texte tiré de : http://www.alternativelibertaire.org/?Une-machine-de-guerre-capitaliste
Un décret du 16 novembre permet désormais de licencier les fonctionnaires d’État qui refuseraient trois offres d’emplois. Il accomplit ainsi l’intégration des salarié-e-s du public
dans la gestion capitaliste du marché de l’emploi.
Le décret sur « la réorientation professionnelle » intervient dans le cadre de la loi sur la « mobilité des fonctionnaires » du 6 août 2009. Qu’institue le texte ? Un fonctionnaire « dont l’emploi est susceptible d’être supprimé, en cas de restructuration d’une administration de l’Etat ou de l’un de ses établissement publics […] peut être placé en situation de réorientation professionnelle, en l’absence de possibilité de réaffectation sur un emploi correspondant à son grade ». Dans le cas où il refuse trois offres d’emplois, il s’expose alors à être mis en disponibilité (en clair : sans rémunération, ni affectation, ni indemnité chômage) pour une durée indéterminée. Une réintégration peut intervenir à sa demande, mais s’il refuse à nouveau trois postes, il peut être licencié ou admis à la retraite d’office.
Eric Woerth a jugé ce décret « profondément normal ». Car si, pour la 3e fois, « la personne refuse, c’est qu’au fond, elle n’a plus envie de travailler dans l’administration ». Les syndicats décrient ce texte parce qu’il risque d’affecter les qualités de neutralité des fonctionnaires. Mais la situation est bien plus grave. Un premier indice en a été l’incorporation en 2007 du portefeuille de la fonction publique à celui du budget, signe de l’incorporation des normes de la rentabilité capitaliste dans l’État.
C’est aussi la Loi organique relative aux lois de finance du gouvernement Jospin, qui a introduit en 2001 la performance et son évaluation dans la gestion de l’État, ainsi que la RGPP (révision générale des politiques publiques) en 2007 qui vise à limiter les dépenses publiques. La mobilité des fonctionnaires résulte ainsi d’une politique néolibérale de « compression du périmètre de l’État », mise en œuvre non pour abolir l’État, mais pour le restructurer dans le sens capitaliste du marché concurrentiel [1]. Au nom de la modernité, les « réformateurs » veulent réduire le champ des services publics et le statut de la fonction publique. Pour preuve : entre 2007 et 2010, 100 000 postes de fonctionnaires supprimés.
Un cheval de Troie : l’emploi contre le grade
Pour les fonctionnaires, il s’agit d’une vraie régression visant à les transformer en employé-e-s. Un fonctionnaire d’État est effectivement un agent dégagé des obligations capitalistes du marché de l’emploi, précisément car il ou elle n’a pas d’employeur, contrairement aux fonctionnaires des collectivités territoriales, employé-e-s par les élus, qui peuvent aussi être licencié-e-s s’ils refusent trois emplois. Un ou une fonctionnaire titulaire de son grade est reconnu-e pour ses qualifications, quand ce sont à l’inverse les postes qui sont qualifiés dans le privé. Et le salaire à vie qui le rémunère vaut comme reconnaissance salariale de son grade. Les représentants des intérêts du capital dans l’Etat disposent alors de deux cibles logiquement privilégiées : les fonctionnaires et les retraité-e-s . Parce qu’ils et elles sont des salarié-e-s à vie reconnu-e-s pour leurs qualifications, et qu’ils échappent au marché de l’emploi et à la domination des employeurs, ils préfigurent une émancipation révolutionnaire du salariat que doivent accomplir les libertaires.
Un tel décret, à un tel moment, aurait été explosif avant 2007. Cette marche forcée est la force, mais aussi la plus grande faiblesse du pouvoir. Son modèle est celui de Reagan ou Thatcher mettant à genoux les classes populaires en brisant les mobilisations au début des années 1980. Toutefois, la conjonction entre la casse sociale menée à un train d’enfer et les politiques d’austérité reportant sur les peuples les conséquences de la crise financière peut tout aussi bien catalyser un renouveau de la lutte des classes.
Écrire commentaire