RoboCop (1987) de Paul Verhoeven

Police capot

Le cinéma de Paul Verhoeven est graisseux en diable. Il sent l'huile de moteur à plein nez, suinte, fait des taches. Et s'il en a sous le capot, c'est pour en délivrer tout l'attirail viscéral. Chez lui, le garage côtoie la décharge et la charge a pour terminus la décharge. Décharger pour se libérer d'un trop plein, s'en délivrer, c'est finir soi-même aussi à la décharge, déchets parmi les déchets : capoter. Être capot comme on dit à la belote quand le joueur ne peut plus faire aucune levée. Se vautrer dans le spectaculaire et ses déchets, c'est s'en savoir rejeton avant d'en être rejeté.

Ferraille et purée

 

 

 

 

 

RoboCop est un blockbuster trouvé à la ferraille. Le super-flic téléguidé y figure autant un Christ ressuscité d'entre les entrailles de la déchetterie sociale, qu'un poupon mal torché. L'enfant Jésus est un chiard au cul tout crotté. Le derrière du Roi des Rois est sûrement la meilleure entrée par où se faufiler dans le fondement d'une industrie qui célèbre le messianisme policier, et la parasiter en ne lui refilant le bébé qu'acidifié et démantibulé. 

 

 

 

Un enfant ne se fait que dans le dos et s'il a ici la gueule d'un ange (Peter Weller, tellement plus féminin que son side-kick, Nancy Allen), il a pour lieu de naissance et de renaissance une usine désaffectée où abonde encore l'acide en cuve, prêt à la déversée, avant la grande séquence de vidange fécale à la fin de Black Book (2006) en guise de retour vachard au pays natal, les Pays-Bas (comme le bas-ventre). Hirsute et gueulard, cyber et punk, débile assumé, le premier film hollywoodien de Paul Verhoeven est le doigt d'honneur d'un gosse aussi doué que mal élevé. La copie demandée, il ne la rend que salopée. Rendre est après tout un synonyme de vomir. Rendre mais sans déposer les armes. Auréolé de gras, l'argument porterait plus fort pour qui toujours se réjouit d'avoir les mains sales, plongeant dans le pot de bébé et le cambouis à seule fin d'y puiser quelque os à ronger.

 

 

 

Qu'est-ce qu'un flic carburant au super du cyber ? Un cyborg, justement. RoboCop délivre la vérité figurale du policier : un hybride mi-public (l'autorité régalienne est en miettes) mi-privé (le complexe militaro-industriel est aussi industrialo-policier) qui a pour trauma l'image fossile de son humanité. Le brossage punk est dru et à rebrousse-poil mais la charge carnavalesque a pour mérite de sortir un nom sous le capot, celui de Murphy, cet artefact d'homme cybernétique qui se souvient en avoir été un à l'époque où le simulacre, amoureux, familial et filial battait déjà son plein.

 

 

 

L'hybridité de l'organique et du cybernétique définit aussi le rapport du cinéaste et de l'industrie qu'il sert en élève turbulent, avec ces bouts de cinéma d'auteur européen comme des morceaux de sucre versés dans un réservoir d'essence. Le film est ainsi fait de morceaux pas toujours bien embouchés et c'est tant mieux : flic emmerdé par qui lui rappelle ses ambiguïtés idéologiques et sa porosité avec le fascisme (Clint Eastwood et L'Inspecteur Harry) ; ultra-violence et carnaval (Orange mécanique de Stanley Kubrick d'après Anthony Burgess et son titre déjà cyber) , effets de Rob Bottin (qui a travaillé pour Joe Dante et John Carpenter) ; stop-motion de Phil Tippett (qui n'oublie pas l'hommage au maître Ray Harryhausen).

 

 

 

Et puis un gore en purée, qui irrigue les meilleurs films de SF d'alors (Aliens de James Cameron, Predator de John McTiernan, La Mouche de David Cronenberg) et dont l'un des robinets revient au cinéma bis (Street Trash de J. Michael Munro et son casse peuplé des déchets du reaganisme).

 

 

 

 

 

Rejetons rejetés

 

 

 

 

 

Cop vient de l'argotique copper, le cuivre du badge porté par le policier. S'il y a machine, il y a alliage, autrement dit hétérogénéité et elle ne va pas sans impuretés.

 

 

 

RoboCop est un film impur et imparfait, qui patauge à gros sabots dans l'infantile (le super-jouet a les pieds plats) en ne flinguant que les seconds couteaux de rapports de production qui, eux, restent intouchés. Il touche aussi à l'obscénité d'un consensus dont le secret consiste à sécréter la délinquance pour élargir l'éventail de l'arsenal policier. Ainsi les moutons seront bien gardés en étant divertis par le déni qui les fait non dupes de ce qui les asservit (je sais bien la dégueulasserie policière, mais quand même, le sachant je m'en acquitte et ça me fait bien rigoler).

 

 

 

Le flic aussi est une figure impure, au service formel des citoyens d'un État couché devant les lois d'airain du capital. L'époque était alors au second mandat de Reagan. Depuis, les flics armés par des États privatisés font la guerre aux citoyens à coup de caméras (GoPro) et d'armes de guerre (LBD).

 

 

 

C'est pourquoi RoboCop a quelque peu perdu en drôlerie ou bien son cuivre aura viré en vert-gris. C'est le privilège de l'anticipation d'entreprendre des prospections dont la pertinence est vérifiée dans l'après-coup des actualités, notamment pour tout ce qui concerne le rôle d'accompagnement policier dévolu à la télé (Starship Troopers accentuera cet aspect-là). Mais ce privilège appartient aussi à un film perdu dans le cosmos, celui d'une industrie incapable désormais d'avoir de telles éructations. Ses renvois d'alors agrémentaient des plaisirs puérils de son savoir acide. Aujourd'hui, à l'heure où les anciens artisans de l'écurie Troma à l'instar de James Gunn roulent pour le trust Disney, l'acidité anarchique a reflué en acidulé. RoboCop a laissé la place à la farandole pop des super-héros dont Alan Moore nous aura entretemps instruit que leurs masques ont pour envers ceux du KKK.

 

 

 

Le moment postmoderne du blockbuster a la passion de l'excès figuratif jusqu'à la défiguration. Paul Verhoeven y aura trouvé aisément sa place. Chez lui, les hommes sont toujours creux, et ainsi s'emplissent de merde. Les femmes souvent la reçoivent mais sans en faire un drame. L'expulsion du chiard, ça les connaît tandis que les hommes sont privés du secret. La chiée est féconde pour elles ; pour eux elle demeure infertile. Ce qu'ils excrètent n'est rien d'autre au fond qu'eux-mêmes.

 

 

 

L'anar hollandais qui n'a jamais craint d'avoir les mains sales en les plongeant dans la tambouille du nanardeux (Benedetta) a toutefois compris que la parodie a pour vérité de s'approcher de ce qui au fond de son rire le terrifie. La bouffonnerie est un festin mais, quand la fête est finie, ses restes sont de tristesse, l'estomac est de plomb. Le bouffon riant de toutes ses dents à voir capoter un monde de matière artificielle et grise (les cerveaux n'y sont que reptiliens, basiques en sont les instincts) ne rit si bien qu'à se savoir à la fin capot parmi les capots. Détritus parmi les déchets. Le rejeton rejeté, à l'instar de tous ces policiers qui essaient d'avoir les mains propres en critiquant l'institution qui, elle, les envoie à la trappe, la chasse tirée, parce qu'incritiquable est son obscénité.

 

 

 

11 mai 2024