Personne n'a jamais dit que lire était facile. Lire c'est faire accueil à la voix silencieuse d'un autre, c'est donner abri au démon de la langue que l'on parle moins qu'elle nous parle de l'intérieur. On consent alors à l'emprise nécessaire à la déprise. Un écrivain est une sirène. Lire déplace l'autre au dedans de soi, divague, déporte – c'est un débord.
L'œuvre d'Albert Camus aura laissé bien peu d'espace au cinéma, largement cantonné à la place du mauvais objet, la distraction des masses à laquelle s'oppose la littérature comme expérience de retrait nécessaire à penser la nouveauté de l'époque et sa fameuse absurdité. Aveugle à l'invention cinématographique, Albert Camus n'a pas saisi l'absurdité d'une position congruente avec une surdité à l'indépendance algérienne.
La générosité existe, une pièce de théâtre en atteste, l'une des plus belles qui soient. Abdelkader Alloula est l'auteur d'El Ajouad, Les Généreux, l'un des textes les plus importants de la littérature algérienne. Mise en scène au Théâtre-Studio d'Alfortville par le collectif GENA et la compagnie Istijmam, la pièce d'Abdelkader Alloula y brille d'une générosité restaurant au spectateur tout un trésor de vertus populaires, plus que jamais nécessaires. On y voit à l'œuvre le secret impératif des gens, qui est de vivre en immortel, tout simplement.
L'hospitalité et l'adoption entretiennent des affinités profondes que Marie José Mondzain explorent et déplient avec le sens du tact, de la tresse et de la caresse qui la caractérise. L'hospitalité est d'adoption ressaisie dans le champ de sa plus grande extension, en excès de la sphère familiale où elle est couramment réduite. Accueillir celui qui vient, l'enfant tout comme le migrant, c'est l'adopter et l'adoption invite à refonder radicalement le régime de la filiation. La « philiation » ainsi reposée, qui s'écrit entre autres avec les figures d'Ulysse et de Raimondakis, d'Antigone et de Bartleby, dit alors que « naître biologiquement ne suffit pas. Encore faut-il être adopté ».
L'incendiaire, écrivait Gaston Bachelard, serait selon lui le plus dissimulé des criminels. Dans sa dissimulation même, l'incendiaire serait-il alors comme le double caché de Prométhée, le démon du titan qui a volé le feu aux dieux pour en faire le don émancipateur à l'humanité ?