Texte tiré de : http://www.alternativelibertaire.org/?Devoir-de-memoire-Repentance-ou
Passer au crible les notions de « devoir de mémoire » et de « repentance » qui occupent massivement le débat public, c’est envisager dans le sens politique de l’émancipation et de l’égalité les rapports complexes que le présent entretient avec le passé.
Le devoir de mémoire est cette politique institutionnelle menée par l’État dans un souci de pédagogie afin de conserver au présent les traces d’un passé de souffrances vécu par un groupe particulier.
Le constat avancé par la plupart des historiens qui ont travaillé sur cette question consiste à dire que les enjeux relatifs aux questions de mémoire ont connu un essor massif à partir de la fin des années 1970 et la reconnaissance étatique de la spécificité du judéocide nazi.
Or, le devoir de mémoire pose trois problèmes concrets. D’abord, le devoir est une notion juridiquement incertaine qui relève de l’impératif moral. Ensuite, se souvenir n’est pas en soi une garantie pour empêcher l’avènement de nouveaux crimes. Doit-on rappeler que les grandes dictatures et les partis fascistes mènent avec volontarisme leur propre politique de la mémoire ? Doit-on avancer l’exemple d’Israël qui a mené une véritable entreprise idéologique de sacralisation du judéocide nazi (appelé « Shoah », ce nom biblique signifiant catastrophe divine), et dont cet Etat se prévaut pour légitimer sur le plan international les pires exactions perpétrées envers le peuple palestinien [1] ?
Concurrence des victimes et guerre des mémoires
Cette politique institutionnelle est une politique d’État qui, en répondant positivement à coup de mémoriaux et de musées aux groupes d’intérêt qui font appel à lui, produit une sélection et une hiérarchisation délétère dont résultent tant « la concurrence des victimes » que « la guerre des mémoires » [2]. Avec, pour résultante, l’apparition d’idéologues réactifs, comme l’essayiste Pascal Bruckner ou l’historien Daniel Lefeuvre qui expliquent que l’État français n’a pas de compte à rendre face à la misère des peuples africains ou devant les individus d’ascendance migratoire et (post)coloniale. Leurs problèmes actuels ne seraient donc pas le produit de l’histoire de l’impérialisme français. [3]
Le droit de savoir plutôt que le devoir de mémoire
On préfèrera toujours au devoir, le droit (juridiquement plus circonscrit), et à la mémoire, le savoir, parce qu’on peut très bien se souvenir d’un fait passé sans pour autant l’avoir parfaitement compris. Du point de vue communiste et libertaire, le passé nous intéresse dans la mesure où il explique le présent, et la mémoire entretenue (entre autres des Communards aux marins de Cronstadt en passant par les Algériens du 17 octobre 1961 et les anarchistes de la guerre d’Espagne) ne vise qu’à rappeler la barbarie latente de la domination conjointe de l’État et du Capital.
Le droit plutôt que le devoir, la reconnaissance et le savoir plutôt que la seule mémoire : parce que l’histoire exige qu’on la prenne à rebrousse-poil afin de faire à nouveau entendre la parole oubliée des vaincus de l’histoire dont le combat pour l’émancipation n’est pas mort avec eux. Et parce que la mémoire représente aussi la participation des citoyens au débat sur l’histoire du pays dans lequel ils vivent, afin de savoir sur quels crimes repose l’édification de la société présente, et de poser la question politique de son avenir.
Écrire commentaire