Les orientations du gouvernement en matière de réforme territoriale se disent ainsi : changement des modes de scrutin des collectivités et clarification de leurs compétences, redécoupage administratif et modernisation de l'action publique territoriale, mobilisation des régions en guise de relance économique et égalité des territoires. Pourquoi y entend-on alors sourdement leur mise en concurrence, l'affaiblissement des services publics locaux et la fragilisation des agents qui en assurent les mission ?
« Solidarité territoriale » = concurrence des territoires
Faisant suite à la réforme sarkozyste des collectivités territoriales de 2010, l'acte III de la décentralisation de 2013, avec en particulier la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (« loi MAPAM »), propose de faire reposer l'action publique locale sur deux jambes, l'État et les régions d'un côté et les communes et intercommunalités de l'autre. Une fois actée la suppression du conseiller territorial remplacé par un conseiller métropolitain promu dans de nouveauxdispositifs intercommunaux (les métropoles à l'instar du Grand Paris pour janvier 2016), restent surtout visibles des transferts de compétence découlant d'une logique de « rationalisation » et de « modernisation » des services publics locaux caractéristique de la méthode autoritaire et « austéritaire » d'un gouvernement qui refuse d'autant plus de demander démocratiquement l'avis de la population que le principe d'une collectivité unique fondant conseils généraux et régional a été nettement rejeté par la population lors du référendum d'avril 2013 en Alsace.
Avec la suppression des départements vers 2020 et la réduction du nombre des régions de 22 à 13, la diminution du nombre d’élu-e-s, si elle soulève l'ire des professionnels de la politique locale, peut surtout encourager la pente de la privatisation des services publics dès lors que les économies invoquées manifestent l'adhésion gouvernementale au principe néolibéral de restriction des dépenses publiques dictées par l'Union Européenne. Alors que les effets catastrophiques de la crise de contraction du capital auront été relativement amortis par les protections sociales offertes par collectivités territoriales, cette politique antisocialeencouragée par la baisse de 50 milliards des dépenses publiques ne signifie rien d'autre que le transfert de la dette aux collectivités territoriales contraintes à des choix budgétaires défavorables aux agents considérés comme de la masse salariale à réduire ainsi qu'à l'éventail de services publics proposée aux usagers.
Usagers et agents, tous dans le même bateau
Sous prétexte de simplifier le fameux « mille feuilles » administratif, l'objectif consiste en réalité à faire supporter le coût de la dette publique aux collectivités territoriales comme ce coût s'impose déjà aux services, déconcentrés ou non, de l'État, depuis la RGPP de Fillon poursuivie par la MAP de Valls. L'avenir des services de proximité, déjà malmenés par le gel des dotations globales de fonctionnement (et même leur baisse programmée avec trois milliards en moins pour l'année prochaine), est directement menacé. Le principe d'accès à un service public partout sur le territoire, dans les zones urbaines, péri-urbaines, et rurales, en métropole comme dans les territoires ultramarins, est contredit. Ce sont demain la gratuité de l'entretien des routes, l'accès à des cantines scolaires, la protection de l'enfance, la sécurité incendie, l'accès à la culture, l'entretien et la préservation des espaces naturels, les services d'eau et d'assainissement public, les déchets … qui seront impactés.
Cette contre-réforme va provoquer le plus grand plan d'abandon de missions publiques et de privatisation de services. Les fonctions publiques territoriale, hospitalière et d’État vont être confrontées au plus grand plan de suppressions d'emplois publics et les précaires en seront les premières victimes. L'instabilité des missions et des fonctions, l'insécurité des parcours professionnels, le risque de remise en cause des droits individuellement et collectivement acquis (notamment en termes d'action syndicale), ainsi que la détérioration de l'organisation et des conditions de travail seront immanquablement source d'aggravation des risques psychosociaux et engageront la détérioration de la qualité du service public rendu à des usagers qui éprouveront toujours davantage l'incurie publique. Rien de tel pour délégitimer la notion de service public mais l'occasion se présente aussi pour défendre le projet alternatif d'une organisation politique des territoires et des services publics se fédérant démocratiquement, en l'absence de l'État, afin que les biens publics (re)deviennent des biens communs.
Une version de cet article se trouve dans le numéro de décembre 2014 du mensuel Alternative Libertaire.
Le 30 novembre 2014
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