Ça y est, c'est fait : le grand débat que nous attendions toutes et tous, nous qui sommes censé-e-s nous contrefoutre de la crise de l'accumulation du capital qui détruit des dizaines de milliers de postes de travail et jette à la rue des dizaines de travailleur-se-s, a enfin été impulsé par le servile Eric Besson. Vous savez, celui qui a troqué son poste de conseiller de Ségolène Royal pour celui de ministre sarkozyste et, ce faisant, a démontré tranquillement que la différence idéologique entre le PS et l'UMP n'était pas plus dense qu'une feuille de papier à cigarette. L'identité nationale, vous la kiffez ? Si c'est oui, ne vous abstenez pas de le dire sur le portail électronique mis en place à cette occasion par le ministère de l'immigration et de l'identité nationale, qui ainsi se fera le plus grand plaisir de relayer votre opinion rejoignant ainsi celle des tenanciers des cafés du commerce de France et de Navarre. Preuve, si l'on en avait encore besoin, que le Front National, loin de poser les bonnes questions comme l'a dit un jour Laurent Fabius, aura exposé les piteuses problématiques qui auront orienté le débat politicien des 30 dernières années. A nous de déconstruire ce leurre idéologique qui ne saurait pourtant se réduire à n'être qu'un faux problème à écarter d'un simple revers de la main, parce qu'il révèle le sens profond des orientations privilégiées par l’État Sarkozy.
En premier lieu, on fera remarquer qu'il semble aller de soi que le ministère de l'identité nationale soit également celui qui s'acharne à refuser de délivrer les documents administratifs permettant aux travailleur-se-s migrant-e-s d'être en règle avec la loi. Ce ministère représente ainsi la machine d’État qui fabrique, à chaque nouvelle réadaptation du corps de textes législatifs régissant le mode d'entrée et de séjour des immigrés en France, de nouvelles classes d'irréguliers qu'elle stigmatise, et qui dans le même mouvement appelle au sursaut de la nation afin de réfléchir à son identité supposément menacée par les irréguliers que l’État produit justement à la chaîne. Selon ce partage qui veut que le ministère de l'intérieur prenne en charge le délivrement des cartes d'identité individuelles, et que le ministère de l'immigration s'occupe de la carte d'identité nationale, on aura bien compris que la règle aujourd'hui est au fichage généralisé des individus et des peuples, selon qu'ils soient répertoriés comme des nationaux ou des étrangers, comme des inclus ou des exclus. Cette division étatico-juridique entre ces deux groupes devant servir à contrôler et fliquer les individus et les peuples, ainsi qu'à casser les solidarités entre celles et ceux dont le seul intérêt commun objectif est la fin de la domination étatique et l'abolition des chaînes capitalistes auxquelles elles et ils sont ensemble assujetties. De la même façon que l'abolition du salariat ne se fera qu'à la condition que tout le monde soit salarié, l'abolition des cartes administratives ne se produira que le jour où une seule et même protection juridique couvrira tout le monde. A bas tous les encartements !
L'identité nationale est ce mythe ainsi employé afin de dissoudre la conscience d'appartenir à une seule et même classe, celle des prolétaires qui n'ont que leur force de travail à louer, qui n'ont que leur vie à défendre, et qui n'ont que leurs chaînes à perdre. Ce grand commun diviseur que serait l'identité nationale, séparant les inclus de la nation aux exclus de celle-ci, est bien le meilleur moyen pour faire oublier l'essentiel : les aberrations d'un capitalisme décomplexé qui n'ignore pas que la machine à profit ne peut tourner qu'à la double condition de licencier des milliers de salarié-e-s en précarisant, mettant en concurrence et surexploitant celles et ceux qui ont encore la chance de conserver leur emploi. Mais, nous avance-t-on doctement, comme s'il s'agissait là de l'argument ultime : les travailleurs étrangers, et d'autant plus quand ils sont irréguliers, parce qu'ils sont sous-payés, entraînent à la baisse l'ensemble de la masse salariale. Comme si ces travailleurs disposaient d'un tel pouvoir de décision ! Mais qui décide de la baisse tendancielle des salaires par rapport aux prix, si ce n'est la classe capitaliste elle-même, patronat ou gouvernement dont le seul intérêt est la division affaiblissant la puissance contestataire des dominés ? Franchement, à part Eric Zemmour et quelques autres idéologues, qui peut bien être intéressé par un débat de ce type, si ce n'est une minorité fervente adepte d'une mythologie du sursaut ou du salut national opposé tant au "mondialisme cosmopolite" qu'à "l'invasion du sol français" englouti sous les vagues de pauvres issus des pays anciennement colonisés ? Le nationalisme, définitivement, demeure aujourd'hui l'antilibéralisme des imbéciles.
Car c'est de nationalisme dont il s'agit avec le débat proposé par le méprisant Eric Besson. Et le mépris n'appelle que le mépris, ou plutôt, mieux la déprise : il ne s'agit donc pas de se méprendre, mais bien de se déprendre de tels énoncés pour en proposer d'autres. Le nationalisme, on le sait, a besoin d'un grand récit mythique fédérateur, et d'une croyance collective dans les mirages économiques et sociaux qu'il est censé prodiguer, et qui doit reposer sur un ensemble de rites (la Marseillaise) et d'emblèmes (du coq gaulois au buste de Marianne) afin de pouvoir symboliquement s'auto-entretenir. Le grand récit que le nationalisme propose, ce serait alors celui d'un "nous" généreux, fort et fier, et qui s'opposerait à un "eux" susceptible d'affaiblir ou de dégénérer le premier. Vision essentialiste ou substantialiste, homologue en tout cas à n'importe quelle forme de racisme : cette structuration imaginaire et binaire de l'organisation sociale, et que la frontière est censée matériellement accomplir, est quand même l'un des ressorts politiques des pires catastrophes que l'Europe et le monde ont vécues ces deux derniers siècles. Le terme ultime du discours inclusif-exclusif demeure historiquement la négation de l'autre, son extermination.
L'autre que le discours nationaliste vilipende n'est pourtant pas d'une essence ou substance différente que le même préservé et chouchouté par le discours nationaliste : ce ne sont que deux cas d'un même genre humain plus général qui ont précisément en partage ces quelques traits génériques que sont le langage pour parler et se comprendre et leur égale intelligence pour œuvrer ensemble dans une société qui leur est commune. Une politique de l'émancipation et de l'égalité n'a que faire des différences culturelles, qui ne sont pour le meilleur que la preuve de la richesse des formes de vie adoptées par le genre humain. Une telle politique fait communauté, sans exclusive, avec tous les individus qui, parce qu'ils sont doués de langage, énoncent leur désir commun de ne plus s'identifier aux grands récits qui les divisent. Et ce, au nom d'un projet d'organisation sociale dans lequel l'autre n'est plus considéré ni comme une force de travail corvéable, ni comme un concurrent à abattre, ni comme un ennemi à vaincre. Ce vivre en-commun des égaux de la société émancipée s'est un jour appelé communisme. Cela ne peut s'oublier, et le nom même de communisme est l'antithèse destructrice de tout nationalisme, de tout discours de promotion d'une supposée et hypothétique identité nationale dont historiquement les États ont usé pour mobiliser leurs peuples assujettis en les jetant effroyablement dans la guerre.
L'identité nationale, parce qu'elle promeut une logique étatique d'identification indexée sur un grand mythe inclusif autant qu'il est exclusif, parce qu'elle subordonne les individus au nationalisme qui fait le lit de tout racisme, parce qu'elle aliène leur liberté d'agir et de penser au profit des grandes machines bureaucratiques de l’État sécuritaire et gestionnaire du Capital, fabrique le séparatisme symbolique au nom duquel les autres extra-nationaux sont les problèmes à résoudre des inclus de la nation. Mais quelle instance fabrique ces autres qui font problème, ces indésirables qui gênent, ces non-identiques qui souillent l'identité nationale, si ce n'est l’État lui-même ? Quand il s'agit de déréguler le mouvement des capitaux, il n'y a aucun problème, mais les êtres humains sembleraient représenter une autre affaire. A l'internationalisme du capital qui divise et met en concurrence les individus et les peuples, il faudrait (re)commencer par constituer l'internationalisme des peuples et des prolétaires, unis contre les divisions promues par l'exploitation capitaliste et l'identité nationale-étatique. Il faudrait même aller jusqu'au bout de la logique à l’œuvre, en actualisant sa part d'impensé : si les étrangers sont en France désirables uniquement sous l'angle de la force de travail qu'ils représentent, et s'ils participent ainsi de la richesse économique dont profite toute une société, la moindre des choses qui assurerait un peu de cohérence et mettrait fin aux contradictions de l’État avec lui-même serait alors d'identifier cette force de travail avec le juste statut juridique qui devrait l'accompagner.
Qui est ici est d'ici. Et qui travaille ici l'est aussi.
L'autre étranger qui fait problème, c'est en fait mon proche, celui avec qui je fais société, et celui à qui la société en retour doit donner les droits lui assurant la protection d'une vie libérée de toute forme de joug. L'étranger, c'est mon autre moi-même, celui avec qui je travaille et avec qui je travaille à nous émanciper du travail subordonné par le Capital et de la vie assujettie à l’État, alors que les représentants du national-étatisme que sont Eric Besson, Eric Zemmour et leurs affidés sont ces étrangers qui appartiendraient à un monde archaïque et barbare, dont peut-être les ultimes feux nocturnes viendraient nous brûler le visage, tout juste avant l'extinction.
11 novembre 2009
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