Dans la préface du livre de l’économiste Rachel Silvera, Un quart en moins, Michèle Perrot, historienne et féministe, rappelle que les femmes n'ont pu percevoir directement leur salaire qu'à partir d'une loi promulguée en 1907. Considérées alors comme des mineures, des criminelles et même des « débiles mentaux » dans le Code Napoléon de 1804, les femmes n'avaient alors aucun droit juridique. Il faudra attendre la promulgation de lois successives pour que leur situation s'améliore mais l'égalité est un combat encore loin d'être achevé. Les préjudices salariaux causés aux femmes lors des jugements prud’homaux se comptent en milliers d'euros et toutes les années ne sont même pas prises en compte. Le travail, bien qu'incontestablement émancipateur, est donc aussi le vecteur de nombreuses inégalités. Elles peuvent d'être d'ordre racial, syndical (des carrières de syndiquées se retrouvent bloquées) mais donc aussi de genre ou de sexe. Il est intéressant de comprendre que les discriminations liées à cette dernière catégorie sont souvent les plus difficiles à détecter : une femme syndiquée peut par exemple penser à une discrimination lié à son organisme d'appartenance et non à son sexe.
Michèle Perrot nous rappelle aussi que les femmes gagnent en moyenne 27% de moins que les hommes. Les hommes produiraient-ils donc sur le marché du travail plus de valeur que les femmes ? Celles-ci ne remettent pas toujours en cause cette vision sexiste des choses mais petit à petit, et grâce à certains facteurs comme l’action de certaines organisations collectives comme les associations, les partis politiques et les syndicats, elles prennent conscience de leurs droits, se mettent en lutte contre les injustices en (re)devenant par la même occasion des sujets de droits.
L'idéal égalitaire,
le réel des inégalités
Dans son introduction, Rachel Silvera affirme que l'égalité salariale femmes/hommes est actuellement un consensus, qu’il soit politique ou syndical. Pourtant, le paradoxe est le suivant : malgré les nombreuses lois promulguées au cours du dernier siècle, les écarts ne diminuent que faiblement du fait de leur très faible mise en pratique. Par exemple, plus de 80% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes ne bénéficiant donc qu'un salaire partiel et qu'une carrière du même ordre. Il faut comprendre que, loin d'être une demande de la part de celles-ci, c'est la résultante d'une offre dans les emplois dits « féminisés » qui regroupent notamment les services d'aide à la personne (le care). Le machisme a longtemps dominé le monde du travail et continue à être dominant, même si quelques améliorations sont à constater. Les femmes ont toujours travaillé mais ne devaient pas percevoir de salaire (pour les femmes d'agriculteurs ou de commerçants travaillant avec leur mari) ou alors sous la forme d’un minimum dit « d'appoint ». En effet, les hommes (le patriarche, puis le mari) sont les seules personnes autorisées à percevoir un salaire complet (le « salaire masculin » caractéristique du capitalisme d'après guerre et décrit par une féministe socialiste comme Nancy Fraser) pour subvenir d'une part aux besoins de la famille, mais aussi pour contribuer d’autre part à leurs propres dépenses.
C'est bien connu, une femme aurait moins de besoins (nutritifs) ou alors ils seraient facultatifs, contrairement à l'alcool ou le tabac prisés par les hommes. Les femmes mariées (seul statut reconnu) doivent s’occuper dans un premier temps de leurs enfants et à la rigueur (mais en dernier recours) trouver un travail pour pouvoir « mettre du beurre dans les épinards » en participant seulement à améliorer le quotidien. Cet état des choses était bien entendu confirmé par les juristes et économistes de l'époque : c'est au mari d'assurer financièrement la viabilité de l’économie domestique et non à son épouse.
Les femmes célibataires ou veuves n'ont dès lors plus qu'à se trouver un homme pour les entretenir. Les employeurs pouvaient en effet poser la question suivante : « avez-vous quelqu'un pour vous soutenir ? » sans prendre en compte la situation des femmes seules avec des enfants. Un salaire d'appoint leur conviendra aussi. Leur statut physique est aussi un critère de justification de la différence des salaires : les femmes étant moins fortes physiquement, elles seraient donc moins rentables mais aussi trop émotives pour supporter les pressions. Les qualités masculines peuvent aussi devenir des défauts féminins (la compétitivité devient une tare quand c'est une femme qui l'éprouve). Les écarts de salaire sont aussi expliqués par le fait que les femmes sont considérées comme des futures mères en puissance, même celles qui n'en expriment pas l'envie. Les employeurs « craignent » alors l’absentéisme, la baisse de productivité mais aussi s’effraient que celles-ci privilégient leur vie de famille à leur carrière. La maternité semble un passage obligé dans la vie d’une femme au nom duquel on justifie la minorisation dans la sphère professionnelle.
La philosophie et le syndicalisme, des obstacles à l'égalité
Des grands noms de la philosophie se sont bien entendu pencher sur la question du travail des femmes. Joseph Proudhon rejette en bloc le travail salarié des femmes prétextant la nécessité pour elles de rester à la maison afin d’élever les enfants (position peu contestée par Friedrich Engels qui croit aussi en l'incompatibilité entre le travail salarié et la vie de famille). Même les idées de Karl Marx restent ambiguës : pour lui, les femmes aussi sont exploitées mais à aucun moment il ne fait allusion à une quelconque indépendance par le salaire, considérant encore les femmes comme des éternelles mineures. Le philosophe étasunien John Stuart Mill prône certes l'indépendance des femmes, mais approuve en même temps les variations de salaire sur un même travail selon le statut du salarié, jusqu'à affirmer qu'en se mariant, une femme doit renoncer au travail ou se contenter d'un salaire d'appoint. Tous ces penseurs masculins qui se veulent des théoriciens du progrès convergeraient cependant pour que les femmes se marient et se mettent sous la tutelle et la dépendance d'un homme.
Le monde de la philosophie n'est pas le seul obstacle aux luttes égalitaires : les syndicats peuvent aussi contrer les revendications féminines. Les femmes seraient des concurrentes dépourvues de consciences collectives. Il faudra alors du temps pour que les mentalités changent : Madeleine Guilbert dénombre ainsi entre 1890 et 1908 51 grèves d'hommes contre le travail des femmes. Il faut attendre la Première Guerre mondiale pour qu'un changement s'effectue. Comme les maris partent au front et qu'il faut bien gagner sa vie, les usines d'armement sont ouvertes aux femmes. Leur salaire est doublé, elles gagnent ainsi une reconnaissance mais aussi un statut plus important. Seulement, comme la main d’œuvre féminine s'accroît, les patrons en profitent pour faire chuter les salaires. Comme les femmes seraient naturellement plus aptes en vertu de leur docilité et de la précision de leurs mains au travail à la chaîne, les cadences et la production sont plus importantes pour des salaires moindres. Les hommes qui travaillent sur ces postes au même moment ont alors peur que leur salaire ne finisse par être abaissé en étant aligné sur celui des femmes. Les syndicats majoritaires prennent du coup des positions différentes : l'égalité salariale pouvant dissuader les patrons d'embaucher les femmes, leur travail servirait la cause des patrons pour casser celui des hommes en même temps qu’il constituerait un manquement au devoir de maternité (les femmes doivent être mobilisées pour repeupler la France suite aux pertes causées par la guerre). Le retour au foyer des femmes résoudrait ainsi le chômage et stopperait la dégradation de la vie familiale, toutes idées largement reprises par le gouvernement de Vichy à partir de 1940.
Le travail partiel,
l'équivalent actuel de l'ancien salaire d'appoint
Aujourd'hui, le travail à temps partiel est équivalent à une forme de salaire d'appoint. Aucune compensation financière n'est donnée alors que la nécessité peut se faire sentir notamment pour les femmes célibataires ou veuves avec ou sans enfants. Si les calculs officiels démontrent qu'il n'existe que peu de travailleuses pauvres alors qu'elles ont en majorité le salaire le plus bas, c'est que le revenu pris en compte est celui de la famille et non de chaque individu. Il est donc important de ne pas étudier un instant T, une photographie figée d'une situation salariale entre les femmes et les hommes, mais bien l'évolution sur plusieurs années du rapport salarial dans la perspective historique de l’égalisation des rapports de sexes.
Les carrières masculines sont plus importantes que leurs pendants féminins, notamment en raison de la grande instabilité de ces dernières. Les employeurs affirment que la différence de salaire n'est qu'une étape et qu'avec l'ancienneté accumulée, l'employée pourra arriver à réduire l'écart. Si la chose est partiellement vraie, c'est qu'il existe à côté du salaire fixe un système de primes pouvant être attribuées avec des critères beaucoup plus subjectifs que les grilles salariales de bases. On doit également souligner que les emplois considérés comme secondaires (autrement dit occupés par la majorité par les femmes) sont détruits en premier lors de périodes de crise. Les emplois dits féminins, qui ne laissent que très peu de traces visibles et palpables dans le long terme (immatérialité du travail) contrairement aux hommes, ne sont donc que faiblement reconnus. La rémunération est aussi moins importante car ces emplois demandent aux femmes des qualités considérées comme allant de soi, naturelles, et donc ne relevant pas d’une formation qualifiante.
Comment mettre à jour de manière objective ces discriminations ? C'est pour combattre cette injustice que la Méthode Clerc a été mise en place. Il faut étudier le parcours de plusieurs hommes et femmes ayant les mêmes diplômes et ayant exactement la même ancienneté. Une moyenne est effectuée. Un rattrapage de carrière peut être décidé par un tribunal prud’homal grâce à ce dispositif. Certaines mesures doivent et ou sont déjà prises pour limiter les différences de salaire entre une femme et son conjoint. Elles concernent l'implication des pères dans les congés parentaux reconnus comme du temps de travail à l'instar du service militaire pour les hommes. Mais il faudra aussi mettre en place des structures adaptées pour l'accueil des enfants lorsque les deux parents travaillent.
L'égalité salariale femmes/hommes fait donc consensus sans être réalisée. C’est bien pour cela que cette lutte doit être une priorité syndicale et gouvernementale et doit susciter des négociations rigoureuses avec les entreprises pour une meilleure prise en charge de cette question. La Méthode Clerc peut être un instrument mais elle n'est pas encore mise en place aisément. Les femmes doivent également se défaire des préjugés qu'elles ont intériorisés et se battre pour obtenir les mêmes droits que les hommes afin que toutes et tous ensemble elles et ils se battent pour gagner plus dans le cadre d'un partage égalitaire du temps de travail. Les syndicats ont alors plutôt intérêt à généraliser les actions et non les individualiser en catégories afin de leur donner plus de poids. L'indifférence des sexes exprime ainsi à travail égal l'égalité salariale. Les hommes ne seront pas perdants, quoi qu’ils croient : de nouvelles perspectives leur seront ouvertes, comme la possibilité d'accéder à des postes dits « féminins » qui ne leur étaient jusqu’alors pas proposés.
15 juillet 2014
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