Parmi les derniers coups bas de la présidence Sarkozy destinés aux classes populaires, la « TVA sociale » et les accords de compétitivité, annoncés dans la foulée du sommet (anti)sociale du 18 janvier et à l’occasion de l’information télévisuelle du 29 janvier, dernier figurent parmi les pires régressions économiques et sociales mises en œuvre par le pouvoir. Un pouvoir qui n’aura en définitive jamais fait autre chose que servir les intérêts très particuliers d’un tout petit groupe social (la grande bourgeoisie et le patronat) en les faisant passer pour l’intérêt général.
En quoi consiste cette « TVA sociale » longtemps défendu par Jean-Louis Borloo, et qui est dans les cartons du sarkozysme depuis 2007 ? Il s’agit, dans la langue du pouvoir, de « réduire les charges sociales qui grèvent la compétitivité nationale » en faisant « supporter une partie du coût des dépenses sociales par la consommation ». Certains, comme Copé, y verrait même une disposition anti-délocalisation favorable aux salariés français, prétextant la hausse de 3 % de la TVA en Allemagne qui aurait permis d’assurer à ce pays d’être le moteur économique de la zone euro. Dans le rétroviseur, l’alignement des taux de TVA dans l’Union européenne (le plafond a été fixé à 25 %).
Le problème de ladite « TVA sociale » (qui serait normalement augmentée d’1.6 en octobre prochain) est au moins triple. Sur le plan strictement économique, cette mesure est forcément inflationniste puisqu’elle elle va encourager la hausse des prix des produits fabriqués et vendues par des entreprises industrielles et commerciales qui n’ont pas vraiment l’habitude de réduire leur marge financière à l’époque actuelle de la domination du régime actionnarial. Retraduite sur le plan social, cette mesure va faire peser sur les ménages le coût d’un dispositif présenté comme un jeu à somme nulle (un transfert de financement de l’emploi à la consommation). Ce qui va davantage déprimer la consommation (surtout pour les ménages les moins susceptibles d’épargner), et encourager mécaniquement la spirale de la récession.
D’autre part, la « TVA sociale » parachève une politique initiée en 1993 d’exonération continuelle de cotisations sociales que les patrons doivent aux travailleurs dont ils exploitent la force de travail. Que cette décision est scandaleuse, celle qui demande à tous les consommateurs, sans distinction de position sociale, de payer aux salariés (qu’ils sont dans la majeure partie des cas) la part collective et socialisée de leur salaire que tous les idéologues patentés continuent de nommer insidieusement « charges ». La somme annuelle de ces « allègements » ou « subventions » monte aujourd’hui à 30 milliards d’euros. Autant de ressources qui manquent pour abonder les caisses de la sécurité sociale (santé et vieillesse), comme celles de l’ancienne ASSEDIC (Pôle Emploi). Quand on sait que la préconisation du MEDEF est de transférer sur le dos de ces moutons de consommateurs et de contribuables 80 % du total des cotisations sociales, le chemin (qui serait un retour, une régression) est moins long du salariat au servage, voire à l’esclavage.
Enfin, le dernier élément de compréhension du caractère infâme d’une telle initiative consiste à fiscaliser toujours davantage (après la CSG de Rocard et la CRDS de Juppé) la protection sociale qui ne peut dés lors pas être considérée comme une richesse pour des dominants. Eux qui ne l’envisagent que comme une dépense dont le coût censément exorbitant est de moins en moins supporter par ses principaux protagonistes en économie capitaliste, autrement dit le pouvoir patronal et actionnarial. Bien évidemment, cette fiscalisation ne relève pas de l’impôt progressif (come l’impôt sur les revenus ou les sociétés, jamais aussi bas que depuis la présidence Sarkozy), mais d’une forme d’imposition dite « proportionnelle ». Aveugle aux inégalités de revenus, elle est assise sur le prix à la consommation (ce qui signifie que les ménages les plus aisés, ceux qui peuvent épargner, y échappent en pourcentage plus que les ménages les moins riches : cf. les inégalités sociales sont aussi des inégalités fiscales).
Quand on rappelle enfin que la TVA permet aujourd’hui d’engranger la moitié des recettes fiscales de ce pays afin de ménager les hauts revenus consécutivement poussés vers l’épargne spéculative, on se dit que Sarkozy, jusqu’au bout, n’aura jamais dérogé ni cédé sur le mandat que sa classe d’appartenance lui a donné pour satisfaire ses intérêts et sa manière à elle de faire jouer à son bénéfice la lutte des classes. Et les « accords de compétitivité » enfoncent violemment le clou de cette servile application idéologique.
Un cabinet intimement lié au MEDEF, COE-REXECODE, avait déjà annoncé la couleur en pondant un rapport comparatif entre la France et l’Allemagne afin de proposer des orientations, pour ne pas dire des prescriptions concernant la compétitivité nationale. Le rapport justifie évidemment les attaques contre la retraite par répartition, les 35 heures, ou encore la fiscalité du patrimoine. Et il préconise tout aussi logiquement une baisse drastique des cotisations sociales dites « patronales ». Les pertes de recettes pour la Sécurité sociale seraient en ce cas compensées par les salariés sous la forme de la « TVA sociale » dont nous venons de parler. On le voit, l’offensive est concertée et stratégique : « business as usual ». Tourner la page des 35 heures pour Sarkozy consistera dès lors à « décider d’un délai de travail, décider de privilégier l’emploi sur le salaire ou le salaire sur l’emploi (…) si une majorité de salariés se met d’accord dans une entreprise ». Aujourd’hui, il faut l’accord individuel des salariés lorsqu’il s’agit de changer le temps de travail d’une usine menacée de fermeture. On l’a vu avec l’usine Continental de Clairoix en 2007 où les salariés avaient accepté de passer aux 40 heures pour empêcher la fermeture de l’entreprise, malgré tout actée en 2009.
Le dispositif sarkozyste veut donc autoriser les accords entre le patronat et les syndicats à partir du moment où ceux-ci décident ensemble que la sauvegarde de l’emploi se retraduira par le fait de baisser les salaires ou bien de travailler plus ou moins en fonction de la situation économique de l’entreprise. Le calendrier décrété par Sarkozy est extrêmement court : deux mois. Deux mois pour engager des négociations entre les « partenaires sociaux » qui dialoguent moins en égaux qu’ils sont engagés dans un rapport de force qui n’est pas vraiment favorable aujourd’hui aux salariés et à leurs représentants syndicaux. Surtout, deux mois pour décider que les accords d’entreprise seront plus importants que les accords conventionnels par branche, et pourquoi pas plus importants que le code du travail. Soit tout le contraire des conquis sociaux arrachés de haute lutte par le mouvement ouvrier depuis quasiment deux siècles ! Tout le contraire de l’histoire du droit social dans ce pays ! Faire sauter le verrou de la loi qui peut garantir une relative neutralisation des rapports de force dans l’espace de l’entreprise, c’est renforcer son caractère privé et revenir à la situation sociale antérieure où le patron est le maître sans discussion des travailleurs qu’il soumet pour en exploiter la force de travail.
TVA (anti)sociale et accords de compétitivité anti-Code du travail : Sarkozy, élu par une partie hélas non-négligeable des classes populaires, aura surtout bien bossé pour la grande bourgeoisie et le patronat. Il n’y a rien à redire : le bonhomme n'aura pas démérité. Et si le tour de passe-passe est opéré par le truchement de l’Etat (censément garant de l’intérêt général), et ce au nom de la valorisation de son recul hors de l’entreprise, la réponse des syndicats, du salariat et du mouvement social doit être la hauteur d’enjeux qui manifestent que la lutte des classes menée par nous signifie définitivement la civilisation quand, gagnée par ceux que nous combattons, elle signifie la régression. Littéralement, la « décivilisation ».
02 février 2012
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