A l'école du capital

Comment lutter contre l’absentéisme scolaire ? Une idée géniale vient tout récemment de sortir du chapeau magique du gouvernement. Trois lycées professionnels de l’académie de Créteil vont expérimenter à partir de lundi 05 octobre la mise en place d’une « cagnotte collective par classe » pour lutter contre l’absentéisme, a indiqué un représentant du Haut commissaire à la Jeunesse. Deux classes de chacun des lycées — Lino-Ventura à Ozoir-la-Ferrière (Seine-et-Marne), Gabriel-Péri à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) et Alfred-Costes à Bobigny (Seine-Saint-Denis) — soit 150 élèves selon le rectorat, vont servir de « phase pilote» pour cette année scolaire 2009-2010 avant une éventuelle extension. Chaque classe disposera d’une cagnotte initiale de 2.000 euros, susceptible de « prospérer» au fur et à mesure de l’année si le « contrat» passé entre les élèves et les adultes référents en termes d’assiduité et de discipline est respecté.

 


La valorisation du capital et le contractualisme bourgeois : voilà deux bonnes façons d’assujettir le domaine scolaire et ses usagers praticiens aux logiques capitalistes de l’épargne et du contrat. Chômage de masse et multiplication des contrats précaires et des petits boulots qui délégitiment aux yeux des enfants des classes populaires le désir de faire des études longues. Dévalorisation autant du travail manuel et industriel que des filières auxquelles ne s’intéressent pas les décideurs (tels les arts, les lettres et les sciences humaines). Privatisation en cours des universités pour lesquelles la sélection sera encore plus accentuée. Renforcement des inégalités scolaires déterminé par la hausse des inégalités sociales. Contre-réforme libérale des lycées professionnels afin de livrer aux mains du patronat la main-d’œuvre la plus corvéable qui soit. Existence d’une violence symbolique qui, au nom de l’idéologie républicaine et méritocratique, est exercée par l’institution elle-même envers les jeunes les moins pourvus de capital culturel et les plus récalcitrants face à la promotion islamophobe et raciste de « l’identité nationale ». Au lieu de faire le constat de toutes ces causes structurelles qui participent objectivement à casser les investissements des jeunes pour l’école (l'absentéisme scolaire est aussi l'équivalent structural de l'absentéisme salarial décrit dans notre texte précédent : "La lutte continue ?"), et au lieu d’y remédier en obligeant à mettre un terme à la domination du capital sur la société, l’État propose au contraire de conformer davantage les dispositions individuelles aux discours contractualistes et utilitaristes pour lesquels le contrat doit se substituer à la loi, l’intérêt au don, le quantifiable à la qualité, et la valorisation du capital à la gratuité de l’acquisition des connaissances. C’est un recul de civilisation – encore un ! – qui manifeste l’intégration toujours plus grande de la société dans la logique du capitalisme.

 


Interrogé sur cette forme de motivation pécuniaire des élèves, le représentant du Haut commissaire a répondu: « On n’est pas dans une logique de cagnotte individuelle, ça s’inscrit dans un projet collectif de classe et pour que cela fonctionne il faut une solidarité du groupe ». Super la solidarité, alors qu’il ne s’agit ici que d’une misérable carotte proposée à la populace qui, on le sait bien, est aussi dévorée par la soif de l’or que les bourgeois qui l’oppriment. « Le projet qui pourra être financé à la fin de l’année doit être éducatif », a-t-on également précisé, comme par exemple « un voyage scolaire, la création d’entreprise ou d’association, une action sociale, l’aménagement de classe, l’achat de matériel informatique, sportif ou culturel ». Et pourquoi pas, tant qu’on y est, remplacer l’idée même de salaire socialisé et d’impôt progressif par la multiplication des « cagnottes », et ce dans tous les domaines de l’existence ? Les capitalistes y pensent sérieusement : « Ce serait trop cool ! Et on se ferait moins chier, non ? ». Ouais. Mais non.

 

 

 

2 octobre 2009


Commentaires: 0