Tout le monde connaît la ritournelle éreintante du « trou de la sécu ». Eh bien, elle est de retour depuis hier. « Le poids de la crise pèse sur les comptes de la "Sécu". Le déficit du régime général devrait ainsi progresser jusqu'à 30,6 milliards d'euros en 2010, après avoir atteint 23,5 milliards en 2009, a annoncé le ministre du Budget Eric Woerth lors de la présentation du le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) jeudi à Bercy. En 2008, le déficit était de 10,2 milliards d'euros. Le doublement de ce chiffre depuis l'an dernier est "la conséquence stricte et totale de la crise économique", a expliqué M. Woerth, précisant que l'effondrement des recettes s'expliquait par la baisse de 2% de la masse salariale cette année, et par la diminution de 20% des revenus du capital » (dépêche Associated Press, jeudi 01 octobre, 19h38). On connaît le refrain, et on va comme d’habitude y répondre avec les couplets habituels !
Les arguments sont toujours les mêmes : c’est pourquoi l’opuscule de Julien Duval, Le Mythe du « trou de la sécu » (éd. Raisons d’agir, 2007), peut être d’une grande
utilité pour encore une fois passer au crible l’éternelle litanie idéologique qui vise à effrayer la populace et discréditer les dispositifs de protection sociale qui lui permettent pourtant de
résister aux assauts du grand capital. La « charge » économique que représenterait la protection sociale, en alourdissant le « coût » du travail, et en nuisant à la bonne
compétitivité des entreprises engagées dans la concurrence internationale et l’ère du « risque », est cette réalité supposément objective à partir de laquelle devraient être redéfinies
les orientations structurelles de la sécurité sociale. A coup d'assurances privées, d'épargne spéculative et de « neutralité actuarielle » (si on vit plus longtemps, il serait normal de
percevoir moins : cette logique, qui est celle de la capitalisation et non celle de la répartition, considère que les cotisations versées reviennent à accumuler un capital réparti en pensions
mensuelles qui seront inférieures si elles doivent être distribuées plus longtemps).
On rappellera en premier lieu que la sécurité sociale n’est pas une entreprise capitaliste censée réaliser des profits, mais une institution publique assurant la cohésion sociale et protégeant la société salariale contre la maladie, les accidents de travail, et la vieillesse. Quant à imputer son déficit par rapport à des dépenses jugées « excessives », il faudrait plutôt dire qu’il est le résultat de ressources insuffisantes pour des besoins qui eux ne cessent d’augmenter. Et cette augmentation résulte d’une crise économique, comme le monde capitaliste en connaît systématiquement à peu près tous les trois ans, déterminée par un « régime de basse pression salariale » (Frédéric Lordon) qui a induit l’explosion spéculative de l’endettement, au risque de l’insolvabilité. Explosion payée trois fois par le monde salarial : la première fois quand il s’est endetté pour subvenir à ses besoins de consommation, la seconde fois quand, par le biais de l’impôt, les États volent au secours des banques ruinées afin de les renflouer, et la troisième fois quand les banques, échaudées par la fuite en avant spéculative et la perte faramineuse d’avoirs, décident de ne plus prêter aux entreprises qui en conséquence connaissent la banqueroute entraînant alors la destruction de centaines de milliers de postes de travail (comme on l’a vu cette année, notamment dans le secteur de l’automobile).
Résultat, la Sécurité sociale est privée d’un bon nombre de ses recettes. 100.000 chômeu-r-se-s qui retrouveraient un travail permettraient de débloquer 1 milliard d’euros. Multiplié par trente,
ce chiffre induirait la fin presque totale du chômage de masse et l’équilibre des dépenses sociales. Mais d’autres raisons existent qui expliquent la faiblesse des recettes. Ainsi l’État et de
nombreux employeurs ne versent pas la totalité des cotisations dues, et ces dettes grèvent les ressources de l’institution. Également, les mesures dites d’« exonération » ou d’«
allègement », consistant à réduire à partir de 1993 le volume des cotisations sociales payées par les entreprises sur les bas salaires, ont généré un manque à gagner pour le régime général à
hauteur de plus de trente milliards d’euros. Soit l’équivalent du fameux « trou ». Donc pas de problème. C’est dans les pays où les dépenses sociales sont les plus élevées que la
proportion de la population confrontée à la grande pauvreté est la plus faible. Parce que ces dépenses participent à réduire celle-ci en rendant un peu moins inégalitaire la répartition des
richesses disponibles. Il est donc scandaleux de désigner comme « privilégiées » des catégories de salarié-e-s confrontées à la fois à la dégradation de leurs conditions de travail
(chômage massif, pression à la baisse des salaires, développement des emplois précaires) et aux attaques libérales du gouvernement et du patronat concernant les dépenses sociales. Car ce qui est
attaqué, c’est la part socialisée du salaire qui accomplit la solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle des travailleu-r-se-s, par-delà les exigences de profitabilité du capital
financier.
Continuer à dé-rembourser les médicaments, augmenter le « ticket modérateur » prévu pour passer de 16 à 18 euros (là, c’est clair qu’il y aura modération puisque les pauvres n’iront
plus se faire soigner à l’hôpital !), et augmenter le taux de cotisations sociales versées par les salarié-e-s sont les solutions proposées par le gouvernement, avec le satisfecit
du patronat. Les classes populaires devraient de leur côté mettre en œuvre rapidement leur propre plan social : élargir, comme le préconise Bernard Friot, le champ de la cotisation sociale
jusqu’à y intégrer – pour le dissoudre – le capital ! Et la cotisation sociale créera l’emploi (éd. La Dispute, 1999) pour reprendre le titre d’un ouvrage de cet économiste :
parce que le capital n’est que du travail mort, extorqué et immobilisé pour réaliser de la plus-value, alors que le salaire (en tant que juste rémunération de la participation à la production des
richesses sociales et à leur égale répartition) est du travail vivant qui pourrait permettre de financer et couvrir tous les besoins sociaux, d’élargir, contre la consommation et la propriété
lucrative, le champ de la gratuité et de la propriété sociale, comme de libérer du temps hors de la sphère du travail socialement nécessaire ! Être payé-e à ne rien foutre (quand on est
malade ou victime d'accident, pire, vieux, ou pire encore, chômeu-r-se !) : la chose étrangle les capitalistes. Eh bien qu’ils s’étouffent !
La protection sociale :
on s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder !
02 octobre 2009