L'amitié n'attend pas
C'est une invitation et si elle commence ainsi : « à nos ami-e-s », elle se conclurait de cette manière : « nos amitiés ». Nous qui croyons que le cinéma, sa fabrique et sa pensée exigent parmi toutes ses conditions réelles celle de l'amitié, désirerions ouvrir exceptionnellement le double numéro d'été des Nouvelles du Front cinématographique à l'amitié du dehors et des contributions extérieures.
Aux ami-e-s, donc, qui en ont le désir et la disponibilité de s'emparer des espaces d'ordinaire occupés par les textes écrits par les contributeurs du site Des Nouvelles du Front. À eux d'y déposer le fruit de leurs propres expressions offertes à la liberté de leurs inspiration et imagination, poème ou lettre, photo ou vidéo, montage et collage, archipel et constellation, autant de fleurs accueillies dans notre petit jardin ouvrier.
Bien sûr, les documents collectés appartiennent pleinement à leurs auteurs. Il ne s'agira pour nous que d'en constituer l'archive en en composant la disposition florale comme un bouquet.
L'époque, plus que jamais, nous y invite et puis, aussi, l'amitié n'attend pas. D'ailleurs c'est un ami, le cinéaste Ghassan Salhab, qui nous a soufflé l'idée de ce numéro exceptionnel depuis un pays où bien vivre ne va guère de soi.
Comment ça va ? Comment ça va
Comment ça va ? n'est pas la moindre des questions en effet, on le sait depuis Jean-Luc Godard et c'est la question que nous voudrions aujourd'hui poser aux ami-e-s en profitant de l'occasion quand les occasions se trouvent moins qu'elles se donnent en s'arrachant au cours du temps.
Comment allez-vous ? Où en êtes-vous ? À quoi pensez-vous ou à qui songez-vous ? Faites-nous signe en nous donnant de vos nouvelles afin qu'en témoignant amicalement de vos sensibilités, nous puissions en relayer la singularité dans les formes et les expressions que vous aurez adoptées.
Donner des nouvelles qui soient de nouvelles données pour parler comme Alain Bashung. Donner des nouvelles pour savoir si ça va et comment, comment ça va, comment ça fonctionne dans le rapport au cinéma, comment ça tient dans le désir du cinéma. Se donner des nouvelles par-delà les écarts et les écrans, les points de suspension et les silences et ainsi, à distance, faire du cinéma et sa pensée le transport en commun d'une respiration partagée.
La persévérance dans la suite du monde et sa croyance
(le cinéma pense, le cinéma panse)
Aux Nouvelles du Front, on estime en effet que si l'actuel nous épuise en accentuant dans tous les sens les fronts d'une crise multiforme qui est aussi celle de la crise elle-même, le cinéma qui comme toute chose en pâtit demeure encore le pays en plus sur la carte qui en rabat les coins afin d'aider à poursuivre malgré tout. Poursuivre dans le jeu des raisons du sensible et de l'intelligible, poursuivre dans une éducation esthétique qui est une politique de l'émancipation.
Persévérance dans la suite du monde et sa croyance, en dépit de la double rengaine qui asphyxie nos esprits : que tout change pour que rien ne change ; que tout doive continuer jusqu'à la fin des temps.
On fait donc le pari que, puisque le cinéma pense, il demeure un site merveilleux - mieux, une interzone - qui accueille, avec l'invention esthétique des formes, des puissances de résistance et de soin, de persévérance et d'immunité. Le cinéma pense, le cinéma panse. L'épars des signes émis et reçus en toute amitié tracerait à distance des diagonales qui témoigneraient, même en pointillé, que le cinéma relève aussi de la co-immunité.
C'est en tout cas le souhait que nous formulons en désirant partager ce pari collectif qui redéploie la part impersonnelle des Nouvelles du Front. Un souhait formulé au nom de l'amitié, de nos amitiés qui, au temps des communautés désœuvrées, n'est pas la moindre des immunités.
5 juillet 2021