L'Autre est ce film signé d'un homme alors âgé de 73 ans qui, loin de se satisfaire des gratifications cannoises reçues à l'occasion de son film précédent, Le Destin (1997), tourne un film d'actualité qui l'est tellement qu'il sent monter le grisou de plus d'une explosion à venir. Le film n'est peut-être pas sans défaut, les acteurs quelquefois pris de cours par une mise en scène pressée de traiter un grand nombre de questions d'actualité au risque d'en compresser le traitement. Mais l'alacrité tire de la vitesse d'exécution un enjouement dont l'élan sauve plus d'une fois le film de la brusquerie du trait comme d'une certaine grossièreté. C'est à ce titre que L'Autre prolonge directement ses deux prédécesseurs, L'Émigré (1994) et Le Destin, en vérifiant dans la foulée l'actualité des nouvelles forces et formes de la réaction, tout en laissant même entrevoir le pire après coup advenu, voyant en effet se profiler à l'horizon du skyline new-yorkais la catastrophe mondiale des attentats du 11 septembre 2001.
L'Autre est un film dont la richesse de propos investit la variété veinée des formes et des conséquences de la violence de la richesse. C'est un film ouvert, peuplé, traversé, mais ouvert y compris sur l'action concrète des forces sociales de clôture et de repli identitaire qui traversent un monde coincé, depuis la fin du bloc soviétique et l'éclipse de l'hypothèse communiste, dans la mâchoire d'une double impasse à la fois fondamentaliste et mimétique, du côté de la religion comme du marché. Dans le film de Youssef Chahine s'exerce la proverbiale cordialité de son auteur, jusqu'aux coups de gueule qui sont des coups de sang, en invitant par exemple ici quelques motifs ou figures classiques (les amoureux maudits comme Roméo et Juliette ou Majnoun et Leila, la mère monstrueuse telle Phèdre) à témoigner que l'actualité ne suffit pas et qu'il y faut les traces de l'inactuel (ou du « non-contemporain » cher à Ernst Bloch) pour toucher au nerf à vif du contemporain.
Avec L'Autre, Youssef Chahine fait donc un film d'actualité parce qu'il est un cinéaste contemporain pour qui les mélanges de la poésie préislamique et du théâtre antique d'Euripide, du mélodrame égyptien et du théâtre élisabéthain de Shakespeare composent l'habit d'Arlequin, dépareillé et mal couturé du contemporain.
On appréciera ainsi l'immense cordialité chahinienne, d'autant qu'elle fait cruellement défaut aujourd'hui. Elle se déploie sur un versant dans les heurts et malheurs d'un panarabisme prolongé coûte que coûte (L'Autre démarre avec Adam le bon fils de famille égyptien qui rencontre avec son ami étudiant d'origine algérienne à l'université Columbia de New York l'intellectuel palestinien exilé Edward Saïd). Sur un autre elle vérifie l'alliance objective des intérêts de la bourgeoisie transnationale et d'un terrorisme islamiste qui ne l'est pas moins (la grande bourgeoise passée par l'Amérique et le fondamentaliste de retour d'Afghanistan s'accordent en effet à ne pas mélanger les torchons et les serviettes, convenant ensemble, via Internet, que les riches doivent s'occuper des riches et les pauvres des pauvres). D'un côté, l'amour de l'héritier Adam et de l'apprentie journaliste Hanane est ce coup de foudre de cinéma qui, cependant, s'impose comme l'expérience d'une différence qui est aussi indifférence aux différences sociales, événement dont l'image est celle d'une in-différence. De l'autre, ce même amour ne résistera pas à la nouvelle configuration d'un rapport de classes, où le sang des innocents couvre d'un même linceul rouge les agissements criminels convergents des promoteurs du néolibéralisme et des partisans de l'intégrisme.
Tout cela ne serait qu'une valse du cinéma, bariolé, mélangé, avec les hommages circonstanciés à Julien Duvivier (avec la citation d'un extrait de Toute la ville danse de Julien Duvivier tourné en 1938 et consacré à la vie de Johann Strauss) et Ezzel Dine Zulficar (avec le grande scène du mariage qui autorise la reprise des chansons traditionnelles et l'incontournable danse du bâton avec le tahtib que Youssef Chahine maniait lui-même dans une séquence de Alexandrie encore et toujours en 1990). Mais c'est plus qu'une valse parce que la lucidité foudroie, qui fouille dans la chair contradictoire du réel pour toucher aux nerfs croisés de la corruption nécessaire aux projets immobiliers célébrant les noces de la bourgeoisie locale et transnationale et de la voyoucratie islamiste qui accepte de donner le coup de main à raison d'avoir la main sur le reste du peuple. La mondialisation se voit ainsi ressaisie dans toute sa complexité, comme processus de globalisation des échanges économiques entraînant de façon conjonctive et disjonctive la mondialisation de la circulation de personnes, y compris de ses pseudo-opposants. La mondialisation tient aussi de la communication globale en permettant aux apparents ennemis idéologiques (la grande bourgeoise et le salafiste) de s'accorder quand même très pragmatiquement sur l'essentiel.
Avec le règne d'un ordre moins international que transnational, qui convient d'ailleurs tant à la mobilité prédatrice du capital qu'à l'imaginaire de l'oumma universelle, c'est le cosmopolitisme exemplifié par la jeunesse alexandrine qui s'en trouve liquidé, dont le trésor comme l'enfance ressemble toujours plus à un paradis perdu.
L'Autre est un film d'une grande audace, le film de plus d'une audace dont la géographie étendue s'éprouve de New York au Sinaï, de la Tour Eiffel à Ghamra, ce quartier populaire du Caire, en passant même par l'ambassade d'Irak dont la demeure devient celle de la mère monstrueuse d'Adam. C'est déjà l'audace de son triangle arabe et internationaliste que fait éclater l'alliance objective caractéristique de l'hégémonie néolibérale mise en place durant les années 1990 sur les cendres du tiers-mondisme, et dont la guerre civile algérienne a constitué l'un des plus effroyables symptômes. C'est ensuite l'audace appartenant à quelques originales saillies, dont l'une qui investit les nouvelles technologies de la communication comme des interfaces connectant à distance les fantasmes révélés dans leur extimité (le frère islamiste de Hanane de maquiller sa frustration sexuelle dans l'avatar virtuel du séducteur parisien). Et cette autre audace qui établit le montage parallèle de l'obscène violence sexuelle et de l'obscénité du consensus interreligieux (Adam désorienté en rappelant brutalement Hanane à l'ordre de la domination patriarcale ressemble à sa mère qui fait de l'argument interreligieux le voile recouvrant une vaste copulation de capitaux).
L'audace caractérise enfin le traitement singulier de la question ô combien cruciale de l'amour incestueux, qui prouve en passant combien Youssef Chahine ne se contente pas de reproduire pour des raisons stricts de légitimité culturelle le vieux fonds théâtral, antique et tragique. L'attraction incestueuse de la mère d'Adam pour son fils, souterrainement motivée par l'inceste paternel dont elle a été la victime, offrirait en effet le cœur caché de la vérité du discours anti-identitaire de l'intellectuel palestino-américain. Comme si la star Nabila Ebeid figurait à la fin la vérité symptomale du constat tiré par Edward Saïd. Car l'inceste a pour passion fusionnelle la réduction de la figure de l'autre sexuellement désirable et cette passion du même pour le même au risque de la déflagration pulsionnelle est autant le lot des bourgeois ayant la haine transnationale du populaire que des islamistes qui se veulent croire les bergers exclusifs du peuple.
La pureté est ainsi le discours partagé de la mère qui veut retenir son fils dans le sein du confort bourgeois en l'éloignant de la fille du peuple, et du frère de cette dernière dont le salafisme s'autorise à vouloir à la fin s'en servir comme monnaie d'échange. Le frère de l'une et la mère de l'autre composent à la fin un couple monstrueux appelé à resurgir et connaître plusieurs vies ultérieures, à Paris comme à New York, là où d'autres de leurs enfants en seront les victimes supposées propitiatoires, dignes d'êtres sacrifiées. Avec L'Autre, Youssef Chahine persévère dans la relève dialectique de la figure intellectuelle (Edward Saïd succède à Averroès dans Le Destin et Caffarelli dans Adieu Bonaparte après les déceptions politiques de La Terre en 1969 et du Moineau en 1972). Il montre surtout que la bourgeoisie transnationale n'échappe pas aux lames de fond d'une frustration sexuelle qui accable autrement les classes populaires placées sous le contrôle d'un religieux farci de frustration et de ressentiment.
Le génie colérique de Youssef Chahine l'autorise enfin à dévoiler à coups d'arabesque qui sont autant de coups de scalpel le cœur démonique qui bat dans la chair profonde de tout discours humaniste : l'autre y est rappelé à l'ordre du noyau archaïque de l'altérité, autrement dit de l'autel où l'on en célèbre rituellement l'office mais pour mieux le sacrifier.
1 février 2019
Avec Silence... on tourne (2001), Youssef Chahine renoue avec ses premières amours de jeunesse, la comédie musicale, mais les fastes et le brillant nécessaires à l'exercice habillent une fiction particulièrement retorse du parasitisme social, où l'arrivisme du dominé est un révélateur du conformisme des dominants. C'est d'ailleurs un paradoxe qui ne cesse pas d'étonner durant tout le film : on chante, on rit, on danse, on s'amuse, le divertissement promis est assuré mais, quand le film se termine, l'amertume est bien grande. Elle l'est d'autant plus qu'elle arrive en étant rigoureusement imprévisible, advenant après tant de prodigalités distribuées qui caractérisent l'inusable cordialité chahinienne.
Il est pourtant heureux qu'à la fin de Silence... on tourne, le mauvais sujet soit sanctionné par une exclusion méritée, le flagorneur justement puni par ses tartuferies dont la révélation exige une mise en scène dont la connivence avec le spectateur rappellera évidemment la vis comica du théâtre de Molière. Mais la relégation de celui qui voulait intégrer à tout prix le monde enchanté du spectacle, y compris par la manipulation des sentiments et le mensonge sur ses intentions, constitue aussi le point obscur du happy end, le hors-champ sombre d'une image consensuelle produite par l'auto-célébration d'un groupe jouissant obscènement de la réconciliation de ses membres.
Avec le finale contrasté de Silence... on tourne, la comédie musicale traitée sur le mode classique du backstage musical débouche non seulement sur la mise en abyme moderne d'une projection du film dans le film, mais aussi sur l'abîme d'un faux contrechamp qui est une vraie séparation entre la star qui joue la tristesse en regardant professionnellement la caméra et le spectateur dans la salle qui regarde l'écran avec la vraie tristesse de se savoir face à l'image comme face à ce dont il est et restera toujours exclu.
« Le bonheur n'est pas gai » avait bien prévenu la voix de Jean Servais au terme du « Modèle », la troisième histoire du Plaisir (1952) de Max Ophuls d'après Guy de Maupassant. On pensera d'autant plus ici à l'auteur de Bel-Ami (1885) que la question de l'arrivisme oblige à se poser la question corrélative de la cruauté en tant qu'elle innerve tout le champ social, structurellement concurrentiel et inégalitaire, ouvert aux passions rivalitaires et aux crises mimétiques. La cruauté qui appartient à l'arriviste capable du pire cynisme pour réussir, c'est-à-dire pour entrer au centre de l'image en prenant la place de sa vedette, n'appartient pas moins en effet au groupe imposant l'exclusion à celui qui avait toujours été déjà exclu du tableau et qui n'aurait jamais pu l'intégrer autrement. Cette cruauté signe les grandes fictions cinématographiques de l'arrivisme réalisées par Joseph L. Mankiewicz (All About Eve en 1950), Joseph Losey (Eva en 1962), Rainer Werner Fassbinder (Le Rôti de Satan en 1976), Claude Chabrol (Betty en 1992), Gus Van Sant (Prête à tout en 1994), mais déjà Friedrich W. Murnau avec... Tartuffe (1926).
L'outsider a donc échoué à rejoindre le cercle fermé des nantis et des établis, rappelé à l'ordre de l'insider qu'il ne sera jamais sauf dans ses rêves chauds et humides. Il faut dire que cet échec relève de la responsabilité d'un fabulateur qui a la tête dans les étoiles en n'ayant pour seule richesse symbolique qu'un certain savoir technique dans la suavité calculée des œillades, les sourires cajoleurs et la manipulation des simulacres de la légitimité sociale. Il faut dire aussi que l'échec du simulateur se voit parachevé par les réflexes protectionnistes d'un groupe jouant la carte du libéralisme mais n'acceptant des dominés à sa table que pour autant qu'ils travaillent pour eux depuis longtemps. Comme c'est le cas du vieux chauffeur qui est amoureux de la richissime grand-mère et dont le fils, un étudiant gauchiste, est voué depuis l'enfance au mariage de l'héritière la plus jeune.
D'un côté, on pourra donc s'amuser de la fougue critique de l'étudiant qui remplace de temps en temps son père au volant et dont les saillies piquent l'orgueil de la très libérale reine de la tribu. De l'autre, ces joutes ne sont qu'oratoires puisqu'elles habillent de vertu phraséologique des pratiques sociales d'exclusion et de clôture. On retrouve en passant, sur un mode apparemment plus mineur et décontracté, la critique chahinienne d'une certaine figure de l'intellectuel figé dans une posture symbolique l'éloignant des buts pratiques qu'il se donne, une critique qui mordait déjà dans La Terre (1969) et Le Moineau (1972). Il suffit d'entendre enfin l'arriviste mis à nu et renvoyé à sa condition de prolo de prévenir que « demain est un autre jour » pour deviner un avenir au ressentiment des faibles face au sentiment d'intouchabilité des forts. Une impasse catastrophique que pourrait seulement relever un soulèvement populaire et insurrectionnel digne du finale de l'ultime film de Youssef Chahine, Le Chaos (2007) co-réalisé et achevé par Khaled Youssef.
La stratégie opportuniste de l'arriviste (irrésistiblement joué par Ahmed Wafik, déjà croisé deux ans auparavant avec le rôle du frère islamiste dans L'Autre et plus revu depuis) consiste à se faire passer afin d'arriver à ses fins pour un psychologue francophone répondant au doux nom de Jean-Jacques Lamey. Pour cela, il lui faut séduire Malak, une vedette internationale de la chanson arabe sentimentalement désœuvrée. Mais de telles fins visées par l'homme fantasmant de devenir l'étoile de la prochaine comédie musicale qui cartonnera l'obligent à jouer au gigolo de luxe pour Malak, ainsi que pour sa fille Paula dès lors qu'il apprend que cette dernière peut hériter à la place de sa mère de la fortune familiale. Les armes des faibles sont de faibles armes a montré la sociologie de la domination et le postulat offre une consistance inattendue à une comédie musicale entreprise, après une passe de trois films éminemment politiques (L'Émigré en 1994, Le Destin en 1997 et L'Autre en 1999), pour renouer avec les enchantements superficiels de la pure mise en scène.
Parmi les enchantements qui feraient songer aux ultimes films en-chantés de Jacques Demy, la citation de La Veuve joyeuse (1934) d'Ernst Lubitsch se présente comme le signe cinéphile d'un métissage transculturel autorisant l'opérette viennoise à se mêler à la comédie musicale égyptienne (et la citation répond à celle de Toute la ville danse de Julien Duvivier dans L'Autre). Cette consistance donnée à des figures de convention caractérise aussi le personnage de la chanteuse entre deux âges. Celle-ci souffre d'être consacrée dans son art mais continue à demeurer malheureuse en amour, délaissée par un mari qui ne supporte plus sa célébrité, et trompée par un amant plus jeune. Comme l'aura été finalement Dalida et son spectre plane en effet au-dessus de la tête de Latifa, la chanteuse tunisienne qui interprète avec Malak son premier grand rôle à l'écran, mais dont les rapports avec le réalisateur n'auraient vraisemblablement pas été des plus cordiaux. Quant aux sentiments ambivalents animant son fan numéro un, qui rêve de cinéma en jouant sa vie comme un film dont il serait la star et le héros et qui se blondit un peu les cheveux pour parfaire son image d'homme occidentalisé et désirable, comment ne feraient-ils pas écho à l'amour véhément du singe Okka pour Saddika dans Le Sixième jour (1986). D' ?utant plus que l'écho s'entretient de façon circonstanciée de la reprise du thème musical d'Omar Khairat.
Dire que la célébrité rend malheureux est un cliché mais poser que rêver est une maladie dont on ne guérit jamais pourrait bien réussir à le remettre en mouvement. Les personnages chahiniens sont souvent des rêveurs, et Youssef Chahine lui-même aura été l'un d'entre eux quand il porte le masque de Yehia dont les déclinaisons scandent la tétralogie fellinienne de l'autobiographie fabuleuse et légendée (Alexandrie pourquoi ? en 1979, La Mémoire en 1982, Alexandrie encore et toujours en 1990 et Alexandrie... New York en 2004). Mais le rêveur qui porte trop longtemps en lui son rêve en devient malade, le corps gros d'une matière noire, fécale à force de macération, qui ramène l'aspiration sentimentale en direction des étoiles dans le ventre d'un désastreux ressentiment. C'est hier le pauvre Kenaoui de Gare centrale (1958) qui rêve de Hanouma la vendeuse de limonades, mais dont l'écume trop longtemps retenue gicle dans l'huile noire de la pulsion de mort. C'est désormais Jean-Jacques Lamey dont le nom chic et factice cache l'identité réelle mais jamais déclinée du pauvre garçon vivant encore chez sa maman, rêvant la nuit dans son lit de cinéma comme s'il en mouillait ses draps.
Avec Youssef Chahine, le mélange des genres et la mêlée des gens attestent ensemble que la libido circule partout, dans la brusquerie des raccords et les arabesques des mouvements de caméra montée sur grue, crûment, cruellement. La libido est bien partout, mais partout aussi les nœuds ou digues qui en barrent inégalement les voies de satisfaction, les frottements nécessaires mais toujours au risque des frictions, la promiscuité aussi bien avérée que la frustration.
C'est pourquoi la comédie musicale accueille les moments proprement délirants d'animation dont les saillies démoniques sont servies dans le style des cartoons de Chuck Jones et Tex Avery, assurées avec le bricolage d'effets spéciaux numériques volontairement cheap ou non, qu'importe. Il y a des richesses ostentatoires qui s'affichent comme la pauvreté des riches et, cela, Youssef Chahine l'assume franchement en en faisant le cœur simple de son film. C'est pourquoi Silence... on tourne court sans cesse le risque du kitsch. La menace du kitsch en forme d'épée de Damoclès est un défi relevé contre le bon goût mais aussi une nécessité esthétique dès lors que l'imaginaire véhiculé par l'industrie du divertissement se voit contaminé par les fantasmes de ses consommateurs et vice-versa.
On peut rire des excès du fantasme nocturne de Jean-Jacques Lamey dont le rêve de comédie musicale est d'un grotesque consommé, à l'image de ce ballon sur lequel il tape et dont le missile se révèle être une parfaite baudruche. Et c'est comme si, inconsciemment, le rêveur le savait, lui qui, avec la voix de la femme qu'il aime humilier, anticipe sa future déconfiture. Mais le rire consiste à faire de l'excès un accès privilégié au grotesque plus subtil ou insidieux du monde qui fascine son outsider et dont il incarnera à la fin moins un rejeton qu'un rejet – autrement dit un exemplaire déchet.
Le kitsch est comme l'épidémie de choléra du Sixième jour ou de fanatisme dans Le Destin, c'est une maladie dont la viralité est une furia contaminatrice qui ne voudrait faire aucune exception.
Dans L'Insoutenable légèreté de l'être (1984), Milan Kundera pose que l'idéal esthétique du « kitsch totalitaire » requiert « un monde où la merde est niée et où chacun fait comme si elle n'existait pas » (éd. Gallimard-coll. « Folio », 1989, p. 366-367). Avec Silence... on tourne, le bonheur n'est pas gai et pas davantage le kitsch avérant que la bourgeoisie tient à se représenter en célébrant ses réconciliations, c'est-à-dire aussi en excluant le déchet populaire, ce diable boiteux ou ce démon qui faillit en gripper l'office. L'ultime contrechamp au film dans le film appartient au bout du compte moins aux emboîtements virtuoses de la mise en abyme qu'à l'abîme de tristesse envahissant dans la salle de cinéma qui se vide le spectateur solitaire d'une représentation d'un monde. La représentation est kitsch mais radicalement, où « la négation absolue de la merde » fonde pour l'exclu qu'il est et reste la seule forme de son inclusion. Qui est littéralement la plus merdique qui soit.
27 janvier 2019
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