Venez voir (2022) de Jonás Trueba

UN ÉDEN DE PEU

Venez voir est un film à la modestie nécessaire, un film de pas grand-chose et sa qualité de je ne sais quoi possède un charme fou qui fait passer le presque rien du cinéma, qui est presque tout.

MILIEU CHARNEL

 

 

 

 

 

Deux couples d'amis, Guillermo et Su, Elena et Dani se retrouvent au Café Central de Madrid pour y écouter un concert du pianiste de jazz Chano Dominguez. La conversation des amis retrouvés se double de la sous-conversation des amitiés qui n'ont peut-être pas réussi à passer l'épreuve de la pandémie. Six mois plus tard, l'hiver a laissé place à l'été et, avec l'amitié à laquelle on a laissé une chance de persévérer, c'est le cinéma qui est retrouvé, le bonheur ineffable d'un éden de peu.

 

 

 

Vivre une vie dont l'empreinte soit aussi légère que la trace d'une plume sur le papier. Vivre une vie dont la sobriété prépare à un communisme renouvelé – co-immunisme. Et sentir que le bonheur est ineffable, un je ne sais quoi dans la passe d'un presque rien. S'en saisir, ce n'est pas l'attraper, c'est en être transi. Le bonheur passe mais un site est nécessaire à le percevoir. Il y faut des images et ce qui passe entre elles, il y faut des êtres et des choses et l'écart entre eux.

 

 

 

Aussi difficile que rare, difficile parce qu'il est rare, le bonheur invite à la construction des sites accueillant les traces de son passage comme des effusions, un concert de Chano Dominguez, une chanson folk de Bill Callahan, une lecture partagée de Peter Sloterdjik, l'irréalité décrite en off par la poétesse Olvido Garcia Valdés, une balade bucolique entre amis. Les amis, leur amitié a été affectée, infectée par la pandémie et s'ils se retrouvent c'est en ayant saisi, sans nous la raconter et sans rien se dire, que l'amitié est un très grand bien, une richesse sans forçage ni abus, la bulle d'insulation abritant l'usage du monde, un milieu charnel qui s'entretient comme un bouquet.

 

 

 

 

 

AU MILIEU DES HERBES

 

 

 

 

 

La bulle est remuée de spirales, des remous imperceptibles, la sphère grosse de l'écume des amitiés qui risqueraient d'avorter comme Su a dans l'interstice des saisons perdu l'enfant qu'elle attendait. Le bonheur à respirer ensemble l'air des affections qui se disent et ne se disent pas est l'amitié comme immunisation et climatisation : une beauté soulagée des impératifs de la gâterie.

 

 

 

Au milieu des herbes, Elena se soulage et elle rit, autre empreinte légère sur le papier charnel du monde, autre trace parmi les feuilles d'herbes. Son rire a la grâce aérienne de la plume. Il trace un liserai entre la fiction et son documentaire, il ouvre un passage offrant au film de Jonás Trueba la possibilité de ressaisir sa simplicité dans le sens d'une nécessité qui est un seuil de civilisation. Un film qui soit comme une empreinte aussi légère qu'un soulagement dans l'herbe, que le tracé d'une plume sur le papier, qu'une éclosion florale d'images ayant la gracilité inattendue du super-8 : Venez voir. Civilité, convivialité et sobriété appartiennent désormais au présent qui est l'avenir, celui auquel on tient avec une retenue pareille à l'entretien d'une plante. L'avenir du cinéma qui, autrement, est abusé jusqu'à l'asphyxie par des enfants gâtés qui sont des gâteux de l'enfance, à l'instar de l'auteur d'Avatar dont la fable écolo a l'empreinte écologique égale au PIB du Qatar.

 

 

 

Venez voir est un film à la modestie nécessaire, un petit film de pas grand-chose et sa qualité de je ne sais quoi a un charme fou qui fait passer le presque rien du cinéma, qui est presque tout.

 

 

16 janvier 2023


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