Les contes de cinéma en appellent d'autres quelquefois, ceux que l'on rêve quand l'hôte, qui a ces dernières années multiplié ses invitations, s'absente trop souvent aussi d'une hôtellerie qui laisse à désirer sur le respect des lois de l'hospitalité. Alors, forcément, on s'endort en attendant le lait chaud qu'il nous a promis. On voudrait rêver, on rêvasse seulement quand les amorces peinent à introduire à l'idée d'un cinéma renouvelé. La mélasse des images aura fini par faire notre ankylose. Au réveil, l'hiver prolongé se résorbe tristement : à la place du lait promis, de la neige fondue, partout la gadoue.
L’hôte nous reçoit une nouvelle fois, ça doit bien faire la vingt-cinquième fois. Les seize dernières fois en dix ans seulement, c’est dire si l’habitude est acquise d’être invité chez lui en s’y sentant comme chez soi. Donc on s’installe et nul besoin de trouver nos marques, on sait très bien où l’on est, on connaît, c’est cosy, vive les lois de l’hospitalité. Le seul souci, c’est que notre hôte a de plus en plus l’habitude de s’absenter. Ce coup-là, il nous a demandé ce que nous souhaitions consommer. Un lait chaud ? Oui s’il vous plaît, l’hiver vous savez. Et lui de nous répondre comme les dernières fois que l’hiver est sa saison préférée, ça on le savait.
Le voilà donc parti et nous d’être planté là, c’est embêtant quand même, on est venu pour lui. Ne le voyant pas revenir, forcément, on commence à s’assoupir, après tout on est à la maison, il nous l’a assez répété : ici vous êtes CHEZ VOUS.
Avec l’assoupissement, irrésistible, vient le moment de rêvasser. Rêver on n’y arrive plus, on rêvasse désormais. C’est ainsi, les lois de l’hospitalité se vérifient à leur application et si l’hôtellerie laisse à désirer, vient l’hostilité. Se mélange alors le souvenir de nos anciennes visites, images laiteuses mais demi-écrémées, une sensation de colloïde, une femme sur la plage sauvée de l’ensablement à l’arrachée, une autre enfuie en Allemagne pour un voyage d'hiver en guise de cure. S’y mêle un présent qui a la consistance pâteuse des matins difficiles et des haleines exhalant un laisser-aller.
Hiver prolongé, la neige a fondu, partout la gadoue
Une heure est passée, peut-être moins, peut-être plus, on ne le sait. L’hôte est là, on ne l’a pas vu revenir. S’il nous regarde embêté, eh ben notre embêtement répond bêtement au sien. Il esquisse alors un sourire contrit en lâchant un saugrenu « No Milk Today » avant de nous raccompagner poliment à la sortie. Pour le lait chaud on repassera mais pourquoi en anglais ? L’étrange est que, durant notre rêvasserie, une bribe de guitare sèche amorçait le début d’une chanson qui ne commençait jamais vraiment et qui ressemblait à l’ouverture du tube des Turtles. Une amorce, oui, jamais l’introduction d’une chanson ou d’une nouvelle dont un long film court aurait eu la concision.
L’unique image qui reste de la mélasse du jour, c’est un garçon ayant besoin d’un bon bain froid pour résister à l’ankylose suicidaire des amours enfuies. Avec le temps, la tendresse proverbiale de notre hôte est devenue un engourdissement. Sa mélancolie pire qu’une apathie : une asthénie. Sa convalescence dure en amollissant tout, trempant désormais le nid douillet de l’hospitalité. Une camomille aurait été moins dormitive. L’hiver se prolonge mais la neige a fondu et, jusque dans le salon de l’hôte, partout c’est la gadoue.
C’est peut-être cela aussi que signifie : « No Milk Today ».
3 février 2022