La réflexion proposée par Bernard Friot repose sur trois axes essentiels. En premier lieu, est rendue manifeste dans le détail l’offensive gouvernementale et patronale qui vise à détruire le système des retraites existant dont le sommet en termes de processus historique est atteint en 1982 avec l’âge légal de départ (60 ans, 37,5 annuités de cotisation, et 75 % du dernier salaire de référence).
Quelques dates sont importantes à retenir, qui amorcent un effilochement de cette conquête sociale qu’est la retraite : en 1979, c’est le gel des cotisations sociales patronales ; en 1987, est appliquée avec Philippe Seguin, ministre des affaires sociales sous le gouvernement de cohabitation Chirac, l’indexation des pensions des salariés du privé non plus sur les salaires mais sur les prix (qui augmentent moins vite que les salaires) ; en 1993 pour le privé et en 2003 pour le public, le nombre d’annuités passe légalement de 37,5 à 40 annuités. Il est question pour la nouvelle « réforme » promise cette année par Eric Woerth, entre autres, de passer à 41 annuités de cotisation en 2012, comme de revenir sur 60 ans comme âge légal. On remarque que l’offensive prend la forme perverse d’une volonté affichée de sauver le système par répartition, mais tout en l’évidant en réalité de l’intérieur de sa substance révolutionnaire. C’est aussi une bataille de vocabulaire, quand on se rend compte que la « réforme », qui a longtemps signifié ce que le dictionnaire lui donne comme sens habituel (« changer en mieux »), est devenue, par un retournement désormais classique de la « novlangue néolibérale » (Alain Bihr), synonyme de recul social.
La chose est identique pour le terme de répartition, qui appartient aussi aux « réformateurs ». Et si la répartition permet une opposition nécessaire aux partisans d’un système de retraite par capitalisation adossé aux mécanismes de la spéculation boursière, et soutenu activement par les assurances et les fonds de pension, elle n’est pas en elle-même seule suffisante pour affronter la politique d’affaiblissement d’un système qui ne cherche pas seulement à répartir la richesse monétaire produite, mais surtout à socialiser une partie de celle-ci sous la forme de « salaire continué ». C’est là un piège que relève Bernard Friot dans sa brillante démonstration : les opposants progressistes bataillent sur le même terrain idéologique que leurs adversaires. Le prétendu « choc démographique » est pris sérieusement en compte. Les difficultés de financement avancées par les patrons, les gouvernants et leurs experts patentés à grand renfort médiatique obligent le camp progressiste à chercher d’autres sources de revenu (une taxe sur les profits financiers ou sur la valeur ajoutée des entreprises par exemple) qui remettent en cause les fondements salariaux du système. Enfin, est considérée comme légitime l’habituelle dichotomie économique selon laquelle les retraités sont des inactifs dont les pensions sont payés par les actifs.
C’est pourtant un véritable « trésor impensé » que recouvre en fait la retraite salariée, et cette réalité sociale méconnue ou déniée comme telle devrait nous rendre lucide sur l’idée révolutionnaire que les retraités ouvrent aux autres salariés subordonnés un avenir hors du champ capitaliste. Le programme politique à promouvoir, c’est donc de détendre le progrès social que représente aujourd’hui la retraite salariée pour imaginer un avenir post-capitaliste.
Le premier chapitre de L’Enjeu des retraites propose un historique de l’établissement du système des retraites français, et une comparaison avec les systèmes anglais (Beveridge) reposant sur la logique individuelle de l’épargne et financé par l’impôt, et allemand (Bismarck) assis sur un caractère interprofessionnel et la socialisation du salaire. L’optique privilégiée par l’auteur vise à montrer que ce système, établi à l’intérieur de la domination capitaliste, représente un contre-pied au capitalisme en faveur du salariat. Son origine, c’est la fonction publique avec la mise en place d’un système de retraite à partir du milieu du 19ème siècle.
L’important à retenir, c’est que le droit à la retraite est assujetti à une reconnaissance des agents sur la base de leur grade et non de leur poste. Concernant les salariés du privé, le système de l’épargne aura dominé jusqu’à la seconde guerre mondiale. Or, après 1945, la fin de l’option de l’épargne retraite individuelle et la mise en place d’un régime général relevant du champ de la sécurité sociale nouvellement créée induisent une situation profondément originale. Les retraités sortent de la prévoyance, parce qu’ils ne sont plus des vieux qui auront épargné pendant leurs années de travailleur subordonné, mais des travailleurs salariés dont le niveau des pensions est indexé sur la reconnaissance de leur qualification, et qui sont payés à produire les richesses sociales que, bien sûr, le PIB ne reconnaît pas comme telles parce que ce ne sont pas des biens ou des services dont le prix est mesuré par le temps de travail abstrait nécessaire à leur production.
La pension est du « salaire continué » qui libère le travail de la valeur travail : autrement dit, le travail n’est plus subordonné à la valorisation du capital ou à la production de marchandises. Mieux, la retraite représente pour le retraité salarié la reconnaissance de la moyenne des qualifications professionnelles accumulées, qualification qui est l’équivalent du grade pour les fonctionnaires, et qui détache le travailleur du poste occupé et de la valorisation du capital qu’il induit. Le retraité, c’est alors une personne qui touche du salaire sur la base de sa qualification, qui travaille librement en dehors des contraintes relatives à l’emploi, contribuant à produire la richesse sociale existante, et dont le salaire rémunère son travail libre.
C’est la grande subversion impensée comme telle par le camp progressiste, trop occupé hélas à affronter ses adversaires gouvernementaux et patronaux sur un terrain initié par eux. Répétons-le : les retraités sont des travailleurs libres, reconnus par leur capacité à produire et non à dépenser un gain, qui produisent des richesses irréductibles à la sphère de la marchandise. Les retraités sont au bout du compte des salariés détachés de toute obligation capitaliste, qu’il s’agisse d’être employable du point de vue du marché du travail ou d’être employé à valoriser par son travail aliéné le capital d’autrui. On doit enfin l’admettre, à moins de demeurer symboliquement captifs du mode de pensée propre à l’économie capitaliste : les producteurs de richesses ne sont pas que les seuls travailleurs subordonnés, à moins de réduire la richesse au seul PIB (et sa croissance qui ne calcule que le prix à payer pour le salariat dont le travail aliéné sert la rémunération du capital).
Trois éléments confèrent au retraité une place sociale singulière dont l’importance est à souligner en regard des attendus d’une société capitaliste. La qualification comme reconnaissance d’un statut qui libère le travailleur du poste de travail (c’est là toute l’importance des conventions professionnelles et des grilles salariales), à l’image du grade pour les fonctionnaires. Le salaire continué comme part socialisée du salaire qui équivaut à rémunérer le libre travail du retraité émancipé du joug de l’emploi, de la valeur travail, de la propriété lucrative, et de la marchandise. Et le réseau professionnel (à distinguer du collectif de travail propre à tout fonctionnement interne d’entreprise) constitué pendant toutes les années de travail subordonné, et mobilisé pour accomplir la production sociale à laquelle le retraité est susceptible de se destiner. D’où la place importante des retraités dans la société, outre leur part active dans une consommation qui permet à la production de biens et de services d’être solvabilisée à hauteur de 70 % : mandats électifs, participation dans diverses associations, actions culturelles, etc. Toutes choses qui matérialisent la situation d’un travailleur émancipé de la valeur travail.
Alors que les retraités ont permis d’en finir (globalement à partir de la fin des années 1970) avec les vieux, ces personnes âgées qui, souvent usées par le travail, devaient continuer à trouver des petits boulots pour survivre puisque leur pension ne suffisait pas à les rendre autonomes, l’invention de la catégorie de « jeunes » inventée à la même époque vise à défaire dans l’autre sens la cohésion salariale par la multiplication de contrats précaires sous qualifiés et des revenus financés par les impôts et non plus indexés sur le salaire.
On pourrait dire évidemment la même chose pour l’invention du RMI sous Rocard. C’est le retour de l’assistance que l’assurance sociale assise sur la part socialisée du salaire avait rendue caduque, et qui permet aux employeurs de se décharger du financement de tels dispositifs sur le dos des contribuables. La CSG en 1991, après le RMI en 1988, participe d’un même mouvement de fiscalisation des revenus qui cherche autant à disqualifier les individus enfermés dans le rôle de victime à secourir et stigmatisés comme inemployables, qu’à entamer le volume des cotisations sociales au profit des dividendes qui, dans la même période, ont cru en proportion au détriment de l’investissement.
Dès qu’il est question de solidarité nationale, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là d’une opération idéologique qui veut diviser le monde du travail en part d’occupés contraints à la valorisation du capital et d’inoccupés assistés grâce à la charité des premiers médiatisée par l’impôt. Et c’est la solidarité salariale qui doit être dégainée en réponse, parce qu’avec l’idée de solidarité nationale, on ne reconnaît uniquement chez les jeunes ou les travailleurs pauvres qu’une capacité de gain pour consommer, et non pas une capacité de produire.
En conséquence, il est inutile de mettre en avant le plein emploi, et ce d’autant plus dans une société dont les gains de productivité appellent une diminution générale du temps de travail subordonné, que les gouvernements sociaux libéraux et libéraux sociaux successifs répartissent de la manière la plus violente et inique qui soit (chômage et sous travail pour les uns, travail hyper intensif pour les autres), mais la pleine qualification. Parce que la qualification révèle un travail qui existe déjà, et qui ne s’inscrit plus dans le domaine de la valeur travail, ce qui est anticapitaliste au possible.
Quatre idées dominantes sont alors vigoureusement contestées par Bernard Friot. D’abord, les retraités ne travailleraient pas. Il faut en finir avec la vision dominante et économiciste selon laquelle une division existerait entre actifs et inactifs, les premiers étant censés financer les pensions des seconds, alors que la pension des retraités est un salaire adossé à leur qualification, qui leur permet de consommer (et donc de rendre solvable la production), et qui surtout rémunère leurs libres activités.
Ensuite, les retraités toucheraient un revenu différé. C’est faux, ou du moins les « réformateurs » souhaiteraient bien que cette réalité advienne et se généralise (avec par exemple le dispositif des « comptes notionnels » présenté à partir du modèle suédois, vanté par les idéologues dominants, et qui inspire déjà un peu les régimes complémentaires, AGIRC pour les cadres en 1947 et ARRCO en 1961 qui représentent 25 % de l’ensemble des régimes de retraites en France – sachant que la répartition représente 94 % des dépenses de pensions en 2006). Un revenu différé s’inscrit dans une logique individualiste de la prévoyance et de l’épargne, pour laquelle dominent le taux de rendement entre cotisations et pensions, ainsi que les idées corrélatives d’équité, de contributivité, et de « neutralité actuarielle individuelle ». En gros, chacun contribue à la hauteur de ce qu’il peut donner, et plus il contribue (autrement dit plus il marne), plus sa pension au moment de la liquidation sera élevée, indépendamment de toute considération sur le niveau de richesse produite lors du moment où il liquidera sa retraite. Alors que le salaire continué rappelle ce fait élémentaire depuis Adam Smith : la richesse annuelle d’une nation est le résultat de la conjugaison sociale des forces de travail mobilisées qui auront permis la production annuelle de ces mêmes richesses. A l’inverse du taux de rendement, le taux de remplacement permet de ne pas enfermer le droit à partir en retraite sur les seules cotisations (puisqu’il inclut les années validées non travaillées, comme c’est le cas pour les mères qui ont élevé leurs enfants – sachant que le montant moyen des pensions est de 1.600 euros et seulement de 1.000 euros pour les femmes). Le salaire est un prélèvement produit sur la richesse socialement constituée, et maintient le retraité dans le monde du travail, à ceci près que le travail en question est désormais libéré de la subordination à la loi capitaliste de la valeur. Enfin, le salaire informe des activités d’un travailleur qualifié, et dont la qualification nourrit en retour la production de richesses sociales qui excèdent la seule sphère de la comptabilité nationale.
La solidarité salariale ne doit également pas nous empêcher de critiquer la solidarité intergénérationnelle que partisans comme opposants de la « réforme », certes différemment, promeuvent. Car cette critique repose aussi sur ce qui vient d’être préalablement énoncé. Les retraités, avec leur salaire, sont payés à la mesure du travail qu’ils fournissent, même si celui-ci est débarrassé de la valeur travail qui n’est que l’autre nom de la valorisation du capital. Le travers de la société capitaliste voulant que la production monétaire transite par le biais de la sphère marchande. Mais, ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de transfert de la valeur créée par les actifs subordonnés au capital aux inactifs extirpés de ce dernier, mais de création d’une valeur, les richesses produites par les retraités, dont le prix est fixé par la monnaie existante, le salaire mesurant la qualification de chacun d’entre eux et qui a été nécessaire à cette production. Revenons sur l’exemple des fonctionnaires (desquels Bernard Friot rapproche structuralement les intermittents du spectacle, le personnel hospitalier, certains indépendants, etc.) : ce ne sont pas des improductifs payés par les actifs du privé, mais ; au contraire, les impôts financent le salaire des fonctionnaires parce que leur salaire correspond aux richesses qu’ils ont produites dans l’année. D’ailleurs, comme le rappelle aussi l’économiste Jean-Marie Harribey, la valeur produite par les fonctionnaires est inscrite sous forme de salaires depuis la fin des années 1970 dans le PIB. Semblablement, la richesse que les retraités produisent est reconnue à la hauteur de leurs qualifications, indépendamment du fait que la monnaie transite par le système de la production des marchandises. Donc apparaît dans sa fausseté l’idée de ponction de valeur : c’est une transition de monnaie médiatisée par le système capitaliste de productions de marchandises dont le prix est anticipé par le crédit bancaire.
Enfin, la fameux « choc démographique », aussi fallacieux que le « choc des civilisations » de Samuel Huntington, est un leurre auquel il faut aussi savoir rendre gorge. D’une part, les gains de productivité, doublant en euros constants tous les quarante ou cinquante ans, rappelle bien que le choc démographique repose sur le postulat de leur non prise en compte. Or, le poids des pensions a été multiplié par 2,6 entre 1950 et 2000, il devrait l’être par seulement par 1,4 d’ici 2050, si le PIB double comme il n’a pas cessé de le faire depuis 1945. Aujourd’hui, le PIB est égal à 2.000 milliards, avec 13 % pour les pensions (260 milliards), et un reste de 1740 milliards pour les actifs et investissements. Dans 50 ans, le PIB sera de 4.000 milliards : sur ceux-ci, 20 % seront destinés aux pensions, ce qui laisse pour les actifs 3.200 milliards aux actifs et à l’investissement. Donc, aucune catastrophe à l’horizon. D’autre part, le rapport des plus de 60 ans sur les 20-59 ans n'est pas un indicateur du rapport entre actifs inoccupés et inactifs, le seul qui possède un sens économique. Les inactifs incluent les moins de 20 ans tandis que les 20-59 ans ne sont pas tous des actifs occupés (avec un taux d'emploi à hauteur de 76 % aujourd'hui contre 67 % au début des années 1960, cette glorieuse décennie présentée comme celle du plein emploi). Il faudrait plutôt, et en toute logique, mettre en relation le ratio d’inoccupés (les vieux mais aussi les mères au foyer, les enfants, les étudiants, et les chômeurs qui ont aussi un poids en termes de dépenses privées et publiques) et d’occupés (les travailleurs employés à la valorisation du capital). Quand on fait ce ratio, de 2000 à 2050, il bouge à peine (entre 1,6 et 1,8), c’est-à-dire que la baisse du poids des enfants et des jeunes compense la hausse de celui des vieux.
Il faut donc faire un sort définitif à ces questions démographiques des générations, des vieux et des jeunes, car la surenchère concernant ces notions participe à dépolitiser et naturaliser des enjeux économiques et politiques autrement plus sérieux. D’ailleurs, aujourd’hui, une société qui compte une majorité de jeunes est plutôt une société pauvre, quand une société dont le nombre de personnes de plus de soixante ans grandit signifie qu’elle est une société riche dont les richesses allouées à ces dernières témoignent qu’elles existent en grand nombre.
La répartition reposant sur la logique du revenu différé est donc ce qui est valorisé au travers du modèle de l’« inkomstpension » propre au « modèle suédois » tant vanté par les « réformateurs » tel l’économiste de « gauche » Thomas Piketty. Si on parle de revenu différé, on se situe dans le registre de l’épargne, et par conséquent de la propriété lucrative. Dans cette optique, le revenu est l’équivalent de titres ouvrant à un droit de tirage sur la production de richesses converties monétairement. Quand on parle d’épargne, il n’y a rien de plus fallacieux, puisque la richesse est le produit du travail de la nation en temps réel, sans rien de différé ni d’épargné. L’épargne n’est rien d’autre qu’un droit lucratif de ponctionner de la valeur relative à la richesse annuelle produite à un moment donné. Le versant logique de la promotion idéologique de l’épargne, ce sont les attaques contre la mutualisation du salaire, avec le gel des cotisations patronales, la réduction de 15 points des prestations sociales plus généralement depuis vingt ans, et la déconnexion du travail avec le salaire auquel se substitue comme rémunération un revenu financé par l’impôt. Aujourd’hui, plus de la moitié des personnes qui liquident leur pension ne sont plus en emploi, mais au chômage, en invalidité ou inactifs, l’âge moyen de départ en retraite se situant davantage vers 59 ans qu’après 60 ans.
Comme 18 ans est l’âge de la majorité politique légale, 60 ans doit devenir l’âge de la consécration de cette majorité politique devenue également sociale, à l’opposé de la vision capitaliste selon laquelle les travailleurs assujettis à la valorisation du capital demeurent des mineurs sociaux dont n’est seulement reconnue qu’une capacité de gain pour consommer, et non de produire pour vivre émancipés.
Mieux, et plus radicalement encore, en s’inspirant du modèle proposé par le salaire continué, on peut également commencer à envisager de se passer de la dynamique financière et du crédit bancaire, et cela justement par le biais de la cotisation sociale. Si l’avènement social et historique des retraités, comme conquête salariale et établissement de la puissance d’autonomie du salariat, a permis de se passer des usuriers, l’avènement de la cotisation économique (envisagée par Bernard Friot en page 106), comme manière de financer sans épargne l’investissement, permettra de se passer tout autant du crédit bancaire, de la bourse et des investisseurs qui n’apportent rien si ce n’est qu’ils disposent (ou mettent à disposition) d’un droit à ponctionner, grâce à la propriété lucrative, une partie de la valeur monétaire existante. Collectée dans des caisses d’investissement qui financeraient sans taux d’intérêt des projets à haute valeur sociale adoptés après délibération politique, la cotisation économique prélevée sur la valeur ajoutée et affectée au salaire (de l’ordre de 35 % du salaire brut par exemple - quand les pensions nécessitent 25 % de ce salaire brut) induira en toute logique la fin de l’accumulation privée du capital.
C’est la cotisation qui abolira la propriété lucrative en redonnant toute sa force à la propriété d’usage (comprenant l’outil de production), qui créera de l’emploi en vertu de la promotion de la propriété d’usage contre l’échange marchand, et qui rendra caduque la propriété lucrative qui est au fondement de l’empire capitaliste. Il y aurait là comme un début très concret de ce que d’aucun ose cantonner dans l’utopie irréalisable, et que nous osons appeler du nom de communisme libertaire…
Dans la conclusion de sa passionnante analyse (pp. 159-171), Bernard Friot ramasse tout son propos en présentant, sous forme de synthèse, les sept points qui représentent autant de propositions politiques pour à la fois comprendre la puissance émancipatrice de la retraite comme travail libre rémunéré par du salaire continué, et à la fois approfondir politiquement une puissance sociale qui nous permettrait d’en finir avec la destructivité propre au système capitaliste.
1/ Alors que le capitalisme représente une forme d’organisation de la production qui lui donne une valeur par le temps de travail moyen nécessaire à son existence, travail abstrait permettant l’échange et la mesure de toutes les marchandises, et signifiant l’expropriation et la dépossession des travailleurs de leurs capacités librement créatrices au profit de la rémunération des capitalistes, les retraités dotés de l’assurance d’un salaire à vie incarnent le bonheur d’un travail libéré du joug de la valorisation du capital.
2/ Existent deux formes contradictoires de régimes de pension en répartition, le régime salarial et le régime de prévoyance, les « réformateurs » travaillant à rabattre le premier régime sur le second. Alors que le premier régime considère la pension comme continuation du salaire reposant sur la reconnaissance de la qualification professionnelle, et posant les salariés comme des personnes en capacité de produire, le second régime considère la pension comme du revenu différé, c’est-à-dire un pouvoir d’achat garanti dont jouissent des individus posés comme des employables (distingués des pauvres assistés) dotés d’une capacité de gain afin de prévoir lorsque l’heure de l’inactivité aura sonné.
3/ Ce qu’il faut récuser en matière de retraite : la stabilité, voire le recul du taux de cotisation ; l’indexation sur les prix des salaires ; l’inscription des cotisations dans des comptes notionnels ; le déplacement selon la norme de la « neutralité actuarielle individuelle » du taux de remplacement vers le taux de rendement ; la distinction entre la part contributive et la part non contributive de la pension ; la CSG et le fonds de solidarité vieillesse : l’abandon de l’âge légal et l’allongement de la durée de cotisation ; les décotes, les surcotes et la remise en cause des bonifications (pour enfants) ; l’épargne salariale et les fonds de pension…
4/ Ce qu’il faut proposer en matière de retraite : promouvoir la pension comme salaire continué dans les régimes actuels ; pas de pensions inférieures au SMIC ; indexation des pensions sur les salaires ; augmentation annuelle du taux de cotisation sociale patronale et salariale ; calcul de la pension nette sur la base de 100 % du meilleur salaire net pour une carrière complète de 150 trimestres validés ; liquidation sans décote de la retraite à 60 ans (ou le jour de la cessation d’activité s’il est postérieur ou antérieur à 60 ans pour les travaux pénibles) ; pousser à une politique de soutien de la qualification personnelle des retraités dans les sphères publique et privée ; soutenir leurs réseaux de pairs, leur donner des institutions représentatives, et financer leurs projets…
5/ Une revendication unitaire : la qualification personnelle universelle, comme nouveau support de droits collectifs ; l’attestation (non scolaire) de la maîtrise d’un ensemble de capacités transversales à plusieurs métiers relevant des conventions collectives existantes ; un niveau de salaire correspondant au niveau des capacités reconnues, avec une hiérarchie de qualifications de 1 à 4 pour une échelle des salaires de 1 à 5 allant de 2.000 à 10.000 euros nets…
6/ La monnaie et l’investissement doivent devenir d’autres institutions relevant de la puissance du salariat. Comme la monnaie n’est créée qu’à l’occasion du prix attribué aux marchandises par le jeu des anticipations de ce prix par les banques, la monnaie mesurant la valeur de la richesse créée par les retraités transite par ces marchandises. C’est-à-dire qu’un flux monétaire passe des titulaires d’emploi du secteur capitaliste vers les pensionnés à travers la cotisation vieillesse. Il ne s’agit pas d’un transfert de valeur, puisque ce sont bien les retraités qui produisent les richesses auxquelles est attribuée la valeur correspondant à leur qualification. Est donc envisageable une création monétaire, qui est toujours anticipation de ce qui va être produit, mais qui anticiperait cette fois-ci le produit du travail en l’évaluant par le truchement des qualifications et non pas des marchandises, et qui ainsi serait mise au service du travail émancipé. Quant à la propriété lucrative, qui n’est rien d’autre que le droit de ponctionner de la valeur sur la valeur de la production existante, et dont profitent investisseurs, spéculateurs et banquier de tous bords, elle serait abolie au profit d’une cotisation économique prélevée sur la valeur ajoutée, collectée par des caisses qui financerait l’investissement productif et social sans taux d’intérêt, et qui rendrait en conséquence inutile et obsolète l’accumulation privée du capital.
7/ Faire advenir le salariat, en acte et non plus seulement en puissance. Avec la pension comme salaire continué qui démontre que nous pouvons produire libérés du joug du marché du travail, des employeurs et des emplois, de la marchandise et de la valeur travail, des investisseurs, de la bourse et des banquiers, nous pouvons libérer la création monétaire du carcan des marchandises en la fondant sur la qualification personnelle des salariés.
L’avenir des retraités, c’est l’avenir du salariat en son entier si son souci demeure bel et bien son émancipation hors du joug du capitalisme.
Lire aussi : http://libertaires93.over-blog.com/article-33154425.html
20 avril 2010